-Madame ! Il est 11h40, ne devriez-vous pas être à votre bureau ?

Putain de merde…

-Allez hop hop ! Vous devez vous lever ! Vous êtes déjà en retard !

Non…Pas la lumière. Argh.

-J’ai dit debout, Miss Karzavosky. Allez !

-Oh mierda…

-Je vous ai déjà dit que je ne parlais pas cette langue.

Une ombre danse sous mes paupières. J’ai mal au crâne. Qu’une envie, me rendormir et je retourne sous les couvertures, bercée par l’odeur des vieilles cigarettes éteintes. Mais rien à faire. La voilà avec son accent portugais en train de me tirer hors du lit, totalement amorphe, mal démaquillée, les cheveux en bataille pour me mettre face à la table tout à coup propre, avec un café serré et fumant en face de mes cernes bien noires. Putain de merde…Je m’allume une cigarette, mes yeux mordorés plongeant dans la marinade bien dégueulasse. Je n’aime pas le lundi, et l’idée de devoir faire face au directeur avec autant d’heures de retard n’arrangeait pas la chose. Le café fini, vieux goût dans la gorge, elle me traîne jusqu’à la salle de bain, met l’eau froide en route et me plonge dedans.

-Aaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaahh !!!

1h et 30 minutes plus tard.

La vie hante l’orphelinat, rires et conversations s’immisçant dans chaque couloir. Des sourires, encore et encore. A croire que le bonheur se trouve à chaque coin de rue. Quel ennui…
Et je passe entre ces élèves. Quelques uns me regardant passer, d’un air souvent interrogateur. Mes yeux mordorés couvent chacun du regard, illisibles. Imperceptibles. Comblés d’un petit sourire énigmatique rouge et d’ongles manucurés. Et je marche sur mes talons aiguilles, fausse petite secrétaire dans ce tailleur rougeâtre argumenté d’un collier de perles.

Après ce réveil disons, abrupt, je me rendis donc à l’orphelinat, après avoir brûlé quelques feux rouges en me maudissant d’avoir voulu terminé la nuit dernière, le planning des sorties culturelles de l’année, pour toutes les classes de l’orphelinat. Le secrétaire m’attendait d’un air embêté, presque apeuré…Ca y est, quelqu’un est mort. Peut-être quelque chose d’intéressant. Peut-être ♥. Cela faisait longtemps qu’un spectacle ne m’a été offert.

-Eden ?

Je m’approche, de ce pas félin, sourire aux lèvres, yeux inquisiteurs, ne laissant rien d’autre respirer que mon cœur. Yeux pour yeux. Monsieur Bow, de par son surnom, transpire en me voyant approcher. Je ne fais aucun mal. Mais je sais par ses yeux plissés, sa gorge serrée et sa mâchoire contractée qu’il n’est qu’un lâche ne sachant qu’obéir, ne possédant aucune imagination. Pas besoin de lui répondre pour qu’il continue son discours.

-Je dois poser le planning des sorties culturelles de l’année sur le bureau du proviseur dans deux minutes, pourriez-vous me le donner ?

Silence pesant.

-Merde !

Dans ma hâte, j’avais oublié de prendre le dossier qui se trouvait certainement sur le siège passager de ma voiture garée, bien entendu, sur le parking, situé à plus de deux minutes de mon petit bureau en s’y rendant calmement. Je connaissais que trop bien le directeur pour savoir que si le planning n’était pas posé dans les deux minutes qui suivent sur son bureau, il allait me faire passer un sale quart d’heure. Maudissant ses sales manies et cet oubli fatal pouvant me coûter ma carrière, j’ai regardé d’un air méprisant et furieux le secrétaire qui commençait à balbutier des excuses. Pourquoi il s’excusait celui-là ?! Il ferait mieux de courir chercher le dossier dans ma voiture ! En fait, non. J’ai soupiré d’exaspération, en effet, si je ne lui donnais pas les clés de l’Audi, il ne pourrait certainement pas récupérer le précieux planning sans casser une vitre. Cependant cette dernière idée me révulsait, j’étais certes issue d’une famille aisée, mais il n’empêche que j’ai payé la maudite voiture avec mon argent gagné à la sueur de mon front !

Prenant les clés, j’ai commencé à courir dans les couloirs, me souciant peu des regards étonnés des élèves. Oui, la sous-directrice sait courir ! Et alors ?! Ca vous gêne que je pique un sprint ? Mais courir avec des talons hauts revenait à trottiner, alors, en arrivant près du parking, je me suis vite fait déchaussée pour atteindre la voiture à une vitesse plus rapide. La clé s’enfila dans la serrure poussée mes jurons et j’ai enfin pris le dossier, pieds nus et quand même un sourire victorieux aux lèvres.

Passant une main dans mes cheveux pour leur redonner une coupe plus présentable, mon regard se rétrécit, redevenant normal et félin, puis, je me suis retournée, pour me retrouver nez à nez avec un jeune homme, le mordoré de mes yeux plongeant dans le gris sans fond des siens. Malgré ma surprise de le trouver ici, je suis restée impassible, immobile. Puis, le secrétaire arriva en courant, essoufflé. Je lui tendis le dossier qu’il saisit avant de reprendre son sprint en sens inverse.

L’esprit plus léger, j’ai examiné sans me cacher l’orphelin se tenant devant moi. Une dizaine de centimètres de moins que moi, il paraissait légèrement plus fin – ce qui, je l’avoue, me donna envie. Ses cheveux blonds platines tombaient délicatement sur ses yeux gris, que je trouvais charmants ♥. Et enfin, ce qui éveilla le plus ma curiosité, fut son petit côté impassible et silencieux. Un millier de questions resta aux bords de mes lèvres, sans pour autant trouver une porte de sortie. D’où venait-il ? Que faisait-il ? Qui était-il ? A cette dernière question, je sus quoi répondre en cherchant dans ma mémoire les dossiers des élèves que je feuilletais souvent. Ah, ça y est, Heaven !

J’eus l’envie de parler avec lui, bien que je sache – enfin d’après son dossier- qu’il était relativement silencieux pour son âge. Remarque, dans cet orphelinat, tous les enfants semblaient dotés d’un caractère propre à eux et unique en leur genre. Mes lèvres rougeâtres s’étirèrent sur un petit sourire et d’un léger accent russe j’ai susurré à l’égard du jeune homme :

-Bonjour Heaven, mais que fais-tu ici ? Tu cherches quelque chose ?

J’attendis sa réponse d’un air goulu, tout en récupérant mes escarpins que j’ai enfilés sans sourciller, avant de commencer à marcher vers la porte d’entrée. Mes cheveux semblaient redevenus lisses, reprenant leur forme carrée, et mes oreilles qui avaient légèrement rougies à cause du vent sifflant, redevinrent de ce blanc cotonneux commun à mon origine russe. Mes yeux aux pommettes rehaussés fixèrent le jeune homme, tandis que je commençais ma petite manœuvre de compréhension de sa personnalité, en voyant s’il me suivrait ou non à l’intérieur du bâtiment.