APRÈS TOUT, ON S'AMUSE COMME ON PEUT.

« L'homme s'ennuie du plaisir reçu et préfère de bien loin le plaisir conquis. »

L'ennui, ce n'était jamais très bon pour la santé.

Voyons les choses en face : l'ennui n'est pas très stimulant, aussi bien physiquement que psychologiquement. Vous êtes là, apathiques, à vous demander quoi faire, et tandis que votre cerveau cherche une solution, une idée, n'importe quoi, vos membres ne bougent pas. Ne cherchez pas à aller à l’encontre de cette affirmation, Ember venait de passer une bonne heure sur la question, d’un point de vue aussi théorique que pratique. Surtout pratique, en fait. Vous l’aurez compris, Ember s’ennuyait. Et comme s’ennuyer n’est pas bon pour la santé, il fallait absolument qu’il trouve une activité. N’importe quoi. N’importe où. Mais là. Maintenant. Tout de suite.
Il arpentait les couloirs de l’orphelinat tel un zombie. Le manque de distraction, ce n’était pas bon pour lui. Bien sûr, me direz-vous, c’était mauvais pour tout le monde. Mais non. Ember était plus sensible que les autres face à ce genre de choses. Et puis Ember n’était pas tout le monde, alors chut.
Ember avait tendance à s’ennuyer facilement. Heureusement, cela n’arrivait pas souvent. Il avait des tas de distractions, en temps normal. Racketter des mioches ou réclamer de l’argent à ses créanciers, par exemple. Une activité qui lui prenait tout son temps libre en dehors des cours, et donc la majorité de sa journée. Mais ce matin, ô horreur suprême, il avait constaté que la liste des malheureux qui avaient encore des dettes envers lui était… vide. Tout avait été remboursé. Ember avait parcouru trois fois la liste des yeux. Il avait dû se tromper quelque part. Barrer le nom de quelqu’un par inadvertance. Perdre une partie de la liste au fond de son sac. Ou de sa chambre. Sous son lit, peut-être ? Le sac. La chambre. Le lit. L’armoire. Tout y était passé. Sans succès.

Pour la première fois de sa vie, Ember était à jour dans ses comptes.
Et ça, c’était vraiment, mais alors vraiment très mauvais.

Qu’allait-il faire de sa journée ? Stalker tous les clients potentiels ? Impensable. C’étaient eux qui le stalkaient, habituellement. Il n’allait quand même pas s’abaisser au niveau de tous les drogués, les accros à la nicotine, à la caféine et j’en passe qui faisaient habituellement tourner sa petite affaire ? Non. Im-pen-sable. Il aurait l’air d’un clochard à mendier la moindre distraction, la moindre expression soucieuse, la moindre lueur inquiète dans le regard, le moindre… Il avait besoin de tout ça. Il en avait BESOIN. Merde, Ember. On dirait un camé. Reprends-toi, mon vieux.
Après tout, il suffisait de trouver une autre distraction. Un gamin à racketter, peut-être ? À cette heure-là ? …Non, non, ne soyons pas pessimistes. Il allait trouver. Peut-être qu’en se rendant dans le parc, ou près du terrain de sport… il trouverait bien une cible isolée et sans défense. Parce que c’était moins drôle quand elle n’essayait pas de le frapper, évidemment. La dernière chose dont Ember avait besoin, là tout de suite, c’était de tomber sur un mioche rebelle qui tenterait de lui foutre des coups de pieds dans les genoux. Ou plutôt les tibias, parce qu’il allait en prendre un vraiment tout petit, ça le calmerait.

Ember tourna au coin d’un couloir et s’arrêta subitement. Il avait failli lui rentrer dedans, mais… il y avait quelqu’un ici. Ce n’était pas une cible facile, comme il l’espérait, mais il était loin d’être déçu. Il faillit sauter de joie. Ça, c’était son crédit contre les gosses rebelles et récalcitrants. « Ça », c’était Peach. Ember afficha un sourire aussi gentil que le lui permettaient les circonstances. Il aimait bien Peach. Si, si… juré. Il s’approcha les mains dans le dos, l’air de rien.

« Qu’est-ce que tu fais ? » lança-t-il en guise de salut.

La prochaine étape, c’était bien sûr de se lancer dans un monologue qui aurait pour but de la convaincre de l’accompagner. Sa question était donc inutile. Premièrement : il était pratiquement sûr qu’elle accepterait. Deuxièmement : elle ne parlait pas anglais. Donc…Il opta quand même pour une version abrégée :

« Je m’ennuie. Tu m’aides à racketter un gamin ou deux ? Tu auras le droit de frapper. » ajouta-t-il comme s’il s’adressait à un gentil chien.

L'ennui, ce n'était jamais très bon pour la santé. Surtout la votre, en fait.

A vrai dire Peach non plus n'aimait pas s'ennuyer. Et par contre elle, trouvait toujours une occupation. La plupart du temps elle s'amusait à suivre les gens, comme ça, par hasard, les stalker devait un jeu assez divertissant. Oh, les autres qui se faisaient suivre ça les faisait pas kiffer du tout, mais bon, c'était Peach, aussi imprévisible qu'une mouche hystérique. Mais aujourd'hui elle n'avait strictement rien à faire. Elle avait dormi sous la table de sa chambre, personne n'avait fait de commentaires, ils avaient l'habitude. Elle s'était réveillé vers 11heures, avait enfilé une petite robe blanche toute simple et avait décidé de rejoindre Caffeine. Elle l'avait suivit pendant quelques heures, puis était allé rejoindre les orphelins qui fumaient sur la terrasse. Matt faisait des ronds de fumée, en le regardant elle avait ensuite essayé et avait réussi elle aussi. Autant dire que Peach était une enfant vraiment étrange. Elle était également allé manger, avait prit 4 ou 6 pains qu'elle avait englouti sans vergogne. Puis elle était allé voir un orphelin qui écoutait de la musique. Elle imitait les mouvements de la tête du garçon, comme si ça vie en dépendait.

Mais après ça elle s'ennuyait... Peach n'avait pas beaucoup d'amis à vrai dire, les gens la fuyaient, soit parce qu'il connaissait à peu près son passé d'enfant de la guerre, mais aussi parce qu'elle leur faisait peur. Après tout la brunette n'était pas normal, et en plus elle ne parlait que quelques mots d'Anglais ! Difficile de tenir une conversation avec elle. Difficile de l'apprécier quand on sait de quoi elle est capable. Et surtout elle traine avec Ember ! Ah ça, c'est la pire des raisons. Bon, Ember en même temps il est un peu indispensable à la WH, parce que c'est grâce à lui qu'on a des cigarettes et des capotes. N'empêche que ce type il est malsain. Mais pour Peach il était juste normal, elle avait l'habitude des choses malsaines et mal. Elle avait l'habitude de baigner dans la décadence, en fait c'est comme si elle avait besoin. Peach sortit de sa chambre et commença à errer comme un fantôme noir dans l'orphelinat. Elle arriva enfin dans les couloirs et failli se heurter à quelqu'un qu'elle connaissait bien.

Ember était là.

Peach ne sourit pas, Peach ne sourit jamais en même temps, et regarde le brun de ses grands yeux noirs.

Le dealeur semblait assez content de la voir, pour sa part Peach gardait le même air impassible qu'elle arborait en permanence. Ce n'est pas qu'elle n'était pas contente de le voir, non, elle l'aimait bien, si aimer était encore un mot de son vocabulaire, enfin bref, elle appréciait Ember à sa façon, et pas de la meilleure façon qui soit.

« Qu’est-ce que tu fais ? »

Peach regarda longuement le brun, qu'est ce qu'elle faisait ? Rien. Pour toute réponse elle haussa les épaules d'un air nonchalant, il devrait bien comprendre.

« Je m’ennuie. Tu m’aides à racketter un gamin ou deux ? Tu auras le droit de frapper. »

« Je m'ennuie. »

L'irakienne fixait toujours Ember d'un regard glacial et sans merci. Puis elle baisse la tête, la secoue.

« oki doki »

Elle attrape la main d'Ember et la serre entre ses petits doigts bruns.

« Ember. »

Peach s'arrête quelques instants, semble chercher quelque chose dans le ciel pendant qu'elle réfléchit. Elle secoue la tête, yeux fermés, sa longue queue de cheval s'agite pendant qu'elle gigote. Puis elle ouvre la bouche.

« Pourquoi ça ? »

Elle était mignonne, Peach. La plupart des orphelins avaient peut-être du mal à faire la comparaison entre la Peach de l’orphelinat et la princesse dans Mario ; Ember lui, il trouvait que Peach était choue. De toute façon, la comparaison ne se faisait pas : la Peach de Mario n’aurait pas tenu une minute face à celle-ci. Ember sourit de plus belle. Il avait toujours été fils unique, et il avait toujours pensé qu’avoir un petit frère ou une petite sœur, devait être vraiment encombrant. Il fallait dire, aussi, que les plus jeunes orphelins de la WH l’horripilaient, à geindre et à chouiner à longueur de journée pour un rien. Ember, lui, leur donnait une bonne raison de se plaindre. Il n’aimait pas les gosses, plus ils étaient jeunes, moins il les supportait, même s’il ne le montrait pas forcément. Parce que détester les gosses, ça fait tout de suite de vous une brute sans cœur, et Ember n’était pas une brute, il aimait la paix entre humains. Quant à son cœur… son cœur vous emmerde, voilà.
Tout ça pour dire que s’il avait été forcé de se choisir un petit frère ou une petite sœur, Ember aurait pris Peach, parce que Peach, elle était supportable. C’était même la gamine la plus supportable qu’il connaissait. Peut-être que s’ils avaient été frangins, ils auraient passé encore plus de temps ensemble, à trainer dans les couloirs pour terroriser les autres. Heureusement pour tout le monde, ce n’était pas le cas. De toute manière, Ember pensait faire un très mauvais grand frère. Comme il faisait partie des pensionnaires les plus âgés, il se retrouvait souvent en position d’aîné. Et d’après ce qu’il connaissait des relations fraternelles, ben il faisait un mauvais frangin. Sauf si on considérait qu’effrayer ses cadets et donner le mauvais exemple, c’était bien.

Mais voilà. Peach avait accepté, comme prévu, et Ember était content. Ce qui était bien avec Peach, c’est qu’elle parlait peu. Et puis, elle était toujours d’accord. …Presque toujours.

« Ember. »
« Mmh. »

Il n’était pas sûr qu’elle s’adressait directement à lui. Elle avait levé les yeux pour regarder le ciel et Ember haussa les épaules. Peach avait souvent des réactions pas très logiques, mais qu’est-ce qui était logique, dans le fond ? Dans son monde à elle, ce qu’elle faisait était peut-être tout à fait logique. C’était comme Ember. Racketter des mômes, là tout de suite, lui paraissait plus que logique. Alors, pourquoi chercher plus loin ?

« Pourquoi ça ? »
« Pour... » commença Ember, avant de froncer les sourcils en se rendant compte de ce qu’elle demandait. "Pourquoi racketter des mômes ?" Il se demanda s’il devait une explication à Peach. La logique aurait voulu que oui. Pas celle d’Ember, bien évidemment. « Pourquoi tu poses cette question ? »

Sérieux. Ça n’avait pas l’air de la gêner, d’habitude. C’était une sorte d’accord tacite entre eux. Ember faisait appel à elle quand il avait besoin d’aide, ça lui donnait l’occasion de se défouler un peu. Chacun son truc, après tout. Et tout le monde était gagnant. (Tout le monde, c’est-à-dire juste eux deux, en fait.)

« Si t’as pas envie, je trouve quelqu’un d’autre. »

Ça aurait pu sonner comme une menace, sauf que Ember ne menaçait jamais Peach. Il n’était pas stupide. Mais, même s’il avait parlé normalement, calmement, ces mots ressemblaient tout de même à un avertissement. Une façon de lui dire qu’il n’avait pas besoin d’elle. Il n’avait besoin de personne, d’ailleurs, que les choses soient claires. Ce n’était pas parce qu’il appréciait Peach pour les services qu’elle lui rendait, et pour son caractère « facile » (oui, Ember considérait son attitude comme tout à fait facile à vivre), qu’elle lui aurait manqué, s’il avait dû s’en passer. Des tas d’orphelins avaient des dettes envers lui. Habituellement. Il pouvait en trouver un, n’importe qui, qui serait obligé de lui rendre service. Il avait simplement choisi Peach parce qu’elle était moins chiante que la normale, et parce qu’elle savait se battre. Et aussi parce qu’il avait été facile pour lui de l’approcher. Peach ne semblait pas dérangée par les activités d’Ember. Elle ne semblait dérangée par rien du tout, en fait. En tout cas, il avait facilement réussi à la convaincre. Et, s’il devait être franc, il aurait dit que cela n’avait rien à voir avec ses talents de manipulateurs. Il doutait que Peach soit une fille réellement influençable. D’ailleurs, son Q.I. était largement supérieur au sien. Comme quoi...
En tout cas, il pouvait se passer d'elle. Autant mettre les choses au clair. N'empêche... il n'avait pas encore lâché sa main.

Peach était l'antithèse de celle à qui elle avait prit le nom. Peach était blonde, notre Peach peau matte et cheveux noirs. Peach était douce et gentille, notre Peach était dur et sans cœur. Peach était faible et idiote, notre Peach forte et intelligente. Peach s'habillait avec des froufrous et notre Peach avec des vieux t shirts trop grands pour elle. Oui... Peach n'avait rien de la célèbre et très conne princesse de Mario. Et sûrement qu'elle était diablement intelligente, un peu trop d'ailleurs. Elle savait très bien pourquoi Ember faisait tout ça. Elle savait pertinemment qu'Ember était une petite racaille qui aimait se savoir supérieur vis à vis de ses semblables. Et que racketter les gosses c'était par pur complexe de supériorité. Pour que se prouver que même en étant une crevette il pouvait tout de même user de sa force et de la peur qu'il inspirait pour arriver à ses fins. C'était bien plus facile d'aller voir les petits que d'aller voler le portable de Hurt. Qui l'aurait tabassé jusqu'à ce que mort s'en suive. C'était bien plus facile de refiler de la drogue à un petit, pour en faire un futur camé qui n'aurait dépendu que de lui. Peach savait tout ça.

Et Peach savait également que Ember était un connard. Elle savait que généralement on ne doit pas trainer avec les connards, par pure morale, juste parce que ses parents le lui avaient dit, que tout le monde le disait, que même chez disney c'était les gentils qui gagnaient, pas les méchants. Mais elle savait aussi qu'il y avait des exceptions. Ember était ce genre d'exception. Il était trop intéressant pour qu'elle ne le fuit. Et de toute façon elle avait l'habitude des gens profondément méchants, elle avait l'habitude de la violence. Ce n'était pas parce qu'elle n'avait pas envie de les tabasser, non, elle s'en foutait. Ce n'était pas qu'elle ne comprenait pas. C'était qu'elle aurait voulu qu'Ember explique son comportement. Peach prenait plaisir à analyser le brun, à dresser son profil dans sa tête. Elle voulait tout connaître de lui. Et elle se maudissait de ne pas arriver à parler Anglais. Même en étant intelligente quelque chose la bloquait, peut-être avec la prononciation, souvent quand elle essayait de construire des phrases elle n'arrivait pas à produire les bons sons. Ce qui fait qu'on croyait qu'elle parlait dans sa langue natale, alors que non pas du tout.

« Pourquoi tu poses cette question ? »

« Si t’as pas envie, je trouve quelqu’un d’autre. »

Peach regardait Ember, elle ne broncha pas, ses yeux ne clignèrent même pas, elle était totalement frigide, comme d'habitude en fait.

« Réponds. »

Elle ouvrit la bouche, la referma.

« Si tu, machwa, je syruai. »

« … »

Peach fronce un peu les sourcils puis tape du pied par terre.

« Putain de merde, fait chier. Ember, putain, tu pouvais pas parler l'irakien? Je veux juste savoir pourquoi. Pourquoi t'as un tel besoin de violence en toi. »

Disait-elle dans sa langue natale.

Puis elle soupira, il ne comprenait pas de toute façon.

Alors elle le prit par le bras et l'entraina vers les enfants qui jouaient plus loin.