Le bruit du stylo grattant le papier, celui des chaussettes frottant contre le parquet ciré, le bruissement des pages qu’on tourne, le mouvement imperceptible d’une mèche de cheveux qui retombe progressivement sur le visage concentré d’un adolescent à la peau laiteuse. C’était rien de bien particulier, dans une bibliothèque, ce tableau vivant. Rien de bien particulier quand on considère tout l’orphelinat. Et dans la tête de Licorice, c’était pareil, rien de passionnant à étudier tranquillement un samedi après-midi. Son regard déviait parfois des feuilles qu’il noircissait pour se poser sur le livre dont il tournait frénétiquement les pages à la recherche du mot qu’il lui manquait. Oh, il n’aimait pas devoir faire preuve de lyrisme et d’imagination. Mais quand il fallait le faire, il le faisait, c’est tout. Soupirant doucement, il mit un point final à son devoir et referma l’épais volume d’un coup sec, résonnant dans le silence pesant de la bibliothèque. Tant pis pour la discrétion, Licorice avait fini, donc il remballait son joyeux bordel. Les bouquins à leur place, feuilles, stylos et autres trucs plus ou moins utiles dans son sac, et hop, le voilà sorti de la pièce, en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire.

Il flâna un instant dans les couloirs, sans but certain, n’accordant même pas un regard aux rayons de soleil qui éclairaient tout à travers les vitres parfaitement nettoyées. Licorice n’était pas un être friand de sport et de jeux en extérieur, aussi se contentait-il de rester enfermé entre quatre murs, quand bien même une brise de printemps ne lui ferait pas de mal. D’ailleurs, à qui ça pourrait faire du mal, la caresse de la saison nouvelle ? A personne, nous sommes d’accord. A moins d’être l’un de ces enfants de la Lune qui ne peuvent supporter l’éclairage normal. Licorice n’en était pas un. C’était juste un gamin feignant qui n’aimait pas pointer son nez dehors. Un gamin ennuyeux, même, qui balança son sac dans sa piaule avant de partir en sens inverse, une idée ayant germé depuis un moment dans les champs interminables de son esprit détraqué. Il grimpa d’une traite dans les étages, ne se formalisant pas de ceux qu’il pourrait rencontrer en chemin. De toute façon, il n’y faisait jamais attention à moins qu’il y ait un truc qui se détache de la masse. Et là, y’avait à proprement dire, rien. Rien, pour lui.

Il se dirigea, du pas assuré de celui qui avait fait plusieurs fois le chemin. Il s’arrêta devant les marches de bois qui menaient au grenier, endroit qu’il n’avait pas encore fini de fouiller. Car oui, Licorice fouinait. Partout. Dans chaque recoin il essayait de voir s’il n’y avait pas quelque chose à trouver. C’est quand même connu, pour trouver quelque chose, il faut le chercher. Donc Licorice le fait. Et le grenier, il n’en avait pas terminé avec. Il grimpa les marches et s’avança dans la pièce chichement éclairée. Un regard circulaire lui apprit que rien n’avait bougé depuis la dernière fois où il était monté, et il sortit un bâton de réglisse de sa poche avant de l’enfourner et de remonter ses manches. Licorice versus grenier, édition d’exploration. Let’s begin.

L’adolescent commença par descendre un carton d’une pile branlante pour en explorer le contenu. Se faisant, il souleva une bonne couche de poussière qui le fit tousser, en plus de s’accrocher au coton de sa chemise blanche. D’un revers de main, il agita l’air face à lui, dans un réflexe banal pour chasser les particules de poussière. Pas très utile, mais passons. Le carton ouvert à ses pieds, c’était plus intéressant. Il commença à regarder à l’intérieur et à en sortir divers objets, papiers, cadres vides, quand un grincement de bois aurait pu lui faire lever la tête, c’est une voix fluette qui attira son attention. Le nez dans le carton, une sueur froide coula le long de sa colonne vertébrale et il se retourna bien vite, ne s’attendant pas à être surpris dans son exploration du contenu du grenier.

Une fille. Première constatation. De la Wammy’s. Captain Obvious est là. Des cheveux bleus, une robe à fleurs. Licorice farfouilla un instant dans sa mémoire – décidément, il est bon qu’à fouiller celui-là – et réussit à mettre un nom sur cette figure là. Orchid. Un minois souriant, à l’air gentille et sociable. Tout l’inverse de l’espèce de bestiole ermite qui avait encore la main dans un carton hors d’âge.

« Y’a moi… » fit-il

Déjà, il dévisageait la nouvelle venue, la fixant sans retenue tel un morceau de viande en vitrine chez le boucher. Ce n’était pas méchant ou déplacé, venant de lui, mais ça, tout le monde n’était pas censé le savoir, qu’il avait pour habitude de vous scruter et vous jauger du regard. Bref. On se demandait après pourquoi il était toujours tout seul. Non seulement il ne se mêlait pas naturellement au reste, mais en plus il ne donnait pas franchement envie d’y causer. Après sa rapide inspection, de toute façon, il savait à qui il avait à faire donc pas besoin d’épiloguer cent sept ans, il planta ses orbes bleues dans celles d’Orchid.

« Tu cherchais quelque chose ? Ou alors t’as besoin du grenier pour un truc qui ne me regarde absolument pas et tu aimerais bien que je débarrasse le plancher illico presto ? »

Non, Licorice n’accusait personne de rien. Seulement il énumérait les possibilités. Pour quelle autre raison cette fille serait-elle là, sur le pas de la porte d’un grenier poussiéreux et seulement visité par des adolescents bourrés d’hormones ou en manque de cachettes. Pittoresque.

« Oh, et bonjour, aussi… » dit-il finalement

Disant cela, il sortit une nouvelle liasse de papiers du carton avant d’y jeter un dernier coup d’œil, constatant qu’il avait fini par le vider. Il le poussa du pied et s’installa en tailleur au milieu de ce bazar.