La lumière du soir tombant filtrait à travers les grands carreaux de la bibliothèque de la Wammy's, parant d'un film doré les différents étagères et meubles. Çà et là, des particules de poussière en suspension brillaient, le silence régnant comme de juste. L'endroit était d'ailleurs si calme que l'on distinguait sans peines les cris et les rires des orphelins à l'extérieur, qui profitaient des derniers rayons de soleil de cette fait de journée. Seuls emplissaient le silence le bruissement des pages tournées, le chuintement des chaises repoussées sous les tables. La bibliothèque se vidait peu à peu, l'heure de fermeture approchant.

Et pourtant, non loin des fenêtres, restait une jeune fille qui n'avait pas l'air de prêter la moindre attention à ce qui l'entourait. Un épais volume posé sur la table, elle se tenait penchée, immobile si ce n'est le mouvement frénétique de ses yeux verts. Sautant d'une ligne à une autre, ils survolaient les pages, s'arrêtant parfois sur un mot, une phrase, pour continuer ensuite leur course effrénée. Puis vint la dernière page, et ils restèrent fixés sur ce dernier mot, « jour ». Je n'en sais pas plus à ce jour, écrivait l'auteur. C'était à s'en arracher les cheveux, à balancer ce fichu bouquin par terre, à renverser les tables. Surtout pour l'incorrigible impatiente qu'était Ocean. Deux heures, deux heures qu'elle examinait et relisait ce livre ! Frustrée au possible, elle referma le volume d'un mouvement rageur, sans considération aucune pour sa valeur. Les lettres dorées qui composaient le titre luisirent alors au soleil « Voyage en Asie Orientale ». Là où se trouvait la Corée du Nord. Ce pays la passionnait depuis qu'elle était tombée dessus au hasard d'un interrogation orale de géographie, interrogation qu'elle avait d'ailleurs quelque peu... ratée. Elle dont la compréhension globale des choses passait par l'analyse des choses précises, elle s'était rendue compte au fil de son oral que non, elle n'avait pas compris le Corée du Nord. Et depuis ce jour, elle ne la comprenait toujours pas. Elle ne pouvait pas vous la résumer en deux phrases, comme elle le faisait avec beaucoup de choses - ou de personnes. Ce qui avait d’abord été une frustration, peu à peu s'était transformé en passion. Rares étaient les sujets qui l'intéressaient à ce point et auxquels elle se heurtait avec tant de difficulté.

Mais voilà, malgré d'innombrables heures de recherche en tout genre, beaucoup trop d'informations manquaient toujours. Ce pays était un mystère international, qui savait vraiment ce qui se passait en son sein ? Oh, elle en savait déjà beaucoup plus que la moyenne, mais elle était toujours dérangée par son incapacité à vérifier la véracité des éléments qu'elle dénichait. Si seulement elle pouvait se rendre sur le terrain ! Foutue minorité. Sentant la frustration monter en elle comme une vieille amie, Ocean se leva promptement, tapant rageusement du poing sur la table. Ce qui lui valu les regards étonnés des quelques orphelins restants et l'air on ne peut plus désapprobateur de la bibliothécaire, qui fit mine de se lever à son tour, sans doute pour exclure cette impudente qui troublait la quiétude du lieu. Levant les bras et souriant innocemment, la jeune fille se rassit, l’air pensif, aussi calme qu’elle était énervée une seconde auparavant. Elle avait forcément loupé quelque chose un sous-entendu que l'auteur aurait glissé à l'égard des gens comme elle ! Qui sait si la censure ne l'empêchait pas de dévoiler au grand jour une éventuelle découverte ? « Tu deviens parano, ma vieille. » pensa-t-elle, un sourire ironique se dessinant sur la courbure de ses lèvres. Trois lectures et toujours aucune révélation, Ocean décida de faire confiance à son esprit d'analyse. Si elle n'avait tiré aucune information majeure de ce bouquin, c'est qu'il n'y en avait pas, n'est-ce pas ? Soupirant doucement, elle se leva de nouveau, emportant au passage les quelques notes qu’elle avait néanmoins prises et déchira machinalement le bout d'une page du livre, le fourrant dans sa poche après avoir rapidement vérifié que personne ne faisait attention à elle. Son ventre gargouilla, lui rappelant que la lecture, c'était bien beau, mais ça ne nourrissait pas son homme. Trop accaparé par ses recherches, l’adolescente n’avait en effet pas pris le temps de manger. Jetant un coup d'oeil rapide à sa montre tandis qu'elle se dirigeait à grands pas vers la sortie, elle marmonna pour elle-même :

- « J'ai encore le temps de passer prendre un truc à la cantine... oh, non, j'ai meilleur temps de faire un crochet par la cuisine. »

Plus direct, mais aussi plus jouissif. Le frigo bien gardé des cuisines de la Wammy's avait toujours éveillé sa convoitise...

yeah i'm a selfish bastard

Plus la lumière orangée disparaissait du couloir, plus il se remplissait d'orphelins. La journée allait se terminer, et certains reviendraient dans leur dortoir avec, comme d'habitude, une petite surprise. Il était presque quotidien que des enfants aillent se plaindre au personnel qu'un de leurs objets leur avait été volé dans leur chambre, et à vrai dire, il y en avait un que ça amusait beaucoup. Ce même orphelin était là, toujours aux premières loges, à attendre que ça arrive. Leurs réactions étaient souvent comiques, et c'était un vrai plaisir pour Ember de les observer. C'est pour ça qu'il se tenait là ce soir encore, contre le côté vitres du couloir, les mains fourrées dans les poches de son jean. Mais pas uniquement. En réalité, il attendait quelqu'un de particulier. Une personne sans qui il ne pourrait pas faire ce qu'il avait fait toute la journée - son petit trafic entre autre. Comme tous les jours, elle avait sûrement du récupérer quelques objets qu'il pourrait ensuite revendre. Mais pour qu'il les revende, il faudrait déjà lui acheter ... Et pour l'instant, elle n'avait donné aucun signe de vie. Alors le brun attendait l'heure habituelle à laquelle elle revenait à son dortoir, doté d'une rare patience qui ne durerait pas bien longtemps. Il savait bien que la petite rousse avait le même plaisir de l'argent et du travail que lui, mais le problème était qu'elle restait une fille très distraite et curieuse. Comme chaque être humain, elle avait un but, qui lui permettait de voir plus loin et de vouloir sans cesse avancer. C'est ça qui faisait qu'elle ne pouvait pas entièrement être dévouée au petit Emmanuel ; ce qui déplaisait fortement à celui-ci. Il savait tout ça, bien-sûr. Mais il n'avait aucune compassion malgré tout. Ses buts, rêves, et autres choses du genre, étaient totalement invisibles au garçon. Elle était sa fournisseuse, et il avait besoin de ce pion pour avancer lui aussi. Alors il fallait qu'elle soit au rendez-vous, point barre.

Le brun suivit des yeux un garçon qui passait par là, rejoignant sûrement son dortoir, avant de sortir de sa poche son portable. De sa main droite, il sélectionna en quelques secondes le contact qu'il désirait, puis apporta l'appareil à son oreille. Cependant, même si celui-ci sembla sonner une bonne dizaine de fois, personne ne répondit. Après une courte réflexion, il remit l'objet dans sa poche dans un soupir, s'éjectant d'un élan vif du mur, les mains toujours dans les poches. Il s'élança alors d'un pas joyeux dans le couloir, ayant déjà connaissance de sa destination. Il ne la connaissait que trop bien ...

Ce n'est qu'après quelques couloirs de traversés qu'il arriva enfin à destination. Ember pénétra dans la bibliothèque avec silence, avançant droit devant, le regard immobile. après trois ou quatre étagères de dépassées, il décida soudainement de s'arrêter, avant de pivoter sur sa gauche dans un grand mouvement de jambe. Immobile, il ne lui fallut qu'une demie-seconde pour trouver ce qu'il cherchait ; la fierté s'emparant de lui, un sourire espiègle se dessina sur son visage de démon. « Gagné ! » Il ne s'avança cependant pas vers l'objet de ses recherches, préférant s'appuyer contre une des rangées et l'observer, caché. Elle semblait pour le moment calme, plongée dans un livre dont Ember pensait connaître la contenance. Cette fichue obsession qu'elle ne lâchait pas ... Il pourrait en faire tellement de choses, il pourrait tellement s'amuser avec ça ! Rien que d'imaginer l'amusement que ça pourrait lui apporter le faisait trépigner d'excitation. Mais il ne pu continuer de jouir de ce sadisme imaginaire trop longtemps car un bruit sourd l'extirpa de ses pensées. La petite rousse avait frappé du poing sur la table avec fureur, déstabilisant tous les orphelins présents au sein de la bibliothèque. Le brun, toujours dans l'ombre d'une des étagères, continuait de l'observer avec son sarcasme légendaire. Eh ben. Ca lui tenait vraiment à coeur. Et qui sait combien on peut mener les humains par le bout du nez avec la chose qu'ils désirent le plus au monde. Jouissif, je vous dis !

Les secondes s'écoulèrent, et la jeune fille ne tarda pas à se relever pour se décider à partir. Ember quand à lui s'éclipsa dans une autre rangée, la laissant rejoindre la sortie sans lui indiquer sa présence. Plutôt que de la suivre tout de suite, il se dirigea vers la table où elle était précédemment assise afin de s'emparer du bouquin. « Voyage en Asie Orientale ... La Corée du Nord, tellement ennuyaaaaant, gémit-il. » Il reposa l'ouvrage, pensif. Ce pays valait-il la peine ? Se consacrer autant à ça, était-ce quelque chose qu'on pouvait considérer de normal ? C'est vrai quoi, n'était-ce pas bizarre qu'elle s'investisse autant sans raison particulière ? D'habitude, les humains avaient toujours une raison profonde pour s'intéresser autant à une chose ou une personne, généralement sentimentale. Mais elle, elle disait toujours ne pas en avoir. « Par curiosité, hein ... marmonna-t-il. » Le garçon joignit ses mains avant de les lever au-dessus de son crâne afin de s'étirer, sur la pointe des pieds, avant de les croiser derrière sa nuque. « Bien ! Allons-y. » C'est dans cette position qu'il la suivit, quittant à son tour la bibliothèque. Et ce n'est qu'une fois dans le couloir qu'il se décida enfin à l'interpeller. « Hé ! » Il l'avait appelée afin qu'elle s'arrête et qu'il puisse rattraper son retard - comme s'il allait courir ! c'est plutôt les autres qui doivent s'arrêter afin qu'il puisse marcher à leurs côtés. Les mains toujours calées derrière la nuque, il ne lui accorda même pas un regard, continuant de marcher à ses côtés le long du couloir de la Wammy's. « Tu as quoi pour moi, aujourd'hui ? » Les affaires d'abord, le questionnement sentimental après.

Après avoir adressé un clin d'oeil à la bibliothécaire qui était de tout évidence soulagée qu'elle s'en aille, Ocean poussa la lourde porte de bois de la bibliothèque, débarquant dans un couloir bondé. Neuf heures sonnait - il était un peu plus tard qu'elle ne l'avait pensé. Contrairement à d'autres qui auraient soupiré en voyant cette joyeuse masse, la jeune fille eut un discret sourire. Kleptomane ne pouvait rêver meilleure situation. Ses yeux verts parcourant rapidement le flot d'orphelins avec l'aisance que confère l'habitude, elle se coula parmi eux, se dirigeant d'un pas rapide vers l'une de ses récentes connaissances - une fille un peu plus jeune qu'elle, timide et effacée. Ocean l'aimait bien, mais elle se désespérait du manque de présence de celle-ci. C'était suite à l'une de ses nombreuses pulsions qu'elle l'avait prise sous son aile, l'exhortant de s'imposer encore et toujours plus - un coaching dont elle se lasserait sans doute bientôt. Mais pour l'instant, elle marchait, bras grands ouverts, vers la fillette qui se tenait reculée contre le mur, bousculée et s'excusant à la place des autres. Frayant sans peine son chemin - seuls les plus jeunes orphelins se rendaient aux dortoirs à cette heure -, la rouquine arriva bientôt aux côtés de sa provisoire protégée, se baissant pour lui ébouriffer ses cheveux.

- « Et bien, Safe, pourquoi restes-tu plantée là ? Je croyais que tu étais pressée de retourner dans ta chambre ? » l'interrogea-t-elle, souriante.

La petite blonde baissa les yeux, sa petite main serrant le bas de sa jupe, hésitante.

- « J'a... J'attends que tout le monde passe. » Ocean devinait clairement à l'intonation de sa voix que la fillette savait parfaitement que ce n'était pas le genre de réponse que la "grande" attendait.

L'adolescente ne cessa de sourire, mais son regard émeraude se fit plus pénétrant. L'autre était loin d'être bête, comme tous les pensionnaires de l'orphelinat. Semblant puiser du courage dans les yeux qui la fixaient, elle s'éloigna franchement du mur, scrutant les autres orphelins qui ne lui prêtaient aucune attention et continuaient de se bousculer en une joyeuse cohue. Elle se retourna pour lancer un dernier coup d'oeil à Ocean, qui la gratifia d'un mot d'encouragement. Sans plus attendre, la fillette se fraya à son tour un chemin, sa petite voix fluette se faisant peu un peu entendre :

- « Pousse-toi, s'il te plaît ! Pardon ! Je veux passer ! »

Suivant la tête blonde des yeux, Ocean songea qu'au fond, son intuition n'avait pas été mauvaise. Cette petite avait du chien. Elle aurait même pu en faire un petit caïd, avec un peu d'efforts. Si cela ne l'ennuyait pas d'ici-là.
Fourrant la main gauche dans la poche encombrée - elle l'était toujours - de son short, l'adolescente, l'air pensif, partit à contresens du mouvement général, vers les cuisines. Elle avait bien quelques friandises et autres cochonneries subtilisés parmi les jeunes orphelins, mais son estomac lui criait que ce en serait pas suffisant. Cédant à l'appel désespéré de son ventre, elle accélérait le pas quand une voix bien familière résonna dans le couloir.

- « Hé ! » Ember. Elle reconnut sans mal son timbre.

Considérant la catégorie d'orphelins qui peuplait le couloir à cette heure-ci, et se rappelant que, trop absorbée par ses recherches, elle avait zappé leur rendez-vous quotidien, Ocean déduit rapidement que l'appel lui était destiné. Ainsi elle l'avait fait attendre. Pauvre Ember, se dit-elle, sourire en coin, tandis qu'elle ralentissait la cadence et se retournait, apercevant du coin de l'oeil la silhouette du dealeur. Elle attendit que celui-ci la rattrape, puis reprit un pas rapide. Elle avait toujours aussi faim, après tout.

- « Tu as quoi pour moi, aujourd'hui ? » interrogea-t-il, les bras croisés derrière la tête, le regard fixé droit devant.

Loin de se formaliser de cette absence totale de politesse - elle le connaissait trop pour ça et n'avait à proprement dire rien à ficher non plus des banales salutations -, Ocean leva les yeux au plafond, réfléchissant à voix haute tandis qu'elle fouillait à pleines mains ses larges poches ainsi que la besace qu'elle portait en bandoulière.

- « Voyons voir... »

Elle sourit en sentant rouler sous ses doigts les différents objets accumulés au cours de la journée. De la nourriture, un bout de papier, deux ou trois playmobils, une montre en plastique de pauvre facture, une pantoufle d'enfant, une paire de lunettes, quelques barrettes et... un dé à coudre ? Elle l'avait oublié, celui-là. Quoiqu'il en soit, rien qui ne pourrait être utile au grand brun. Les yeux pétillants - oh oui, elle adorait le faire chier -, la jeune fille lui fit la liste de ce qu'elle avait, puis ajouta avec un grand sourire :

- « Ca te va ? »

Non, bien sûr que non.

Le brun, ayant observé la scène précédente sans un mot avant de la rejoindre, lui en aurait bien touché deux trois mots. Qu'est-ce que c'était que cette manie à s'occuper des plus petits ? Enfin quoi, elle n'était pas la mère de tous les exclus sociaux de la Wammy's House quand-même. Elle devait sans cesse se mêler de leurs histoires. C'était censé révéler quoi ? Elle avait été rejetée étant petite ? N'avait pas reçu assez d'affection de la part de ses parents ? Quelque chose du genre ? Bof ! Il s'était interrogé de nombreuses fois dessus, et ne lui avait jamais demandé, étrangement.

Il suivit des yeux la petite blonde, pensif, avant de les poser sur la rousse. Elle était pour l'instant calme, alors, qu'est-ce qu'elle préparait ? Il n'y avait pas une seule journée sans qu'elle ne lui fasse chier. Etait-ce les misérables et insuffisantes découvertes qu'elle avait grâce à ce bouquin qui l'avait blasée ? Mouais. Ember n'y croyait pas vraiment. Il ne fit cependant pas de remarque. Comme il l'avait pensé un peu plus tôt, les affaires avant tout. « Voyons voir ... » Il l'observa fouiller dans ses poches, puis tourna la tête afin de jeter un coup d'oeil derrière lui. Ses yeux suivirent de nouveau la petite blonde qui tentait de se frayer un chemin, et il ne put s'empêcher d'afficher un sourire, replaçant les mains dans ses poches aussitôt, tandis que sa partenaire cherchait toujours les biens tant convoités par le garçon. C'est toujours avec ce petit sourire indescriptible qu'il déclara dans un soupir : « Ahhh, je ne verrai aucune objection à ce qu'elle me paye en nature lorsqu'elle aura grandit, déclara-t-il en faisant allusion à la fillette. » Ember, ou le type révoltant qu'on a envie de claquer. Ember quoi. Il détourna le regard vers Ocean une nouvelle fois, commençant légèrement à s'impatienter. Mais qu'est-ce qu'elle avait aujourd'hui, à la fin ? Quoi qu'il en soit, elle finit tout de même par lui donner la liste de ce qu'elle détenait. Un dé à coudre ? Des playmobiles ? Quelle saleté. Elle savait très bien comment l'embêter. Et pourtant, même quand il s'énervait ou qu'il la rejetait, elle restait quand-même. Enfin, il pouvait comprendre qu'on s'attache à 'un être aussi merveilleux que lui', mais les autres humains sont 'géniaux' aussi, d'après lui. Très amusants surtout. Mais bref, quoi qu'il en soit, il n'était évidemment pas satisfait. Et elle le savait. Et le pire, c'est qu'elle n'hésitait pas à enfoncer le couteau dans la plaie. « Ca te va ? » Son sourire avait disparu depuis un instant, mais il finit tout de même par en afficher un autre en coin, soupirant. « Bien-sûr, le playmobile me rapportera sûrement plus que de la coke ... » Il s'esclaffa légèrement l'espace d'une demie-seconde avant de reprendre. « Tu es désespérante. Enfin bon. » Il s'élança soudain, se postant en face d'elle avec une rare vivacité, les mains derrière le dos, penché, le visage à quelques centimètres du sien. « Etttt ... Tu comptes chercher des informations sur la Corée toute ta vie ? » Oh, oui, la petite fouine avait encore mit son nez là où il ne fallait pas. Ca ne lui plairait pas - qui aime être suivi par Ember ? C'est toujours mauvais signe ... - mais c'était comme ça. Au risque de se faire claquer ou admiré, qu'importe, il ne gardait jamais les choses pour lui. « A moins que tu nepenses à travailler dans une quelconque oeuvre de charité pour les orphelins ou les enfants pauvres histoire de leur transmettre ton instinct maternel infaillible ? » Ember était chiant. Ember était une tête à claques. Parce qu'Ember visait juste, mais parce qu'on sait qu'il a un bon fond quand il veut. Oui, quand il veut, il met ses qualités de connaissances et de recherches d'informations au service des bonnes choses. Parfois pour régler des problèmes. Parfois, il joue avec les autres et finit par en aider certains. Ca dépend. Ca dépend de ce qu'il veut lui, de ce qu'il l'amuse le plus. Ca dépend aussi quelle place vous avez sur son échiquier ...

Toujours est-il que, malgré l'indifférence avec laquelle il la traite constamment, Ember n'aimerait pas faire disparaître Ocean de son échiquier. C'était une pièce importante, sans laquelle il ne pouvait pas forcément avancer. M'enfin, si elle continuait à lui être rentable ainsi, il devrait se remettre au racket - chose qui était devenue occasionnelle depuis qu'il avait rencontré Ocean. Bah, si elle volait les objets, il n'avait plus besoin de le faire. Sauf quand elle n'en volait pas assez, ou qu'elle ramenait de la merde comme aujourd'hui. Elle ne savait vraiment plus comment l'embêter. Ca passait des cheveux sans cesse ébouriffés aux plan carotte comme aujourd'hui. A vous rendre fou. Comme une grande soeur qu'il n'avait jamais eue - rien d'affectif, mais plutôt le côté bien chiant. De l'affection ? Sûrement un peu de sa part, mais elle n'a rien du côté protecteur de la grande soeur envers Ember. Du moins c'est ce qu'il déduit lui. De toute façon, il n'est jamais rien arrivé à Ember. Il est inutile d'avoir peur pour lui ou de ressentir quelconque envie de le protéger. C'est un peu comme si vous tentiez d'être le garde du corps d'un catcheur - ça s'avérerait inutile. M'enfin, pour lui,elle ne ressent aucunement cette envie de protection de grande soeur envers le brun, alors, il n'a pas à réfléchir sur ces choses-là.

Tandis que ses doigts agiles faisaient le tri dans ses poches, Ocean prêtait une oreille distraite au brun à côté d'elle. Leurs ombres s'étirant sur le mur, elle jeta un dernier coup d'oeil à l'extérieur, où la nuit tombait doucement. Une journée de plus passée au sein de l'orphelinat. Qu'elle voyait parfois comme une prison, à vrai dire. Un endroit ennuyeux, où les gens ne l'intéressaient plus - au fond, avait-elle remarqué chaque orphelin se ressemblait plus ou moins. Heureusement pour elle, qui disait orphelinat d'exception, disait aussi personnes d'exception. Enfin, encore deux ans et à elle la majorité, la liberté ! Et surtout, la possibilité d'enfin partir en Corée... elle retrouva le sourire à cette pensée, n'étant pas du genre à se morfondre par nature. Elle se retourna vers Ember, qui de haut de ses dix-neuf ans restait encore et toujours à la Wammy's. Ce qu'Ocean n'avait d'ailleurs jamais bien compris ; le brun ne manifestait pas la farouche volonté de succéder à L comme d'autres ici, et elle serait plus qu'étonnée d'apprendre qu'il s'était attaché à ce lieu. Sûrement restait-il pour son business florissant. Reculant le bras pour le gratifier d'un coup de poing dans l'épaule tout en l'interrogeant sur ce sujet, la jeune fille fut pourtant interrompue par la voix de l'intéressé :

« Ahhh, je ne verrai aucune objection à ce qu'elle me paye en nature lorsqu'elle aura grandit. »

« Hein ? » répondit-elle de façon très élégante, suspendant son geste. Perdue dans ses pensées, elle n'avait aucunement suivi les tribulations du regard carmin de l'adolescent. Ce qu'elle fit aussitôt, et ses yeux tombèrent sur la petite blonde à qui elle avait parlé auparavant. Comprenant soudain la phrase du dealeur et tous les sous-entendus qu'elle impliquait, Ocean oscilla un instant entre l'indignation et l'amusement. Et pourtant, un sourire vint se dessiner de lui-même sur ses lèvres. Au final cela faisait longtemps qu'elle s'était habituée aux remarques déplacées d'Ember. Qui arrivait pourtant encore à l'étonner, parfois. « Moi qui pensait que tu préférais l'argent par-dessus tout, je suis déçue »

Sortant enfin les mains de ses poches, Ocean lui fit donc la liste de ses trouvailles du jour, qu'elle savait dérisoires. Assez étrangement, son partenaire ne s'énerva pas, ou du moins ne le montra-t-il pas. Et pourtant, elle ne comptait plus le nombre de fois où, le sourire jusqu'aux oreilles, elle avait essuyé l'exaspération du brun. Ce pourquoi beaucoup se demandaient pourquoi elle restait auprès de lui, pourquoi elle ne l'envoyait pas tout simplement balader comme elle le faisait avec la plupart des orphelins au bout d'un temps. Il y avait plusieurs raisons à cet entêtement. Premièrement, Ember était une source de revenus sûre. Et depuis quatre ans qu'ils travaillaient ensemble, la rouquine avait amassé une petite fortune, qu'elle gardait précieusement cachée dans un endroit connu d'elle seule. Son voyage en Corée,qu'elle planifiait et re-planifiait sans cesse, nécessiterait en effet une certaine somme d'argent. Ocean avait donc appris à dépasser le côté détestable du garçon, qui au fond l'amusait et dont elle se jouait. Ensuite, et bien... Il la divertissait plus qu'il ne l'énervait, et elle avait même fini par s'attacher un tant soit peu à lui - un exploit. Mais s'il y avait bien une chose qui l'agaçait...

« Bien sûr, le playmobile me rapportera sûrement plus que de la coke ... »

Tiens, quand on parle du loup - la coke. La curiosité naturelle de la jeune fille l'avait toujours poussé à vouloir essayer cette fameuse drogue à propos de laquelle on jasait et on se languissait tant à la Wammy's. Non pas qu'elle eût besoin d'une nouvelle addiction ou que les effets l'attirassent, elle voulait... expérimenter, tout simplement. Ce qu'Ember lui avait toujours refusé, sans qu'elle sache pourquoi - elle doutait que ce fût par affection. Oh, elle avait bien essayé de lui subtiliser un peu de poudre blanche à de nombreuses reprises, mais ses efforts étaient restés vains. Ce qui était aussi énervant que frustrant.

« Tu es désespérante. Enfin bon. »

Désespérante ? Pas très original, celui-là - déjà entendu des centaines de fois. Ember allait devoir se renouveler, si ça continuait. Gloussant brièvement, Ocean déclara :

« Au niveau international, avec le développement des pays du Sud - où, comme chacun sait, le taux de fertilité est élevé -, l'industrie du jouet va bientôt exploser. Ne te plains pas. »

Une réponse à la fois absurde et pertinente, dont on ne pouvait savoir si elle était ironique ou non, une réplique comme on en trouvait qu'au sein de l'orphelinat bien particulier qu'était la Wammy's. Ocean s'étira, les muscles ankylosés d'être restée assise si longtemps à la bibliothèque. Alors qu'elle hésitait entre s'éclipser dans les cuisines et interroger le brun sur l'interdiction qu'il s'entêtait à lui imposer vis-à vis de la drogue, celui-ci la devança avec un tout autre sujet, interrompant sa course en la devançant brusquement, penché à quelques centimètres de son visage.

« Etttt ... Tu comptes chercher des informations sur la Corée toute ta vie ? »

Sa question comme son attitude suintaient la sournoiserie. Ocean qui n'était certes pas une personne très équilibrée, mais qui n'était pas non plus très friande d'un quelconque sadisme envers autrui, n'avait jamais compris ce plaisir malsain qu'avait le garçon à chercher là où ça faisait mal. Il connaissait sa passion, et la trouvait inutile et vaine, très probablement. Sans doute cela l'amusait-il de lui en faire part de cette manière. Dommage pour lui, la jeune fille n'avait pas plus besoin de son appui que de celui des autres. Levant les yeux au ciel d'un air exaspéré, elle repoussa sans ménagement le visage du brun de la paume de la main, déclarant :

« Et toi, tu comptes m'espionner toute ma vie ? » Question stupide pour question stupide. Elle reprit, une lueur farouche dans ses yeux verts, se penchant vers lui à son tour. « Aussi longtemps que j'en aurais envie. »

C'est-à-dire... longtemps, songea-t-elle en souriant intérieurement. Un mystère qui la tenait en haleine depuis tant de temps était bien trop exceptionnel pour qu'elle ne serait-ce qu'envisage de le lâcher de sitôt. N'en déplaise à Monsieur Benatar. Lequel était bien bavard ce jour-là, d'ailleurs. Sa voix moqueuse parvint en effet de nouveau aux oreilles d'Ocean, qui haussa un sourcil dédaigneux à ses paroles.

« A moins que tu ne penses à travailler dans une quelconque oeuvre de charité pour les orphelins ou les enfants pauvres histoire de leur transmettre ton instinct maternel infaillible ? »

Allons bon, à présent il faisait allusion à sa tendance à copiner avec un peu tout le monde, notamment les plus jeunes qu'elle. On se croirait presque le jour de la St Olga, étant donné la vitesse à laquelle le dealeur enchaînait les piques. Trop paresseuse pour s'énerver - ce qui serait de toute façon strictement inutile avec lui -, Ocean afficha un sourire goguenard et empoigna les joues pâles du garçon - oui, exactement comme lors de ces retrouvailles avec vos charmantes grands-mères qui vous malaxent les joues.

« Serais-tu jaloux, Emberouneeet ? » insinua-t-elle tout en sachant pertinemment qu'il n'y avait aucun risque que ce soit le cas. La rouquine ne put résister à la tentation d'ajouter : « Toi aussi, tu veux que Maman Ocean te pouponne ? »

Elle rit, trop contente de se détendre après tant d'heures de réflexion intense. Peut-être Ember aurait-il mieux fait de se taire, après tout.

« Moi qui pensait que tu préférais l'argent par-dessus tout, je suis déçue » Quelle question. Comme si il allait préférer quelque chose d'autre à l'argent. Enfin, si, bien-sûr, les humains. Il les adorait. Il les aimait tellement que c'était pour cette raison qu'il désirait les voir dans toutes les situations, d'après lui. « Qui te dit qu'on ne peut pas avoir les deux en même temps ? » Enfin, il était évident qu'il préférait tout de même son précieux argent.

Ainsi, il la regarda déballer ses affaires avec sarcasme, tout en se foutant à son tour d'elle. Ce n'était pas dans la mesure du " donnant donnant " qu'il réagissait ainsi, mais plutôt par embêtement. Il savait les sujets plutôt ... Sensibles disons, et n'hésitait pas à les utiliser lorsqu'il en avait envie. C'était amusant. Plus qu'amusant ; comme il aimait si bien le dire, c'était jouissif. C'était vraiment ce qui le mettait le mieux de bonne humeur. Voir les autres embarrassés, déprimés ou souffrants. Les changements d'état de l'être humain étaient tout simplement fascinants. Il ne cessait d'être captivé à la découverte de ceux-ci, selon les caractères et les personnalités des gens. Mais ce qui était le plus désopilant, c'était sûrement la capacité à mettre tout en scène afin qu'ils passent d'un état à un autre. Il est facile de contrôler les émotions humaines lorsqu'on connaît leurs faiblesses. Ember n'était pas une fouine pour rien. Il savait beaucoup de tous les orphelins qui l'accompagnaient dans son quotidien. Trop, même. Eviter le brun ne servait à rien. Si sa curiosité venait à se poser sur vous, que vous soyez extraverti ou le plus coincé des timides, c'était foutu. Le lendemain, il savait déjà tout de vous, dont quelques uns de vos secrets. Il était difficile de lui échapper, non ; impossible même.

« Au niveau international, avec le développement des pays du Sud - où, comme chacun sait, le taux de fertilité est élevé -, l'industrie du jouet va bientôt exploser. Ne te plains pas. » Mais elle ne cessait donc jamais de se référer à la géographie ? D'autant plus qu'Ember n'aimait pas cette matière. C'était d'un ennui ! Ce n'était pas comme si il désirait devenir exportateur international non plus. Il savait son ironie abusive, mais lorsqu'il s'agissait d'affaires, cela lui faisait rarement rire. C'est ainsi qu'il lui barra la route, penché à quelques centimètres de son visage, la titillant sur ses passions diverses ; qui n'étaient d'autre que la Corée, et sa fâcheuse habitude affective à prendre soin d'autres. « Et toi, tu comptes m'espionner toute ma vie ? » lança-t-elle tout en repoussant son visage de sa main droite. Et bien, aussi longtemps qu'elle restera sur son échiquier, pourrait-il lui répondre à son tour. Et qu'il aura besoin d'elle pour son business, aussi. Il connaissait beaucoup de tout le monde ici, et elle ne faisait pas exception. Surtout pas elle. Elle devait donc se rendre compte à quel point sa question était inutile. S'informer sur les autres était vital pour lui. « Aussi longtemps que j'en aurais envie. » Toujours aussi têtue. Enfin bon, aux côtés d'Ember, une passion qui lui tient à coeur finira par mener à sa perte - sans trop exagérer. Vu comment il se servait de ses choses-là pour manipuler les autres ...

Tout ça avait en effet un air de jour de fête pour Ocean. Ember semblait joueur aujourd'hui avec la petite rouquine. Mais il savait qu'à trop continuer, elle lui rendrait la pareille ... Ce qui ne tarda pas à arriver. La jeune fille s'était empressée de saisir les joues du brun à la façon mamie, avant de le taquiner : « Serais-tu jaloux, Emberouneeet ? » Mon dieu, qu'est-ce qu'elle pouvait être exaspérante en plus d'être désespérante. Comme il le dit, il n'aime pas frapper les filles, ma foi ... « Toi aussi, tu veux que Maman Ocean te pouponne ? » se moqua-t-elle tout en continuant son petit manège. N'y tenant plus, il empoigna sa main non pas avec douceur afin de l'arrêter, et, en quelques secondes, la demoiselle fût menacée d'un petit couteau sous la gorge. Les dents serrées, cet éternel sourire sarcastique aux coin des lèvres, il avait planté son regard écarlate dans celui de sa camarade. « Je préfère que tu reportes ton affection sur les autres, si tu vois ce que je veux dire. » Il la lâcha, levant alors les deux mains d'un air innocent, paumes vers le plafond, le couteau toujours dans la main droite, l'air innocent. « Bien que je comprenne ton amour à mon égard. » Le couteau disparu alors mystérieusement dans sa manche, alors qu'il laissa retomber ses bras, fourrant les mains dans les poches de son jean. Il la devança alors, continuant son chemin vers le réfectoire - il avait faim, lui aussi, et tout ce qu'il espérait, c'était qu'il y avait de nouveau un fraisier en dessert. Ses papilles s'agitaient à cette pensée, et il frémissait de plaisir rien qu'à l'idée d'y goûter. Ce qui était étrange avec le garçon, c'est qu'il venait au réfectoire uniquement pour le dessert. C'était presque toujours ainsi avec lui. Et encore ! S'il n'y avait rien qui contenait de la fraise, il était rare qu'il prenne autre chose. Mais il était humain après tout, et il y avait bien des exceptions où il mangeait autre chose que des sucreries.

« Aïe ! » La petite fille d'où provenait la voix s'étala au sol après être rentré dans le brun. Ce dernier s'était arrêté, mais n'avait pas bronché. Il ne faisait que la dévisager, le regard impassible. C'était quoi ça ? Ce qu'on pouvait appeler une coïncidence ? Car en effet, contre toute attente, la fillette ressemblait à une personne bien particulière. Elle était rousse, avec un regard émeraude que l'on n'oublie pas facilement. Ses cheveux étaient attachés en deux couettes parfaitement symétriques, ce qui accentuait un peu trop son air de fifille à sa maman. « Ehhh ? s'interrogea Ember. » Une expression légèrement confuse ornait son visage, jusqu'à ce que la réponse qu'il cherchait tant vint à lui. Mais bien-sûr que oui, il la connaissait ! « Ton postérieur a du en prendre un coup. » Cette petite, qu'il avait déjà croisé plusieurs fois et même beaucoup observé, se nommait Ariane. Ce n'était pas son vrai prénom, m'enfin, il n'avait pas cherché plus. C'était, comme il l'avait surnommée, " la petite sosie d'Ocean ". Car en effet, elle lui ressemblait beaucoup. Pas au niveau du caractère - à ce niveau-là, elle était tout aussi intimidée par Ember que n'importe quelle petite orpheline de son âge. Mais niveau physique, c'était son portrait craché ! C'est ainsi que, toujours les poings dans les goussets, il se pencha cette fois vers elle, un sourire effrayant dévoilant son côté psychopathe. « Tu sais que tu es le sosie trait pour trait de la fille qui est avec moi là ? » Emmanuel se mit alors à pouffer, apportant sa main droite à son front. « J'espère que tu ne deviendras pas aussi chiante qu'elle. » L'intéressée osait à peine relever le regard, le fessier toujours posé sur le carrelage froid de la Wammy's. Apeurée, elle tentait d'ignorer les remarques du démon qui se dressait devant elle, comme elle le surnommait mentalement depuis qu'elle l'avait vu. Elle ne faisait que prier pour qu'il s'en aille. C'est pour ça qu'une fois que le psychopathe eût terminé de se marrer, un silence pesant s'installa dans le couloir. Elle ne pleurait pas, mais ses nerfs étaient tellement sollicités qu'au moindre geste imprévu, elle finirait par craquer. « Hé. » Il attrapa alors son menton afin de l'obliger à le regarder. La fillette gémit, réellement terrifiée. « Allons, allons, ne te met pas dans ces états-là pour ça Ariane. Tu as quelque chose sur toi ? Un objet d'une quelconque valeur ? » La concernée, presque paralysée, tremblait de tout son corps face au toucher du démon devant elle. Comment il connaissait son nom ? Et puis, que lui voulait-il ? Quoi qu'il veuille, il l'aurait sûrement ... Toute sa vie entière, elle n'avait jamais été capable de se défendre devant quoi que ce soit. Elle avait toujours eu peur de tout, et aujourd'hui, ses parents n'étaient plus là pour la protéger. Elle ne pouvait décidément pas se battre pour sa propre vie, ça lui était impossible. Elle n'était pas assez forte pour ça. Mais le pire était que personne n'était assez sensible pour s'intéresser à elle et s'en faire une amie. Aux yeux de tous, elle avait toujours été invisible. Personne pour l'aimer, personne à aimer en retour, personne sur qui compter, personne pour la défendre. C'était aussi simple que ça. C'était sa misérable vie d'orpheline à la Wammy's. Elle pensait d'ailleurs que c'était inutile d'être ici. Elle avait beau être très intelligente, elle était au final tellement timide qu'elle n'osait pas montrer ses capacités. Alors, qu'on la mette dans un orphelinat banal ou à la Wammy's House, pour elle, ça revenait au même.

Toujours aussi angoissée, elle ne pu que secouer la tête brusquement, dans un discret reniflement. Il leva alors les bras, poussant un cri enjoué. « Ahh ! Merveilleux, je le savais. Qu'est-ce que c'est ? » La rousse, vaincue pour le centième fois dans sa vie, essuya ses yeux embués de larmes avec sa manche, avant de sortir une petite montre de poche argentée de sa veste pour lui montrer. « Magnifique ! trépigna-t-il en tapant nerveusement des mains. » Il tendit alors le bras vers elle. « Tu me l'offres, s'il-te-plaît ? » Et, bien que cette montre avait une importance sentimentale énorme pour la petite - elle appartenait en fait à son père - elle la déposa avec hésitation dans la main du jeune homme, qui se releva immédiatement avec, la contemplant de son regard carmin. Haa ! C'est ici qu'il aurait très bien pu lui dire " you made my day ". Il allait pouvoir la revendre à bon prix ! Serrant le petit objet dans son poing, il trépignait d'impatience à l'idée de la revendre.

« Qui te dit qu'on ne peut pas avoir les deux en même temps ? »

Argent, femmes... Ember n’avait plus qu'à clamer une soif de pouvoir immense pour correspondre à l'image du parfait salaud mégalo. Enfin, ce n'était pas comme s'il n'exerçait pas déjà une sorte de pouvoir sur les autres habitants de la Wammy's. Ocean était loin d'ignorer sa fâcheuse tendance; non, la passion qu'avait le garçon à manipuler tout ce qui lui passait sous la main. Que ce soit du plus timide inconnu des pensionnaires à la grande brute crainte de tous, la plupart avaient déjà été victimes des machinations d'Ember, la plupart du temps sans le savoir. Au moins Ocean se réjouissait-elle de ne pas ignorer la nature fourbe du dealeur. Fourberie pour laquelle elle avait d'ailleurs toujours gardé une certaine distance avec lui. Ce qui ne l'empêchait probablement pas d'être une pièce de plus sur l'échiquier géant d'Ember; mais le profit que lui apportait leur contrat se trouvait au-dessus du coup que tout orgueil prendrait à être le jouet de quelqu'un d’autre. Et puis, qu'il le veuille ou non, Ember était distrayant.

« Une certaine chose qui s'appelle morale. Mais je doute que t'en possèdes ne serait-ce qu'une once. » prit-elle la peine de répondre à la question qui n'en était pas une, une pointe d'amusement dans la voix. Car en effet, Ember était tout sauf moral - non pas qu'elle-même fut une sainte, mais elle se considérait toujours meilleure que le dealeur. Ce qui au fond était rassurant, savoir qu'il y avait pire que soi.

Ocean constata d’ailleurs qu'Ember la dépassait également niveau impulsivité lorsqu'elle sentit la lame froide d'un couteau contre sa gorge. Son regard émeraude glissa lentement du couteau au visage du garçon qui la surplombait, orné d'un sourire moqueur. Si avec ça il ne tenait pas du doux psychopathe... Heureusement pour elle, Ocean n'était pas beaucoup plus équilibrée que lui, à sa manière. Et surtout, ce n'était pas la première fois qu'elle voyait de si près ce petit couteau, dont elle avait fini par croire quEmber le gardait toujours caché dans un recoin obscur de sa manche. En effet, la tolérance du garçon à son égard avoisinait parfois le zéro pointé. Ce qui était profondément injuste, si l'on considérait toutes les piques qu'il se plaisait à lui envoyer, comme ce jour-là.

« Aw, si j'ai même plus le droit de te faire chier, qu’est-ce que je vais devenir ? » dramatisa Ocean, d'un ton plaintif qui contrastait avec l'étincelle qui brillait dans ses yeux verts. Il faut croire qu'elle aussi aimait se jouer de lui, d'une autre façon.

« Je préfère que tu reportes ton affection sur les autres, si tu vois ce que je veux dire. »

Affection ? Le mot était mal choisi. Oh, elle ne niait pas aimer à s'occuper de divers petits orphelins, mais ce n’était là qu'une petite partie des relations changeantes qu'elle entretenait avec les autres pensionnaires. Et surtout, elle gardait rarement le même protégé plus de quelques semaines - ils l'ennuyaient à force, comme à peu près la totalité de la Wammy's. Aide éphémère qui s'évaporait et rejetait ceux qu'elle avait pris sous son aile presque aussi vite qu'elle s'était tournée vers eux, Ocean blessait peut-être même plus ces enfants qu'elle ne les réconfortaient, au final. Mais ça, elle en prenait ni le temps ni la peine d'y réfléchir, car elle oubliait vite ce qui ne l'intéressait plus. La seule chose qu'elle conservait de la myriade d'orphelins qu'elle avait côtoyé se réduisait la plupart du temps à un effet personnel caché dans un endroit connu d’elle seule.
Tout ceci étant peut-être l'une des rares choses qu'Ember ignorait sur elle, la rouquine préféra adhérer à sa vision, se glissant dans un faux-semblant qui ne lui demandait pas beaucoup d'efforts - voyons, comme si mentir était difficile, que ce soit pour elle ou lui. Y avait-il d'ailleurs une quelconque véritable sincérité entre eux ?

« J'aurais peur que tu te sentes seul. » répondit-elle, toujours souriante, tandis que le couteau qui ne lui avait pas tiré une seule goutte de sang s'écartait de sa gorge. Rien d'étonnant, quand on savait qu'au fond, le dealeur n'était pas quelqu'un de particulièrement violent. Il ajouta d'ailleurs, tandis que la lame disparaissait dans sa manche - il faudrait vraiment qu'elle investisse ses vêtements, un de ces jours.

« Bien que je comprenne ton amour à mon égard. »

Ocean resta silencieuse quelques instants, le regardant s'éloigner en direction du réfectoire. Puis elle lui emboita le pas - après tout, ils avaient la même destination -, les mains croisées derrière la tête, les yeux levés vers le plafond.

« Mégalo. » souffla-t-elle, plus pour son propre compte que pour l'adolescent à quelques mètres devant elle. Ce mot lui chatouillait bien trop souvent la langue quand elle croisait Ember. Pour diverses raisons.

Alors qu'elle pensait en avoir fini avec le dealeur pour aujourd'hui, Ocean fut obligée de s'arrêter brusquement deux minutes plus tard. Quelques pas de plus, et elle serait à son tour rentrée dans Ember, qui s'était arrêté pour une raison inconnue. Ne voyant rien par-dessus l'épaule de celui-ci elle baissa les yeux et distingua, derrière les jambes élancées du brun, une petite masse sombre. Masse qui se révéla être une jeune enfant assise à même le carrelage, et dont Ocean distingua la tête baissée ainsi que les couettes après s'être déportée sur la droite pour mieux voir. Et nul besoin d'être médium pour comprendre que la jeune fille était effrayée par Ember. Mégalo et martyriseur. Double M, songea la rouquine, toujours en retrait de la scène. Commentant machinalement les remarques du garçon dans sa tête, elle fit la moue. Son semblant de sens moral la poussait à intervenir, mais elle répugnait à offrir ce plaisir à l'autre dégénéré psychopathe. Et puis, elle ne connaissait absolument pas la petite qui restait sans mot dire, sans doute aux bords des larmes. Non, vraiment, elle avait trop le profil de la victime parfaite. Les stéréotypes n'étaient pas de son goût. Elle s'étira donc, prévoyant de lancer tout juste une ironique remarque désapprobatrice au brun avant de filer là où son estomac l’appelait. Captant au passage l'insulte dérivée d'Ember à son égard, elle lança d'une voix traînante :

« Mais je t'emmeeeerdee... » Ce n'était pas comme s'il y avait une chance pour qu'il l'écoute à cet instant. Ou comme si cette réplique était utile. Elle allait finir par prendre l'habitude de penser à voix haute, si ça continuait.

« Magnifique ! Tu me l'offres, s'il-te-plaît ? »

Sa curiosité ravivée à ces paroles, Ocean se rapprocha, son regard aiguisé se fixant immédiatement sur la montre qui passa de la main tremblante de l'enfant à celle assurée du dealeur. Un éclat gourmand passa dans ses yeux verts. En experte, elle avait vite jaugé l'objet - Ember sera sûrement ravi de le revendre. Ce qui n'attisait qu'encore plus sa propre volonté de l'emprunter... momentanément. Elle couvrit rapidement les derniers pas qui la séparaient des deux autres, et fit irruption tout en s'appuyant sans délicatesse sur l'épaule du grand brun d'un bras, l’autre étant tendu vers l’arrière dans une pose assez ridicule. Considérant la petite d'un air faussement apitoyé, elle déclara :

« Pauvre choute, violentée à un si jeune âge... Ah, mon coeur tendre en exploserait de tristesse ! »

Elle ramena son bras droit à sa poitrine, puis tapota la joue pâle d'Ember, le regard toujours fixé sur la fillette, ajoutant d'un ton neutre où filtrait cependant une sournoiserie évidente :

« Excuse-le, il sait pas trop ce qu'il fait, moi je le soupçonne même d'être un IMC infiltré... genre fils de grand patron qui veut le meilleur pour sa progéniture. » Chuchotant sur le ton de la confidence, elle se pencha vers la jeune fille sans pour autant cesser de s'appuyer sur le brun « Mais dis-le à personne hein ? »

Oh oui, c'était petit. Mais Ocean n'en avait cure. Et sa faim attendrait bien encore quelques minutes.

Ca avait été comme une sorte de vengeance personnelle. Elle ne lui avait rien apporté, alors il avait trouvé de lui-même de quoi remporter assez d'argent aujourd'hui. Non, franchement, le bon dieu faisait bien les choses. Un bel hasard qui s'était trouvé là, sur son chemin. Ca allait compenser ce manque de travail évident de la rousse. Pas qu'elle soit son employée, quand-même pas. Ils faisaient pas partie d'une entreprise non plus. Quoi que ce serait pas une mauvaise idée d'en monter une ahah. Non, sérieusement. Mais c'était pourtant clair entre eux, même sans contrat ou quelconque acte écrit. Et franchement, si Ember pouvait ressentir une once de franche déception, il l'aurait ressentie. Mais il n'en était pas encore à ce point-là. Alors certes, ça ne lui dérangeait pas vraiment de lui envoyer des piques, bien au contraire, mais il n'avait pas constaté sa ressemblance avec Ocean pour l'embêter, il le pensait réellement après tout. Mais si ça pouvait, ne serait-ce que la froisser un peu, alors c'était bien. Et puis, après tout, même s'il l'ignora, son léger « Mais je t'emmeeeerdee... » lui fit plaisir, dans un sens. Mais bref, il finit, en quelques secondes, par obtenir ce qu'il voulait - entre autre la petite montre de poche de la jeune fille - et c'était ce qui importait le plus.

Mais bien-sûr, ce n'est pas comme si il n'avait pas la plus grande chieuse de la Terre à ses côtés. Enfin, on ne pouvait pas non plus dire qu'il la détestait. Logiquement, il aimait les humains, et elle ne faisait pas exception - il n'y avait qu'une seule personne qui faisait exception, mais comme il le disait si bien, cette personne n'avait pas des airs d'humains ahah. Et puis, il y avait cette chose qui faisait que ... arf. Allons allons, même s'il en a besoin pour son commerce, il est sûr qu'il pourrait se débarrasser facilement d'elle et la mettre plus bas que sous-terre émotionnellement s'il le voulait. Alors pourquoi ne le faisait-il pas ? Bah! la vérité était qu'elle lui servait bien, alors bon. Il ne se posait pas plus de questions. Il pouvait l'embêter autant qu'elle le faisait, alors finalement ...

Et quand on parle de faire chier, mademoiselle réagissait vite. Car en effet, son attention soudain prise par l'objet que venait de récupérer le brun, elle finit par briser la distance qui les séparait des deux - car elle avait déjà commencé à se diriger vers le réfectoire, bonne gourmande et pressée qu'elle était - avant de se poser sans délicatesse sur son épaule. Ember la regarda un peu de travers, légèrement froid. Oh, oh, c'était son beau pull en cachemire là. Elle n'allait pas lui salir quand-même. « Pauvre choute, violentée à un si jeune âge... Ah, mon coeur tendre en exploserait de tristesse ! » Qu'est-ce qui lui prenait ? Enfin ça, Ember le savait ; elle venait le faire chier, EVIDEMMENT. Sauf que bon. Elle pouvait pas faire autrement que de s'appuyer sur son beau pull en jouant la fausse théâtrale ? De toute façon, ça lui ressemblait bien, ça. Malheureusement pour le jeune homme, elle ne s'arrêta pas là, insistant vraiment, venant tapoter sa joue, ce qui le fit légèrement serrer les dents. Il n'aimait pas vraiment qu'on le touche en fait. Il aimait bien le faire aux autres, à leur insu surtout, mais il n'aimait pas qu'on lui fasse. Surtout pas de cette manière. Et pour faire ça, il n'y avait vraiment qu'Olga. C'est pour ça qu'au final, au niveau de ses relations au sein de l'orphelinat, elle était un peu ... exceptionnelle. « Excuse-le, il sait pas trop ce qu'il fait, moi je le soupçonne même d'être un IMC infiltré... genre fils de grand patron qui veut le meilleur pour sa progéniture. » L'intéressé leva les yeux au ciel, dans un « Tch'. ». Quoi qu'elle n'avait pas faux. Il ne serait pas étonnant qu'Ember soit ce genre de personne ahah. Mais non ça ne l'était pas. Même s'il avait un point commun avec ce genre de personne clichée ; ou le fait d'être assez aisé. Grâce à la mort de ses parents, d'un côté, mais aussi grâce à son petit commerce qu'il entretient depuis un moment ! « Mais dis-le à personne hein ? » La jeune fille paraissait un peu rassurée par l'humour de la rousse, ou de son double version plus grand. En fait, elle l'admirait carrément. Cette arrogance, ce courage ... Courage d'être aux côtés d'un démon pareil, de réussir à 'dompter' un fauve, c'est à dire faire en sorte de rester près de lui sans qu'il ne s'attaque à vous ... C'était un peu ça, le schéma qu'elle se faisait d'eux deux, dans sa tête. Alors, elle se promit intérieurement que lorsqu'elle grandirait, elle deviendrait comme elle.

L'index d'Ember se posa sur la joue de la jeune fille, s'écrasant dessus afin de la repousser pour qu'elle cesse de s'appuyer sur lui. Il épousseta son épaule, comme pour enlever la possible poussière qu'elle y aurait mit, avant de regarder la jeune fille. « Voilà pourquoi c'est évident que tu ne dois pas devenir comme cette fille. Ce n'est pas quelqu'un sur qui prendre exemple. » Un soupir s'échappa de ses lèvres, et il finit par enfouir le petit objet dans sa poche au même titre que ses mains. « ...je... » Le brun haussa un sourcil, intrigué. Ahh, elle n'était pas muette finalement ? Evidemement que non, elle lui avait déjà adressé la parole. « ...vous...vous allez me la rendre un jour, monsieur ? demanda-t-elle de sa petite voix dans un élan de courage, relevant le menton, les yeux plein d'espoir. » Il ne pu retenir un petit rire ; il était évident que la réponse était négative. « Ecoute bien. Une fois qu'une chose est perdue, elle ne peut être rendue. Avec ce qui vient de t'arriver, une sorte de soif de vengeance, une bonne motivation, devrait naître en toi. Tu vas sûrement te dire quelque chose comme, 'Je vais devenir plus forte pour botter le cul de tous ceux qui ont profité de moi jusqu'à maintenant', et te promettre de récupérer ce que je t'ai volé une fois que tu auras assez de courage. Alors fait. On se reverra à ce moment-là. » Il inspira une bouffée d'air, avant d'attraper soudainement le poignet de la rousse. « Allons-y ! J'ai faim. » Puis il finit par la tirer vers le réfectoire d'une impulsion, avant de la lâcher une fois qu'elle se mit à le suivre sans qu'il n'ait besoin de l'y pousser, reposant ses mains là où elles avaient l'habitude d'être ; c'est à dire dans les poches de son pantalon. « Elle te ressemble, mais elle est plus productive que toi, fit-il remarquer en faisant allusion à la montre qu'il avait récupéré. » Oh oui, toujours cette petite amertume. Bah c'était quand même son argent en jeu, là ! Il en aurait moins si elle ne s'activait pas. Et ça, c'était pas cool.