but you don't really care for music, do you?

Il y avait du monde partout. Partout. Ca grouillait dans tous les sens, il y en avait dans chaque recoin. Comme de la poussière, des toiles d'araignée. Il y en avait partout. Tellement qu'Eponine en avait le tournis. Elle n'avait rien contre les gens. Elle n'avait rien contre la foule. Au contraire, elle adorait ça. Elle aimait les contacts. Elle aimait parler aussi. De tout, de rien, de licornes. Non, quelle idée. Diantre, pourquoi parlerait-elle de licornes ? Pour ça, il aurait fallu qu'elle ait fumé. Et Eponine ne fumait pas. Question de principes. Fumer, ça nuisait à la santé, c'était mauvais pour le corps et elle était trop sportive que pour se foutre en l'air. Non. Aujourd'hui, Eponine ne voulait voir personne. Personne. Ellene voulait pas ouvrir la bouche si ce n'était pour grogner. Si ça n'avat tenu qu'à elle, elle n'aurait pas quitté son pyjama. Elle était si bien, dedans. Un pyjama avec des petites étoiles, des petites lunes, des petites planètes. Le tout dans une teinte qui rappelait l'espace. Oui, elle se sentait puissante dedans. Elle se sentait moins en forme dans son jeans.

Mais tout était dans sa tête. C'est ce qu'on lui avait dit, quand elle avait rampé jusqu'à l'infirmerie pour aller quémander un antidouleur. Un bête antidouleur. Le plus con des antidouleurs. Elle n'avait pas pu l'avoir. Tout est dans la tête. Pense à autre chse, ça ira mieux. Et ils avaient fait médecine pour lui dire ça ? Quelle blague ! Quelle pédagogie ! Eponine n'en revenait pas. Comment ? Tu te vides de ton sang, dis-tu ? C'est mental, pense à autre chose, ça ira certainement mieux. Ils avaient juste réussi à la mettre un peu plus en rogne. En même temps, ce n'était pas bien compliqué. Elle était particulièrement irritable en ce moment. Et la reponse à cette question était naturellement très bête. Elle était entrée dans la mauvaise semaine. Cette semaine maudite qqu'elle redoutait mais qui lui permettait quand même d'échapper au cours de natation. Oh mais non. Elle aimait bien ça, la natation. Le papillon, la sirène, le truc avec les bras, là... Elle ne revenait plus le nom. Tant pis.

Elle lève les yeux vers la grande porte en bois qui se tient devant elle. La Bibliothèque. Il ne devait pas y avoir grand monde, là dedans puisqu'ils grouillaient tous dans les couloirs. Elle pousse la porte, passe la tête. Ouais. C'est une bibliothèque, quoi. Grande. Profonde. Pleine de livres. Oh mon dieu. Il lui fallait du Victor Hugo. Le dernier jour d'un condamné, Notre-Dame de Paris, Hernani, Les Châtiments, ... Les Misérables. Elle allait relire Les Misérables. Attention, la version intégrale. La version de son enfance. Eponine se gratte le nez devant les grands rayons. H, H, H, ... H!Elle se hisse sur la pointe des pieds pour mieux voir. Ah non. Ils n'ont pas d'Hugo. Elle est déçue. Oui mais chercher Hugo dans les livres de cuisine, Nine, ce n'est pas très intelligent. La littérature étrangère, c'est dans le fond. Alors, elle y va pour y recommencer son manège. Jusqu'à ce qu'elle trouve le premier volume. Elle est heureuse, elle en oublie ce mal de reins qui l'obsède.

Bien sûr, elle avait tourné en rond durant un moment. Pour trouver une table vide. Et elle n'avait rien trouvé, bien sûr. Tout le monde avait eu la même idée qu'elle, s'abriter du bruit en venant ici. Avaient-ils tous leurs règles en même temps qu'elle ? Quelqu'un lui fit un signe alors, résignée, elle s'approcha. Elle allait tendre la main vers le dossier de la chaise quand le garçon la poussa du pied. D'accord, merci. Elle lui adresse un faible sourire. Il s'appelait Scythe.

Eponine – Moi, c'est Eponine.

Elle prit sa main, la serra faiblement. Oui, Eponine, c'était joli. Mais libre, frais... Eponine était sale dans le roman. Sale, elle avait faim et son amour envers Marius n'était pas partagé puisqu'il aimait cette bécasse de Cosette. Par contre, elle ne connaissait Lovecraft que de nom. C'était déjà ça de gagner.

Eponine – La littérature française en particuliers. Victor Hugo. C'est à cause de lui si je m'appelle Eponine, maintenant.

Et elle pouffe. Un petit rire léger, pas spécialement.

we're young

Oui, la littérature française. C'est une passion qui lui est venue alors qu'elle était toute petite. Haute comme trois pommes, deux tresses et des vêtements un peu trop grands. Avec un gros volume, une de ces éditions originales en langue anglaise – bien sûr, comment maitriser deux langues quand on est haut comme trois pommes ? Il y a moyen. Mais pas pour elle. Elle, il lui faut des années pour comprendre, mettre en place. Eponine, quand elle avait dix ans, elle lisait déjà les Misérables. C'est ce qu'elle lisait le jour où son père est mort, dans son stupide accident de moto. Ensuite, elle a lu d'autres choses, bien sûr. Pour varier les plaisirs. Balzac, Musset, Butor. Tous ces auteurs, tous un peu plus bizarre les uns que les autres.

Elle eut le temps de lire trois lignes avant qu'il ne reprenne la parole. D'accord. Eponine a cette manie débile de lire lentement. C'est un peu pour prendre le temps de savourer les mots, de les goûter. Elle a déjà lu ces livres. Plus d'une fois. Alors maintenant, elle se doit de digérer chaque mot, chaque parole de chaque personnage. Car Eponine, sportive, bruyante, rigolote est aussi capable de se poser un instant, de se manger un livre entier sans laisser une miette, une virgule derrière elle. Elle repense à son pyjama. Comme elle aurait aimé qu'il soit avec elle – sur elle. Pour la tenir au chaud, pour l'accompagner dans ce dur moment. Elle bat des cils.

Oui, bien sûr. Maupassant, Molière. Puis, il y avait Corneille, aussi. Racine, Flaubert, Lafontaine. Et les autres. Ceux qu'elle n'a pas envie de citer. Juste parce qu'elle n'a pas envie de réfléchir. Et qu'elle s'en fout des autres auteurs français. Elle ne veut se consacrer qu'à Hugo. Hugo et rien que lui. Lui et Eponine, Marius, Cosette, Valjean, Javert. Les autres.Elle relève les yeux, se mordille l'intérieur de sa joue. Au final, elle étire un sourire sur ses lèvres.

Eponine – Je suis une  Shapes.

Elle attend quelques secondes. Quelques minutes. C'est compliqué à dire, elle n'a pas une horloge implantée dans le crâne. Encore moins dans le coeur. Elle repousse une mèche blonde et bouclée derrière son oreille. Elle retourne son livre ouvert et le pose face contre table. Une sale habitude qu'ont les gens qui veulent garder leur page.

Eponine – Ouais, bon. J'imagine que je ne suis pas dans le bon lieu pour mon groupe. Mais !

Elle glousse. Elle a presque oublié les douleurs de ses reins.
Presque.

Eponine – Mais voilà.

Qu'est-ce que tu n'as pas à dire, Eponine. Elle écarquille les yeux, son sourire encore plus.

Eponine – Bah oui, mon chat, qu'on peut se tutoyer !

Parce que tu espérais encore qu'Eponine allait te vouvoyer ?
Allons bon, la bonne blague.