Emmanuel n'est pas le premier gamin que je rencontre à s'imaginer comme un de ses durs qui se bastonnent sur le petit écran. C'est un gosse qui n'intéresse plus ses parents, ni même la société depuis bien trop longtemps. Alors forcément, le convaincre que moi je lui suis, c'est compliqué. J'ai pas vraiment choisi de m'occuper de lui, pas plus que d'être éducateur dans ce foutu centre. Je sais que demain Emmanuel repart dans un orphelinat disons... plus adapté. Mais je ne peux pas m'empêcher de penser qu'il ne changera jamais, qu'il restera cette incarnation du bon sauvage, vivant selon ses lois. Depuis que je m'en occupe, depuis qu'il vit chez sa tante, je n'ai jamais eu l'occassion de le prendre en flag. C'est qu'il est malin le petit. Mais je pense surtout que son impunité est due au fait qu'il n'ait pas un seul ami. Enfin si, je le vois parfois rire avec d'autres gosses, mais personne ne peut vous en parler vraiment, personne ne sait vraiment qui il est. Alors personne ne peut le dénoncer.
Quand je l'emmenais au matchs de Chelsea, il ne s'intéressait pas vraiment à la rencontre mais surtout aux supporters : ils regardaient les hooligans, derrière leur masque et leur hoodie, hurler. Et puis en entrant c'était les bookmakers, les revendeurs de billet qui le faisait sourire. Je pense que nous savons plus ou moins pourquoi.
Emmanuel est trop indépendant, trop solitaire parce qu'il comprend trop bien les gens. Et je pense qu'on le dégoûte d'une certaine façon. Il restera toujours un marginal, toujours en dehors de la société qui essaie tant bien que mal de le restructurer. Mais Emmanuel se complaît dans cette anormalité, parce qu'il est persuadé d'être meilleur. Et parfois on peut nous aussi croire la même chose, quand il s'approche, pose une main sympathique sur la vôtre et vous dit exactement ce que vous voulez entendre. Les autres n'en disent jamais du mal, mais c'est pas pour autant qu'ils le portent dans leur cœur. On ne peut pas vraiment parler de loi du silence, ça va plus loin que ça : Emmanuel les domine sans violence et ils s'en accommodent.
Je me sens un peu coupable de le dire mais d'une certaine façon je suis soulagé qu'il s'en aille. Peut-être que les HeadHunters arrêterons de traîner autour du centre pour sa came.
'cause i've seen the real world.
Mes premiers souvenirs sous ceux d'une vieille baraque, d'un vieux mec et d'un ballon de foot. Je me rappelle qu'on me faisait des passes, tout doucement pour pas me faire mal. Je me souviens que je ne comprenais pas le but du jeu. Pas plus que celui des multiples "jeux" auxquels on me soumettait, à la manière de tests, sous l’œil attentif d'un gars en blouse. Je suppose avec le recul que c'était les tests de QI en question. C'est pas très important. Ensuite mes souvenirs sont plus vifs, plus réels. Je sais que j'ai vécu à la Wammy's cinq ans de parfaite insouciance, sans jamais réellement penser à mes parents où à l'extérieur. Nous n'étions pas très nombreux à l'époque, nous étions bichonnés, aimés, éduqués et nous étions heureux. Et puis un jour on m'a mis dehors. Je m'en souviens très clairement, c'était le jour où, enfin, je tenais seul sur un vélo sans roues tutrices.
Ensuite j'ai un blanc, pas vraiment total mais ma vie a repris dans la rue, en face de chez ma tante qui se faisait troncher par son copain. Je l'entendais geindre du trottoir, où alors c'est parce que j'y faisais trop attention. J'étais en train de jouer avec une roue de vélo flambant neuve, ses reflets sous le soleil d'août m'éblouissant. Je m'amusais à la faire tournoyer sur elle-même quand j’aperçus mon voisin. Toby McGuire traversait la rue à ce moment là, avec son éternel sweat shirt des Misfits constellés de tâches en tout genre. Il s'arrêta à mon niveau et lâcha un sifflement admiratif.
« Tu l'as trouvé où ? Mon frère a les mêmes, le bitume c'est de l'or avec. — C'Franck qui me l'a filé, il dit qu'il en plus besoin. »
Franck était le mythomane du coin, à se vanter d'être un fils de mafieux alors que tout le monde savait que son paternel s'était tiré de la baraque avec l'une des danseuses du Madame Jojo's. Personne ne croyait un traitre mot de ce trou du cul, et souvent à raison.
« Tu me la file pour genre... » il fouilla dans ses poches et sortit deux billets tout craquants de dix livres. « dix livres ? — Je l'ai promis à Henry pour quinze. »
Il m'a tendu ses deux billets, son argent de poche du mois. J'ai souri, l'affaire était conclue. Je l'ai regardé repartir, tout heureux, avec la roue toute neuve que j'avais soigneusement démontée du vélo de son propre frère, sous le bras. Il allait se prendre une rouste de sa part, c'était certain. Ensuite ce serait le tour de Franck de se faire maraver, Franck qui n'avait d'ailleurs rien à voir avec le vol en question. Je ne m’inquiétais pas pour moi, parce que personne ne pouvait poser la main sur ma personne : j'étais trop important pour les Grands.
J'ai arrêté de sourire quand j'ai senti mon portable vibrer dans la poche de mon jean. Il sonna deux fois et se tut. Cet appel manqué signifiait simplement qu'on avait du boulot pour moi. J'ai enfourné mon propre vélo, une vieillerie rongée par la rouille, et suis parti vers les quais. J'ai à peine eu le temps d'y placer l'anti-vol que Tikky se jetait déjà sur moi, incapable de parler tant il grinçait des dents. Je l'ai ignoré d'abord puis lui ai silencieusement fait comprendre que je n'avais rien sur moi, en tapotant vainement mes poches. Il est reparti, ses dents crissant toujours. Il posa sa tête contre un mur, à peine plus loin, creusant des sillons avec ses ongles dans la pierre poudreuse.
Je suis entré dans le centre du quartier en soupirant. Un des Grands m'attendait dans le hall et ma filé un sac à dos. Celui-ci était plus léger que d'habitude. Je l'ai pris sans même le regarder, il a fait de même et a quitté l'endroit, après avoir craché par terre. Je me suis dirigé vers l'accueil, en resserrant les courroies du sac. Penny était une adolescente aux neurones cramés par l'herbe et peut-être même le LSD. Elle n'a rien dit quand je lui ai demandé une dispense pour la journée, prétextant que ma tante était encore malade. Elle m'a filé le bon et suis parti moi aussi.
Je ne dealais pas vraiment. Je me contentais de me balader dans le centre ville et de distribuer leurs marchandises aux vrais. Que ce soit dans une boîte au lettre, dans un journal, parfois même dans une boîte d'Happy Meal derrière Picadilly. Tout était enveloppé sous vide, soigneusement rangé sous plastique noir opaque. Je ne mens pas quand je dis aux flics que je n'ai jamais vue de drogue de ma vie. Et puis j'avais dix ans, en Angleterre, légalement, j'étais encore irresponsable et les Grands le savaient bien.
Je suis monté dans un bus pour Fuhlam, avec un ticket vieux comme le monde. Et je me suis endormi tranquillement, calé sur les sièges du fond, alors que j'allais chercher ma paie minable. Et c'est tout. Ensuite j'ai encore un blanc de cinq ans.
Après il y a les rumeurs. Comme quoi j'aurais descendu un dealer qui m'avait fauché ma copine, ou que je m'étais cassé avec la dope, l'argent ou les contacts. Allez savoir. On dit aussi que j'ai été trahi ou pris en flag. Le résultat reste le même, je me suis fait raccompagné, avec les menottes et l'escorte s'il vous plaît, chez ma tante alors qu'elle s'injectait de la merde, son copain raide défoncé à côté. Autant dire que c'est allé plutôt vite. Le juge était une femme qui croyait fermement en l'éducation et aux nouvelles lois sur la délinquance juvéniles. Ma tante a perdu ma garde et j'échappais de peu à la prison pour adulte. On a préféré m'envoyer en centre de redressement, histoire de m'oublier un peu.
Et puis me voilà. À nouveau. La Wammy's m'avait manqué mais maintenant je ne me sens plus à ma place. C'est trop étroit, trop rangé, trop propre. Les enfants sont des enfants et les durs sont des jeunes en souffrance. Ce n'est pas le vrai monde. Je voudrais partir mais je suis étroitement surveillé. Et pourtant je deale encore plus librement qu'au dehors.
Est-ce que quelque chose a changé ? Oui. Maintenant je connais le monde et je l'embrasse pleinement, avec toute sa merde et ses racailles, avec ses rouages et ses conséquences. Je connais le monde et je te connais, toi.
BUT SOMETIMES I TURN TO ASHES.
pseudonyme : banane âge : 22 ans sexe : féminin avatar : Izaya Orihara — Durarara!! découverte du forum : y'a longtemps est-ce votre premier forum rp ? non
Dernière édition par Ember le Dim 19 Mai - 21:05, édité 4 fois