Il y a le désir qui courre sous ta peau, Alison. Il y a ses mains sur ta taille. Ses lèvres sous les tiennes. Son corps contre le tien. Des frissons, des baisers, des caresses ; les draps qui se froissent, ton souffle qui s'emballe. Et ta vue s'obscurcit. Il n'y a plus que lui. Plus que lui. Ça te déchire, te dévore. Il y a ses yeux. Il y a son sourire. Et son prénom. Son prénom que tu chuchotes, cries, gémis, aimes.
Théo !
Elle niche son visage au creux de son épaule. Sa peau a cette odeur forte, capiteuse qu'elle connaît si bien, riche de passion, de sueur, et de sexe. Mais il y a autre chose, un parfum doux, léger, inconnu : un reste de tendresse adolescente, d'innocence, et d'espoir. Elle sourit tout contre lui ; elle décide qu'elle aime cette odeur, son odeur. Elle glisse ses doigts sur son torse, esquisse quelque arabesque le long de sa hanche. Elle embrasse sa clavicule, dépose un baiser mouillé sur son menton ; il rit avec plaisir, un petit rire doux, un peu étouffé, qui illumine la pièce, secoue sa poitrine, ricoche contre son coeur. Elle se redresse, le contemple un court instant, et se passe inconsciemment la main dans les cheveux ; cheveux ondulés à la pointe desquels frissonne encore la raclure légère d'un drap blanc.
Un demi sourire s'étire sur ses lèvres.
Il n'y a qu'avec lui qu'elle peut tergiverser sur Descartes, ou Thalès au petit déjeuner, entre deux tasses de café et biscottes beurrées. Il est le seul qui puisse dégoter une référence mathématique ou nucléaire dans les oeuvres de Van Gogh ou Rembrandt ; le seul à comprendre et expliquer les théories complexes de Paracelse, ou celles de Craig Venter, le corps encore frémissant, après l'amour. Il a cette sorte d'acidité dans l'intelligence, Théo. Le génie. Cette petite flamme qui manque aux autres. À tous les autres. Au monde.
Il est là. Il est partout.
Ce drôle de sourire. Ses yeux.
Ses yeux verts dans lesquels elle aimerait bien se noyer.
Elle s'approche, enjambe sa taille nue, chevauche son torse. Elle se penche, susurre son prénom. Ses mèches brunes caressent sa joue, son nez frôle l'arrête du sien. Elle plonge sa main dans la frange châtain, puis du bout du doigt, elle effleure la courbe de sa bouche. Un regard éloquent. Un petit rire chaud. Et, elle embrasse son sourire.
JE TRACE AU MARQUEUR LES CONTOURS DE L'AMOUR
AVANT QU'IL PASSE
SUR LA ROUTE, JE TRACE, JE TRACE TOUT DE NOUS.
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Alors comme ça tu prends du bon temps avec l'intello.Alison relève la tête, arque un sourcil surpris. C'est Morgan, parée de son dernier petit haut Gucci, de sa jupe Chanel, qui papillonne de ses cils trop maquillés. Encore à l'embrasure de la porte, elle vient d'arriver, et croise les bras sur sa poitrine, d'un geste contrarié. Alison lâche un profond soupir ; elle balaye son amie de son regard bleu, empreint d'une incompréhension faussée.
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Qu'est-ce que tu racontes ?▬
Il paraît que tu t'envoies l'autre autiste là. Coleman ou je ne sais qui.L'insulte lui arrache un frisson glacé. La pique s'est plantée dans son orgueil avec la même rage que si le qualificatif s'était adressé directement à elle. La jolie Collins se mord la lèvre pour ne pas répliquer trop sèchement.
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Il a un nom.▬
Oh Alison, tu déconnes ? Que tu veuilles te le faire pour voir ce que ça fait ok, il est mignon, ok mais. sérieux. Tu l'as vu ? Il ne sait pas se fringuer, et je suis sûre qu'il ne se lave qu'une fois par semaine !▬
Il est... différent.▬
Tu n'envisages pas sérieusement de sortir avec ce type ?Elle ne répond pas de suite. Elle jette un regard distrait par la fenêtre, perdue dans ses pensées ; elle pèse ses émotions, cherche ses mots, et tente vainement de démêler sa pelote de sentiments.
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Je ne sais pas. Il me plaît bien...Morgan lève les yeux au plafond, tandis qu'une valve de mots orduriers franchit sa bouche carminée, et offre un contraste étrange. Elle passe une main nerveuse dans sa superbe crinière brune, puis soupire enfin, bruyamment.
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T'es vraiment incroyable ! Depuis quand tu t'intéresses aux Einstein, hein ? En plus, tu m'as dit que Stefan t'avait rappelée ! Ce mec est une pure bombe, Ali ! Et sortir avec un psycho, bonjour la réputation !Il y a un court silence. Ses grands yeux bleus vrillent le ciel torride à travers le carreau. Sa lèvre tremble légèrement, et, enfin, la gorge un peu sèche, Alison tranche.
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Tu as raison.JE SUIS VENU TE DIRE QUE JE M'EN VAIS
ET TES LARMES N'Y POURRONT RIEN CHANGER.
Elle n'a pas osé dire à Morgan que ça fait deux mois. Elle n'a pas osé lui dire qu'il n'y a plus que lui. Partout.
L'ébauche d'un battement de coeur affolé sous sa peau tandis qu'elle chuchote quelques mots.
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C'est fini Théo. Elle relève les yeux, croise son regard. Ses grands yeux verts.
En une seconde, tout revient. Deux mois plus tôt. Une soirée, elle ne se souvient plus trop laquelle. Plus trop comment. Elle ne se souvient plus de sa tenue. Plus ce qu'elle a commandé. Ah, si un mojito fraise, sûrement. Elle se revoit siroter sa liqueur, accoudé au bar chromé, sourire à deux, trois amis ; sûrement plus. Elle ne sait plus trop. Elle se revoit, hilare, la bouche pleine de rire, les yeux humides de larmes, face à une quelconque mésaventure grivoise que lui contait Morgan. Elle se revoit se passer une main dans les cheveux. Elle se revoit lever les yeux, soudain. Croiser ce regard émeraude. Un sourire. Et, esquiver les hôtes, contourner les invitations, les oeillades lubriques de quelque garçon, et, l'atteindre enfin. L'entendre bégayer son prénom. Elle se revoit, attendrie par sa gêne gamine. Elle se revoit l'entraîner sur la piste, enlacer sa nuque.