« 1...2...3... »Une voix d'enfant résonnait dans le champ de fleurs rouges. La petite fille courait en riant doucement, le soleil lui tapait la tête avec force. Elle aurait dû mettre un chapeau mais c'était trop tard, si elle s'arrêtait sa poursuivante aurait tôt fait de la retrouver. Il lui fallait un endroit pour se cacher, un endroit ou l'on ne pourrait pas la trouver.
« 28...29...30... »Là-bas, tout au bout du champ, il y avait cet arbre aux branches ressemblants aux doigts d'une sorcière. C'était une cachette à l'ombre certes, mais ses petites jambes pourraient-elles la porter jusqu'à aussi loin ? Il le fallait pourtant, elle ne voyait pas d'autre endroit.
« 51...52...53... »Elle avait l'impression de voler, les fleurs autour d'elle n'était plus que des tâches rouges méconnaissables. Sa respiration s'accéléra alors qu'elle n'en était qu'à la moitié du parcours mais elle continua à courir le plus vite qu'elle pouvait. Plus que quelques secondes et elle y serait, une vingtaine de pas sûrement, peut-être un peu plus.
« 75...76...77... »L'ombre de l'arbre la recouvrit et elle se hâta de se cacher derrière son tronc dur. Celui-ci était rugueux et collant à cause de la sève qui s'écoulait lentement d'un trou creusé par les piverts. Ça n'empêcha pas la fillette de se plaquer le plus qu'elle pouvait à la plante.
« 98...99...100 ! »Le souffle de l'enfant cachée se fit court et elle sentit son cœur battre plus vite dans sa poitrine. Il tambourinait comme les gouttes de pluie sur la fenêtre de sa chambre. Au bout d'une ou deux minutes d'attente, des bruits de pas lents furent perçus par l'oreille gauche de la petite fille. Elle vit l'ombre d'une main apparaître devant elle, hésitant à toucher l'arbre gluant, puis s'approcher et la toucher. Avec un éclat de rire cristallin, une autre fillette se présenta derrière l'arbre et lui tendit la main. Un appel assez éloigné leur fit tourner la tête, puis, liant leurs doigts ensembles, elles se mirent à courir jusqu'à leur lointaine destination. Après tout, à deux, on va plus loin.
~
Color était perdue, perdue dans une mare sombre. Autour d'elle chaque regard était rempli de larmes, il n'y avait qu'elle qui ne pleurait pas. Elle sentait la tristesse envahir son cœur mais elle ne parvenait pas à la laisser s'en aller. Il faisait chaud et sa robe noire lui collait la peau d'une façon assez désagréable, pourtant elle s'en fichait. Ses yeux étaient rivés sur la tombe en marbre devant elle et elle n'arrivait pas à la lâcher. Sur le dessus du cercueil on pouvait apercevoir une écriture fine et dorée et en se rapprochant suffisamment on pouvait lire.
Charles Olwel
1964-2001
Petit à petit la petite fille vit son père descendre dans les profondeurs de la Terre. Pourquoi lui ? Pourquoi il avait justement fallut qu'il traverse la voie ferrée à ce moment là ? Si Color n'avait pas été en retard, rien de tout ceci ne se serait passé. Son père serait encore là, lui souriant et l'invitant à jouer dans le jardin avec lui. Si elle n'avait pas été en retard, sa mère ne fuirait pas son regard et serait heureuse elle aussi. L'enfant savait ce que sa mère pensait de toute son âme, elle pensait cette chose qui ferait qu'elle ne pardonnerait jamais à sa fille. « C'est ta faute. » Elle n'avait pourtant pas fait exprès de perdre sa chaussure avant de monter en voiture, elle n'avait également pas fait exprès d'oublier sa poupée et de ne s'en rendre compte qu'au dernier moment. Pourtant c'était de sa faute. Si elle n'avait pas existé l'amour entre ses parents serait encore un parfait idylle.
La cérémonie était terminée et la petite fille laissa sa mère l'entraîner vers la voiture en la tirant sèchement. A l'intérieur de l'auto Color ne voyait pas le visage de sa mère, mais elle sentait l'ambiance tendue qui remplissait le lieu, s'infiltrant dans les fauteuils, envahissant leur monde comme un poison. Puis, avant même qu'elle ai eu le temps de s'en rendre compte, la portière de sa mère claqua avec force et elle alla ouvrir celle de sa fille avant d'entrer dans leur maison. L'enfant se retrouva seule devant chez elle, hésitant entre entrer et faire comme d'habitude et s'en aller en fuyant cette maison et la haine qui l'accompagnait. Mais Color n'avait que cinq ans et c'était trop peu pour partir de cette façon. C'est pour cette raison qu'elle rentra pour trouver sa mère devant le bar, un verre de vin à la main, le regard vide. Remarquant la présence de son enfant, une flamme s'alluma dans son iris et elle lança sa première remarque perfide.
- Tu ne pourrais pas te tenir un peu plus droite ? On dirait un bossu à la fin ! Et tu devrais aller ranger ta chambre elle est dans un état pitoyable… tu pourrais faire la salle de bain aussi par la même occasion. Tu as pratiquement vidé la baignoire de son eau la dernière fois.La petite n'osa répondre, elle espérait qu'en faisant ce que sa mère désirait elle pourrait regagner sa confiance au moins un tout petit peu. C'était cependant espérer en vain, et Color ne savait pas que la décision qu'elle venait de prendre l'emmènerait tout droit vers ce qui deviendrait son pire cauchemar.
~
- Maman ? Je suis rentrée…- Ah, tu es là toi. Combien de fois il faudra que je te répète de ne pas traîner après les cours, tu as déjà bien trois minutes de retard sur l'heure donnée.- Pourtant je te jure que je me suis dépêchée ! J'ai marché le plus vite possible !- Et bien la prochaine fois tu rentreras en courant, que veux tu que je te dise…- Mais…- Chut, tais toi, je ne veux plus t'entendre. Vas mettre tes affaires dans ta chambre et fais tes devoirs. Après je t'autorise à aller dans le jardin, il y a quelques bosquets qu'il faut que tu retailles. C'est ton devoir de petite fille de le faire, d'accord ?L'enfant secoua la tête en silence et monta les escaliers aussi vite que ses petites jambes le pouvaient. Un cri furieux la fit sursauter et se retourner.
- ENLEVES TES CHAUSSURES ENFIN !!! En rougissant elle redescendit en trombe pour poser ses ballerines dans le placard avant de monter de nouveau. A chaque fois elle oubliait, elle aurait dû s'en souvenir… C'était donc encore de sa faute. Elle pénétra dans sa chambre et ferma la porte en veillant à faire le moins de bruit possible. Elle écouta un instant à travers le mur, vérifiant que sa mère ne lui demandait rien, puis elle traversa lentement la pièce et ouvrit la fenêtre. Le vent entra par l'ouverture, ébouriffant ses cheveux au passage. Ça faisait maintenant quatre ans que son père était mort renversé par le train et rien n'avait changé. Sa mère était toujours aussi exigeante, de plus en plus même. Elle avait des amis à l'école mais n'avait pas le temps suffisant pour les voir. Toute sa vie était réglée comme un métronome, monotone. Elle ne s'ennuyait pas, il y avait toujours quelque chose à faire, mais c'était toujours des corvées qu'elle détestait. En soupirant elle prit son sac et en sortit un cahier, un stylo et des crayons de couleur. De ses petites mains d'enfant elle ouvrit délicatement le carnet et commença à écrire dedans. Elle n'aimait pas beaucoup les mathématiques mais sa mère vérifiait toujours si elle avait fait et bien fait ses devoirs. Sinon elle devait recommencer bien sûr. Elle devait être une petite fille parfaite.
Une vingtaine de minutes plus tard, lorsqu'elle fut certaine que ses résultats étaient justes, elle empoigna ses crayons de couleur et dessina sur une feuille de son bureau. Dans l'infini blanc du papier elle ne traça qu'une seule et unique étoile jaune, rayonnante. Ensuite elle se leva rapidement et partit vers le jardin où l'attendait certainement sa mère. Sa chambre était vide de vie, son cœur était vide de tout. C'était comme ça. Elle ne connaissait plus rien d'autre que le vide absolu. Tout ce que son père lui avait appris, les sourires, le bonheur, les joies, toutes ces petites choses qui font de la vie un trésor, elle les avait oublié. Et comment peut-on être heureux lorsqu'on ignore que cette sensation existe ?
26 mars 2007
Cher journal,
Il s'est passé tellement de choses en si peu de temps que j'ai l'impression que ma tête va éclater. Tout a débuté quand j'ai vu maman rire doucement dans sa chambre ce matin. Je vois énormément de détails, surtout depuis mes sept ans en fait, et je me rappelle distinctement de ce moment. Elle portait des vêtements de couleur. Du jaune synonyme de fête, et du rouge désignant le triomphe. Etrange n'est-ce pas ? Elle qui ne portait que du noir depuis la mort de Papa. Et puis... Elle avait l'air si joyeuse. Trop joyeuse, pour dire vrai. Quand je suis partie pour l'école ce matin-là (c'était un mardi il me semble, à vrai dire je ne fais plus attention à la date depuis longtemps), j'avais une désagréable impression, comme si mon âme toute entière me criait de faire attention à quelque chose. Comme je ne savais pas trop ce que c'était précisément j'ai continué, Maman m'aurait disputé si j'étais revenue sans raison. Après, Kate, la pimbêche officielle de ma classe, a pas arrêté de se moquer de moi et de m'embêter. Mais j'ai serré les dents très fort parce que Maman m'aurait grondé si j'avais frappé une de mes camarades. Ensuite, quand je suis partie en courant de la classe pour ne pas arriver en retard, j'ai couru encore plus vite que d'habitude et mon cœur cognait fort dans ma poitrine. Comme quand je jouais à cache-cache avec Dalia. J'avais presque l'impression de voler tellement j'allais vite. Finalement je suis arrivée devant la maison avec plusieurs minutes d'avance mais elle semblait toute sombre. Quand j'ai rentré la clé dans la serrure ma main tremblait beaucoup et c'est quand j'ai actionné la poignée que j'ai compris. Toutes les affaires de Maman avait disparu, son vase préféré, ses disques, ses vêtements. Tout. Elle m'avait laissé toute seule, je n'avais pas été suffisamment parfaite. Elle m'avait abandonné comme une vieille poupée cassée, comme une marionnette ne servant plus à rien. Cette fois je me suis mise à pleurer. C'est bizarre n'est-ce pas cher journal ? Alors qu'à l'enterrement de Papa je n'ai pas versé une larme, lorsque c'est Maman qui part je me mets à pleurer. Pourtant je n'aimais pas plus Maman que Papa. Peut-être était-ce parce que j'avais espéré trop longtemps. Je ne sais pas. Je ne saurais jamais. J'ai dû rester au moins trois heures couchée sur le parquet dur du salon. J'écoutais les bruits de la maison, roulée en boule comme un hérisson. J'entendais le bois de l'escalier qui craquait, la plomberie qui grinçait, une porte à l'étage qui claquait, le robinet de la salle de bain qui fuyait. Même sans personne pour l'habiter la maison vivait et ça me rassurait. Un peu. J'ai réussi à me lever et j'ai pris le téléphone dans la chambre de Maman. On avait appris le numéro de la police à l'école et je ne savais pas qui appeler d'autre. On m'avait dit que si j'avais un problème c'était là qu'il fallait téléphoner.
Quand la voiture blanche est arrivée, il y avait un homme qui n'était pas de la police dedans. Il m'a proposé d'aller quelque part. La Wammy's House je crois. Il m'a raconté qu'il y avait plein de gens comme moi là-bas, que je me sentirais mieux que si on me mettait dans une famille d'accueil et que je serais heureuse. Il avait l'air tellement gentil avec son sourire rassurant, je voulais le croire. Alors j'ai dis oui, de toute façon je ne vois pas où je pourrais aller à part dans cet orphelinat. Il m'emmène demain, pour le moment je suis à l'hôpital près de chez moi, celui où les infirmières ont toutes un sourire colgate scotché sur le visage. Je hais les infirmières, elles ne comprennent pas que je veux simplement être toute seule.
Demain sera un autre jour, je commencerais une vie totalement nouvelle. Ce sera bien. En tout cas ça ne pourra pas être pire que ma vie d'avant. Voilà, c'est tout, ça parait peu pourtant c'est vraiment énorme je trouve. Je vais dormir un peu parce que je suis fatiguée, j'arrive à peine à voir ce que j'écris…
Claire.
~
- Petite… Petite réveilles toi, c'est l'heure. On part dans quelques minutes, tu peux rassembler tes affaires ?- Ah… Je suis encore fatiguée… - Tu veux que je m'occupe de tes vêtements ?La petite fille avait gardé les yeux fermés, elle n'arrivait pas à les ouvrir. C'était comme si on avait attaché des poids à ses paupières. Elle avait un peu de mal à parler aussi, c'est pourquoi sa réponse ne fut qu'un murmure à peine audible.
- Oui…Le monsieur avait dû comprendre car Color l'entendit se lever le plus silencieusement possible de sa chaise pour aller ranger. Elle se laissa bercer par le bruit des vêtements qu'on pliait et rangeait dans une valise. Soudain le bruit s'arrêta et une voix douce perça le silence.
- Le carnet aussi ?Ah, le carnet… Fallait-il l'emmener ? Il retraçait pas mal de sa vie avec sa mère, cette vie qui l'avait fait souffrir. Pourtant elle ne pouvait se résoudre à le jeter, à le laisser là comme on l'avait laissé. Elle voulait pouvoir se souvenir, pour être plus forte à l'avenir.
- Je veux bien.Le bruit reprit pendant quelques courtes minutes puis la petite fille perçu le bruit de la couverture que l'on rabat et elle sentit le froid l'envahir. Elle eut la sensation d'être soulevée du sol puis d'être transportée avec minutie. On faisait attention à elle, c'était assez agréable… Elle sentait la respiration du monsieur contre sa joue et les légers cahots que provoquaient chacun de ses pas. Le son d'une portière qu'on ouvre, la sensation du cuir sur sa peau puis l'entrave de la ceinture. Toujours les yeux fermés elle entendit son protecteur s'installer puis la voiture démarrer en trombe. Elle dû se rendormir pour de bon car le temps passé lui sembla infiniment court. La route était certainement caillouteuse car elle était secouée comme un panier à salade. Doucement elle ouvrit les yeux. Elle fut un peu éblouie mais sans plus, le soleil se couchant déjà à l'horizon. Elle se pencha lentement et regarda curieusement par la fenêtre. Elle était sur un chemin de terre, d'où les secousses, et au loin on pouvait apercevoir une grille immense qui renfermait sans doute sa nouvelle maison. L'orphelinat semblait très grand lui aussi, et Color se demanda si elle n'allait pas se perdre. Peut-être que quelqu'un l'aiderait et lui montrerait le chemin… En tout cas elle n'avait pas peur. A partir de maintenant elle ferait tout pour être parfaite, plus personne ne pourrait se plaindre de son comportement. En étant gentille et agréable il y aurait forcément une personne pour devenir son ami, non ? La voiture s'arrêta devant le portail et la petite fille descendit en douceur. En sautillant elle se planta devant l'entrée et l'observa en souriant.
Tout commençait ici.Trois ans plus tard
Les petits gravillons de l'allée craquaient sous ses pieds tandis que la jeune fille marchait. Sa chevelure semblait s'enflammer avec le soleil tandis qu'elle parcourait d'un pas vif la distance qui la séparait de sa cousine. Elle avait déjà plus d'une heure de retard et Duke devait être plus que furieuse après elle. Color avait intérêt à trouver une excuse digne de ce nom…
- Bonjour ! Je suis vraiment, vraiment, vraiment désolée pour le retard. Pour me faire pardonner je t'offrirais des chocolats la prochaine fois que j'en verrais, d'accord ?Après ça elle lui fit son sourire le plus adorable et la serra dans ses bras doucement pour ne pas lui faire mal. Si après ça Duke lui en voulait encore, elle ne savait plus quoi faire !
- Ouais… Bon, ça ira pour cette fois ! T'as passé une bonne journée ?- Moui, ça va.Gagnée ! Au fur et à mesure elle avait appris à se faire pardonner de n'importe quoi. Du moins de sa cousine. Comme ça, même si elle n'était pas totalement parfaite, elle pouvait toujours se rattraper ! Depuis qu'elle était rentrée à l'orphelinat elle s'était fait pas mal d'amis. Des ennemis aussi sûrement, des gens qui se moquaient d'elle dans son dos. Elle n'était plus assez idiote pour penser que tout le monde serait obligé de l'adorer si elle était gentille. Dans ce monde, la gentillesse seule ne suffisait pas c'était certain. Mais même si des gens ne l'appréciaient pas elle s'en fichait. Elle ne pensait plus qu'aux personnes qui l'aimaient et la faisaient sourire, celles qui faisaient de sa vie autre chose qu'un métronome. Parce que désormais il y en avait. Son cœur n'était plus vide.
Duke : sa cousine. Elle l'adore, elle jouait souvent avec elle quand elle était petite et elle connaît beaucoup de chose sur sa chère cousine. Elles se sont perdus de vue à cause d'incidents imprévus et Color a été ravie de la retrouver à la Wammy's House.