C'est idiot, se répétait la jeune fille, les yeux vaguement ternis par le reflet du ciel ombrageux

Elle était montée en vitesse quelques minutes plus tôt, mue par son intenable besoin de solitude. C'était presque une pression, qui intervenait sans prévenir dans ses activités. Des moments où elle souhaitait l'éloignement de son monde. Le toit de l'orphelinat lui semblait le plus proche du ciel. Elle surplombait alors tout ce qui faisait sa vie. Les enfants, petits points lointains, hurlaient dans le parc. Mello jouait au ballon avec sa bande. Lust discutait, entourée de son groupe de libidineuses, à l'abri d'un pin, presque aussi grand que la maison. Sa cime dissimulait presque la vue d'Only. La jeune fille, recroquevillée, ses bras maigres entourant ses genoux, gardait ostensiblement son regard sombre fixé sur l'horizon. Le vent soufflait dans les mèches éparses de sa chevelure noire.

« C’est idiot ce désir que l’on a de ne pas être comme les autres, parfois. Mais, ce n’est pas pour ça que je ne suis pas normale. » Monologua-t-elle à voix basse

Mais elle savait qu’elle avait tort. Son intelligence la mettait au-dessus des humains normaux et sa violence la rendait différente des orphelins. Pourtant, elle était sûre qu’elle n’avait pas sa place en maison de redressement. A la limite, elle se voyait bien mener une armée de gens comme elle. Mais qui pouvait posséder un Q.I et une brutalité égales aux siens ?

Elle se frotta nerveusement les yeux, se rendant compte de l’incohérence de ses propos. Elle ne s’était jamais fixée de mission précise, mais si jamais elle devait douter de ses actions, de ce sang qui avait coulé… Alors sa mère aurait pu très bien la garder à ses côtés.
Only étouffa un rire discret, connaissant bien, sans plus jamais l’avoir vue, la nature de sa mère. Elle ne devait pas se soucier de tout cela, et attendre patiemment que ce qui devait arriver arrive. Bien que « loubarde », Only se montrait trop fataliste. « Le destin de chacun est écrit, alors si je te met mon poing dans la gueule, c’est ce que les dieux ont décidé. »

Le dos rond, le menton sur les genoux, elle ferma un instant les paupières, le temps de visualiser ce qui l’entourait. Il lui semblait même entendre une mélodie provenant de la salle de musique. Un son de piano mêlé aux cris des enfants. L’odeur des arbres avant la tempête, et celle de l’essence qui brûle. Sous ses fesses, serrées dans une jupette d’écolière, les tuiles grises du toit, peu confortables. Et autour d’elle ce vent qui hurle, l’humidité de l’air, le grondement d’un orage lointain, le gris du ciel, la verdure d’une mer d’arbres.
Malgré l’hiver passé, terrible et pluvieux, la verdure avait gardé une belle couleur verte, qui ravissait le regard. Comparé à la griserie anglaise, tout cela avait un goût de paradis. Mais Only n’en connaissait pas la signification. Seul « Hell », « L » avait une vraie consonance à ses oreilles. Après tout, elle était censée s’intéresser à la succession de L, et le nom de ce dernier sonnait presque comme le mot anglais désignant l’enfer. Personne à l’orphelinat n’avait pas de patronyme aussi délicat que « Heaven ». Pourtant, elle redressa la tête vers le ciel, ça doit exister, non ?

Sa violence s’était dissoute, comme un cachet d’aspirine, lorsqu’elle s’était mise à l’écart. Elle en déduisait souvent que si elle vivait des années seule sur une île déserte, avec un piano, son caractère en serait transformé. Mais cela ne cadrait pas avec son rêve. Comment ferait-elle une fois qu’elle serait sur scène, pour retenir sa violence impulsive ?
Only baissa à nouveau les yeux sur ses poignets ceinturés de divers bracelets, allant du cuir à piques au caoutchouc colorés :

« I can’t be famous. » Déclara-t-elle, presque avec colère

Elle toussota, avant de prendre dans l’une de ses poches son étui de cigarettes. Elle s’aperçut avec déception qu’il n’en restait plus beaucoup, mais en porta une à ses lèvres pleines. Le temps qu’elle l’allume, la fumée partit rejoindre les nuages du ciel. Vision poétique. Elle s’encrassait les poumons depuis des années, et, pourtant, gardait une voix pure. Au contraire, le tabac en avait accentué le timbre rocailleux, la rendant encore plus harmonieuse. Comme quoi, à chaque chose du bon.

Elle coinça sa cigarette au coin de ses lèvres et perdit à nouveau son regard dans les cieux, bien trop occupée à se poser des questions philosophiques pour observer ce qui se passait dans son dos.

40éme symphonie de Mozart. Tears jouait cet air dans la salle commune pendant que le peu d’élèves qui n’étaient pas dehors s’amusaient avec tout et n’importe quoi dans l’immense salle claire aux hautes fenêtres.
Le blond décolla un instant ses yeux clairs du clavier noir et blanc pour observer l’ensemble de la vaste pièce. Après tout, il était surveillant.
Tout avait l’air assez calme.. mais il y avait cependant, dans le coin, un groupe de jeunes filles qui discutaient, d’un air commère.
Du scandale dans le coin ? Des ragots malveillants ? Ou peut être du bizutage…
Tears détourna le regard, il s’imaginait trop de choses.
Comme si tout ne pouvait jamais aller bien.
A la fin de la mélodie, le blond se leva sous le regard déçu de certains élèves qui trouvaient que le silence était vraiment trop pesant quand il n’y avait personne pour jouer un air de harpe ou de piano. Mais Tears était resté assis trop longtemps et il avait maintenant besoin de se balader un peu pour se dégourdir les jambes.
En passant discrètement derrière le groupe de filles, il entendit des brides de leur conversation :

"Cette fille est vraiment étrange…elle s’est précipitée sur le toit comme ça, sans raison apparente."

Tears ralentit aussitôt. Une élève avait un problème ? De plus, le toit, ça n’envisageait rien de bon. Il est difficile d’accès et dangereux, c’est pour cela Roger voulait éviter le plus possible que les orphelins y soient. Après la réception de ces informations dans sa tête, le surveillant commença à montrer les marches des escaliers avec anxiété. Pour se calmer un peu, il enfouit ses mains dans ses manches en espérant tirer dessus, mais elles étaient déjà bien longues. En plus le bleu s’était délavé, décidément il lui faudrait un nouveau t-shirt.
Sur ces pensées totalement inutiles, il arriva au 2éme étage, et ouvrit la porte qui permettait l’accès au grenier.
Il gravit les marches poussiéreuses et pénétra dans l’atmosphère vieillie et bordelique de la grange.
Elle était sombre et sentait fort la moisissure, néanmoins un carré de lumière permettait de localiser l’accès au toit.
L’escalier (si on pouvait appeler ça un escalier) pour y accéder n’avait rien de très rassurant, il était fait de bois moisi et n’était pas très stable. La grange était bien un endroit où Tears évitait de se rendre, cette atmosphère lui déplaisait plus que tout. Pas très rassuré, il posa toutefois un pied timide sur la première marche qui émis de petits craquements. Lentement, mais sûrement il gravit petit à petit l’escalier et finit par se hisser au dehors du cadre en bois qui donné sur l’air libre.
Une puissante bouffé d’oxygène lui ébouriffa alors les cheveux. Tears n’était pas de nature aventurier mais il pouvait comprendre que les orphelins éprouvent le besoin d’aller ici. Un étrange sentiment de liberté total s’empara brusquement de lui. La cime des arbres, ce ciel qui s’étendait à perte de vue et ces nuages gonflés lui donnait l’impression qu’il avait encore le monde à découvrir. Un monde démesuré d’une beauté sans fin.
Notre aventurier du jour failli cependant glisser après avoir posé un pied maladroit sur une tuile mais ses réflexes lui permirent de reprendre l’équilibre perdu, et agilement, il se mit à la recherche d’endroits stables.
Une fois les pieds sur des bonnes prises, il parcoura du regard toute l’entendu de la toiture, les cheveux quelques peu désordonnés par la brise assurée.
C’est là qu’il la vit. Une frêle silhouette assise en boule, les bras enlaçant ses blancs genoux contrastant avec le noir de ses cheveux. Bien qu’elle soit de dos, on voyait de la fumée de cigarette se rependre dans l’air et, la tête levée, son regard flottait probablement dans le ciel. Tears la connaissait.
En effet Only était connue pour son caractère perturbateur et violent. C’était ce que les autres adultes disaient d’elle. Tears lui, bien qu’il la connaît depuis maintenant 6 ans, s’interrogeait toujours autant et pensait qu’il avait bien des choses à apprendre d’elle.
A quoi pouvait-elle bien penser ? Elle avait l’air sereine… le toit la changeait donc à ce point ?
C’était une autre facette d’Only qu’il voyait là. Et en constatant que tout allait bien, il songea à rentrer à l’intérieur, mais quelque chose l’incita à aller à sa rencontre. Le fait de la connaître un peu plus pour savoir ce qui la tracassait par exemple.
Tears commença donc à avancer vers elle, et pour éviter de se ramasser royalement, il posait parfois ses mains sur les tuiles pour prendre appuis.
Il avait donc l’air profondément ridicule, à quatre pattes mais il avançait plus vite ainsi. A 26 ans, il avait déjà l’impression d’être vieux et l’envie le prenait de souffler "Ah les jeunes alors…" en parlant de ces élèves qui ne manquaient pas d’escalader tout ce qui leur faisait obstacle.
La jeune fille était à 2 mètres de lui quand il décida de se faire remarquer.
Il s’accroupi donc, un peu tremblant par l’instabilité des tuiles et finit par dire :

-"C’est dangereux ici tu sais… "

Une boule de nerfs, voilà ce qu'elle était en général. Elle ne perdait pas l’occasion de prouver qu’une connections électrique entre deux pôles étaient facile. Si la plupart de ses martyrs étaient du pôle « plus », elle était du « moins ». Excellente excuse, en plus du destin, à ses agissements. Bien que tout cela reste dans le secret de son crâne. Et à présent, ses muscles se trouvaient détendus, son cerveau absent, ses prunelles sombres vagues. Ses joues livides, refroidies par les assauts du vent, frottaient contre ses bras, alors que le filtre incandescent faisait le trajet aller-retour entre ses lèvres ses mains. Les rares fois où elle montait sur le toit, elle pouvait crier à s’en arracher la gorge, mais l’élément le plus important de son exil volontaire restait le questionnement.

Le genre de celles qui harcèlent chaque adolescent mis en ban de la société : "Y'a-t-il quelqu'un là-haut pour me protéger ?", " Pourquoi suis-je comme ça ?". Ce n'était pas pour ses 175 de QI qu'elle allait échapper à cet interrogatoire existentiel, et les mots déphasés défilaient devant ses yeux, collés au ciel comme sur un énorme écran plasma. Non qu’elle ne se sente mal dans sa peau, mais à son passage vers le « monde des adultes », il fallait bien qu’elle cherche à résoudre certaines choses d’elle-même. Pas sur les amourettes, ou sur ce qui l’entoure, mais plutôt sur elle-même. L’égocentrisme c’est tout une affaire, et néanmoins, cela lui permet d’oublier quelques heures sa vraie nature. Car, il est possible de mettre en doute l’Only que chacun voit. « L’esprit n’est qu’un jouet pour le corps. » Déclara Nietzsche.

La clope aux lèvres, la jeune fille aidait à procréer des nuages, à remplir le ciel de tonnerre. Métaphoriquement parlant, fumer vers le ciel semblait expulser sa violence en troisième vitesse, comme une fusée. C'était tout à fait autre chose que de vivre collée au sol, et les yeux levés. Personne ne prend au sérieux les rêveurs, triste réalité.

C'est dans cet état d'esprit mystique que la jeune fille fut surprise par une voix au timbre grave. Ayant baissée sa garde, elle ne s'en aperçut qu'au dernier moment, alors qu’une présence masculine s’imposait dans son dos. Néanmoins, elle ne crut à ce qu’elle entendait que lorsqu’elle vit en face l’intrus. Intrus dans ses rêveries d’adolescente boudeuse. Pour celui qui a su saisir l’expression absente de son visage, celui-ci précisément sait qu’il y a autre chose, et Only craint cet « autre chose », qui pourtant lui appartient.
Elle tourna la tête, pour remarquer le visage délicat de l'un de ses surveillants, Tears, chevelure blonde décoiffée par le vent violent. Aussitôt, le rouge monta aux joues de la jeune fille et elle dissimula son état en opposant à l'homme son dos. Il n’y avait aucune raison qu’elle lui adresse la parole, malgré la nervosité qui montait en elle. Non, aucune raison pour qu’elle s’ouvre à lui.

Elle se raccrocha à sa cigarette, troublée par sa présence. Ses grands yeux sombres, et ce charme faisaient qu'elle ne comprenait plus trop ce qui se passait en elle. C’était bien l’une des seules personnes qu’elle estimait. Pourtant, le pourquoi de cette étrange attirance, elle ne le connaissait pas. Au contraire, la relation avait commencé de manière bizarre. Tears ne ressemblait à personne de son entourage, et elle le croisa la première fois lors de sa douzième année. Coïncidence ? Il lui tira les oreilles. Coup de foudre ? Non, et même à présent, c’en est encore loin, mais, tout simplement, elle ne savait pas quoi penser à son propos. Il n’était pas comme les hommes qu’elle fréquentait, ces modèles qui ont peuplé le début de sa vie. Ce père absent. Roger. Mello. Et ainsi de suite… Tears était encore un scénario différent, à obliger de nouvelles réactions.

Elle aurait pu en rire à nouveau. La grande Only troublée par un homme ! L'arrivée, quoique ayant le mérite d’être discrète, avait suffi à tendre à nouveau ses muscles. La jeune fille n'était plus qu'un bloc de nerfs, aux joues roses, la cigarette fichée à ses lèvres comme une dernier moyen de respirer :

" Hum... J'pense bien que c'est dangereux. " Rétorqua-t-elle, acide

Désespérément, elle essaya de concentrer ses pensées sur un autre sujet, ou même d’ignorer le nouveau venu. En pure perte, sa concentration s’était brisée à ses premiers mots, et peut-être même définitivement. Aucune envie de s’ouvrir, de dévoiler les véritables raisons de sa venue. Son âge aurait dû lui permettre d’improviser, mais au lieu de cela, elle se tenait à nouveau muette, les yeux baissés :

« Et… j’suppose que vous n’êtes pas arrivé ici par hasard, nah ? » Ajouta-t-elle, un ton plus bas

Elle aurait souhaité se trouver ailleurs, rien que pour ne pas imaginer le regard calme, simple du surveillant fiché dans son dos. Elle inspira une longue bouffée de nicotine, oublia sa cigarette au coin de sa bouche, et fit craquer l’articulation de ses poings. Peu à peu, elle reprit son calme, en apparence, alors que la rougeur de ses joues, témoin gênant, restait. Ce n’était pas la première fois qu’elle le voyait, et toujours cette même émotion…

Désespérant…

Toujours accroupi, Tears fit face à la jeune fille lorsque qu’elle se retourna un instant. Le surveillant était ravi qu’elle lui montre enfin son visage alors il fit un de ses sourires gênés.
Cependant, la nerveuse Only dont les joues étaient délicatement rosies par le vent reprit place en laissant de nouveau le surveillant face à son dos arrondi.
Le sourire de Tears s’évanouit alors, elle était sereine, elle était calme et là voilà maintenant nerveuse et figée. Il avait vraiment le don de tout gâcher, lui qui voulait toujours tout faire au mieux… il avait maintenant l’impression d’être un éternel boulet.
Pourquoi il n’arrivait jamais à agir correctement ? Si cette orpheline était montée sur le toit, c’était évidemment pour être seule.. et lui il débarquait avec ses gros souliers pour faire le donneur de morale. Sur le moment, il se trouvait pathétique. Ce qu’il pouvait être stupide !
Pourtant s’il était venu, c’était parce qu’il en avait envie, il a toujours eu envie de parler avec cette élève, pour la comprendre, pour voir ce que ça faisait d’être dans cette…compétition.
Bien que Tears vivait à la Wammy’s House depuis maintenant 6 ans, comme il était surveillant, il n’a jamais vécu la tension d’être en conflit permanent pour la place de L. D’être l’enfant sur qui on compte, sur qui le monde devra compter un jour.
Ce poids si pénible, il ne l’avait jamais eu. Alors quand il voyait les épaules si frêles d’Only, il avait envie de lui enlever un peu de ce fardeau, de cette lourdeur qui l’obligeait à faire des choses aussi stupides que de fumer, se battre ou fermer son cœur.
Cette charge n’est pas faite pour être portée par des adolescents même avec un Q.I supérieur.
Bien sur, Tears ne doutait pas de la force d’âme de certains élèves, mais il avait l’impression de faire face à des dizaines d’enfances gâchées. Evidement, lui aussi idolâtrait L, son sens de la justice était sans égal et il fallait toujours quelqu’un comme lui dans un monde aussi corrompu. Malgré cela, lors de ses moments de faiblesses, le surveillant venait à le haïr. La justice était un poids énorme, et il fallait bien des sacrifices pour la faire perpétuer… mais des interrogations se faisaient toujours dans les pensées de Tears.
Une poussière dans l’œil le ramena à lui, et il constata que la situation n’avait pas bougé. Sa passivité l’exaspérait, mais au moment où le sentiment d’être ignoré devenait le plus insupportable, Only parla enfin de sa voix délicieusement rauque.

-"Hum... J'pense bien que c'est dangereux."

Puis un autre silence. Tears se frotta les yeux pour essayer d’enlever cette poussière qui avait pour effet de faire couler une petite larme sur sa pâle joue.
Il commença à ouvrir la bouche, mais il ne savait pas quoi dire, il voulait juste… la soulager de ce poids. Mais il ne savait que dire pour cela.
Et encore une fois, Tears se senti apaisé quand la jeune fille cassa le silence déstabilisant.

-"Et… j’suppose que vous n’êtes pas arrivé ici par hasard, nah ?"

Le blond ne put s’empêcher de sourire faiblement, lui qui s’attendait à être rejeté, on lui posait une question. Et les questions sont toujours pratiques pour commencer une conversation.
Même si les craquements des articulations de ses poings ne semblait pas très amical, la jeune fille avait déjà l’air plus détendue et le vent continuait à faire rosir ses joues si blanches.
Il s’avança donc et s’assit à coté d’Only, essayant de ne pas percer son espace vital, 1 mètre serait suffisant. Les jambes croisées et les mains dans les manches, il laissa le vent effleurer son visage. Il avait plusieurs options.
Jouer au jeu de l’élève et répondre "Toi non plus." ou alors mentir "J’avais envie de prendre l’air." ou encore dire la vérité.
Il procéda donc par élimination. Only n’avait rien fait de mal et il n’avait aucune envie de se fritter avec elle, l’option 1 était donc rejetée d’avance.
Sachant qu’on ne peut sûrement pas aider un orphelin en partant sur un mensonge, l’option 2 était refusée elle aussi.
Il ne reste plus que la 3, en priant que pour ça marche.
C’est en fixant ses mains que Tears finit par dire d’une voix qu’il voulait calme :

-"J’ai entendu qu’une élève était sur le toit, alors je suis venu voir… mais si je n’avais pas envie d’être ici, je serai parti après avoir vu que tout allait bien…"

Dans son immaturité passive, Only refusait tout simplement de se retourner sur lui, et même si l’envie l’en prenait, elle se persuadait elle-même que ce n’était que tentation. Le style de péché ayant conduit à la perte des villes bibliques, Sodome et Gomorrhe. Une fois de plus, elle se traita mentalement d’idiote, en se rendant compte que la religion n’avait rien à voir avec son problème. Voilà une adolescente bien indécise, aussi rebelle que Gaveroche et troublée pour l’une des premières fois de sa vie. Ses victimes auraient ri de son malaise, de ce rouge qui se faisait de plus en plus insistant sur ses joues. La jeune fille maudit en son for intérieur ses réactions excessives, voyant filer avec regret sa dose de nicotine. Elle savait que même avec volonté, elle ne pouvait se retourner sur lui, et contempler ce qu’il était, sans ressentir ce vague à l’âme. Alors autant parler dos à lui, le regard fixé avec sévérité sur le ciel. Ses pupilles élargies par la réflexion glissèrent sur le côté, le temps de saisir le silhouette de l’homme. Un vague flash clair. Rien que cette proximité, même d’un mètre à peine, la rendait plus gênée que jamais. Only, inspirant un grand coup, se chargea d’ensevelir ce sentiment sous une tonne de colère. Au moins, la voir « normale » ne pourrait que le pousser à déguerpir…

« Pas envie d’être là ? »

Elle ferma un instant les yeux, remuée de l’intérieur par un trop plein d’émotion qui lui soulevait le coeur.
Donc, s’il était sincère, il souhaitait rester là, à côté d’elle, alors que la jeune fille était aussi têtue qu’un âne bâté, et connue pour son agressivité de fauve. Mais ce n’était sûrement que simple influence pédagogique, rien de bien personnel. Malheureusement peut-être. A cette pensée, Only eut tout de même un pincement au cœur. A qui devait-elle le reprocher ce qu’elle ressentait ? A lui qui l’avait réveillée ? Ou au reste ?

Elle se promit intérieurement de chercher assidûment l’orphelin qui pouvait avoir parlé de sa fugue spirituelle. Si elle trouvait cette personne, elle était déjà sûre qu’elle lui ferait passer un « sale quart d’heure », dit vulgairement. Son regard s’éclaira brutalement. Cela devait être Lust, cette sale peste, qui devait être à l’origine de tout cela. La jeune fille se mordilla nerveusement l’intérieur des joues et jeta ce qui restait de sa cigarette dans le vent. La cendre remonta dans le sens opposé, alors que le mégot chutait. Only pria intensément pour que Lust le reçoive dans ses cheveux sombres, peu convaincue. La leader des SDS qui aimait tant brûler allait savoir ce que ça faisait de crâmer. Enfin, ce que la loners désirait tant avait néanmoins peu de chance d’arriver, le vent oblige.
L’orpheline déglutit discrètement, avant de s’installer un peu plus confortablement sur les tuiles :

« Mais je n’ai pas demandé qu’on dise que je suis montée. » Répliqua-t-elle, sa voix vibrant de colère contenue

Ses longs cils sombres dessinèrent une ombre à l’encre de chine sur ses joues pâles lorsqu’elle baissa les yeux sur ses poignets. Evidement, tout ce qu’elle parvenait à dire n’était toujours que conduit par la violence. Vouée à ce cercle vicieux, il y avait des chances qu’elle rate tout ce qu’elle entreprendra. Les humains aiment avoir affaire à des êtres concis et sympathiques, non à des bêtes féroces, renfermées sur elles-mêmes. Si au moins, elle pouvait trouver un interrupteur à son impulsivité, même quelques heures. Mais elle n’était pas sûre de désirer changer. Au contraire, cette violence, elle s’y était accoutumée, et la preuve était que, malgré Tears, et ce qu’elle pouvait ressentir, elle en était toujours au même point.

Elle sentait l’homme malheureusement trop sincère. Que craignait-elle donc face à lui pour se refermer à sa simple approche ? Elle repoussa une mèche sombre hors de son visage :

« Alors, pourquoi v’loir rester ? »

A nouveau, ses yeux se firent fuyants, lâches. Tears était donc l’élément portant à faiblesse dans tous ses raisonnements. Mieux valait ne même pas songer à ce qu’elle pensait de lui, en détails. Ignorer jusqu’à la fin, recouvrir ses sentiments de sable, et penser à autre chose. Peut-être que s’il n’avait pas été là à cet instant, elle se serait pris à chanter, pour le plaisir unique d’entendre sa voix grave hurler à ses oreilles. On n’est jamais mieux servi que par soi-même. A quoi bon alors songer à se reposer sur les autres ?
Elle esquissa un vague sourire déterminé, le vent faisant claquer ses mèches sombres. Rien que d’imaginer le souffle discret de Tears mettait un étrange émoi en elle. Est-ce que cela pouvait être ça… l’idiot amour dont parlent les livres ?
Hors, elle se voyait très mal en ingénue. Tout cela n’était que prétextes, définis à un but dont elle ne connaissait pas l’existence. Une nouvelle fois, elle revint à la conclusion que les voies du destin sont impénétrables…

Après une courte réplique, Only jeta son mégot sans le ciel, ce dernier suivit la loi de gravitation universelle est alla s’écraser quelque part, on ne sait où.
Tears jouait avec ses manches en regardant la jeune fille, il se demandait bien ce qu’elle pouvait penser, en vain. Pour le dire franchement, il n’y connaissait strictement rien en matière de filles, ça le dépassait.
Bien sur, il avait une sœur, mais rien à voir.
Only avait un sacré caractère et rien de niais comme la moitié des filles, elle était elle-même, elle assumait.
Et ça, Tears le voyait comme une marque de bravoure. Lui qui n’a jamais eu une personnalité à part, il était impressionné par le tempérament de la jeune fille. Elle dégageait quelque chose de spécial, il fallait se l’avouer.
Parfois, le surveillant levait les yeux vers elle, mais elle ne semblait pas vouloir le voir.
Il se sentait de trop, il sentait qu’il n’avait pas sa place dans le monde de l’orpheline, et il continua à fixer ses mains d’un regard triste.
Il la gênait, ça se voyait. Tears avait l’impression de lui gâcher cruellement sa journée. Mais si elle ne supportait vraiment pas sa présence, elle l’aurait envoyé dans les roses depuis longtemps. Ou peut être attends-t-elle le moment propice ?
Tears secoua vaguement la tête, ces idées noirs qui lui venaient si souvent à l’esprit… il les détestait.
Penser positivement, voilà ce qu’il voulait. Alors pourquoi n’y arrivait-il pas ?
Toujours à ressasser des pensées moroses et sans doute fausses. Ou pas.

-"Mais je n’ai pas demandé qu’on dise que je suis montée. Alors, pourquoi v’loir rester ?"

Elle avait dit cela en repoussant une mèche sauvage qui gênait sa vue.
Tears tourna la tête, mais elle ne le regardait pas. Il refusa néanmoins de continuer à regarder ses mains et préféra lever les yeux vers le ciel pour contempler les nuages. Ils étaient bien plus beaux que ses mains.
Alors, le moment propice pour l’envoyer délicatement promener était venu ?
C’était trop subtil, Only n’était pourtant pas du genre à mâcher ses mots.
Des "pourquoi", il y en avait aussi dans l’esprit du surveillant et ils ne demandaient qu’à sortir, et à être répondu.
D’ailleurs, pourquoi Tears voulait rester ? Il se sentait bien ici, c’est la première fois en 6 ans qu’il vient sur le toit et s’il avait su, il serait venu plus tôt. Il y a tellement de réponses à un "pourquoi". Tellement de réponses, et toutes vrai en plus. Parce que c’est dangereux ici, parce que je veux savoir ce que te tracasse, parce que j’en ai envie tout simplement. Parce que j’ai failli me casser la gueule pour y venir donc je n’ai aucune intention de repartir de sitôt.
Des dizaines de réponses, et laquelle choisir ?
Après un petit tri sélectif, il décida de répondre d’abord à la première phrase d’Only.

-"Personne n’a rapporté, c’était juste un bout de conversation que j’ai entendu sans le vouloir…"

Tears se caressa la nuque. La jeune fille allait sûrement croire qu’il écoutait aux portes.
Mais bon, ce n’était pas un détail aussi insignifiant qui allait abîmer un honneur qu’il n’avait pas. Tears enchaîna après avoir mis sa mèche sur le coté pour permettre à ses deux yeux de contempler l’orpheline à l’aura mystérieuse.

-"Et je me sens bien ici, je veux dire… si je t’agace, je peux repartir…"

Décidément, il mâchait ses mots, et il ne savait que dire pour qu’elle s’ouvre.
A part des phrases directes et stupides du genre "Allé, dis ce qui va pas à tonton Tears." mais le surveillant n’était pas très doué, ou plutôt très mauvais en matière de réponses directes.
Il reprit son massage de la nuque en répliquant timidement, l’air indécis.

-"Et toi, pourquoi... pourquoi tu viens ici ?"

Une question, pas mal. Sauf quand la réponse a 78% d’être "De quoi j’me mêle ?" mais il restait 22%.
Dont 10% étaient "Ca vous regarde pas." mais bon, il y avait encore 12% restant.
Tears, anxieux, regardait la jeune fille avec des yeux affectés.

La jeune fille resta silencieuse de longues minutes, après que Tears ait posé sa dernière et première question. Pédagogique. Il s’adressait à l’humaine qu’elle était, sans prendre en compte le fait qu’elle pouvait le jeter du toit par simple saut d’humeur. Elle n’aurait cependant pas pu le faire, malgré toute sa « bonne volonté », sa violence partait en fumée sans qu’elle ne puisse la retenir. Tears faisait d’elle une casserole percée…
Only se taisait donc, vaguement intéressée par ce qui se passait dans son dos. Le surveillant l’avait toujours plus captivée qu’elle ne voulait bien l’avouer…

Dans une société de surdoués, chaque mot doit être précisément calculé, pour ne pas laisser le champ libre à l’adversaire. La communication avec les génies restait ne bataille de tous les instants, et Tears n’échappait pas à la règle. La jeune fille prenait tout son temps pour réfléchir à ses prochaines réponses, quoique anodines, les yeux mi-clos…
Hors, c’était peut-être parce qu’elle était à l’air libre, mais le temps qu’elle prenait entre chaque déclaration lui paraissait infiniment court. Elle devait tout d’abords peser chacun de ses mots, comme par crainte de lâcher quelque chose sonnant faux, mais la seule et vraie question qui se posait restait « Pourquoi je ne peux pas le regarder en face ? » La donne avait changé à l’arrivée du surveillant, les règles du jeu aussi, bien qu’en partie elles restent ressemblantes. A un autre, elle n’aurait pas eu peur de répliquer méchamment, de l’envoyer sur les roses sans grande douceur. Ce n’est pas les larmes de ses martyrs qui l’apaisaient, ni leurs supplications. A provocation, réponse en mesure, et même sans raison, elle se laissait aller à des actes cruels, et incompréhensibles pour l’observateur.

Tears lui paraissait être de cette seconde catégorie. Discret, et tentateur, n’était-ce pas une sorte de morale qu’il essayait de lui inculquer ? Au lieu d’y aller franco, il jouait au bon samaritain ; cette dernière habitude avait la vertu de garder les pensées de la demoiselle claires. Bien que trouble, elle ne se laissait pas aller à d’impulsive réactions qui auraient démenti sa nature aux yeux de tous. Mais qu’était-elle réellement ? L’oursin incrusté de piquants, se défendant contre ses ennemis, ou quelque chose de plus subtil ? Etrangement, elle se voyait toujours sous une belle image toute propre, alors que ses actes clamaient le contraire.

Elle poussa un soupir, qui venait du plus profond de son âme. Elle était gelée à présent, le froid écharpait sa peau trop blanche ; et cependant, elle n’avait pas la volonté de rentrer se mettre au chaud. Tears le gênait, c’était clair et net, mais, paradoxalement, elle souhaitait qu’il reste là. C’était peut-être une occasion unique afin de déceler ce qui clochait chez elle et décimer l’intrus logé dans son sein. C’aurait été trop bête de perdre la tête pour une imbécillité de ce genre. Réfléchir de façon claire et concise, pour détourner le problème, ne pas s’éparpiller sur d’autres sujets :

« Ah. »

Bêtement honnête qu’il était, il devait dire la vérité. Only s’offusqua presque en s’apercevant qu’elle prêtait trop vite crédit aux paroles de l’homme, mais elle ne pouvait rien lui reprocher. Habituellement, elle avait le génie des fausses excuses aux mauvaises actions, alors que là, sa langue restait collée contre son palet, comme gelée. Elle ne devait pas se laisser attendrir, à s’ouvrir, telle un simple insecte. Jouer à ce jeu qui la dépassait aurait été se renvoyer soi-même au statut de sous-doué. L’amour n’était que pour les ménagères assoiffées de nouveauté. Hors, toute sa bonne volonté de l’instant fléchissait :

« Non, vous pouvez rester… » Souffla-t-elle

Et, alors qu’elle avait voulu y mettre une certaine neutralité, son ton lui parut suppliant, geignard. Comme elle se haïssait à cet instant… Autant être sincère à son tour, puisque la franchise était l’un de ses points forts :

« Pour décompresser. C’est bête ce sentiment que l’on a de vouloir parfois sauter d’un toit…Mais… »

Elle tourna vaguement la tête vers lui, un sourire à peine assuré flottant sur ses lèvres minces :

« Mais ce n’est pas parce que je le dis qu’il faut me croire, monsieur. »

Vaincre sa peur de le voir en face était presque qualifiable à la terreur du noir. Elle ne s’appelait pas Only pour rien, l’exclusivité de son caractère portait à croire que parfois les montagnes s’abaissaient devant sa volonté. Pourtant loin d’être à l’égale de Dieu, elle se plaisait à prier sa propre mégalomanie. Pour survivre dans cet orphelinat, il faut bien croire en quelqu’un, que ce soit dans le bien ou dans le mal. A chacun sa voie, et il faut bien inventer ses réactions en conséquence. Pour Only, la vie restait une improvisation de chaque instant. Imaginer un coup de poing, ou une expression revenait au même. Le maître mot de l’orphelinat était manipulation…

Le vent commençait à devenir irritant et froid, de ce fait Tears pouvait voir sur la peau blanche d’Only la chair de poule naître petit à petit.
Le blond avait un peu froid aussi et était découragé tandis qu’il fixait la jeune fille pour repérer ne serait-ce qu’une infime réaction. Rien que le fait de parler avec elle mettait du suspens dans sa vie et faisait fondre la monotonie, mais il y avait aussi l’angoisse permanente d’être rejeté.
Cependant, une réplique, une seule réplique suffisait pour rendre au surveillant sa conviction qu’il servait à quelque chose.

-"Non, vous pouvez rester…"

Les yeux de Tears s’agrandirent un peu, il était chanceux d’avoir vécu jusque là pour qu’on lui dise ça, surtout venant d’Only. Mais il n’eut à peine le temps de sourire que la jeune fille enchaîna :

-"Pour décompresser. C’est bête ce sentiment que l’on a de vouloir parfois sauter d’un toit…Mais…"

Aussitôt l’anxiété réapparut dans l’esprit du blond. Alors elle y pensait ?
Au moins, elle admettait que c’était bête, et elle avait raison.
Le suicide était bien une des choses les plus idiotes dans la pensée humaine. L’existence était si précieuse qu’on ne pouvait la gâcher sur un coup de tête sans penser aux autres, c’était un acte d’égoïsme pur.
On pense mourir seul, mais on entraîne tout nos proches avec nous, tués par le chagrin.
Bien sur, c’est totalement normal de penser avoir une vie qui n’a pas la peine d’être vécu, la tristesse et la faiblesse sont des caractéristiques humaines.
Le suicide n’est rien d’autre qu’une marque de lâcheté que tous les humains gardent en dernière carte, qu’ils y pensent, ou pas. L’idée était donc à la fois tout à fait normal et d’une stupidité affligeante.
Néanmoins le fait qu’Only le dise, sans ornements, cela l’inquiétait mais le calmait aussi.
Ca l'alarmait que la jeune fille y pense, même si ça peut paraître évident puisque la pensée humaine est ainsi. Cependant, cet aveu le réconfortait, penser au suicide tout seul au fond de soi est plus dangereux que partager cette pensée avec quelqu’un d’autre. Songer à finir sa vie est un signe de faiblesse, témoignant de l’anémie généralisée des êtres humains, les surdoués ne font pas exception. Et le dire c’est l’accepter et montrer une part de son humanité.
Rien que ça, c’était très important pour Tears. Ca lui montrait que les orphelins n’étaient pas des animaux sauvages, mais bel et bien des êtres humains.
Alors que le surveillant posait ses mains sur les tuiles pour se décaler, et se rapprocher d’elle, Only tourna légèrement la tête, un faible sourire aux lèvres.

-"Mais ce n’est pas parce que je le dis qu’il faut me croire, monsieur."

La jeune fille avait le visage d’une finesse incomparable et sa peau blanche faisait ressortir ses longs cils noirs qui ornaient ses grands yeux sombres.
Tears esquissa un sourire timide à cette vue, c’était comme automatique.
Ce qu’elle disait faisait aussi sourire d’ailleurs, Only avait pour habitude d’être extrêmement franche.
Sauf quand il s’agissait de "Ca n’s’reproduira pas".
A part cela, Tears pouvait croire n’importe quoi d’elle, au risque d’être manipulé. Cependant le surveillant ne savait pas si Only voulait parler de ne pas croire que ça la décompressé ou du fait que vouloir sauter est stupide.
Tears se sentit donc étrangement bête, et réfléchit à ce qu’il pouvait bien répondre mais il abandonna cette idée. Il en avait marre de calculer ses paroles comme dans une partie de Bataille Naval, même si le risque "toucher-couler" est à peu près identique. Ainsi, il répliqua naturellement avec un sourire gêné :

-"Tu peux laisser tomber l’étiquette... appelle-moi Tears."

Le regard d’Only le déstabilisait un peu, il fixa donc les bracelets de la demoiselle pour continuer :

-"Tu as raison, c’est bien ici pour décompresser… et ce serait bête de sauter. Mais…. c’est normal de se dire ça parfois, même si c’est bête… tout le monde y pense mais seuls ceux qui le font sont vraiment stupides."

En réfléchissant sur ce qu’il venait de dire, Tears s’aperçut de l’horrible connotation qu’il avait exprimé sans le vouloir. Il avait en quelque sorte insulté tous les pauvres gens qui se suicidaient. Il se mit à paniquer et voilà la résultat quand le blond ne réfléchissait pas avant : il s’embrouillait.

-"Enfin.. je dis ça.. mais y en a qui ont sûrement de bonnes raisons… après… je sais pas…"

Tant qu’elle gardait la tête tournée, elle pouvait imaginer n’importe quel visage sur le sien, des traits différents, et une voix modulée d’une autre façon. L’objet de ses fantasmes adoptait une identité X, ou Y, qui le éliminait sa gêne. Mais ce n’était pas une raison pour déclarer tout ce qui lui venait sur le cœur. Si cela avait été le cas, elle aurait eu tellement plus de choses à dire, mais, comme toutes ces filles banales et souriantes, elle se contentait d’un journal. Avec le temps, elle s’était persuadée que jamais aucun humain ne pourrait l’écouter, entre guillemets, aussi bien que ces quelques feuilles sur lesquelles elle déversait sa rancœur. Surtout contre elle-même. Nourrie à la violence, elle ne distinguait pas grand-chose de ce qui l’entourait. Le monde lui apparaissait à travers un épais filtre de papier calque, qu’il lui importait de briser à grands coups de talon, et en déchirer tranquillement toute l’étendue. Elle frappait toujours de sang-froid, brisait son entourage comme cette barrière invisible. Mais, à présent qu’elle grandissait, certaines personnes réussissaient à rester dans ses parages, sans ne plus rien craindre. Pour ces privilégiés, sa malédiction de Mr Hyde s’était inversée…

Elle détourna encore la tête, après avoir regardé « Tears » de façon si honnête. Il y avait peut-être quelque chose de nouveau à tirer de cette entrevue. Le poids de l’homme faisait grincer les tuiles, et Only ne fit que resserrer l’étreinte de ses bras autour de ses jambes maigres :

« D’accord… Tears. » Lâcha-t-elle, d’un ton faussement neutre

Le suicide ; elle n’y avait jamais réellement pensé, car il y avait bien des choses pour lesquelles cela valait la peine de s’accrocher. Elle ne comptait pas abandonner son projet musical de sitôt, et, elle n’était pas en déclin social au point de vouloir en finir avec la vie. La mort, c’était pour les lâches, ceux qui n’ont pas réussi ceux pour quoi ils ont été envoyés sur terre. Ceux qui n’ont pas le courage, ni la force de continuer, et Only ne faisait parti d’aucune de ces deux catégories. Elle se prétendait « esprit libre », et sa volonté la menait loin. Donc, le suicide n’était qu’une valeur indigne de son entendement.
Le ton du surveillant lui apparaissait trouble, vaseux. Il perdait ses mots, ses moyens. Elle avait touché juste… Si elle n’y songeait pas, d’autres étaient bien plus influençables :

« Non. Honnêtement, je n’y ai jamais songé. J’ai trop de choses à faire pour considérer la vie comme inutile, et ce n’est pas pour ma violence que je me pendrai. Les êtres brutaux ont pour coutume de ne jamais abandonner, même face à une notion aussi abstraite que celle du suicide. »

Elle laissa passer quelques instants, avant de relancer d’une voix plus sarcastique :

« Parce que vous, vous y avez d’ja pensé ? Je ne suis pas tout le monde, mais d'autres peuvent l'être.»

Garder le regard objectivement tourné vers d’autres horizons préservait ses pensées du venin narquois. Sans la rougeur de sa peau, personne ne pouvait savoir. C’était un nouveau secret à enfermer avec le reste, au sein de son cœur. Hors de question qu’elle se prenne de passion à définir la pourriture qui envahissait ses sentiments. Si ses mains n’étaient plus pures, elle tenait au moins à ce que son cœur le reste. Comme chaque orphelin abandonné à l’aube de sa vie, elle couvait une terreur de l’attachement. Elle craignait de souffrir encore plus, si elle devait éprouver quelque chose pour quelqu’un, alors la froideur de ses gestes résolvait tout la plupart du temps.

Elle humecta ses lèvres pensivement, muette, la gorge agitée d’une mélodie. La musique étant bien la seule à calmer ses incontrôlables pulsions. Mais elle ne se sentait pas d’avis à envoyer le surveillant sur les roses. Essayer de comprendre en profondeur ce qui la tracassait elle-même, à travers l’homme, serait la meilleure des thérapies.
Elle eut un sourire amusé, dénué de méchantes railleries. Le vent semblait vouloir lui arracher la peau, et elle frissonna, le temps d’un souffle violent :

« Les bien aimés se suicident, les déshérités regardent de loin. » Déclama-t-elle sagement

Tears remarqua que la jeune fille se crispa, en resserrant ses bras autour de ses fins genoux mais il ignorait si c’était à cause du froid ou de la proximité qu’il imposait.
Après l’avoir appelé par son prénom, Only répliqua d’une voix habituellement neutre :

-"Non. Honnêtement, je n’y ai jamais songé. J’ai trop de choses à faire pour considérer la vie comme inutile, et ce n’est pas pour ma violence que je me pendrai. Les êtres brutaux ont pour coutume de ne jamais abandonner, même face à une notion aussi abstraite que celle du suicide."

A vrai dire, le surveillant s’attendait un peu à une réplique de ce genre.
Il savait bien qu’Only n’était pas fille à se laisser abattre comme ça.
Pourtant, cela détruisait complètement l’hypothèse réfléchie avant. Elle n’avait donc aucunes faiblesses ? Seulement un grand mur de béton parsemé d’éclats de verres coupants ? Non, c’était impossible. Tears secoua mentalement la tête. Tout le monde avait des faiblesses, plus ou moins cachées, plus ou moins verrouillées. Mais il se refusait catégoriquement à considérer Only comme quelque chose dénudait de sentiments humains.
Il avait encore beaucoup de choses à découvrir d’elle, et il comptait bien les trouver. Si le blond voulait tellement percer la carapace de la jeune fille, ce n’était pas pour l’humilier, sûrement pas ! Cette idée lui faisait horreur au plus haut point. Il était juste persuadé qu’elle apprendrait des choses sur elle-même et qu’elle trouverait des réponses à ses questions si elle s’ouvrait plus. Comment une fleur peut-elle connaître amplement la fraîcheur de la rosée si elle reste close à jamais ? Only n’était encore qu’un bouton de rose aux épines aiguisées. Mais si on forçait ce bouton à s’ouvrir, il se déchirera comme le plus fin des papiers. Il fallait du temps et de l’eau. Et c’est cette eau, cette communication que Tears voudrait lui fournir.
Sa réflexion fut coupé par la voix de Only qui lança :

-"Parce que vous, vous y avez d’ja pensé ? Je ne suis pas tout le monde, mais d'autres peuvent l'être."

Tears fixa ses mains d’un air triste et il jouait si brusquement avec ses manches que l’une d’elle se déchira. Il avait envie de parler d’Only, pas de lui.
Le ton que la jeune fille avait employé le rendait vulnérable et il se sentit plus faible que jamais, plus chétif et plus piteux que tous les orphelins réunis.
Ou même tout le monde. L’impression d’être un petit être fragile se faisait de plus en plus fort et cette réplique le ramena plus bas que terre. Bien sur qu’il y avait pensé, c’était normal. Mais les mots d’Only raisonnèrent dans sa tête et il se sentait de plus en plus anormal. Il n’était pas comme tous ces élèves au sang froid et aux nerfs d’acier. Il n’avait rien d’exceptionnel, ni rien dont il puisse se vanter. Le complexe d’infériorité qu’il avait développé par rapport aux orphelins refit surface, mais le blond ne laissa rien paraître et tourna la tête dans le sens opposé de la jeune fille. Il ne méritait pas sa place ici, il voulait être avec des gens normaux. Cependant il refusa sa pensée, les orphelins étaient des gens normaux, il en était persuadé !
Ils cachaient juste leur normalité… juste ça… il le savait…
Le vent violent le décoiffa pendant que les nuages assombrissaient le ciel de leurs présences.

-"Les bien aimés se suicident, les déshérités regardent de loin."

Vu ainsi, Tears semblait privilégié de la vie, et pourtant un étrange sentiment humidifiait ses yeux. Il savait bien qu’il avait eu une vie bien plus heureuse que la plupart des orphelins, il savait bien que sa vie était facile. Il choisissait toujours la passivité. Peut-être que s’il devenait plus impulsif, il regarderait de loin comme le dit Only ?
Pourtant, il était joyeux la plupart du temps même s’il se sentait parfois minable. Et se sentir pitoyable était la preuve d’encore plus de médiocrité ? Quel cercle vicieux…
Il fallait vraiment que Tears apprenne à vivre au jour le jour, peut être que son complexe disparaîtra de lui-même.
Pour l’instant, il devait casser ce silence pesant.

-"Eh bien… je… évidemment.. je suis sûrement tout le monde… trop quelconque…"

Et de fines gouttes d’eau tombèrent du ciel, il commençait à pleuvoir faiblement. Mais il n’avait aucune envie de bouger.

« Vous êtes amusant vraiment. La plupart des gens ici sont capables de répondre à toutes les questions, mais vous… vous n’y arrivez pas. Etes-vous sûr d’être à votre place ? » Interrogea-t-elle, avec une curiosité macabre

A proprement parler, Only n’était pas d’humeur joyeuse, mais ce n’était pas une nouveauté ; et c’était son indifférence inhabituelle précisément qui la poussait à parler autant. Comme tout orphelin de la Wammy’s House, elle analysait en permanence ce qui l’entourait. Une vieille manie propre aux intelligents de ce monde. Ce qui lui apparaissait en face des yeux, elle se prenait parfois d’envie de l’observer, de disséquer le petit monde qui l’enveloppait. C’était presque mécanique ; un rien suffisait à attirer son attention. Tears, étant donné que la Wammy’s House n’employait jamais des « imbéciles », devait être pareil, malgré ce que les apparences pouvaient laisser penser. Only en était à un point trop éloigné de la réalité pour juger uniquement sur la personnalité. La brutalité maladive suintait de son être, telle une mauvaise maladie ; à un point qu’elle mettait mal à l’aise rien qu’en étant à proximité d’un être quelconque. Elle se demanda avec un intérêt expérimental, si Tears ressentait aussi ce vague à l’âme, si le bredouillement de ses phrases était dû à sa présence. Mais, en l’ayant parfois observé discrètement, elle s’était rendue compte que c’était cette étrange maladresse qui le rendait attirait, le fait qu’il ne sache pas si bien placer ses mots par rapport à l’entourage dans lequel il évoluait. En six ans, il n’avait pas évolué.

Les surdoués n’avaient en commun qu’une seule chose : ils ne changeaient pas. Les années pouvaient passer, ils restaient égaux à eux-mêmes, préservé de l’influence négative du temps sur le caractère. Un tempérament, décidé à l’avance pour un être « normal » évoluera, deviendra toujours meilleur, ou au contraire détestable, alors qu’eux, ils couraient sur place, à la recherche du néant.

Une goutte glacée heurta la tempe de la jeune fille, l’obligeant à redresser le cou vers le ciel. Une deuxième larme suivit la première, et glissa le long de son bras dénudé. Les lèvres à peine entrouvertes sur un souffle léger, Only prit la peine de se recroqueviller encore plus, en position foeutale, comme si elle désirait se fondre en elle-même ; afin de se préserver le plus possible des nouveaux assauts inventés par le temps anglais :

« Il fait froid. » Lâcha-t-elle, d’un ton presque trop banalement plat

Elle constatait juste l’humidité de l’Angleterre. Le tonnerre grondait déjà au-dessus de Winchester, petite ville presque lointaine, et avançait à grands pas vers l’orphelinat, laissant entendre les échos de sa fureur. Les gouttes légères qui ruisselaient sur leurs épidermes n’étaient qu’un début. Mais, peut-être comme l’homme, elle ne souhaitait pas rentrer. La jeune fille, dans toute l’étendue de son impulsivité, sentait qu’elle avait une occasion de racheter ses fautes, au moins aux yeux de ce surveillant-là, et sa considération à lui vaudrait bien au moins les autres. L’attrait de la chaleur faisait peu de poids, à côté de cette perspective, et retrouver le pépiement énervant des orphelins ne ferait que la conforter un peu plus dans ses résolutions de violence. Frapper avec franchise. Les coups sont parfois aussi significatifs que les mots. Et pour une fois, Only se trouvait bien bavarde…

Elle frotta longuement sa chaire, le temps de la réchauffer. De blanche, sa peau passa au rose délicat, presque aussi appuyé que sur ses joues, seules victimes physiques de son attirance.

Hors, elle se savait plus à l’aise par pluie et tonnerre, que par rayons de soleil. Même mentalement, elle se comparait plus à une tempête qu’à un jour de beau temps :

« Mais si vous êtes ici, malgré ce que j’ai dit, c’est que vous n’êtes pas aussi quelconque que vous voulez le croire. Vous vous nommez… tout le monde, en imaginant ainsi pouvoir résoudre les problèmes, alors que, en vous posant de cette manière, vous êtes pris en dérision. On ne respecte pas les inférieurs, et pour des orphelins ayant grandi leur vie durant dans l’objectif qu’ils devaient être meilleurs que… votre Tout le monde, celui qui se présente ainsi est automatiquement bizuté. »

Elle ne lui apprenait sûrement rien de nouveau; mais elle aimait parfois parler, rien que pour entendre sa propre voix, ce timbre profond qui mourrait en échos lointains, lorsque le vent l’emportait. Elle déclarait ses conseils, dont il n'avait vraisemblablement rien à faite, juste assez fort, pour que lui seul l’entendre, de manière à ne pas crier, ni chuchoter. Son ton égal déblatérait au final ce qu’elle considérait comme étant juste. Pourquoi devrait-elle mentir à lui, et uniquement à lui, alors que ses habitudes étaient tout le contraire ? Peut-être voulait-il l’aider lui aussi, mais il était déjà sûr, défini à l’avance, qu’il allait se casser le nez sur sa défense. Comme quoi, sa protection physique ne s’étend pas seulement à ses poings gantés de cuir…

-"Vous êtes amusant, vraiment. La plupart des gens ici sont capables de répondre à toutes les questions, mais vous… vous n’y arrivez pas. Etes-vous sûr d’être à votre place ?"

Voilà bien une des questions qu’il redoutait le plus au monde. Alors elle le pensait, elle aussi ? La jeune fille devait le prendre pour le plus profond des imbéciles. Bien que Tears ait un Q.I de 186, il ne s’était jamais senti profondément intelligent ni profondément idiot. Enfin, c’est ce qu’il se disait car il se sentait si bête parfois…
Cela était assez rare et pourtant, le cas se présentait en ce moment même.
Bien qu’il sache quelles capacités hors du commun s’offraient à lui, il n’a jamais voulu les utiliser. Pour lui, il y avait des choses bien plus importantes que l’intelligence. Les vertus humaines étaient nombreuses, tout comme les défauts et l’humanité, la loyauté, la confiance… tout ça lui parlait beaucoup plus que la simple notion "d’intelligence".
Bien sûr, cette notion était ce qui séparait les humains des animaux… mais Tears avait une intelligence propre qu’il développait à sa façon.
Il modelait sa perspicacité pour en faire autre chose. C’est pour cela que Roger l’avait embauché, lui. Il aurait pu choisir un homme brillant maîtrisant à la perfection tout les arts, la philosophie et les sciences.. mais cela faisait-il de lui un bon surveillant ?
Apparemment, Roger recherchait tout autre, et il l’avait trouvé.
Bien sûr, la remarque d’Only avait cruellement blessé le chétif surveillant d’autant plus qu’elle justifiait ses craintes. Et là, il regretta le fait de ne pas avoir développé son intellect… mais le fait que Roger l’ait choisi malgré cela mettait un peu de positif dans ses pensées.
Ainsi la jeune fille avait dit qu’il était amusant… c’était plutôt plaisant… alors pourquoi une larme perlait invisiblement dans les yeux du blond ?
Alors que la perle transparente se mêlait à la pluie, il essuya vivement son visage avec sa manche, ses idées contradictoires faisant bataille dans son esprit. Tears se sentait bien ici, à Wammy’s House, il se sentait à sa place dans le sens où il était utile. Par contre, dans les autres domaines, c’était tout à fait autre chose. Exclu était le mot correct.
Pourtant si le surveillant témoignait de ses faiblesses, il savait être fort.
Sans savoir encore si sa place ici était légitime, il redressa la tête.

-"Il fait froid."

Ah, tiens c’est vrai. Il faisait froid. La jeune fille tremblait faiblement, ses membres se crispaient tandis que de claires gouttes de pluie gouttaient le long de son obscure chevelure.
S’il avait un manteau, Tears le lui aurait donné depuis longtemps déjà, mais seuls deux t-shirt recouvraient sa peau. Il s’agissait de son habituel duo de t-shirt manches courtes par-dessus t-shirt manches longues qui parfois, n’allaient pas du tout ensemble. Toutefois aujourd’hui, il avait opté pour un t-shirt bleu et l’autre orange pâle, deux couleurs complémentaires.
D’ailleurs, Tears n’avait aucunement besoin de deux t-shirts, et si une élève avait froid, alors il fallait qu’il s’en passe.
Pendant qu’il s’affairait à essayer d’enlever son haut orange, celui à manches longues, Only avait repris la parole. Des perles translucides coulaient le long de son visage et jouaient au compte-goutte sur chacune de ses nombreuses boucles d’oreilles.

-"Mais si vous êtes ici, malgré ce que j’ai dit, c’est que vous n’êtes pas aussi quelconque que vous voulez le croire. Vous vous nommez… tout le monde, en imaginant ainsi pouvoir résoudre les problèmes, alors que, en vous posant de cette manière, vous êtes pris en dérision. On ne respecte pas les inférieurs, et pour des orphelins ayant grandi, leur vie durant, dans l’objectif qu’ils devaient être meilleurs que… votre Tout le monde, celui qui se présente ainsi est automatiquement bizuté."

Le blond se stoppa dans son activité pour analyser mot à mot les paroles d’Only. Il les pesait un à un, les associait et les mettait à nu.
La conclusion était que la jeune fille n’avait tiré que du positif. Bon, le fait d’être bizuté, il ne le comptait pas en négatif puisqu’il le savait… et il y avait aussi cette connotation "pouvoir résoudre les problèmes" qui le traitait un peu de lâche, mais ça aussi il le savait… tout ce qui comptait, c’était le reste. Et le fait qu’elle le dise comme tel, sans l’étouffer de quelconques mots touchait encore plus le cœur de Tears.
Le surveillant se tourna vers Only avec un sourire de remerciement sur les lèvres. Elle semblait si sincère, si pure en disant cela.
Le surveillant se sentit tout de suite mieux, et aussi un peu plus unique.
Soudain, le vent froid lui glaça la nuque et il se rappela son activité initiale.
Contraint d’enlever ses deux habites pour prendre celui du dessous, le surveillant, les joues rougis se retrouva momentanément torse nu sous la pluie qui devenait de plus en plus battante. Il remit cependant son t-shirt à manches courtes, non qu’il avait atrocement froid (un simple t-shirt ne réchauffait en rien de toute façon) mais plutôt qu’il avait peur de paraître obscène aux yeux de la jeune fille. Sinon il aurait volontiers prêté ses deux t-shirts.
Une fois revêtu du tissu bleu, le blond tendit son autre t-shirt à Only.
Les manches longues, ça tiens plus chaud et le orange lui irai bien.
Pendant son geste il décida de prendre la parole, le brouhaha de la pluie recouvrant un peu sa voix :

-"C’est vrai…que parfois, je me sens un peu exclu… mais je ne quitterais cet endroit pour rien au monde. D’autant plus que… tes paroles m’ont redonné de la volonté. Et… si tu veux rentrer au chaud, dis le…"

Il souriait, rayonnait presque… mais une voix pestait faiblement au fond de lui "Je ne veux pas parler de moi, je veux parler de toi…"
Aussitôt, il reprit :

-"Et toi… tu te sens bien ici ?"

« Et vous voilà galant. » Observa la jeune fille, lorsqu’elle remarqua le bras tendu de l’homme, au bout duquel pendait le tee-shirt orange à longues manches

Elle ne pu s’empêcher de se sentir singulièrement émue, prise en considération alors qu’il aurait pu la laisser geler dans le froid. Mais, encore une fois, elle chercha à se persuader intérieurement que tout cela n’était qu’une manœuvre pédagogique, pour lui tirer les vers du nez. Ce n’était qu’une technique sournoise de plus, malgré toute sa gentillesse, Tears ne pouvait pas être aussi honnête. Enfin, il la considérait comme une fille à part entière, visiblement, c’était déjà cela…
Elle prit machinalement le vêtement, le retournant sous toutes ses coutures pour en palper l’étoffe. Il en exhalait un parfum d’homme, doux et musqué, cette odeur la rassurait, presque autant que cette attention. Elle ne le savait pas si généreux, et ses lèvres esquissèrent un sourire affectueux, face au ciel. Elle tenait à cacher l’émotion mue par ce prêt fort galant.

Son cœur s’accéléra, et Only retira rapidement son propre débardeur, toujours aussi noir que ses habitudes, exhibant un court instant un soutien-gorge sombre et bombé. Avant de n’avoir le temps de gêner l’homme, elle enfila d’un geste souple le sweat, la chaire de son buste tendue par le vent glacé. Elle n’avait elle-même pas vu le court dénudement de l’homme, bien trop concentrée sur ses sacro-saints nuages ; aussi, elle ne se demanda pas, en se retournant, la raison pour laquelle le tee-shirt bleu était soudainement passé en deuxième position sur son corps tout en longueur. La jeune fille posa son débardeur à côté d'elle, et, de peur qu'il s'envole, garda un oeil dessus.

Le rose marbrant ses joues n’en devint que plus insistant, charmante touche de couleur sur sa peau marmoréenne, alors que la chaleur l’envahissait par vagues agréables. Le vêtement avait encore la chaleur du corps de l’homme, et à l’idée que cette étoffe orange soit restée en contact longtemps avec l’épiderme du surveillant, Only sentit son visage s’enflammer. Recroisant ses bras sur ses genoux, mains dissimulés dans les longues manches, elle souffla d'une telle façon à ce que ses mots soient emportés par le vent :

« Merci. »

Et la voici humble et discrète ; son caractère étant néanmoins tout autre, son cœur tremblait dans sa poitrine. Si fort qu’elle pensait qu’il pouvait l’entendre. Mais le grondement de l’orage se gardait bien de dévoiler le tambour battant qui cognait en son sein avec fureur.
La pluie se fit plus insistante, et la jeune fille prit son temps avant de répondre, d’une voix où perçait une touche d’émotion mal contenue :

« Non, je suis bien ici. Mais c’est pour vous plutôt, vous devez avoir froid. Je ne savais pas que j’étais capable de faire sourire quelqu’un. »

Elle posa le menton sur ses avant-bras croisés, un sourire tremblant flottant sur ses lèvres minces. Elle porta une main à son oreille, jouant distraitement avec un anneau doré, emmêlant ses mèches noires. On ne l’avait pas habituée à être gentille avec… les inconnus, et elle se découvrait tout à coup une part admirable de mots rassurants. Au premier abord, on la regardait toujours d’un mauvais œil, mais pour Tears, qu’elle voyait depuis des années, l’impression physique devait être passé depuis longtemps.
Elle ne sut d’abords si ses mots l’avait blessé, les premiers. Elle n’avait nullement souhaité le vexer, en lui posant la question sur sa place ; c’était plus une demande psychologique, dans toute la splendeur de sa franchise. Mais de toute façon, elle ne pouvait effacer ce qu’elle avait dit ; d’où sa croyance au destin, elle ne souhaitait jamais retourner en arrière. « Ce qui est fait le reste. Si c’était à refaire, je n’essayerai même pas. » :

« Non. Mais je n’ai pas le choix. Je n’aime pas la nourriture ici, je n’aime pas l’ambiance. Cependant, je ne saurai pas où aller si on me mettait à la porte. La Wammy’s House est devenue mon unique foyer ; si vous n’arrivez plus à imaginer la quitter, c’est que vous devez penser la même chose. Ailleurs, on me regarderait encore plus de manière étrange ; ici, je n’ai pas trop à me cacher, ou à dissimuler mes pensées, alors que dehors, le monde est hypocrite. »

L’orage s’approchait de plus en plus rapidement, et Only enfouit sa tête entre ses bras, rendant sa voix légèrement étouffée par le vacarme de pluie sur les tuiles. Les gouttes transperçaient le sweat, le vent cinglait ses joues, mais elle n’avait toujours aucun désir de rentrer, seulement de parler, mais à propos de lui, et aussi d’elle. Apprendre à le connaître peut-être, car tout avait commencé de la même manière que lorsque Alchemy avait commencé à l’approcher. D’abords la violence, et ensuite la tendre amitié. Plusieurs choses ne changent pas, malgré les différents protagonistes, et pour Only, son attachement durable, son calme restaient des choses qu’il fallait gagner… De toute l'orphelinat, elle était sûrement dans le top 5 des personnes les plus difficiles à apprivoiser.

La pluie s’amplifiait et de l’eau miroitante s’écoulait le long du visage de Tears, mais ce dernier n’y pensait même pas. Les douches froides étaient bonnes pour la circulation du sang.

-"Et vous voilà galant."

Tears esquissa un sourire faible et se passa la main dans la nuque en observant le ciel si prévisible. Les larmes froides avaient pris possession de chaque millimètre carré de sa peau veloutée et ses cheveux imbibés d’eau lui tombaient sur le visage. Le tout lui donnait un air encore plus triste qu’à l’ordinaire et pourtant, il était heureux.
Alors qu’il distinguait un énorme nuage en forme de pingouin, le blond remarqua du coin de l’œil que la jeune demoiselle avait l’intention de retirer son haut. Aussitôt, il vira la tête dans le sens opposé. C’était comme un reflex. Il n’avait nullement envie de se faire passer pour un quelconque pervers. Heureusement, Only fut très rapide si bien que le jeune homme recommença son observation du nuage pingouin… qui était devenu une grosse masse grise qui crachotait incessamment le dénouement du cycle de l’eau.

-"Merci."

Décidément, ce t-shirt allait parfaitement à Only et l’idée de le reprendre un jour ne venait même pas à l’esprit de Tears. Par curiosité, ce dernier jeta un œil sur sa montre en plastique verte qui ressemblait étrangement à un jouet pour enfants.
Il n’était pas du genre matérialiste, une montre tant que ça montre l’heure c’est toujours bon à prendre, alors pourquoi changer ? Cette dite montre lui indiquait 20h passé. Déjà si tard ? Ce n’était pas très étonnant que le ciel commençait à être si sombre.
Le vent giflait les arbres et renvoyait les gouttes de pluie à la face du blond.
Bien qu’il ait l’air fragile, cette brutalité lui faisait du bien. Ca le réveillait, le revitalisait et lui donnait l’impression d’exister.
Il préférait l’humidité au sec. Le sec abîmait la peau et l’eau la réhydratait, cela marchait de la même façon avec l’esprit de Tears. Et les paroles semblaient beaucoup plus douces quand elles étaient prononcées derrière le violent brouhaha de l’orage.

-"Non, je suis bien ici. Mais c’est pour vous plutôt, vous devez avoir froid. Je ne savais pas que j’étais capable de faire sourire quelqu’un."

En effet il avait froid, seulement cela lui importait peu même si ses membres tremblaient et sa peau frémissait, ce n’était pas désagréable. Les périodes de pluie, par rapport à l’étouffante chaleur des jours d’été, étaient des bouffés de fraîcheurs permanentes. Tout semblait si pur sous la pluie, que ce soit un arbuste, une parole ou un sourire. D’ailleurs, il était flatté de savoir que le sien avait autant touché Only, tout comme ceux de Only le touchaient lui.
C’était ça le principe "toucher couler", les mots étaient assez explicites ainsi. Néanmoins ici, on devait plutôt dire "toucher ou couler" car le blond n’oserait jamais toucher puis couler.
Profiter de la proximité d’une personne et de s’en servir contre elle, rien que l’idée faisait vomir le surveillant d’avance.
Vraiment, si Tears était une barque et Only un sous-marin, la barque ne profiterait jamais que le subaquatique soit à la surface pour l’aborder et le piller. Il lui indiquera juste la route à suivre pour qu’il trouve le trésor qu’il cherche.
Ainsi, Only ignorait qu’elle était capable de faire sourire quelqu’un, tout comme un sous-marin qui ignore les armes qu’il possède.
Et ces qualités, que la jeune fille ignorait encore, Tears aimerait qu’elle les découvre, pour qu’elle puisse juger de son potentiel entier, sans se renfermer constamment. Des propriétés celées, le surveillant était persuadée qu’elle en possédait par centaine. Hélas, s’il n’y a aucune situations qui lui permettent de les découvrir, alors les trouvera-t-elle ?

-"Non. Mais je n’ai pas le choix. Je n’aime pas la nourriture ici, je n’aime pas l’ambiance. Cependant, je ne saurai pas où aller si on me mettait à la porte. La Wammy’s House est devenue mon unique foyer ; si vous n’arrivez plus à imaginer la quitter, c’est que vous devez penser la même chose. Ailleurs, on me regarderait encore plus de manière étrange ; ici, je n’ai pas trop à me cacher, ou à dissimuler mes pensées, alors que dehors, le monde est hypocrite."

Tears hocha la tête. Il était d’accord, mis à part pour la nourriture… il faut dire que le surveillant n’était pas trop compliqué niveau alimentation.
Et si l’ambiance était mauvaise, ça devait être de sa faute. Il était surveillant, et à cause de son autorité médiocre, les élèves étaient turbulents.
Sans oublier cette tension qui coule dans les veines de chaque orphelins… elle coule, elle se transmet de faux sourire en faux sourire pour contaminer le plus d'élèves.
Le surveillant comprenait cette douleur même s’il ne pouvait en évaluer le tourment obtenu…
N’avoir nul part où aller, le surveillant ne connaisait pas non plus. Tears savait que sa sœur, même si elle était en hollande, serait toujours prête à l’accueillir. Cependant, ici, c’était son nouveau chez lui et le blond savait qu’il se sentirait étranger dans l’appartement de sa sœur.
L’orage s’intensifia alors, un flash éclaira soudainement les nuages puis, quelques secondes après un grondement sourd retentit. Le surveillant se pencha alors vers Only, pour qu’elle puisse entendre ce qu’il avait à dire sans hausser le ton.

-"Je suis sure qu’il n’y a pas que moi que tu fais sourire… et l’ambiance…c’est à cause de cet compétition ?"

Il avait envie qu’elle lui confie son tourment, ses peurs et ses craintes. Tears voulait les recueillir en lui et les porter avec elle pour alléger son dos.

-"Pour l’unique foyer, j’ai l’appartement de ma sœur…mais je ne la considère pas trop.. comme un chez moi… il faudrait la remplir d’orphelins pour que je m’y sente à l’aise…"

Le blond souriait, il venait de faire de l’humour ? Ah ? Ce n’était pas très drôle, mais lui ça le faisait sourire. D’ailleurs il souriait beaucoup en ce moment...

Only se mordilla nerveusement la lèvre inférieure. Où pouvait être l'erreur ? Ce n'était peut-être qu'un simple hasard, mais si elle se prenait d'envie de mieux connaître Tears, c'est que quelque chose ne tournait pas rond. Dans sa tête, il y avait ce désir, presque oppressant et plus intelligent que le reste. L'amour est censé rendre stupide ? Et bien non, pas vraiment. Au contraire, elle se sentait emplise d'une étrange félicité, qui chatouillait secrètement son estomac. Et elle su par avance que ce soir-là, elle n'arriverait pas à manger grand chose. Déjà qu’elle ne se nourrissait pas grand-chose habituellement ; si un « parasite » devait en plus la fasciner à ce point, elle ne marcherait plus correctement d’ici quelque temps. C’est toujours ainsi que cela commence ; on tombe amoureuse, et on finit le cœur brisé. Expérience extra-libra sous entendue évidement. Les ingénues de Voltaire n’ont que ça à faire, tomber amoureuse, et ce ne leur a jamais sauvé la vie. Pour une jeune fille aussi rebelle qu’Only, avouer son dégoût par rapport à ces choses qu’elle ne comprenait pas revenait à se suicider mentalement. Il ne fallait surtout pas accéder aux désirs de son subconscient…

Comme s'il en fut l'unique responsable, elle braqua ses grands yeux noirs sur Tears, avec une grande sévérité qui ne lui était pas familière. La pluie collait ses mèches sombres à ses joues, et coulait dans sa nuque, provoquant des frissons justement mérités le long de sa colonne vertébrale.
Une goutte, peut-être mieux placée, dégoulina le long de son menton pour se perdre dans les méandres de son décolleté, haussé de quelques centimètres par le sweat orange. Elle tira sur les manches, histoire de couvrir efficacement ses mains de la fraîcheur. A travers les maillons serrés du tissu, sa peau lui apparut lisse et trop pâle. Ses multiples bagues étincelèrent d'un éclat lugubre, reflété par la lueur vague d'un astre lointain. La jeune fille redressa lentement le menton, afin d'opposer un sourire assuré au vent hurlant. Il était hors de question qu’elle baisse la tête devant ça, ni même pour Tears d’ailleurs. Tours faire face, fière et orgueilleuse. Si elle lui parlait, ce n’était que fausse tendresse, niaiseries ! :

" En effet, il faut avouer que mes... traits d'humour manquent un peu de souplesse. Et si je ne supporte rien ici, c'est à cause de moi-même et non de l'ambiance. C'est comme ces héros de roman qui se fuient pour ne pas blesser les autres. Mais comme je n'ai personne à protéger, cela m'est égal de voir mon visage tous les matins dans la glace. "

Elle renifla distraitement, tripotant alors le bracelet qui pendait de son poignet gauche. Le métal entra en résonance avec l'une de ses bagues, tintement soyeux au milieu de l'orage. Mais elle, comme tous les orphelins, avait connu pire. Ce n'était pas un tempête qui allait la tuer...

" Si vous voulez tant des orphelins, la SPA en est remplie. "

Au ton de sa voix, chacun pouvait deviner que son moment de grande bonté était terminé. La jeune fille avait fait sourire quelqu’un, c’était donc terminé pour l’instant. Elle se refermait sur elle-même comme un coquillage, pliait bagages, tant elle se persuadait d'être faible en parlant ainsi... Elle ne croyait surtout pas attendrir quelqu'un, et surtout pas lui.

Elle prit à nouveau son étui à cigarettes, et s’alluma l’une des dernières, visiblement avec délectation. La flammèche grésilla longuement avant d’allumer le tabac, et la jeune fille pompa avec assurance sur le filtre. La pluie mouilla presque immédiatement la clope, mais elle continuait à fumer, comme si, effectivement, la nicotine pouvait entraîner avec elle ses soucis de petite minette. Elle devait en finir avec cette sensation lourde dans son estomac, cet appétit tué à petits feux, ce cœur battant à chacune des apparitions de l’homme. Sinon qu’était-elle de plus, qu’une adolescente guimauve amoureuse ?

Alors qu’il faisait de plus en plus froid et de plus en plus sombre, Tears remarqua un changement dans le regard d’Only dont les yeux brillaient dans l’obscurité.
Il pouvait lire dans ses pupilles une accusation muette aussi sévère que les éclairs qui animaient le ciel.
Avait-il dit quelque chose qu’il ne fallait pas ?
Les éléments se déchaînaient aussi bien dans la tête de Tears qu’au dehors.
La jeune fille était si imprévisible, on ne pouvait jamais savoir ce qu’elle pensait, ce qu’elle allait faire ou prévoyait de faire. Elle était comme l’éclair foudroyant qui ne frappait jamais deux fois au même endroit. Etincelante, d’une violence aveuglante mais la lumière disparaît aussi vite qu’elle était apparue, laissant un grondement jaillir d’entre les nuages. Puis le calme.
Mais l’éclair pouvait réapparaître n’importe quand, n’importe où.
Devant le regard fixe d’Only, le jeune surveillant se trouva déstabilisé.
Il se mit aussitôt à sentir le froid sur sa peau. La froideur du vent qu’il tentait d’ignorer surgit pour lui glacer les tempes et raidit sa colonne vertébrale.
Des spasmes lui parcouraient la peau pendant qu’il tentait de cacher ses jambes tremblantes, il n’y avait pas un seul centimètre de sa peau qui n’était pas mouillé par l’eau glaciale. Demain, il aurait sûrement un bon rhume.
Après un sourire convaincu, Only redressa la tête en disant :

-"En effet, il faut avouer que mes... traits d'humour manquent un peu de souplesse. Et si je ne supporte rien ici, c'est à cause de moi-même et non de l'ambiance. C'est comme ces héros de roman qui se fuient pour ne pas blesser les autres. Mais comme je n'ai personne à protéger, cela m'est égal de voir mon visage tous les matins dans la glace."

Toujours tout supporter soi-même. C’était donc une des devises de la jeune fille ? Alors qu’il y avait dans cet orphelinat tant d’épaules solides sur qui on pouvait compter. Only n’avait pas encore trouver la bonne personne.
Elle avait l’air d’accorder difficilement sa confiance aux gens, ce qui était légitime entre autres. Le surveillant pria pour qu’elle trouve cet individu qui, un jour, prendra sur lui un peu de sa douleur.
De plus les héros de romans sont les héros de romans, et ils sont bêtes d’ailleurs. Les anti-héros sont bien plus intéressants et fascinants que ces autres preux chevaliers ternes.
Mais anti-héros ou héros, ils ont toujours un allié. Quelqu’un qui les aide, qu’on ne voit pas mais qui est bien là. Un protecteur visible ou invisible pour aider l’humain dans sa tâche.
D’ailleurs, même si on n’a personne à protéger, il y aura toujours un concept qu’on voudra défendre… ou pas.
Tears appuya ses bras sur ses genoux repliés vers lui pendant que de fines gouttes tombaient de ses cils.
La pluie lui martelait la peau, ses lames plus aiguisées que jamais.

-"Si vous voulez tant des orphelins, la SPA en est remplie."

Le surveillant fit une moue triste, son humour était une fois de plus incompris ! Ah, malheur à lui… c’était pourtant si rare qu’il en fasse preuve.
Tears était frustré, il avait ce visage d’enfant boudeur qui lui allait si bien.
Il réfléchit pour savoir si la phrase d’Only était humoristique, mais vu le ton employé, ce n’était pas le cas. SPA…Société Protectrice des Animaux.
La jeune fille se comparait donc, elle et les autres à des animaux, c’était cruel mais compréhensible.
Etre élevé dans un but précis, éduquer et garder en cage, rien de tout ça n’était très joyeux. Peut-être bien que c’était vrai, que Tears n’était rien d’autre qu’un bénévole de la SPA. Il fronça les sourcils à cette idée.
Non, jamais. Jamais il ne considérerait ces orphelins comme des animaux ! Ce concept l’écœurait.
Néanmoins pour la métaphore, rien que pour la métaphore, le blond se dit que si Only devait se réincarner, ce serait en chat. Un chat sauvage d’une beauté extraordinaire avec le poil soyeux et des yeux impénétrables.
On l’approcherait, et il fuira, alors on l’approchera encore, à petit pas pour ne pas l’effrayer… et quand on se dira que c’est bon, quand le félin sera à quelques centimètres de nous… on tendra la main. Le fauve reniflera et s’en ira. Et, incapable de le suivre dans sa dextérité foudroyante, on restera là, frustré.
La jeune fille s’alluma une cigarette. Le surveillant détestait l’odeur du tabac et même si le vent et la pluie l’évacuaient, le blond fourra son nez dans ses bras, toujours appuyé sur ses genoux.
Puis d’une voix adorablement boudeuse il prit la parole :

-"Tu sais… il y a sûrement des gens ici qui seront ravies de t’aider à… supporter cet endroit…"

Puis releva la tête et mis sa main devant sa bouche pour pouvoir tousser un grand coup.
A cette heure là, les orphelins devaient être en train de dîner.

Sa belle voix, au ton si grave et harmonieux, risait d'être abîmée par le fraîcheur nocturne. Avec les derniers mots du surveillant, Only sentit une boule épaisse se former dans sa gorge, quelque chose de très douloureux visiblement, et cela allait en grossissante, toujours plus imposant. Comme ces chagrins qui deviennent de plus lourd, impossible à maîtriser. Mais Only avait envie de tout, sauf de fondre en larmes.

L'idée lui arracha un sourire. Les gouttes bleues, provenant d'un autre endroit que du ciel, noieraient son visage dans le mascara, ses longs cils se perdraient dans son regard profond et sa bouche tordue exhalerait un long hurlement de douleur. De mémoire, cela n'était jamais arrivé. Devenir folle au point de crier avec tristesse, et se rouler par terre; c'était tout simplement absurde, comme une oeuvre de Ionesco qu'on se prend d'humeur à toujours relire. Le scénario ne change jamais, et ne risque pas de se réaliser...

Elle s'essuya le visage de la longue manche pendante, étalant un trait de noir sur le marbre de ses joues. Elle ne voulait pas de ce genre d'aide; ce qu'elle désirait était ailleurs, même un peu flou. Only se prit d'humeur à regarder de nouveau le surveillant; ses lèvres s'entrouvrirent sur ses blanches dents, alors qu'un éclair zébrait le ciel avec violence. Le sweat ne l'avait pas protégée longtemps de l'averse qui menaçait leurs têtes. Et à présent, ses bras trempés se couvraient de chaire de poule, se faisant glacés contre sa poitrine maigre. Elle grelotta, détournant la tête vers d'autres horizons :

" Croyez-vous réellement à ce que vous dites ? Je ne veux pas de ce genre d'aide, je ne souhaite même pas être aidé. Je suis bien comme ça, et je ne veux rien d'autre ! "

Elle planta sa cigarette entre ses lèvres bleuies par le froid, et aspira une longue bouffée de nicotine. Elle l'expira par le nez, lentement, voyant sa clope peu à peu se refroidir dans sa main. La pluie noyait l'étincelle, malmenait le tabac, plaquait ses cheveux noirs contre son crâne et enrouait sa voix. Déjà la consconnance s'en faisait plus dure, comme si elle sortait d'une caverne, et moins agréable à entendre. Pourtant, maintenant, elle aurait eu envie de chanter. " I believe I can fly. " So kitch !

Elle passa sa main dans ses cheveux mouillés, avant de jeter sa cigarette à moitié entamée dans le vide. Le mégot roula sur le bord du toit, et, poussé par le vent, se décida enfin à sauter vers sa fin. C'était banalement stupide d'imaginer une vie à ses objets utilitaires.
Only posa les yeux sur son bracelet à pic, s'humecta les lèvres :

" Ca fait 13 ans que je suis ici, c'est un peu tard. Mais bon, merci quand même. Mieux vaut prévenir que guérir... "

Elle haussa les épaules avec fatalisme; non, tout compte fait, elle n'en avait plus rien à faire. Treize ans effectivement c'était un peu long, et quelques mois encore avant la liberté... A supposer qu'ils la laissent partir. Berry, et ses vingt ans, était toujours plantée là. La Wammy's House n'était qu'un immense miroir de l'Alice, trop cruel pour être réel. Et finalement, elle-même n'était qu'un pion de la Reine Rouge.

Elle baissa délicatement les yeux sur ses lourdes chaussures, pensant à se déchausser pour s'enfuir plus vite, dans le pire des cas. Elle voyait la bienveillance de Tears s'infiltrer dans son âme... et cela lui faisait du bien, honteusement. Il commençait à la touche malheureusement, cette gentillesse dont il faisait preuve était peut-être ce qui lui manquait depuis tant d'années...

La peau d’Only devenait de plus en plus bleui tandis que Tears ne sentait même pas le bout de ses propres lèvres tellement le vent glacial le congelait petit à petit.
Le surveillant aimait les temps frais, mais il y avait une différence entre un petit temps rafraîchissant et une tempête glaciale qui clouerait n’importe quel ours polaire sur place.
La jeune fille grelottait de froid, le fin t-shirt entièrement trempé lui faisait comme une seconde peau et, au bout d’un moment, elle tourna la tête pour montrer à Tears la beauté de ses yeux ébène. Un trait noir s’étirait sur sa joue blanche, c’était un contraste fascinant. De lourdes mèches qui lui barraient le visage lorsqu’elle ouvrit délicatement la bouche pour parler.

-"Croyez-vous réellement à ce que vous dites ? Je ne veux pas de ce genre d'aide, je ne souhaite même pas être aidé. Je suis bien comme ça, et je ne veux rien d'autre !"

Bien sur qu’il croyait ce qu’il disait, il savait, il était certain qu’il y avait une personne qui serait ravi de l’aider. Cette personne, c’était lui. D’ailleurs… qu’est ce qu’Only voulait dire par "ce genre d’aide".
Le blond, sa mèche devenant de plus en plus lourde sur son visage refroidi, fronça légèrement les sourcils pour réfléchir. De quel genre d’aide voulait-elle parler ?
Pour lui, cela signifiait juste se raconter des potins, jouer au scrabble ou tout simplement prendre de ses nouvelles. Les blessures d’Only, il le savait, ce n’est pas en un jour qu’il les découvrirai et qu’il sera capable de les soigner. Mais avoir quelqu’un sur qui compter était comme un antidouleur, et un jour une relation de confiance sera tissée. Ce jour là, la jeune fille saura qu’elle pourra compter sur lui, lui montrer ses rares larmes et les faire couler au creux de son épaule.
Une personne ne peut pas assurer aller bien comme ça alors qu’elle se fuit sans cesse, se consacre à la violence et au tabac en restant seule.
En se persuadant ne rien vouloir d’autre, on se ment à soi même.
La nature humaine veut. Même si l’humain l’ignore, il veut toujours plus, toujours quelque chose, et il sera rassasié qu’une fois qu’il aura trouvé son bonheur ultime. Son bonheur, chacun le choisit et même si on hésite ou qu’on ne sait pas, notre cœur lui, a déjà fait son choix. Le vrai choix est de vouloir suivre son mensonge ou accepter l’évidence.
La jeune fille se ralluma une cigarette mais de part la violence de la pluie, celle si s’éteignit en cours de combustion. Son destin était donc tracé, le saut de la mort depuis le toit.
Le lendemain, Tears irait sûrement ramasser les mégots entassés pour les mettre à la poubelle. Juste pour servir un peu, même s’il savait que le service ménage existait pour ça.

-"Ca fait 13 ans que je suis ici, c'est un peu tard. Mais bon, merci quand même. Mieux vaut prévenir que guérir..."

Treize ans, voilà qui était incroyablement long. Elle devait se lasser de cet endroit et le détester comme la mort à présent.
L’ennuie, c’était un sentiment que le surveillant appréhendait. Alors quand il se lassait de l’orphelinat, il s’amusait à le réinventer, à laisser son imagination prendre le dessus.
Le blond fit une petite moue avec ses lèvres bleuies anesthésiés. Il ne cherchait pas à prévenir, en 13ans, on a du la prévenir assez. Alors même que des "Fumer tue" étaient imprimé sur les paquets de cigarettes, les gens continuaient à fumer.
Certes, Tears était un être passif, mais il voulait guérir la blessure en son origine.
Un grondement surgit, l’orage se faisait de plus en plus violent et le corps du blond semblait glacer de l’intérieur.
Une envie de chaleur se fit brusquement sentir en lui puisque sa propre tiédeur humaine ne lui apporté plus rien.
Un fin sourire aux lèvres, la main en visière pour empêcher les trompes d’eau d’atterrir dans ses yeux, Tears prit la parole entre le tapage de l’orage.

-"Il n’est jamais trop tard pour bien profiter de la vie tu sais… et puis si je le dis, c’est que je le pense."

Dans sa brusque envie de chaleur, il reprit, entre deux claquements de dents :

-"Dis… tu ne voudrais pas qu’on rentre ? J’irais.. te chercher une serviette et des habits de rechange…"

Ils pourraient continuer leur conversation au grenier après que Tears ait ramené de quoi se sécher.
A vrai dire, le surveillant avait les muscles raidis, et s’il ne bougeait pas un tantinet, il aurait l’impression que l’eau qui recouvrait son corps se cristalliserait et donnerait naissance au premier glaçon humain de l’histoire du glaçon.
L’eau recouvrait les tuiles et glissait le long du toit pour remplir à ras bord les gouttières tandis que les feuilles tombaient et les branches d’arbres se pliaient de part la violence de la pluie.
Ainsi, il se leva à demi, tendant sa main mouillé vers Only.

La main délicate entra avec brutalité dans son champ de vision, un éclair bien pâle comparé à la violence de l'orage. Only leva pudiquement les yeux vers le surveillant, certainement bouleversée. Elle ne comprenait pas l'intérêt qu'il avait à vouloir l'aider, et cependant, naïvement, elle succombait à sa gentillesse. L'amusement joua un instant dans ses yeux, avant qu'elle ne saisisse de ses doigts glacés la main masculine. Le contact mouillé des deux épidermes la fit brutalement frissonner, et elle retira sans prévenir sa main. Gênée, elle restourna son regard vers l'orage, commençant à se lever seule. Ses longs membres maigres se déplièrent lentement; et la voix, son début de schyzophrènie, son mauvais Hyde, sifflait à son oreille : " Onlyonlyonlyonlyonly ONLY you ! ". C'était stupidement inutile, que ces quelques mots. L'orpheline trouvait, en ce moment, tant de choses idiotes. A croire que regarder simplement Tears lui faisait fondre le cerveau. Plus elle repoussait la perspective, plus celle-ci s'imposait, c'était plus fort qu'elle. Son coeur se serrait, son visage pâlissait à cause du froid, mais son coeur battait la chamade, au creux de sa poitrine. Il accélérait son souffle, rosissait ses joues. Et ce n'était pas que des apparences. A l'intérieur aussi, la jeune fille étit bouleversée.

Avec étonnement, elle vit un éclair fendre le ciel couvert, et illuminer vaguement le visage du surveillant :

" Profiter de la vie ? Parce que vous pensez qu'avec la manière dont nous réflechissons, nous pourrons un jour trouver le bonheur ? Mais bous le faites exprès ma parole ! Toujours il y aura des merdes autour de nous; enfin, pour moi, il n'y a pas moyen d'écarter de voile. Si vous êtes heureux à votre manière, c'est que vous êtes naïfs. Le conçept n'existe pas, même pour les crétins qui constituent la masse des prolétaires. Profiter de la vie, à la base c'est ça... et c'est pas possible. "

Et, agile comme un chat, incapable d'attendre l'homme, elle escalada les tuiles glissantes du toit :

" D'accord, rentrons. Mais débrouillez-vous pou le reste, parce que vous ne savez pas ce que je ressens pour vous. " [Un roulement de tonnerre étouffa la fin de sa phrase avec fracas, la rendant impossible à comprendre, d'autant plus qu'elle s'était déjà éloignée de l'homme blond]

Only tourna avec fatalisme la tête vers la porte, et glissa le long des tuiles pour y arriver. Elle ne remarqua qu'une fois arrivée, qu'elle avait oublié son débardeur. S'accoudant au mur calmement, elle redressa à nouveau le menton vers le cieux, et tira avec nervosité sur les manches du sweat. Ses pupilles s'élargirent par un coup de foudre puissant, alors que la pluie glaçait ses membres raidis. Pourtant, elle ne souhaitait pas tant que cela rentrer; de plus, il DEVAIT avoir entendu, et elle n'aspirait qu'à rester au calme... par n'importe quel moyen...

La douce main d’Only avait effleuré la peau humide du surveillant, mais avant qu’il ne puisse se réjouir, elle retira soudainement sa main. Elle l’avait senti aussi ? Ce frisson qui avait électrisé les doigts de Tears, elle l’avait senti.
La jeune fille se leva, les joues rouges et l’air essoufflé, ce qui était assez inhabituel chez elle et donc, provoqua une certaine inquiétude chez le jeune blond.
Elle avait sûrement attrapé un quelconque virus avec le froid épouvantable qui régnait. Même si ce temps n’était pas de plus agréable, le jeune homme était émerveillé face aux éclairs qui brisaient l’obscurité du ciel, ces flashs qui vous éblouissez, ce phénomène qui vous dépassez.
Only était un d’eux. Et, l’eau jouant au compte goutte sur ses mèches, elle prit la parole :

-"Profiter de la vie ? Parce que vous pensez qu'avec la manière dont nous réfléchissons, nous pourrons un jour trouver le bonheur ? Mais vous le faites exprès ma parole ! Toujours il y aura des merdes autour de nous; enfin, pour moi, il n'y a pas moyen d'écarter de voile. Si vous êtes heureux à votre manière, c'est que vous êtes naïf. Le concept n'existe pas, même pour les crétins qui constituent la masse des prolétaires. Profiter de la vie, à la base c'est ça... et c'est pas possible."

Profiter de la vie, ce concept était si abstrait pour elle ? C’était à ce point inimaginable de penser qu’on pouvait avoir une belle existence ?
Les enfants de cet orphelinat étaient donc si différents… mais ils avaient droit au même bonheur que les autres.
Certes avec leurs manières de réfléchir, ils découvraient trop tôt les horreurs du monde, ils prenaient chaque concept avec beaucoup trop de sérieux et de réflexion.
Pour eux, un éclair était un "phénomène naturel de décharge électrostatique disruptive", tout comme l’amour était un "sentiment envers un être ou une chose qui pousse les personnes qui le ressentent à adopter un comportement les entraînant à rechercher une proximité."
Les livres, les livres, ils n’avaient que ça et leur intelligence surdéveloppé. Il était donc vrai que leur manière de réfléchir, la manière dont ils se torturaient le cerveau, rendait difficile l’accès à la simplicité pur qu’était le bonheur.
Pour Only, être heureux était synonyme de naïveté. Pour être fort et valoir quelque chose, il fallait donc mener une vie de malheur et de tristesse ?
La jeune fille ne croyait pas au bonheur.
Tears avait l’impression qu’elle se confiait un peu plus à chaque parole, et ça lui apportait une douce chaleur dans le cœur. Sur ce, il se leva, déverrouillant ainsi des muscles raidis par le froid pendant que la jeune fille se dirigeait déjà vers la sortie. Les flashs lumineux étaient plus effrayant que jamais et un combat de grondements assourdirent les dernières paroles de l’orpheline :

-"D'accord, rentrons. Mais débrouillez-vous pour le reste…………savez…… ressent… vous."

Se débrouiller ? Cela voulait-il signifier qu’elle refusait les vêtements secs qu’il lui proposait... ?
Et cette dernière phrase, il n’avait pu l’entendre complètement, le brouhaha du tonnerre avait brouillé ses derniers mots.
Savez…. ressent… vous… ? Tears fronça légèrement les sourcils, puis, baissant les yeux, il s’aperçut qu’Only avait oublié son débardeur qui gisait à présent à ses pieds.
Il se pencha donc pour ramasser la fine masse de tissu et entreprit de rejoindre la jeune fille face à la porte qui accédait à l’intérieur de la bâtisse. Les tuiles étaient extrêmement glissantes, il mit donc pas mal de temps pour arriver face à Only, et en lui tendant son débardeur, il s’aperçut qu’il n’avait pas trop envie d’entrer.
Elle regardait le ciel comme si elle ne voulait plus le lâcher.
Tears prit timidement place à coté d’elle avec toujours autant de discrétion et de silence.

-"Tu as le droit au bonheur.. tu sais. Il suffit de tout prendre avec…plus de légèreté…"

Ces paroles étaient suivies d’une petite moue… ce qu’il avait dit signifiait qu’il fallait être naïf pour être heureux…décidément, le surveillant s’enfonçait lui-même.

-"Et… qu’est ce que tu as essayé de me dire… tout à l’heure ?"

Il avait tourné la tête vers Only et, en la regardant il s’aperçut que son visage était effroyablement pâle mis à part les deux marques rosies de ses joues.
Cela inquiétait beaucoup le jeune homme qui posa une de ses mains pâle sur le front tiède de la jeune fille, anxieux.

-"Tu... es sure que ça va ?"

Cependant, il sentit que son geste pouvait sembler extrêmement déplacé et, aussitôt, il retira la main en bafouillant un faible "Pardon…"
Il savait qu’à la Wammy’s House, les contacts physiques pouvaient être très mal pris des orphelins.

Fascinée, elle avait vu au cours de l'aprés-midi le ciel se charger de nuages. Et puis, enfin, les cieux décharger leur poids en liquides. Maintenant, c'était bien un phénomène passionnant que ces éclairs violents. Ils arrivaient pour repartir aussitôt, secouaient les arbres, illuminaient la pénombre des nuages massés comme des moutons craintifs. Et, ils ne cessaient d'arriver. Même au loin, aussi loin qu'elle pouvait voir, il ne semblait pas y avoir d'issue. Pour elle, c'était pareil. Il n'y avait pas d'échappatoire à son existence. Only était condamnée à revivre toujours la même humanité, à voir les hommes abutits par leurs sentiments et à s'énerver inutilement contre eux. Car, eux ne pouvaient comprendre. Les "sous doués" ne pouvaient pas savoir le "bonheur" qu'il existait à être simples, sans trop de questions à se poser autre que celles des cours. Calculer la trigonométrie dimensionnelle n'était pas vraiment amusant; pourtant, l'orpheline le savait; elle ne pouvait échanger son existence contre celle d'une adolescente boutonneuse. A vrai dire, bien qu'elle s'en plaigne tout le temps, elle était bien comme ça.

Elle crut d'abords que Tears avait entendu ses derniers mots, mais les paroles du surveillant lui apportèrent un certain soulagement. Brusquement, alors qu'elle s'était montrée si ouverte, elle se refermait à nouveau. Bref, il ne devait pas savoir la nature de ses sentiments, car cela signifiait rejet, faiblesse, humiliation, et ça, c'était le pire de ce qui pouvait jamais lui arriver. Only se recroquevilla contre la porte d'entrée, comme si elle pouvait se fondre dans le mur et se mêler au béton :

" Plus dé légèreté ? Mais pourquoi réflechir comme cela, alors que rien ne tombe jamais prêt ? Les prolétaires sont heureux dans leur imbécilité, et je ne sacrifierai pas mon intelligence sur l'autel de la luxure ! "

S'empourprant, elle n'en détourna néanmoins pas la tête, lorsque Tears posa une main brûlante sur son front. Il lui semblait qu'il bouillait de l'intérieur, ou alors elle devait être bien malade, mais son regard n'en devint que plus fuyant à son approche. La jeune fille n'esquissa pas un geste de fuite, et vit partir la main protectrice presque avec frustration. Dire qu'elle ne voulait pas de cela une minute auparavant à peine !

" Rien qui puisse vous faire du bien, oubliez ! " Siffla-t-elle, livide

Le sang se retira complétement de son visage, et elle sentit tout à coup le poids du sweat glacé sur ses épaules frêles :

" Evidement que ça va ! Si j'avais la créve, j'le saurai ! "

Le ton n'avait rien d'amical, et d'ouvert. Au contraire, à cause de sa voix rocailleuse, il semblait presque métallique, méchant. S'il faisait tout cela, ce n'était pas pour elle, c'était par devoir. Only plissa nerveusement le front, une ligne unique se dessinant en son centre. Soucieuse, elle s'écarta de quelques pas, avant de mordiller sa lèvre inférieure :

" Non, ce serait inutile que vous compreniez... "

Une fièvre étrange s'emparait d'elle, et elle crut bientôt qu'effectivement une grippe soudaine s'était emparée d'elle. La jeune fille frictionna ses cheveux sombres, n'en éparpillant que plus l'eau qui en dégouttait. Les gouttes inamicales coulèrent le long de son arcade sourcillière, entre ses seins, contre sa peau froide. Jamais, elle n'avait été aussi glacée par les tourments du temps. Et cela ne paraissait pas vouloir s'apaiser. C'était comme en elle, des grondements divers et variés, trop présents au milieu de la cacophonie ambiante. Ses jambes maigres tremblaient sous elle, et l'orpheline eut honte de sa faiblesse, et de cette humilité qui voguait dans les yeux du surveillant. Fallait-il être stupide pour croire que l'on pouvait aider de cette manière ? Elle songea vaguement à se venger sur un gamin quelconque, rien que pour se passer les nerfs. Non, sa faiblesse lui paraissait tout à coup trop imposante, presque magnifique. Terrifiante. Elle la repoussait, mais elle se faisait toujours plus assomante. Elle éternua. Elle renifla. Tout ce dont elle avait besoin pour l'instant, c'était d'un bon mouchoir...

Vu du toit, le ciel était sans fin. D’ici, on devait sûrement pouvoir admirer différents horizons, mais les nuages étaient trop épais pour que l’on puisse voir quoi que ce soit.
Le surveillant se disait qu’il reviendrait sûrement, en été.
Pour l’instant son attention était concentrée sur Only qui se repliait contre la porte, la jeune fille était livide, tremblotante et fiévreuse. Cela ne faisait aucun doute, le front que Tears avait touché auparavant était ardent, plus incandescent que n’importe quelle braise. Il la regardait avec affection, l’orpheline avait un sacré caractère et cela l’impressionnait beaucoup.
Il respectait et admirait beaucoup Only, doué d’une personnalité hors normes, c’était sûrement quelqu’un sur qui on pouvait compter, une fois la clef découverte. Mais il semblait que la solitaire se rajoutait des cadenas à sa propre prison.

-"Plus de légèreté ? Mais pourquoi réfléchir comme cela, alors que rien ne tombe jamais prêt ? Les prolétaires sont heureux dans leur imbécillité, et je ne sacrifierai pas mon intelligence sur l'autel de la luxure !"

A l’entendre, le bonheur était si simple qu’il était stupide de le prendre comme tel, il vous tend là main, mais, persuadé qu’il s’agisse d’un piège, vous demandez le bras.
Peut être que seul les gens stupides étaient assez simples pour prendre la main qu’on leur tendait, sans réfléchir au pourquoi du comment.
Mais tout ça, toute cette réflexion, elle n’avait aucun sens tant qu’une constante n’était pas fixée.
Ainsi, Tears tourna la tête vers Only, à la recherche de cette donnée :

-"Mais, pour toi Only, c’est quoi…ce qu’on appelle… le bonheur ?"

Alors que la jeune fille assurait que ses paroles inaudibles n’auraient pas fait de bien au jeune homme, ce dernier, cherchant à titiller du tissu, mis ses mains dans ses poches.
Rien qui puisse lui faire du bien ? Cette réponse avait piqué à vif la curiosité de Tears.
Que pouvait-on dire de mal avec "savez… ressent… vous…." ? Cela ne devait pas être bien méchant, car en remaniant les mots dans tous les sens, il n’arrivait jamais à trouver un quelconque reproche. Le blond décida de laisser tomber, il lui demanderait peut être un autre jour, quand les cadenas qui enfermaient Only se seraient fragilisés.
Pour l’instant, la jeune fille tremblotante l’inquiétait plus que tout.
Mais cette dernière répondit d’une voix agressive et éraillée :

-"Evidement que ça va ! Si j'avais la créve, j'le saurai !"

Un cadenas en plus. Pourquoi désirait-elle tant s’emprisonner ?
Le ton employé blessa Tears qui prit un petit air choqué, le temps d’une seconde. Voilà qu’elle se renfermait et le surveillant mourrait d’envie de savoir pourquoi. Pourquoi ces changements d’attitude aussi soudain ?
Comme pour répondre à la question, Only s’était légèrement éloigné en disant :

-"Non, ce serait inutile que vous compreniez..."

Tremblant comme une feuille, le surveillant replia ses bras contre son torse pour se tenir chaud. Comprendre, comprendre quoi ? Tears n’était peut être pas digne de savoir, ce n’était sûrement pas le genre de personne avec qui Only aimait parler.
Après tout, c’était compréhensible. La jeune fille devait le considérer comme un pion, un adulte, un…ennemi ?
Il ne savait pas s’il devait demander "Comprendre quoi ?" ou respecter le choix de la jeune fille et se taire. Cependant, Only n’avait pas dit que Tears ne pouvait pas comprendre, elle avait juste fait remarquer que cela était inutile. Mais pour le surveillant, tout était utile.

-"Pourquoi... ça serait inutile ?"

Demander ce qu’il y avait à comprendre aurait été bête puisque c’est justement ce qu’Only trouvait inutile de dire. Alors autant savoir pourquoi.
Par reflex, il rejoignit la jeune fille qui c’était éloigné assez loin pour qu’il se sente sinistrement isolé un moment.
L’orpheline reniflait et semblait déglutir douloureusement. Une grippe, il n’y avait pas de doute. Pris de court par l’évidence, Tears fouilla ses poches avec maladresse pour finalement y dégotter…un yoyo. Autrement dit, rien qui ne ressemblait à un mouchoir. Il avait envie de lui faire remarquer la mauvaise grippe quel couvrait mais en se souvenant des paroles dures qu’Only avait dit auparavant, comme quoi elle allait bien, il se refroidit (si c’était encore possible) à cette idée.
Il essaya donc de faire ça avec délicatesse :

-"Je suis désolé… je n’ai pas de mouchoir… on ferait mieux de rentrer, j’irai en chercher…"

Le bonheur, elle ne connaissait pas. Il n'y avait même pas de définition assez basique pour expliquer le conçept, tant c'était abstrait. L'idée même d'être heureuse lui tordait l'estomac. La question de Tears lui arracha donc un soupir, alors que ses pupilles liquides roulaient sous ses paupières à demi closes :

" Une merde. Voilà ce que c'est. Des sourires béats, des soupirs mielleux. Le bonheur assoupit, ramollit et il ne rend même pas heureux, vu qu'on risque de le perdre à tout instant. On n'est pas joyeux dans son bonheur, car on craint de le détruire. Les autres le détruisent, on le tue soi-même. C'est trop inutile, cela ne nourrit personne. "

Elle éternua une nouvelle fois, une fièvre dérangeante couvant sous son front humide, de part par la pluie et à cause de ses lourdes mèches imprégnées de pluie. Bref, elle avait froid, mais le coeur manquait à l'ouvrage. Ses yeux caves abritaient alors une belle flamme de fièvre; à croire qu'elle était montée à 40° en l'espace d'une demie-heure. Mais après tout, ce n'était pas étonnant. Elle avait toujours été d'une santé assez fragile; à présent, elle sentait presque sa voix rauque frotter contre sa gorge endolorie. Comment ferait-elle pour chanter si son timbre de voix si pur devenait rocailleux ?

La question de Tears était... nulle, il n'y avait pas d'adjectif plus juste, et elle n'avait pas envie de philosopher pour l'instant. Du Montaigne, du Freud [autres excellents philosophes à avoir remué le conçept du bonheur], elle en avait soupé suffisament pour en avoir sa dose. Peut-être assez pour être même dégoûtée de la délicieuse sensation de planage, que procure le joie, à vie. Et d'ailleurs, l'avait-elle déjà ressenti cette impression, ce chatouillement au bas-ventre, cette sensation de légèreté dans sa tête ?
Elle fixa ses yeux ternes sur Tears, se rendant compte qu'il le lui avait apporté ce sentiment, par sa simple présence, ou à peine :

" Je vous ai dit que cela vous ferait du mal de savoir. Les oreilles, c'est comme le c**, ça se lave. Mais j'veux pas rentrer... " [ouh, boudiou, la vulgaire ! ôO]

Elle baissa les yeux, comme une enfant prise en faute, et le tableau pouvait être vraiment émouvant. Ou éventuellement surprenant. Only, mouillée jusqu'à l'os par la pluie battante, fixait le sol avec une expression pudique, et presque honteuse. La fièvre enflammait ses joues, ses lèvres. Bien que brûlantes, elle les humecta, et redressa le menton vers le ciel. Encore. Ebahie, ce tableau d'éclairs en folies la captivait, bien que la chaleur au creux de son estomac se fasse plus présente :

" De toute façon, vous ne pourriez pas comprendre. Vous êtes un homme... "

Elle inspira doucement, pour calmer son pouls compulsif, rapide. Un nouvel éternuement l'arracha à son silence, et elle braqua son regard sur Tears :

" Non, vraiment pas. Ca vous donnerait mal à la tête, au coeur, toussa, toussa... " Déclara-t-elle d'un ton presque méchant

La jeune fille se laissa glisser contre le mur, et se replia sur elle-même. Ses bras glissèrent sur ses genoux, elle finit par les laisser lâches à ses côtés :

" Asseyez-vous donc, on va pas crever. "

Sous-entendu "une petite grippe n'a jamais tué personne." Non, ce n'était vraiment pas un rhume qui allait l'abattre, elle avait connu pire, et verrait sûrement mieux. Alors pourquoi s'en faire inutilement lorsqu'un tel moment de pure beauté est à portée de main ? Il suffirait de tendre les doigts vers le ciel, puis de les refermer pour en attraper son immensité. Emprisonner une poignée de nuages et un éclair, c'était drôlement chouette. L'orpheline étouffa un petit ricanement, alors qu'elle ne pensait pas à grand chose de spécial...

Pendant qu’Only décrivait sa conception du bonheur, Tears regardait ses pieds. Il réfléchissait, le visage affecté. C’est vrai que la peur de la perte du bonheur le gâche un peu, mais si on n’y pense pas, qu’on vit au jour le jour.. alors pourrait-on effleurer du doigt ce qu’on appelle bonheur ?
Malheureusement, la félicité est souvent rattaché à une personne, une situation… et tout cela se perd très facilement. Si le surveillant à la mine affligé se mettait à chercher l’origine de son bien-être quotidien, alors c’était sans aucun doute le fait que certains orphelins se confiaient à lui, lui parlaient ou le respectaient malgré sa fragilité. Mais qu’adviendra-t-il quand ces orphelins seront partis ou qu’ils n’éprouverons plus la nécessité d’être aimable avec lui ?
Tears ferma les yeux, ses paupières se crispaient. Il ne fallait pas qu’il y pense. Il ne fallait surtout pas. Cependant, avec de quoi se rattacher, avoir un petit bonheur près de soi, c’était toujours mieux que de se persuader de sa non-existence.
Lui, ça le nourrissait, même si niveau bonheur, il n’était pas très exigeant.
Alors qu’il contemplait la beauté stupéfiante qu’étaient ces chaussures, il sentit un regard posé sur lui.

-"Je vous ai dit que cela vous ferait du mal de savoir. Les oreilles, c'est comme le c**, ça se lave. Mais j'veux pas rentrer..."

Tears releva la tête, et, à sa grande surprise, découvrit un Only modérée, les yeux baissés.
C’était attendrissant, vraiment. Même si ce qu’elle venait de dire ne l’était pas vraiment.
Le surveillant ne put s’empêcher de se toucher discrètement l’oreille, simple reflex tandis qu’il s’interrogeait sur le fait que la jeune fille veuille tant rester ici…
Les autres étaient en train de finir de dîner, la nuit commençait à pointer son nez et le froid les paralysait… cependant, en levant le visage vers le ciel, il comprit de suite.
Aucune photo, aucun vidéo, aucun écrit et aucune musique ne pouvait décrire la beauté des cieux à cet instant. On aurait dit un vaste et immense couvercle de fumée noir qui trônait au-dessus de leurs têtes. Dans cette brume céleste envoûtante, la guerre faisait rage et les éclairs se défiaient un à un. Les clapotis de la pluie servaient de bruits de fond au concert violent que faisait le tonnerre.

-"De toute façon, vous ne pourriez pas comprendre. Vous êtes un homme..."

Cette fois ci, Only avait été clair. Il ne pourrait pas comprendre, il était dans l’incapacité de comprendre… parce qu’il était un homme ?
Les hommes ont les même tourments que les femmes… non ? Tears fit une petite moue, à vrai dire, il ne connaissait strictement rien aux femmes. Leurs goûts, leurs attitudes, tout cela le dépassait. Only avait donc un problème de "femmes"…
Le surveillant se mit à analyser les problèmes qu’avaient les dames, et pas les hommes.
Les femmes pouvaient tomber enceinte et tout ça… mais quelque chose lui dirait qu’il était totalement à coté de la plaque. Il faudra qu’il s’informe des problèmes de jeunes filles auprès de Twilight. D’ailleurs, si Tears ne pouvait pas comprendre parce qu’il était un homme, il était sur que la jeune professeur de français serait ravi d’écouter l’orpheline.
Alors qu’il regardait Only, celle ci le fixa avec une intensité déconcertante, l’eau ruisselant avec grâce sur sa peau si pale.

-"Non, vraiment pas. Ca vous donnerait mal à la tête, au cœur, toussa, toussa..."

Son ton un tantinet odieux froissa le cœur trop tendre qu’était celui du surveillant. Il ne s’habituerait jamais à ce ton si cassant et si cru, pourtant, cela le vexa moins que la première fois.
Vraiment, Tears était considéré comme un faiblard. Qu’est ce qu’elle avait donc à dire pour que cela entraîne un mal au cœur ou à la tête ?
Surtout avec les mots qu’elle avait utilisé… il n’insista pas, pensant saisir l’opportunité pour découvrir cela une autre fois. Le surveillant avait peur que ce qu’il ne pouvait pas comprendre soit de sa faute… et si les problèmes d’Only étaient de sa faute ?
Peut être que la jeune fille le haïssait à cause d’une chose qu’il aurait faite… mais qu’elle contenait cette haine parce que Tears était un adulte ?
Non…Only avait tendance à ne pas mieux traiter les adultes que les enfants.
Pourtant, le surveillant avait la vague impression que ça le concernait.

-"… c’est, à cause de moi ? Je.. euh, je.. te pose problème ?"

La jeune fille se laissa glisser contre le mur et finit pas s’asseoir, invitant Tears à faire de même. L’état de la jeune fille l'apeurait, la grippe pouvait bêtement s’aggraver et il en était conscient. Cependant, il obéit, jugeant préférable de ne pas contredire Only.
Le blond s’assit aux cotés de l’orpheline, les jambes repliées contre lui, les bras pendants contre ses genoux. Puis il pria pour que la jeune fille un jour, puisse trouver le bonheur.
Mais cela allait être difficile, puisqu’elle ne le cherchait pas…

Au final, la jeune fille s'installa en tailleur. Sa jupe courte cachait à peine son boxer noir mais, alourdie par la pluie, elle se plaqua soigneusement contre sa peau refroidie, dissimulant ce qui pouvait être considéré comme impudique. De l'endroit où ils se tenaient, l'orage continuait de les poursuivre et, ironiquement, Only se dit qu'elle recevait enfin un vrai châtiment pour tous ses méfaits. Mais, tournant définitivement les yeux vers Tears, ce dernier ne méritait pas cette averse, qui plaquait ses cheveux blonds contre son visage, et soulignait la minceur de son corps allongé. Elle ne parvenait pourtant pas à trouver où se trouvait le comique de la scène. Toute pudeur s'était échappée de ses traits échauffés par la fièvre intérieur, et ne restait qu'une certaine agitation, rendant la pluie brûlante sur son épiderme satinée. Si Tears n'avait pas été là, elle serait restée assise sur le bord du toit, et aurait pu même pousser la chansonnette, mais la peur de découvrir sa voix enrouée la poussait à la garder timide, et basse, malgré les échos encore puissants de l'orage.

C'était sûrement l'heure du dîner, en bas, mais, égoïstement, elle ne ressentait pas le besoin de se nourrir. Cela ne faisait pas partie des nouvelles qui l’intéressaient ; l’orpheline était réputée pour hermétique aux choses qui ne la passionnait pas. Avec ses sentiments pour Tears, et sa fièvre aidant, elle avait trouvé un nouveau sujet de discussion. Enfin, à son propre avantage, car, étant donné que l’homme n’avait pas l’air de comprendre, il n’y entendrait jamais que dalle ; alors, par système de conclusion, tout ce qu’elle lui dirait entrerait par une oreille pour en ressortir par l’autre.

Elle voulait parler, alors le surveillait devait rester là pour l'écouter. Ou saisir éventuellement ce qui sortirait de sa bouche pulpeuse. L'orpheline n'était pas habituellement apte aux confessions quelconques, elle y était même complètement refermée. Pourquoi parler de ses péchés, si on pouvait les dire plus tard au seul grand Dieu ? Les confier aux simples humains n'avancait personne; au contraire les secrets des psychopathes devaient avec créé un certain nombre de psychoses. Il était donc inutile qu'elle accède à ce stade aux yeux de Tears. La jeune fille n'avait tué personne mais de nombreux résultats de ses traitements se lisaient sur le visage de certains orphelins. Elle se souvint même d'une gamine qu'elle avait bousculée par erreur pour la rudoyer par la suite. Non, elle n'était réellement pas tendre, et écouter ce qu'elle avait à dire ne ferait jamais progresser Tears :

" D'une certaine manière, voui. Votre présence m'indispose, mais pas dans le mauvais sens, et vous, trop con, vous ne vous apercevez même pas. A croire que vous ne comprenez rien aux filles. Sinon vous verriez tout de suite que l'erreur que je fais est visible comme le nez au milieu de la gueule. C'est pas même passable de... bonheur, vu que cela n'apportera rien à personne, et encore moins à vous. Vous croyez que ça m'amuse de subir votre interrogatoire ? "

Elle fut attaquée par une série d’éternuements stridents, qui ne devaient sûrement pas améliorer son image de marque. Elle avait froid, et n’y pouvait plus grand-chose ; enfin psychiquement, elle avait chaud au creux de sa poitrine enflammée et dans sa tête brune régnait le tumulte propre aux malades. Posément, en posant sa main fine sur son front, elle estima sa fièvre aux alentours de 39.5°, rien de vraiment grave encore. Elle allait rester au lit quelques temps pour en ressortir guérie et plus agressive encore. Il fallait bien pallier ce beau manque de brutalité qu’elle avait sur le moment. Impossible d’attaquer Tears verbalement ou de lui caler un coup de poing, sous peine d’une affreuse migraine qui montrait encore à peine le bout de son nez.
Only diagnostiqua elle-même une bonne grippe, et songea en son for intérieur à prendre une cuillère de sirop dés qu’elle rentrerait dans sa chambre. Elle n'en avait pas tant l'air, mais elle savait s'occuper d'elle-même. si ça avait été tant le cas, elle serait partie sur le champ, sans se soucier de son interlocuteur. Hors, elle se sentait encore retenue sur place, sans volonté d’en partir. Et tout ça, c’était à cause de LUI…