Son souffle s’amenuisait à mesure que son allure se faisait plus vive et plus pressée. Ses chaussures claquaient sur le sol, entraînant sa robe dans une valse irisée. Le chapeau qu’elle avait tant bien que mal tenté de faire tenir sur sa tête basculait maladroitement le long de ses cheveux, glissant à chaque changement d’allure. Elle n’était pas faite pour la course, mais elle devait se dépêcher, ne pas s’attarder dans les couloirs sombres, où les ombres à l’allure méphistophéliques la terrorisait. Elle avait peur, Linda. Peur qu’on la surprenne, peut d’être emmenée dans cette salle qu’on avait remodelée pour paraître plus coruscante et plus luxueuse. Elle craignait les miroirs qui lui renvoyaient son reflet effrayé, se haïssait d’être aussi lâche et aussi peu courageuse. Où étaient passées toutes ses belles intentions ? A présent, elle fuyait le moindre craquement. Une répugnante patine de misère s’était agglutinée le long de son corps et s’étirait au fil des jours, pénétrant par ses pores, déchirant ses organes, élevant vers son cerveau une douleur suffocante et ineffable, ramenant à ses pensées qu’elle avait délaissé ses si beaux projets sitôt qu’elle ne s’était plus sentie de taille fasse aux trois tyrans. Elle était faible, Linda. Après tout, ce n’était rien de plus qu’une enfant, incapable d’agir à la manière des adultes… Et ces derniers avaient été incapables d’intervenir lorsque le monde avait pris une toute autre allure, et lorsque la peur, folâtre et maligne avait enivré les sens. La terreur s’était infiltrée à l’intérieur de l’orphelinat. Le chaos, l’apocalypse, et l’horreur de la dictature de trois tyrans un peu fêlés avaient eu raison du mental de certains orphelins. L’on entendait des gémissements dans les couloirs, des doutes à peine voilés, chuchotés lorsqu’on pensait que personne ne regardait. Car les paroles étaient surveillées, analysées, retranscrites, et l’on punissait les contestataires. Quiconque se dressait contre le régime établi en l’absence de Roger se voyait relégué au rang de victime, à l’image du sordide cadavre de Bella qui avait étalé ses appâts lors de la fête d’Halloween. Le sang s’était imprimé dans chaque rétine, exemple parfait et méprisant de ce dont était capable Ghost, Willow et Aphrodite, et tous les orphelins se terraient dans un silence mutin, mordant férocement oreillers et peluches, se cachant dans leur coin en attendant la fin de leur calvaire.
Derrière les murs criblés d’or du si puissant et si redouté orphelinat, se tenaient des policiers inquiets. Certains les avaient aperçus par les fenêtres avant qu’on ne vienne les bétonner et qu’on empêche toutes communications vers l’extérieur. Tous étaient confinés à l’intérieur avec l’interdiction de sortir. L’on avait pour obligation d’apporter des offrandes aux trois nouveaux apôtres. Se prenaient-ils pour des dieux ? A vouloir remodeler un système établi à leur façon. Ils s’élevaient au-dessus des lois, méprisaient ce que leur hurlaient les représentants de la justice de derrière leur grillage, se droguaient de satisfaction et s’enorgueillissant de pouvoir. Ils se sentaient fort, ainsi affublés de costumes de cours compliqués et fastueux. Ils avaient dû rêver de ce moment toute leur vie, pouvoir faire plier ces orphelins qui les avaient dénigrés depuis si longtemps. C’était tellement plus amusant que de faire quelques farces de temps à autre. Ici, ils étendaient leur domination. Linda les admirait pour cela. Elle aurait été bien incapable de prendre d’assaut l’orphelinat qui l’avait tirée de sa misère. Elle était tellement mieux ici. Wammy’s House représentait un monde fermé dans lequel on les enlevait dans l’esprit de la compétition, mais où l’on développait aussi l’entraide en favorisant les groupes… Et c’était ces mêmes groupes qui avaient été dissous par Aphrodite, Ghost et Willow. Les Pacifists n’étaient plus. Et Linda avait l’impression d’avoir tout perdu dans cette guerre et elle ne possédait pas la volonté nécessaire pour réclamer ce qu’elle chérissait tant. Elle n’avait pas non plus revu Near depuis la fête d’Halloween. Il se murmurait qu’il allait organiser une rébellion avec Zero et Mello, mais cette hypothèse était aussi improbable que toutes les tentatives précédentes. Les quelques orphelins qui avaient tenté de résister s’étaient fait écrasés, réduits plus bas que terre, dépouillés de leur fierté et de leur orgueil, se gorgeant de leur dépit et de leur insatisfaction. Aphrodite avait un don pour détruire tous ceux qui s’opposaient à elle et les jumeaux tenaient leur rôle avec un ravissement béat.
Elle dérapa le long d’un couloir alors que l’un de ceux que l’on nommait en crachant silencieusement sur leur passage des « chiens de garde » arrivait par un autre embranchement. Elle n’eut que le temps de se cacher derrière un renfoncement avant que l’animal ne la débusque et ne la ramène à la salle du trône… Du moins, c’est ce que son esprit lui fit imaginer alors qu’elle regardait passer l’orphelin qui ne lui jeta pas un seul coup d’œil. Plus vite elle serait arrivée à destination, plus vite elle serait tranquille. Ce qu’elle cachait dans son sac était considérée une chose bien banale il y a quelques semaines, mais devenait dangereux à présent. Calmant son cœur qui menaçait de défoncer sa cage thoracique, elle se précipita vers les escaliers qu’elle engloutit plus vite qu’un bâillement et manqua de se rompre la nuque en trébuchant sur l’une des marches. Le temps était précieux. Elle voyait avec angoisse défiler les terrifiantes horloges, martelant le temps de secondes, de minutes et d’heure, lui rappelant sans cesse que tout avançait, que rien ne se figeait jamais vraiment. Son monde si merveilleux, sa « Bisounours’ story » n’était qu’une chimère qu’elle s’était forgée en croyant pouvoir tirer certains orphelins de leur défection. Sourire, sourire, sourire, sourire, et encore sourire. Elle aimait ça, elle aimait cette joie de vivre et cette illusion de bonheur malgré les harassantes règles de l’orphelinat. Elle aimait à croire que tous pourrait devenir telle une immense famille où chacun se soutiendrait mutuellement dans les moments durs… C’était bien beau de rêver, bien beau de croire que tout était possible et que le monde n’était qu’un vaste arc-en-ciel gentillet et affable.
Le noir l’engloutit toute entière, dévorant la moindre parcelle de son corps. Au plafond, une ampoule grésillait au sein d’un décor digne des plus grands films d’horreur. La réserve, négligée par les trois compères qui tenaient l’orphelinat, n’était plus qu’un vaste champ de poussière où recélait une odeur de renfermé et de pourriture. En farfouillant un peu, l’on aurait pu découvrir une colonie d’insectes fourmillant et fourrageant parmi les feuilles et les stylos laissés à l’abandon. Après tout, l’on était à présent bien trop occupé à dénicher la meilleure offrande pour s’attarder sur le nettoyage de certains lieux. Linda se laissa glisser le long d’un mur, dévoilant enfin le contenu de son sac : un morceau de pain, quelques bonbons et carrés de chocolat, une bouteille d’eau. Le repas du combattant. En temps normal, elle se serait empressée de partager son trésor avec tout le monde, mais il lui avait été impossible de trouver ses amis et l’horreur d’une séance avec Aphrodite avait eu raison de sa générosité naturelle. Là, avec la seule ampoule pour témoin, elle croqua dans le premier carré de chocolat en priant pour que son vol reste à jamais un secret inavouable.
Dernière édition par Linda le Jeu 13 Mai - 10:39, édité 1 fois
Invité
Sujet: Re: Vol à l'étalage { Amour Mer 12 Mai - 15:58
Amour. Quel pseudonyme pitoyable. Pitoyable, vraiment. Déplorable par sa niaiserie, affligeant par sa dignité.
Amour se sentait vide et creux, comme un ours hibernant, sauf que ce serait un ours réveillé. Oui, la comparaison foireuse, on s'en passerait bien. Mais Amour avait l'impression d'être sorti d'un long sommeil sans rêves ni cauchemars, puis de brusquement s'en être réveillé. Mais ce n'était pas comme les ours qui se réveillaient de faim, et qui tragiquement en mouraient dans le froid. L'issue serait peut-être la même, mais le blond avait été subitement réveillé dans son sommeil doux comme le caramel par des évènements affreux.
Ce qu'il en pensait, il n'en savait rien. Il était même... même... il ne savait plus où être, où se trouver, où se cacher. Ce qu'il pensait, il l'oubliait vite. Il l'oubliait parce qu'il se cachait comme un rat, et que de toute façon il sait qu'il sera pris comme un rat, une fois de plus. Un rat. Mammifère quadrupède pullulant dans les endroits peu joyeux. Horrible être qui provoque des cris aigus chez la femme humaine. Bête sauvage qui mange les petits canetons. Animal représenté en Rattata.
Si Amour ressemblait à un Rattata, ce n'était pas le sujet actuel. Là, il se faufilait dans le silence et la lumière blanche pour sombrer dans les ténèbres horribles et maléfiques de la réserve. Pourquoi, lui-même n'en savait grand chose. Et je l'ai déjà dit, il n'était pas disposé à réfléchir ou à penser sous n'importe quelle forme. Pas qu'il eusse l'esprit complètement vide, car cela est presque impossible, mais il pensait à des choses légères et futiles qui ne le touchaient pas en profondeur, et qui ne nécessitaient aucune réflexion particulière. Comme la couleur de ces carreaux, les chaussures d'untel, la hauteur des fenêtres ou les gens qui passaient. Il voyait, il pensait, mais il oubliait.
Et tant mieux. Il n'avait pas envie d'être intelligent. A quoi ça mène, l'intelligence ? Copernic, Galilée, tout ça, ils étaient intelligents, mais damnés. Alors qu'il suffisait de voir le plus simple des fonctionnaires pour s'assurer qu'on n'avait besoin d'être passé par la Wammy's pour être heureux. Il se demanda soudain, en se réveillant un peu, ce que l'orphelinat deviendrait si le siège continuait. Pendant des années, peut-être. Les orphelins assez grands, pourront-ils se marier ? Puis les jumeaux ont déjà une idée de secte peut-être. Ils déclareront que ce sont eux qui uniront les couples, et que c'est eux qui feront la cérémonie et que les jeunes mariés devront passer par des épreuves de bizutage pas vraiment marrants. Il imaginait tout ça avec une ironie mêlée à la terreur, car cela risquait d'arriver.
Mais pour l'instant, il fallait chasser ces idées de la tête. Amour travaillait seul ces derniers temps et essayait de suivre les manuels de cours. Ses cahiers presque vides se remplissaient petit à petit et pourtant il se sentait toujours aussi vide. Pas comme si son âme était en quelques sorte aérienne et légère. Plutôt que ses pensées, son esprit, son âme le plombaient et le tiraient vers le bas. Ca ferait quoi, de ne pas avoir d'âme ? Il se sentirait peut-être léger. Il sourirait, il rirait plus souvent, il pleurerait moins souvent. Mais il sourirait sans sourire, et cela lui semblait insupportable. Plus que la lâcheté Amour n'aimait l'ingratitude ou l'hypocrisie, si vicieux. Lui-même n'osait se cacher et préférait fuir ou se taire. Se taire, il l'avait choisir devant les jumeaux.
Et maintenant, il était la prolongation de leurs bras.
Il s'était tu, et maintenant il fuyait.
Il admirait le plastique modèle et le courage de Wolverine, le X-Man. Il admirait aussi le dessinateur, l'auteur, il les remerciait de ne pas être seule et d'avoir des modèles à suivre. Il les remerciait silencieusement en parcourant les cases des yeux et en feuilletant de temps à autre, en croquant un morceau de chocolat blanc. Il était bien caché, emmitouflé entre les draps neufs et les packs de cahiers. Le peu de lumière venait dans son dos, au dessus de son épaule, sur l'image glorieuse des supers. Et son oreille, couverte d'écouteurs en permanence capta un bruit étranger.
Il se leva, se cogna violemment aux packs économiques, gémit, fit tomber d'autres Bds, gémit à nouveau et regarda. Il s'était attendu au pire, les démons, les diables, les incubes.
Et il voyait un ange.
« Oh Linda. E-excuse-moi. … … … Toi aussi tu aimes venir ici ? … … … Je peux te donner un peu de mon chocolat, si tu veux. Je j'espère que je ne te dérange pas... enfin tu sais, j-je peux partir si tu veux, j'ai eu ma période. J-je... je suis content de te parler. »
Ce faisant, il enleva ses lunettes de soleil, ramassa la tablette blanche et laiteuse et la lui tendit. Il se sentait horriblement gênée, parce qu'il savait qu'elle l'était aussi. Mais ce n'est pas grave. Autant masquer et parler au dessus, sur une nouvelle couche, recouvrir cette gêne horrible. Elle se sentait peut-être égoïste, et lui, qu'est-ce qu'il faisait, le larbin, le chien, le lecteur de comics aux mille tablettes ?