« Ce soir, on sort. »

Et ils sont sortis – tous les deux, Mello et Matt.

Rires gras et hurlements révoltés des Sex Pistols, ambiance presque typique d’un pub irlandais dont Mello s’imprègne avec la curiosité fière et insolente de l’adolescent qui n’aime rien autant qu’enfreindre les règles.

« A la tienne, Matt ! »

Adressant à son congénère un mince sourire, il lève sa pinte de Guinness – malgré les traits encore enfantins de sa figure, le tenancier a stupidement cru à la mensongère majorité de sa fausse carte d’identité – puis en boit une conséquente gorgée. Il savoure pleinement ce goût inconnu, ce goût amer, presque caféiné, ce goût de velours qui lui caresse la langue...

Ce goût de liberté.

Ses prunelles cérulées, parsemées d’éclats bruts d’une allégresse mutine – une allégresse qui trouve sa source dans la désobéissance, dans la défiance – parcourent indolemment les environs, s’intéressent à un groupe de jeunes filles gloussant non loin. Visiblement bêtes, mignonnes, généreusement dotées... Parfaites pour Matt, songe-t-il en haussant un sourcil méprisant – de ce qu’il connaît des préférences de son ami rouquin, du moins.

N’y pense même pas, Matt. Ce soir, c’est avec moi – et seulement moi – que tu passes la soirée.

« Absolument pas. Trop connes pour moi. Tu sais très bien que je les préfère avec un cerveau. »

Et il ponctue sa réplique exaspérée d’une claque à l’arrière du crâne de son ami – largement méritée, se dit-il, c’est comme ça qu’on corrige la stupidité.

« Arrête de penser tout de suite, Matt, tes envies perverses spamment – autant utiliser un vocabulaire qu’il comprend – mon esprit. »

Soudain, se sentant peut-être observées – éhontément scrutées, à la vérité –, les jeunes filles se tournent vers leur table, laissent échapper un gloussement collectif et leur décochent leur plus beau sourire. Sourire auquel Mello n’adresse rien de mieux qu’un majeur fièrement dressé, bougonnant un ''Bande de salopes...'' méprisant de manière à ce que seul Matt l’entende – parce qu’insulter des filles, c’est pas correct, il paraît.

« Je sais vraiment pas ce que tu leur trouves, à ces grognasses. »

Le blond descend cul sec ce qui subsiste de sa Guinness puis plonge ses prunelles azurées dans celles de son partenaire auquel il offre un mince sourire amusé, inspiré par l’allégresse de transgresser une fois de plus les règles – et surtout, de transgresser les règles avec Matt.

La rébellion a bien meilleur goût lorsqu’elle se fait à deux.

« Je vais me chercher à boire et je reviens, sois sage. »

Sur ces paroles, il se lève, se dirige d’une démarche féline vers le comptoir et réclame quatre shots de chocolat-vodka – sa friandise favorite et l’alcool de son pays natal, quoi de mieux ? Puis, tenant maladroitement mais efficacement les quatre petits verres, il s’en retourne à leur table.

« Tiens, fait-il en donnant deux shots à son ami, ça te changera de ton cocktail de gonzesse. On a qu’à dire que c’est ma tournée. »

Tournée qu’il s’empresse d’honorer en vidant promptement les deux verres.

D’imperceptibles frissons le prennent à la violente chaleur qui submerge son corps, il s’affale sur son siège et renverse sa tête en arrière tandis qu’un grognement de plaisir naît sur ses lèvres – un tempérament fiévreux tel que le sien savoure jusqu’aux plus petites choses avec l’intensité de toute une vie.

« C’est ça qu’c’est bon, comme on dit... »

Quelle partie du monde on refait ce soir...

Un grand sourire ourle les lèvres de Mello, dévoilant ses dents parfaitement blanches et illuminant son faciès lactescent d’une joie presqu’enfantine ; un grand sourire de sale gosse s’apprêtant à vivre une intense, une dangereuse, une criminelle aventure – l’aventure de toute une existence.

Parce que c’est le monde entier que l’éternel second de la Wammy’s House prétend refaire.

Tout exploser, tout détruire pour ensuite tout reconstruire, tout rendre plus beau, plus parfait, plus sauvage, plus brutal, plus Mello. Le monde entier lui appartient – à lui, oui, à lui ! – et le monde entier se souviendra de lui.

« Eh bien... On se bourre la gueule, on pète tout dans les environs et on finit en feu d’artifice – par là j’entends qu’on fait exploser l’Angleterre entière, genre BOUM ! –, voilà le plan pour la soirée, détaille-t-il en riant, ne sachant pas lui-même s’il était sérieux ou pas. Et oui, c’était du chocolat. Quoi d’autre, Matt, voyons... »

Il conclut ses derniers mots en tapotant affectueusement la tête de son meilleur ami, comme s’il lui pardonnait indulgemment sa stupidité – une sorte de ‘‘C’est pas grave, va, ça va aller...’’ –, un geste quelque peu gausseur, oui, mais un geste qui ne devrait pas trop s’expliquer surtout.

« Hep ma jolie !, hèle-t-il d’une voix goguenarde alors qu’une serveuse s’apprête à passer devant leur table. Amène-moi une vodka-redbull. »

La jeune femme se formaliserait de cette arrogante familiarité si le blond n’avait pas un sourire enjôleur aux lèvres, un de ces sourires envoûtants – un sourire gorgé de danger – qui feraient rougir les pires chaudasses comme des petites pucelles.

« Pfffffft, trop facile... Fais-leur un beau sourire et trois minutes plus tard tu les baises dans les chiottes... Elles sont toutes comme ça, Matt ? »

Du sexe féminin Mello ne connaît que les spécimens de la Wammy’s House – et comme tous les orphelins, elles ne représentent toutes que des exceptions à la généralité du sexe faible, elles ne sont qu’un quelque chose de mieux qu’il suppose bien rare dans le monde. Et la banalité, la médiocrité, Matt connaît tout ça bien mieux que lui.

Pas que ce soit mal – au contraire.