J'aurais aimé dire que je suis normal, que je n'ai absolument rien à envier à n'importe quel gamin jouant tranquillement au football avec sa bande de potes en riant, mais ce n'est pas le cas. La sociabilité, être ouvert aux autres et ce genre de qualités appréciées en communauté sont définitivement éloignées de mon moi, du moins tel que je le ressens. On doit sans doute me prendre pour un asocial extrême, à me voir toujours isolé, coupé du reste du monde avec lequel je ne me suis jamais découvert aucun atome crochu. Je ne dirais pas que je suis timide, mais plutôt que je ne suis qu'une succession de "Je ne veux pas sinon ..." ou de "Je ne suis pas sûr que ça soit ...", de frayeurs - peur de dire le mot qu'il ne fallait pas sortir, peur d'aller trop loin ou au contraire pas assez -, des choses qui, non, ne sont pas de la timidité, mais qui se sont transformées en véritables aversions pour la discussion. Je n'ai jamais vraiment été à l'aise avec qui que ce soit, hormis peut-être mes parents; la plupart des gens, à être aussi endurants face à la vie, m'intimidaient et résultat, je ne parle pratiquement plus qu'avec mon ordinateur.
Mais même face à une machine, il m'arrive très facilement de pleurer ou de me mettre en colère - ce dernier point est cependant extrêmement rare. Ce côté de ma personnalité a été révélé depuis ma petite enfance et ne colle pas avec l'air blasé que j'affiche la plupart du temps. Je n'aime, en général, pas les regards qu'on porte à tout un chacun. Bien souvent, je ne regarde personne, redoutant qu'on se tourne vers moi et qu'on lise dans mon âme. J'ai beau ne rien avoir à cacher, j'aime être discret, j'aime qu'on ne me porte pas attention.
Je parais souvent très sérieux, ce n'est pas le cas, oh, et puis, après tout, j'en ai assez de me soucier de ce que les autres pensent de moi. En fait, je pense avoir compris que je n'aime tout simplement pas les gens, car je sais que je suis unique, comme tous - me diriez-vous - mais que je ne cherche pas à ce qu'on me comprenne.
On peut dire aussi que je suis réaliste, terre-à-terre, peut-être même un peu trop. Il y a bien longtemps que je considère que le monde est pourri, mais pas au point de vouloir ne plus en faire partie - cet extrême-là, comme la plupart des réactions "ultimes" qui existent, je suis bien trop peureux pour oser.
Oui, voilà, je crois avoir saisi, un manque total de courage forme un gros trou dans mon cerveau, ce qui fait que malgré mes capacités - soyons honnêtes - plutôt élevées, je n'ose pas.
" Je n'ose pas ". Cette phrase est le résumé de ma vie. Il y a beaucoup de choses que je n'ose pas, à commencer par me faire remarquer.
Sans doute la raison pour laquelle je n'aime pas beaucoup de choses.
Mais il y a une logique qui m'échappe dans mon comportement. Je sais que si je veux passer inaperçu, il serait bon de me mêler à la foule, de faire le monsieur tout-le-monde, exactement ce que je n'ai pas fait et ce qui avait fait de moi la cible de moqueries, là où être mauvais en classe et ne rien comprendre était synonyme de coolitude. J'avais une fois essayé, et le résultat était tellement désastreux que j'avais vite laissé tomber.
Moi qui aime tant la discrétion, j'aime aussi la solitude, considérant que l'on n'est jamais mieux servi que par soi-même ... Et par conséquent, naît de ce caractère contradictoire une originalité qui va pousser les gens à aller me voir; ce que j'aimerais éviter ...
Je suis un paradoxe à moi tout seul, je ne mens pas et d'ailleurs cela fait partie de ce que je déteste, et je me trouve tellement étrange, tellement illogique, que je ne cherche plus vraiment à comprendre. Ce qui a tendance à me faire compatir ou à chercher automatiquement des excuses à n'importe qui ... Si même celles-ci sont absentes, je ne suis pas rancunier et même peut-être pas assez. "Je n'aime pas les gens, de manière générale, de pas par leurs actes passés et actuels mais par leurs potentiels actes futurs", voilà ce que pourrait être mon mode de pensée.
En somme, on peut dire que j'ai beau chercher à comprendre et à m'adapter, je me trompe souvent de comportement et de part cela je suis irrémédiablement pessimiste.
Lorsqu'on lit mes écrits, il paraît même que je semble dépressif.
Je dirais juste que j'ai perdu depuis longtemps confiance en mes capacités et celles des autres pour coexister, que je préfère ainsi rester en retrait.
Tout simplement.
'cause they'll be a day when you're standing in the hall of fame
On dit que chaque être humain a le droit de vivre.
Permettez que j'y apporte ma touche personnelle : chaque personne a le droit de vivre, encore faut-il qu'elle le veuille. Bien évidemment, ce n'est pas le genre de question que l'on se pose à la naissance de son enfant, pas plus qu'on ne se rend compte qu'il pleut, qu'il neige, pas plus que le nouveau-né en question pense tout court à autre chose qu'à soi-même. Je ne fais pas, d'après les dires de ceux ayant assisté à ma mise au monde, dérogation. Je n'ai, pour ainsi dire, et au moins jusqu'à mes six ans, jamais remarqué que les exceptions confirmant la règle, ce n'était pas ceux qui m'entouraient, mais bien moi. Tout portait en effet à me faire croire le contraire. N'était-ce pas fréquent, les enfants de réfugiés, contraints de découvrir le pays dans lequel ils étaient nés dans les livres d'histoire et autres cartes du monde résolument plates ? J'ai une fois entendu dire par quelque ivrogne que, si l'on virait tous les immigrés, comme le proposait « si gentiment » Le Pen et son FN, la France ne compterait plus que les gros bourges. Et moi de penser avec aigreur que les SDF dans le métro étaient pourtant bien blancs … C'est peut-être de cet épisode, lointain mais toujours gravé dans ma mémoire, que me vient cette envie de voyage, d'autres horizons plus cléments. J'avais eu très tôt l'impression de perdre mon innocence ainsi que ma naïveté, et pourtant il fallait croire qu'ils restaient ancrés au plus profond de moi. Enfin ! Croire résolument que l'herbe est toujours plus verte ailleurs, c'est humain, n'est-ce pas ? Pas vraiment cool … Personnellement, je n'ai pas une très haute opinion de cette espèce qui se targue d'être celle qui domine le monde – je n'ai pourtant jamais entendu parler d'autre chose que d'une destruction et d'une putréfaction, lente, mais sûre et totale … Pourquoi suis-je né homme ? N'importe quel autre animal aurait été parfait. Même une fourmi. J'aurais eu au moins la prétention justifiée d'être fort au point de transporter plusieurs fois mon poids sur mon dos.
Mais comme ce n'est pas le cas, que je suis résolument membre d'une espèce commençant par homo et finissant par sapiens, autant mettre à profit ce que cette condition offre. Il paraît que les mathématiques seraient le langage universel qui servirait même à communiquer avec d'autres entités intelligentes. Je ne suis pour ma part pas un fervent adepte de cette discipline, mais je puis tout de même utiliser ce qu'on pourrait appeler science pour brosser un portrait de mon passé. Tout l'intérêt, ici, réside dans mes choix. Je ne ferais pas preuve d'autant de cynisme si chaque jour de mon existence avait été joyeux, trépidant comme c'est pas permis.
Des souvenirs, autant de songes que de mauvais rêves.
1999. J'aimerais citer de grands évènements, mais ma connaissance est limitée. Dites-vous seulement que je suis né.
Bien sûr, on me l'a dit, et je n'ai pas pris la peine de vérifier si ça avait bien eu lieu à Kandy, le dix-huit septembre, à deux heures trente du matin. Tout ça, je l'ai lu dans mon carnet de santé, qui – je me le suis dit et je le pense encore – ne devait pas être faux, pour peu que la fuite de ma famille était voulue secrète. On aurait caché mes origines. Je ne me sentais pourtant pas Tamoul, n'ayant jamais grandi qu'en parlant français, à l'école, et anglais, à la maison. On se disait sans doute que c'était mieux comme ça. Après tout, ce peuple que j'ai peine à considérer comme le mien n'est pas originaire du Sri Lanka, mais bien d'Inde, et comme il est bon de le savoir, celle-ci fut colonisée par la Grande-Bretagne; rien d'étonnant, donc, qu'on décide de m'élever à cette langue.
Aujourd'hui, je me demande si ce n'est pas par honte que mes parents me privaient de cette culture, me répétant sans cesse que j'étais un petit français bilingue. Pourtant, ce n'est pas que dans l'île qu'on appelait autrefois Ceylan qu'on trouvait – qu'on trouve toujours – des terroristes.
Je ne me suis jamais senti français, imaginant à tort que c'était le propre de ce pays que de ne pas comprendre la différence. Celui que j'aimerais aimer, auquel je voulais appartenir plus que de part ma naissance se situait à l'autre bout du monde …
Même ma couleur de peau m"y éloignait. Je ne l'avais même pas mate compte tenu du métissage anglais de ma mère ...
Le patriotisme, ça n'était pas pour moi.
Moi ? Avec un nom rien qu'Anglais et un prénom venant d'on ne sait où ? J'étais informe, passe-partout, et voir ces deux mots l'un l'autre sur une feuille me donnait l'impression d'exsuder tout sauf une véritable personnalité.
Je m'appelle Hélio Bennett.
2001, 2002, 2003, 2004.
Probablement les meilleures années de ma courte existence, l'époque plutôt bienheureuse où je me sentais comme tout le monde, ou tout au plus comme n'importe quel gamin de la cité. Je ne voudrais pas m'appesantir là-dessus, considérant cette période comme celle des « premières fois ». Il y en a bien trop pour les décrire toutes, et puis la mémoire ne fait pas partie de mes attributs significatifs … Certes, certaines, positives, et certaines, moins, ne peuvent tout simplement pas s'oublier. Comme cette fois où je me suis rendu compte que la politique était plus claire pour moi que pour mes parents – mais n'exagérons rien, ça a toujours été pour eux du Chinois. Ou encore.
La débauche de violence à laquelle j'avais été confronté. Cela concernait un de mes collègues de la cité qui avait eu la malchance de se trouver au mauvais endroit, au mauvais moment. Cela avait aussi coïncidé avec mes véritables crises de larmes, de terreur, ma première visite à l'hôpital … Et le déclin de mon âme de gamin. C'est une scène restée imprimée dans ma cervelle. Vers la fin de l'année 2004. Le regard douloureux de celui qui, percé de fils et plâtré, n'avait que deux, trois ans de plus que moi, avait modifié irrémédiablement le mien, humide au possible. Il s'était voilé, avait perdu de son éclat et s'était dit que la vie n'était pas si rose que ça. Bien trop tôt.
2005, 2006, 2007.
Aucun véritable déclencheur ne me vient en tête. Mais c'est l'année, ou plutôt les quelques mois suivant la rentrée des classes, celle de la Grande École … Qui m'éloignèrent définitivement du profil-type du petit banlieusard. Je n'étais pas comme les autres. Ce fait, je ne l'avais alors compris que physiquement, lorsque j'essayais, pas très convaincu, de persuader que je n'étais pas Indien. Je savais lire, je savais écrire, ayant simplement appris en observant, comme nous tous le faisons. Il n'y eut pas longtemps à attendre pour que la maîtresse fasse mon éloge, pour que je me lasse de ces lettres à répéter, pour que je m'éloigne, petit à petit. De tous. C'est comme ça, personne n'y pouvait rien, et ce n'était pas mon comportement qui pouvait arranger les choses. N'ayant jamais spécialement aimé travailler, je ne faisais littéralement rien, ce qui, conformément à ce que je ne souhaitais pas, renforçais l'animosité des autres enfants à mon égard.
Seul, je l'étais, tout simplement. Dans mon corps, toujours en retrait, en tailleur, réfugié dans le coin lecture me servant désormais d'abri. Sous les quolibets des « CP » cruels, je me voyais peint petit égocentrique et vantard au possible.
Dans mon coeur, j'acceptais doucement cette réalité qui, finalement, ne m'étonnait pas plus que ça. Peu à peu, je ne réagissais plus aux insultes, je ne tiltai même plus à la main tendue de l'enseignante qui réclamait toujours un meilleur devoir que le précédent. Finalement, je m'étais ravisé et je répondais tout simplement aux questions qu'on me posait. Moi, auparavant si sujet aux pétages de plombs en société, je ne pleurais même plus. Je descendais lentement vers une isolation totale, en présence, du moins, d'êtres humains, de mon âge ou pas. Je ne parlais plus vraiment. C'est étonnant ce que la simple pensée « J'ai perdu » ai pu à ce point faire décliner mon comportement. En quelques années, j'étais devenu tout à fait méconnaissable pour mes anciennes connaissances. Je n'avais pas un seul instant frôlé l'espoir que cela change avec les autres élèves que je serais amené à côtoyer dans les classes supérieures.
En fait, j'avais abandonné, tout simplement, le combat que j'avais vite senti venir. J 'avais, évidemment, refusé qu'on me place à un niveau plus avancé, expliquant clairement mes raisons à papa-maman, dans ma chambre. Un des rares endroits où je sentais pouvoir être moi-même, dieu soit loué que je sois fils unique. Ce devait sans doute et sûrement être ça, encore aujourd'hui : m'étant forgé une carapace contre mes semblables, trop effrayé, je n'arrivais pas à correctement communiquer avec eux. Ça n'a jamais changé. C'est aussi à cette époque que j'ai appris la relation entre l'ancien nom du Sri Lanka et le thé Ceylan, celui que je me suis mis à boire plus que de raison. La chaleur, j'en manquais terriblement, et pour ainsi dire, je n'avais accès qu'à deux sources apaisantes : celle de mon père, celle de ma mère. Je ne sortais plus avec mes amis désormais disparus, je me contentais de rester avec l'amour de mes géniteurs, d'être moi-même à cent pour cent, sensible, partant presque au quart de tour et pleurer, pleurer pour un rien, ma véritable personnalité, celle que je m'efforçais de cacher sous un masque où la tristesse était bannie.
J'écrivais mes rêves.
2008.
À cette année, je n'associe pas un événement, mais un objet – tout nouveau pour l'enfant que j'étais. C'est à présent le plus vieil objet que je possède, et aussi le seul.
Un ordinateur portable, rien qu'à moi. Ne vous moquez pas, je vous en prie. Ce fut pour moi une petite révolution, c'était la première fois que j'appréciais une « surprise ». C'est devenu comme une sorte de compagnon. D'abord, je me suis contenté de le regarder. Un rituel, celui de m'endormir en fixant l'écran, allumé mais inutilisé, s'était vite installé. Étrange, me diriez-vous, cette lubie de ne se servir de l'engin le plus perfectionné de l'appartement – mes parents étaient dévoués – qu'en guise de veilleuse ou d'instrument à inspiration. Oui, j'écrivais énormément, et ce n'était pas en guise de catharsis. Je ne croyais guère à ce genre de remède. Et puis, je ne me sentais pas malade, juste un peu trop réaliste. Je considère mes écrits comme « personnels », ce qui signifiait qu'ils n'étaient destinés à personne d'autre que moi. J'aimais lire, aussi, c'était sans doute pour ça. Alors, tout ce qui me passait par la tête, mes rêves, mes cauchemars, mes pensées folles, obscures, je les couchais sur papier. Pour être sûr d'avoir toujours quelque chose à parcourir des yeux, pour que jamais ceux-ci ne se posent sur les gosses qui jouaient au football, là-bas, dans la cour. Ou était-ce du rugby ? J'ai certaines parfois vu un très perturbant mélange des deux.
En effet, je n'ai d'abord considéré mon plus beau cadeau que de par son esthétisme. J'étais fasciné. C'est peu de dire si je n'avais jamais utilisé un ordinateur de ma vie. Et peu à peu, sous le sourire rieur de ma mère – il flotte encore devant mes yeux –, touche par touche, j'ai apprivoisé ce nouvel animal. Je me souviens encore de l'émoi de ma génitrice lorsque, après avoir tapé mes trois premiers mots, un véritable air enjoué était apparu sur mon visage.
Je suis ici.
C'est devenu mon oeuf. Désormais, en contemplant mes jambes croisées, je ne voyais plus le sol, mais bel et bien l'occupant de ce petit nid.
Je suis ici. Je pense donc je suis. Soyons réalistes. Logiques. Seuls ceux qui ne font rien ne risquent rien. Moi je dis : « seuls les morts sont à l'abri du malheur ».
À chaque page World que j'ouvrais, j'associais ces maximes qui me correspondaient parfaitement. Lentement, l'index, parfois tremblant, puis deux doigts, puis une main, puis les deux, de plus en plus vite, retranscrivaient toute l'encre portée sur quelque papier couvrant la moquette ou tapissant les murs de mon antre. Bientôt, plus qu'un compagnon, je l'utilisais exclusivement, le gardant même serré dans mes bras quand je dormais.
Considérez-le comme une sorte d'ami que je n'ai jamais eu … Un ami un peu bizarre.
2009.
C'est ce qu'on appelle un déclic. Sans aucune raison, une partie de mon masque s'est brisée. Bien sûr, j'allais toujours à l'école, je restais toujours seul et je fuyais toujours le regard des autres. Cette dernière année de primaire a pourtant été différente des autres. Ça n'était pas l'âge qui avait fait mûrir ou au contraire enlaidir l'âme de mes « semblables », non. Alors, pourquoi donc n'arrivais-je plus à me contenir, pourquoi je rougissais, je pleurais, sans parvenir à le dissimuler ?
J'ai tardé à le comprendre.
Il s'agissait en fait de Laura.
Parfaitement. J'ai mis du temps, oui, à comprendre que les regards furtifs qui l'apercevaient ces dernières années dans la cour de récréation représentaient cette fois une véritable attirance. C'était vrai, je n'avais aucune honte de penser bien fort que je l'aimais.
Aimer. Comment je pouvais l'affirmer ? Eh bien … Moi, à qui ça n'arrivait jamais, j'avais chaud, j'avais du mal à garder mon calme, je tripotais mes doigts de pied et j'évitais encore plus le regard de quiconque. Cela avait beau ne pas être dans mes habitudes, j'ai alors profité de l'anonymat du Net pour me renseigner – oui, une chose qui m'arrivait si rarement … Je ne faisais qu'écrire.
Il s'est avéré que ces « symptômes » si connus étaient bien exacts. Je me souviens de cette période. Un sourire flottait toujours dans l'appartement familial et les larmes perlaient à l'intérieur de la salle de classe. J'ai des sentiments, vous savez, peut-être même un peu trop. Je ne suis pas une machine programmée simplement pour fournir des résultats et des solutions. Aujourd'hui encore, je me demande s'il l'aurait mieux fallu. Non, après tout ! J'avais ressenti un tel sentiment … Voyons.
C'était comme si une étoile brillait. Mes parents étaient le soleil et la lune, elle, l'étoile de mon ciel … C'était différent de ce que je ressentais vis-à-vis de ceux qui éclairaient ma vie. Elle, elle la rendait à la fois infernale et plus brillante. Mon ciel toujours noir défaillait en sa présence … Défaillait tous les jours et pourtant, refusait que ça s'arrête …
Je ne suis jamais allé lui parler. Et c'est pourtant un des échanges les plus brûlants de désir et libéré de toute peur qui eut lieu à la fin de l'année scolaire.
Un morose jour de pluie où je faisais partie des rares à ne pas courir dans les flaques, elle vient me voir. Elle m'a regardé un instant et puis, sans détour, elle s'est assise à côté de moi. Sa longue chevelure rousse semblant s'agiter autour de son joli visage, comme vivants, elle m'a déclaré que je ressemblais à … Un écureuil. Mais non ! C'était elle … Qu'avait-elle dit ensuite ?
On dirait que tu caches quelque chose de très précieux. Tu sais ? Personne ne se comporte comme tu le fais sans raison. Tu dois avoir quelque chose ; il t'est arrivé quelque chose ? En fait, tu protèges quelque chose depuis tellement longtemps que tu as oublié ce que c'était. Tu vois ? C'est presque un réflexe, maintenant, non ? Tu es dévoué … Dévoué à quelque chose … Qu'est-ce que c'est ? C'est toi ? Tes noisettes, c'est toi, l'écureuil ?
J'avais rougi, je m'en souviens. Elle avait lu dans mon cœur. Je savais pertinemment qu'on ne se reverrait plus.
Mais je m'en fichais. À l'instant présent, mon ciel était si clair que je n'y voyais plus, si clair qu'il ne souffrait plus. J'avais l'impression de pouvoir toucher ces deux émeraudes qu'étaient ses yeux. Je crois que les miens pleuraient, pleuraient de joie.
Et après ?
Tendrement, était-ce les miennes ? Était-ce les siennes qui s'étaient posées les premières ?
2010.
J'aimerais pouvoir dire que je m'ennuyais, que j'étais triste, que je n'arrivais pas à oublier ce baiser d'adieu. Et pourtant … Il faut croire que je ne suis finalement pas si sensible que je croyais. Certes, c'est avec mélancolie que, durant tout l'été, j'avais ressassé ce tendre sentiment que j'avais éprouvé.
Laura, écureuil, noisettes, ciel, émeraudes … Ces quelques mots qui revenaient en boucle dans ma tête et sur l'écran étaient témoins de mon éparpillement.
Bien entendu, j'avais passé deux mois sans voir personne, et, comme tous les ans, je m'étais adouci, ramolli même. Étant de nature volatile, j'oubliais. Oui, j'oubliais presque à quel point on peut refléter l'état du monde par son comportement. Pourri.
Si les enfants sont cruels, que sont les adolescents ? Pour m'administrer un choc tel qu'on pourrait le comparer à un coup de massue ? Ils m'ont clairement fait descendre du petit nuage sur lequel je m'étais posé. Il fallait, de plus belle, et même encore plus, que je me recroqueville, que je déploie les épines de ma carapace. Plus de place pour l'amour ou je ne sais quelle jolie chose. Car si les écoliers rient de vous, les collégiens expérimentent plus volontiers leur aspect sadique. Dès à présent, ne pas répondre à son interlocuteur est un comportement très dangereux. Il m'a fallu donc changer, pour me mettre à aboyer sur quiconque faisait mine de s'intéresser à moi – excepté les professeurs, tour à tour prêtant diverses expressions face à ce qu'ils appelaient mon « génie ».
Une vie souvent difficile, entre la relation des jeunes, aveugles, et celle des adultes, teintée d'incompréhension. Une vie laissant de moins en moins place, pourtant méritée, à la fantaisie et à l'imaginaire. Oh, bien sûr, j'écrivais toujours. C'est simplement à cette époque que je me suis mis à oublier les rares rêves que m'octroyaient mes quelques heures de sommeil quotidiennes. En fait, mes yeux sont restés si longtemps devant cet écran que c'est un miracle si ma vue reste toujours aussi bonne.
J'avais l'impression de dérailler un petit peu.
Plus ça allait, plus mes textes se transformaient. Une pensée un peu paradoxale, mais pourtant vraie, s'était imposée à mon esprit. Ceux-là semblaient peu à peu aussi dénués de sens que d'une effroyable logique.
C'est la douceur du monde, une douceur aigre, du doux-amer. Ça le fait couler. Paradis, enfer, autant de remèdes que de poisons. Plumes qui volent au vent. Qui reflètent notre impuissance. Oiseau, oiseaux. Même les oiseaux savent faire ce qu'ils veulent faire. Être forts. Ça, notre rêve ? On veut toujours ce qu'on n'a pas. Nous ? Même les blattes sont ce que nous voulons. Nous ? Qui suis-je pour parler de nous ? Je ne suis pas eux. Non. Qui suis-je ? Que suis-je ? Je suis … Je suis. Quoi ?
Je suis seul. Tout seul.
2011, 2012.
Une lente descente aux enfers. De nouveau. J'ai beau voir le monde tel qu'il est, c'est vrai que ma vision des choses n'est pas très optimiste. En fait, je crois même avoir oublié ce qui le permettrait. Il faut dire que je manque un peu d'exemples. Ou plutôt d'exemples significatifs. Toutes les personnes que j'observe, du moins, la majeure partie, semblent juste être heureuses « comme ça ». Je ne comprenais pas comment on pouvait être joyeux « comme ça ». Depuis mon entrée au collège, j'avais l'impression de me résorber. Je pressentais que la seule chose sans justification que je comprenais, c'était la sensibilité qui m'était propre. Tout le reste n'était que logique.
Logique, logique, logique, point. Pourquoi ? Pourquoi je tentais de trouver de vraies réponses ? Je crois savoir. L'écureuil … L'écureuil a beau oublier tout ce qu'il fait, il continue obstinément. Oui. De l'obstination.
La ténacité n'était pas une qualité que je me connaissais. Je crois d'ailleurs qu'elle fait bel et bien parti de l'acquis et pas de l'inné. Je suis né avec cette capacité de compréhension et d'interprétation exceptionnelle, du moins au vu de mon milieu social, cela fait longtemps que je me suis rendu compte. Mais je suis aussi né faible et pleurnicheur, encore davantage qu'un enfant commun. Tout à fait, je suis hypersensible, ce, depuis toujours, et ça n'a jamais changé. Cependant. Car il y a un mais.
Aujourd'hui. Aujourd'hui, à présent, je crois que j'ai gagné quelque chose. Je ne me suis jamais posé la question, mais ici, est-ce qu'on peut parler d'expérience ?
Peut-être. Ou peut-être pas. À vrai dire, je crois qu'il s'agit d'autre chose. Qu'on ne pourrait pas nommer … Je n'ai pas perdu ma faiblesse. Il y a une force, une de celles qu'on ne remarque pas, qui est apparue, qui s'est développée, qui a pris une place infime, qui a cohabité, tout simplement.
Ce devait être ce qui me rendait véritablement unique.
2013.
Un mot, pour désigner les quelques mois de l'année n°13 du troisième millénaire, celle, non pas scolaire, mais qui commence le 1er Janvier ? Ironie. Un simple succédané d'ironie du sort, et, on peut même le dire, d'un foutage de gueule du destin. Je suis tenté de dire « son mérite est mon aversion » … De haïr de tout mon cœur cette période … J'en suis tout bonnement incapable. De haïr tout et n'importe quoi. Je ne peux pas haïr les autres et quelque chose que je comprends si bien … Je subis, c'est tout, et c'est bien ce qu'on appelle fatalité, n'est-ce pas ?
Je ne cherche pas plus loin. Bien qu'étant très terre-à-terre, comment appeler hasard tout cela ? Tout en étant impliqué ? Je ne vois pas comment. Balloté par les flots, je suis tellement pathétique …
Au début de cette nouvelle année qui ne m'inquiétait pas tant que ça au vu de ma superstition, un détail qui semblait plus qu'anodin prendra plus tard une malheureuse importance. Jugez plutôt ; le ministre de l'Education français considère fréquemment bon de jauger les élèves du pays. Le hasard a fait que, parmi 700 classes de quatrième réparties à travers le territoire, il se trouva la mienne. On soumit donc une quelque vingtaine d'adolescents, moi compris, à … Un test de Q.I. Pour le moins étrange, la méthode d'évaluation du « niveau moyen » des 13-14 ans. J'ai toujours pensé qu'il y avait anguille sous roche. D'après la mémoire du personnel éducatif, c'était la première fois qu'un test de ce type était soumis à des jeunes dans le cadre d'une évaluation globale. Et bien sûr, ça devait tomber sur cette 4ème-ci. La mienne … Sans parler du fait que les professeurs cachaient mal leur empressement à parler de moi tout autour d'eux.
Réfléchir trop, c'est aussi nocif que de s'adonner à de tels délires égocentriques et paranoïaques. Ceci dit, je me figurais que, comme le test de fin de primaire, je n'en entendrais plus parler. Grossière erreur … Cela se rappela à moi d'une façon assez désagréable, peu après … Peu après, je vais dire, la journée-mémoire, celle tatouée pour de bon dans mon esprit, celle qui parfois se répète en boucle lors des nuits sans lumière.
Une soirée. Oui, une soirée comme toutes les soirées de semaine. Moi, comme toujours, en train de taper, rapidement mais paisiblement, sur la moquette de ma chambre, dans un coin. Ma mère, dans la cuisine … Ah, tiens ? Non. Personne ne me répondit quand j'ai hurlé (fait exceptionnel en société, mais pas tant que ça ici) parce que la batterie s'était vidée avant que je puisse enregistrer. C'était bizarre. J'inspectais l'appartement vide jusqu'à trouver – ô comble de l'originalité ! - un petit mot épinglé sur le frigo au moyen d'un aimant. Petite attention m'informant que ma génitrice était partie au marché. D'accord, cela pouvait se tenir, compte tenu du fait qu'en rentrant je ne m'étais intéressé à rien d'autre qu'au trajet entrée → gîte-et-accessoirement-lieu-d'extase/repos. Mais cela devrait alors durer plusieurs heures … Plus qu'étrange. Je décrochais alors rapidement le combiné du fixe et laissais sonner deux fois avant d'entendre l'introduction d'un tube de Bob Marley en provenance … Du salon. Raccrochant aussi sec, j'ai, avec une pointe d'inquiétude, constaté l'illogique. Si elle savait que ce serait long, elle aurait pris son portable … Aurait-elle effectué un détour imprévu chez une de ses amies ? Après avoir fait les courses ? Non, très peu probable, pas plus probable que l'hypothèse du mensonge qui ne sied pas à sa nature. Serait-il possible qu'elle soit allée rejoindre mon père ? En parlant de ça, je n'ai jamais su ses horaires, à lui. Vu celle à laquelle il rentrait habituellement, soit son patron était un tyran, soit il faisait pas mal d'heures supplémentaires.
Oh, et puis, autant vérifier, je m'étais dis, en rebranchant le chargeur de l'ordinateur, l'ayant retrouvé dans mes draps après quelques minutes de laborieuses recherches. Je n'aurais jamais dû.
Je n'aurais jamais dû cliquer sur cette page de Le Monde apparaissant même avant le site officiel de l'entreprise. Ne datant que de deux heures. J'avais parcouru cet article dont l'en-tête me terrifiait déjà.
KAMIKAZE. Rien que ce mot. Rien que ces quelques lignes.
Rien que l'annonce d'un suicide à l'explosif qui entraîna la mort d'un employé.
Le propre mari de celle qui avait décidé de mettre fin à ses jours.
R. Bennett.
…
... Et …
Et après ?
Décrire la souffrance est une chose difficile et qu'on peut même qualifier, dans mon cas, de véritable torture.
Disons simplement que …
Que je n'avais jamais connu la sensation de douleur et le fait d'avoir mal jusque-là.
Tout ce qui arriva ensuite, alors que je restai prostré, voire exsangue, tout ça, c'était un coup tordu du test de début d'année. Orphelinat, je comprenais. Orphelinat, institution pour surdoués, ça me faisait déjà plus peur et ça m'aidait à comprendre le lien avec ce fameux test.
Mais internat du nom de Wammy's House pour surdoués instruits dans le but de prendre la succession du meilleur détective au monde, ça me terrifiait, tout simplement. Un institut situé à Winchester, en Angleterre, promettait la découverte de nouveaux horizons, c'était bien la seule chose qui me plaisait. Et puis après, je maudissais ma malchance qui avait fait de moi à la fois psychiquement supérieurement développé, et sans-famille. Quelque chose de si rare que je comprenais que la maison soit implantée au Royaume-Uni, patrie de la langue la plus parlée au monde, l'une de mes deux langues dites « maternelles ».
On m'avait appris que ce fameux idéal à copier-coller sur de jeunes gens se faisait appeler L, et c'est alors que j'ai saisi le pourquoi de ce fameux et suspect anonymat requis.
Car en effet, dans cet endroit, tous vivaient en quasi-harmonie sans connaître le véritable nom des autres. Tout ce qu'on savait, c'était que la première lettre de ce pseudonyme correspondait à celle du prénom ou du nom de famille.
Dans cet endroit, rien, si ce n'est le fait qu'on me laissait plus tranquille, ne trahissait l'exceptionnel qui devait y subsister. On y retrouvait la diversité, la différence, on y retrouvaient ceux qui cachent bien leur jeu et les caractères extravertis. Les vifs et les moins vifs.
Pourtant, on y retrouvait également une espèce de normalité qui ne me revient pas. À tous être au-dessus de la norme, tout ça devient commun, et finalement, je ne m'y sens pas beaucoup mieux que dans un collège classique. Tout au plus, cela ressemblait un peu à une vaste maison. Au moins, là, on ne critiquait plus tant que ça ma façon bizarre de m'assoir, on m'autorisait même à m'occuper de mon ordinateur portable. J'allais sans doute doucement apprécier … En espérant pouvoir un jour faire impasse sur cet effroyable esprit de compétition qui agitait la marmaille. Je ne me sentais pas concerné. Je n'ai jamais souhaité être détective.
… Mon surnom, celui que je peux désormais appeler mon second prénom, commence par un H. J'ai longuement réfléchi à ça, comme le noob que j'étais et qui n'avait jamais eu de pseudonyme agréable. Ça m'est venu comme ça, mais …
Hazel, c'est la couleur de mes yeux, c'est ma couleur, celle de mon fardeau, celle qu'a aperçue la seule personne à avoir jamais lu dans mon coeur.
Formidable petit frère
Nous avons bousillé la terre fusillé notre mère
Et l'amour qu'on t'as tant prêché ?
Savais-tu qu'on voulait t'empêcher ?
Grimskunk