Avoue-le. Tu n'as pas dormi, cette nuit. Tu t'es laissé enivrer de ces sensations hypocrites de bonheur, causées par l'alcool, les lumières et tout le reste. Tu n'as pas dormi, ou alors si peu, quelques dizaines de minutes tout au plus. Ce n'est pas encore à ce moment là un sommeil véritable, ce n'en est que l'illusion, durant laquelle tu planes, voyant le monde autour de toi sans le considérer ni même le constater.
Tu es parti de la fête un peu avant l'aube, pour pouvoir contempler ce spectacle matinal -l'aube, seul, assis sur un mur de l'orphelinat. Ces couleurs pastel, ce soleil encore doux, aux premières heures, c'est le seul petit plaisir que tu oses t'accorder, pas vrai ? Le reste du temps n'appartient qu'aux autres, car sinon tu te sentirais terriblement égoïste.
Sans prendre même le temps de manger quoi que ce soit, tu t'es faufilé jusqu'à la bibliothèque. Lire. Cela t'avais manqué, après une semaine ou deux d'excès superbes à répétition. Tu as besoin de relire ce classique. Encore, et encore. Tu l'as déjà en de nombreux exemplaires, chacun dans une édition différente, mais la bibliothèque est un lieu délicieux et serein, qui sent l'ancien et dont les pages des livres qu'elle contient bruissent de savoir. Alors c'est là-bas que tu as choisis de dévorer pour la énième fois ce pilier de la littérature fantastique, écrit par Tolkien, « The Lord of Rings ».
Tu y es. Avidement, tu t'empares du premier volume, admirant la couverture apparemment usée mais en bon état. Tu l'ouvres, et l'odeur de vieux livre t'envahit, odorante et familière. Avec joie, tu caresses les pages veloutées qui présentent pourtant une infime résistance, et un doux sourire vient éclairer ton visage.
Tu as déjà bien entamé ta lecture, et tu la continues, même si le manque de sommeil la rend particulièrement ardue. Ton esprit s'égare, et tu penses à Panzer, à vos jeux à base de guerre de l'Anneau. C'est l'une des rares personnes à qui tu as accordé la permission de toucher au mince cercle d'or qui appartenait à Grand-Papy.
« Bonjour ! »
La voix s'élève, claire et forte, résolument joyeuse. Elle est encore enfantine. Tu sors de ton apathie, surpris, sans avoir pourtant esquissé le moindre geste rappelant le sursaut nerveux qu'émettent les gens étonnés. Tu t'étais assis dans l'ombre, et le petit garçon qui s'est accroupi face à toi est donc lui aussi a un visage méconnaissable car sombre à cause du peu de luminosité. Tu souris à ton tour, pur réflexe, une gentillesse de plus vis-à-vis de quelqu'un.
« Je suis Fenrir, enchanté ! Que lis-tu ? »
Il est très sûrement jeune, pour donner son pseudonyme de cette manière si spontanée, encore innocent, aussi. Tu jettes un coup d'œil au numéro de la page que tu lisais précédemment, avant de le fermer et de le montrer au petit.
« C'est le premier tome du Seigneur des Anneaux, la Communauté de l'Anneau. »
Tu croises tes jambes, en tailleur. Et puis tu te mets à jouer avec ton propre anneau, accroché à une mince chaînette autour de ton cou, et tu continues.
« Moi c'est Everald. Je suis content de te rencontrer. Tu es jeune, non ? Je peux me permettre de te demander ton âge, Fenrir ? »
Tu lui aurais bien proposé quelque chose à manger, si tu avais pensé à prendre des petits gâteaux. Mais tu as oublié. De plus, il n'aurait sans doute pas accepté. Tu n'as pas l'air très fréquentable, avec ton teint fantomatique et tes cernes qui tirent ta peau, juste sous les yeux. Mais pourtant, Everald a toujours eu une réputation de gentil. Malgré le fait que tu te drogues, que tu participes aux plus grosses orgies et autres; on te fait facilement confiance. Quelle ironie pour toi, Everald !