VOUS SAVEZ CE VOUS FAITES, VOUS. ET SI VOUS NE CROYEZ RIEN, VOUS AVEZ VOS RAISONS, MAIS IL Y A CERTAINS PETITS IMPERTINENTS DANS LE MONDE QUI SONT LIBERTINS, SANS SAVOIR POURQUOI, QUI FONT LEUR ESPRIT FORT PARCE QU'ILS CROIENT QUE CELA LEUR SIED BIEN.

Il n'est pas très bien centré. Yves tire un peu sur le nœud de part et d'autre et le défait, pour recommencer les éternels nouements et dénouements. Il croise le tissu, le retourne, le tient, passe la languette en dessous, au dessus, tire un peu trop fort et le nœud se défait.
La faute à la musique de banlieusards qui tape un peu trop fort dans la salle d'à côté, en bas. Les jeunes de nos jours dansaient sur tout ce qui avait un temps et qui passait sur les chaînes de hits. Ou plutôt, du moins ce qui y passait, parce qu'apparemment ces chaînes de mauvais goût imposaient un label dance. Elle est feutrée et assourdie dans la petite pièce annexe, une sorte de boudoir ou d'antichambre très étrange. La porte qui y donnait était très bien dissimulée, et dieu la bénisse, parce que ses tympans déshabitués aux fêtes commençaient à violemment prendre. Quelques marches donnaient à cet havre de paix. Il n'avait pas sa place parmi ces jeunes danseurs rieurs et insouciants – ou plutôt il n'y avait plus sa place. Il avait lui-même choisi d'abandonner ces soirées inutiles et insensés, d'autant plus que le lieu-même n'était pas vraiment une discothèque à la mode. Il connaissait une autre personne qui avait fait la même décision, et cette personne était la mamie assortie au papi.

Il y a de beaux fauteuils dans la petite pièce sombre, des fauteuils recouverts de tissu moelleux et une table basse de bois foncé. Dans un coin, une commode avec un service à thé. Une fenêtre poussiéreuse laissait voir le ciel bleu noir; il reconnaissait quelques constellations qu'il avait l'habitude d'apercevoir dans l'observatoire.
Lui-même ne sait pas comment il avait atterri à cette fête, comment il avait réussi à se trouver de l'oxygène, il ne savait même pas qui diable avait tiré sur son nœud papillon. Et dieu sait qu'il a horreur qu'on y touche. Y toucher, à ses nœuds ou à ses cravates, c'est s'exposer à une mort lente et douloureuse. Sachant qu'il en porte tous les jours et que ces adolescents dépravés s'étonnent TOUJOURS devant un accoutrement pareil, on vous laissera imaginer la boucherie.
Une autre minuscule porte conduit à une microsopique salle d'eau avec un robinet rouillé. Après vérification, l'eau est propre. Il y avait une bouilloire, un thermos, tout pour se faire un thé. Ce n'est pas ce qu'il aurait préféré, mais tant pis.
… Du thé en sachets. Argh. Bon, situation d'urgence, il allait devoir s'y adapter.
Il attendrait que l'orage se calme ici-bas pour descendre et traverser les lieux sans se faire arracher quoi que ce soit. C'est-à-dire quelques heures. Et pas de mots-croisés en vue.
Le fauteuil est un peu trop mou, mais on s'y abandonne facilement avec confort, après avoir évidemment dépoussiéré le textile douteux. Il a laissé tomber l'idée d'essayer de se refaire son nœud avec pour seul miroir, le plateau de service trop nettoyé et dans lequel on ne voit rien. Il a aussi cherché une lampe, mais il n'a trouvé qu'un jeu d'échecs convertible en jeu de dames. Reste à devenir schizophrène pour se distraire un peu.

L'odeur du lipton est fade, comparée à ce dont il est habitué. Un peu de sucre sauverait peut-être le tout. Les tasses rincées par le bon soin de Yves sont, elles, assez belles. La théière accordée est, elle aussi joliment, travaillée. Il passe un long moment à humer la boisson quand il entend les marches craquer.
Quelqu'un a également trouvé le refuge. Soit c'est un allergique à la bêtise, comme lui, soit. Eh bien, c'était quelqu'un de déchiré, défoncé, bourré, tout ce dont il ne voulait pas. La deuxième solution est plus probable, car deux rabats-joie dans une même fête, ça ne se peut pas. Déjà que la probabilité que lui s'y soit retrouvée était tangente à zéro.

La lumière avare du soir lui laisse voir des reflets roux. Une rousse. On ne peut compter le nombre de rousses concupiscentes et dévergondées dans l'orphelinat. Il couvre ses yeux, de peur de tomber sur le pire. LA pire plutôt. Et dans son geste, fait tomber le plateau de service, heureusement vide, malheureusement très bruyant. Solution d'échappatoire zéro.
Espérons alors que cette rousse sache faire des nœuds papillons. Ce serait la seule solution pour une entente cordiale. Mais il lui semble reconnaître le parfum de la fille. Il sourit.