You wanna run away, run away Just get on the fucking train and leave today And it doesn't matter where you spend the night You just might end up somewhere in a fight, in a fight Or calling your room on a concrete shelf Fighting all alone, with yourself, with yourself And you just wanna feel like a coin that's been tossed In a wishing well, a wishing well
Il y avait une nouvelle mode à Wammy’s House récemment. C’était cet espèce de site où on vous posait des questions et vous y répondiez, un espèce de FaceBook vachement réduit, presque tout le monde y avez un compte. Lui aussi. Le coude sur la table, la joue mollement aplatie contre la paume de sa main, il parcourait la page d’Hurricane. Il faisait nuit, et on pouvait voir les réponses de l’italien se reflétaient dans ses yeux fatigués. D’ailleurs, le contraste entre les réponses qu’il lui faisait et celle qu’il faisait aux autres était flagrant. Pour lui, c’était froideur et agacement, comme si rien que le fait de voir le nom du baseballer sur sa page l’horripilait. Des points d’exclamation par dizaine, des ordres, de l’exaspération. Pour les autres, des plaisanteries, de la provocation, du cynisme. Des réponses parfois normales, des smiley marrants, un certain amusement. Depuis longtemps, à LilyPad aussi, on lui disait "T’en fais pas Duncan, il est comme ça avec tout le monde !" Mais pourquoi ces derniers temps, c’était devenu beaucoup plus marqué ? Quoique ça avait toujours été marqué. Il avait toujours eu droit à un traitement plus dur, sans même qu’il ne sache pourquoi. Pourtant à la Wammy’s House, ça avait commencé à s’adoucir… mais c’était reparti comme au début. Tout ça parce qu’il l’avait énervé en lui demandant de sortir avec lui ? Mais c’était fini tout ça, Hurricane. J’ai arrêté de te poursuivre, pourquoi tu continues à être aussi énervé… Tu l’aimais vraiment, WildCat ? Non, sinon tu aurais couché avec elle depuis longtemps. A part si tu l’aimes vraiment. Il grimaça devant l’écran qui l’éclairait d’une molle lumière bleuâtre. Ca faisait deux petites semaines qu’il sortait avec WildCat maintenant. Cette nuit encore, ils avaient fait l’amour. Dans cette même chambre, elle était étendue sur le lit, endormie. Lui, il était planté à son bureau, devant écran qui éclairait faiblement son visage et son torse nu. Quelle heure il était ? Aucune idée. Et il cliquait de page en page. Mais au final, il revenait toujours sur celle de Hurricane, relisant une à une les réponses de l’italien. Hurricane, est-ce que tu baise ? by SamEsaias Pas avec toi en tous cas ! Sauf si je m'emmerde vraiment et que y'a personne d'autre dans le coin, à la limite. 1 days ago Il avait beau l’avoir déjà lu, relu et relu plusieurs fois, pourquoi ça lui faisait toujours aussi mal ? Il était au courant bien sur, des relations débridées que pouvaient entretenir son meilleur ami… mais écrit comme ça, là, sous ses yeux, c’était cruel. Ecrit comme une évidence, écrit comme si tout le monde était au courant, comme si son statut de putin était officiel. Avec une certaine fierté dans le fait qu’il choisissait les privilégiés qui pourraient avoir droit à ses services. C’était malsain, profondément malsain. Ca le ruinait, ça le rendait malade, ça l’angoissait. L’angoisse qui vous tord le ventre et vous empêche de manger. Il s’était pourtant juré de prendre de la distance. De ne plus réfléchir, foncer, chercher le bonheur là où il était à porter de main. Fermer les yeux, devenir aveugle, ou mettre des œillères. Le laisser faire sa vie, le laisser faire l’amour par ennui, le faire avec quelqu’un juste parce qu’il n’y avait personne d’autres dans le coin. Et si c’était moi, le seul qui était dans le coin ? Si c’était moi, et que tu t’emmerderais à mourir ? Tu ne ferais rien, tu ne bougerais pas. Pourquoi tu me traites tellement différemment ? Pourquoi tu me hais tellement ? Le pire était le plaisir qu’il ressentait à être traité différemment, et cette tristesse à être traité moins bien. Du coup, il ne savait pas s’il devait être heureux ou triste. C’était le pire ça, pas savoir comment on se sent. D’un côté, il n’aurait pas supporté d’être traité comme les autres dans le sens… de coucher juste pour se divertir, et pourtant il donnerait tout pour avoir droit, lui aussi, à ce genre de plaisanteries, ce petit cynisme, ces sarcasmes. Avant, il lui en faisait. Il lui en faisait quand Toby lui disait quelque chose. Alors là, Hurricane lançait une petite remarque méchante, mais drôle. Plus rien maintenant. Est-ce qu’il avait tout gâché ? Qu’est ce qu’il n’allait pas ? Dans la chambre noire, l’écran éclairait à présent son visage perplexe. Il avait les deux mains devant le clavier à présent. "Pourquoi tu me détestes ?". Il l’avait écrit, noir sur blanc. En dessous du "I'll answer if it's not too stupid." L’écran lumineux faisait briller la question pixel par pixel. C’était tellement bête… tellement stupide, mais il devait le voir écrit, et sentir son cœur palpitait dangereusement à l’idée d’appuyer sur "Send". Juste un clic. Un clic, et bang, il aurait la réponse. Quoiqu’il la connaissait. Cette question avait été auparavant posée par un anonyme sous la forme de "Tu penses quoi de Dew ?". C’était la même chose, au fond. Il le détestait parce qu’il n’était qu’un abruti dont la simple présence suffisait à le foutre en boule. Il le détestait parce qu’il avait une tête de con, une voix énervante, sans parler de la façon qu’il avait de s’adresser à lui et de marcher à l’envers. Il le détestait parce qu’il pensait qu’il était son ami, alors que c’était tout le contraire. Il le détestait parce qu’il était un abruti complet. Sa nature, c’était juste lui qu’il détestait. Il le détestait parce qu’il était lui. Un soupire. Il rectifia sa question. "Pourquoi tu me détestes alors que je t’aime ?". Ca lui fit encore plus peur de le voir écrit, comme si c’était concret. C’était choquant, horrifiant. Mais il restait calme. Il n’allait pas l’envoyer de toute façon, c’était juste… comme ça, pour voir. Pour se provoquer un peu lui-même, se demander ce qu’il se passerait s’il l’envoyait. Tout Wammy’s House serait au courant et Hurricane fou de rage de la honte qui tombera sur lui. Ca le fit sourire un peu, tristement, de voir à quel point tout était prévisible. Et c’était parce que tout était tellement prévisible qu’il ne tentait jamais rien. Comme disait Picasso "Si l'on sait exactement ce qu'on va faire, à quoi bon le faire ?" Dans le cas présent, et tous les autres cas qui s’étaient présentés à lui, il savait exactement le genre de conséquences que cela causeraient, et c’était des conséquences qui ne lui plaisaient pas. Alors pourquoi le faire ? Une fois, juste une fois, il avait agi… quand il ne savait pas vraiment ce qui pourrait arriver dès lors et il s’était fait casser le nez. Maintenant il voyait tout clairement…. Mais il aurait tellement aimé être aveugle à nouveau, ne pas prévoir sans cesse, et demander, demander, demander. Se casser le nez, le bras, la mâchoire. Oublier, et demander encore. Et pourquoi il avait mis le curseur de sa souris sur "Send ?" pourquoi son index hésitait à appuyer… redevenir aveugle, foncer, cliquer. Il vida son esprit, commençant à amorcer une petite pression sur la souris. Un froissement de drap, un marmonnement. Surpris et dans un brusque reflexe, il ferma la fenêtre avant de se retourner. C’était WildCat qui cherchait sa présence sur le lit. WildCat… quel crétin, l’écran avait tellement absorbé ses pensées qu’il l’avait oublié. Qu’est ce qu’elle aurait dit s’il avait vraiment posté un tel message sur le net… un soupire, il se leva et s’assit sur le matelas, près d’elle. Il murmura qu’il était désolé, elle dormait encore. Quel crétin il était. Il passa une main dans ses cheveux, elle se colla un peu à lui. Depuis Halloween, la vie à la Wammy’s House avait changé. C’était pour cela qu’il ne fallait pas se laisser aller, il fallait se protéger les uns les autres, être solidaire. Impossible d’aller dehors, liberté restreinte, dictature, otages. Et il se sentait mal à l’aise d’être si préoccupé par un petit chagrin d’amour futile alors que des choses beaucoup plus affreuses se passaient tous les jours entre ces murs. Surtout qu’il avait WildCat maintenant, il n’avait aucune raison de se ramollir, elle le guérissait petit à petit, elle l’aidait à foncer. Tout à l’heure avait été une faiblesse de sa part, il le savait. Une faiblesse qui avait failli lui coûter très cher. Du bout des doigts, il caressait sa peau. C’était elle qu’il devait protéger. Rien qu’elle… maintenant c’était simple, il n'avait plus qu’à penser à elle. Il jeta finalement un coup d’œil au réveil dont les chiffres en bâton brillaient dans la chambre noir. Trois heure vingt-six. Pourquoi il ne pouvait pas fermer l’œil… Comme un chat au chaud, elle ronronnait près de lui, et lui il veillait sur elle. Non… non, quelque chose d’autre le maintenait éveillé. Un mauvais pressentiment. C’était totalement idiot, mais il y avait quelque chose dans l’air qui lui tordait le ventre. Il était trois heure vingt sept, c’était aussi l’heure à laquelle il livrait la nourriture qu’il cachait sous son lit. C’était le moment ou jamais… son petit acte de résistance, sa petite aide, sa petite solidarité, c’était maintenant qu’il devait la faire. Embrassant le front de sa petite amie, il finit pas se lever. Se lever dans le silence morbide de la nuit, et enfiler une chemise sur son jogging, mettre des claquettes, et prendre le sac de nourriture sous le lit. Oublier ce mauvais pressentiment, ce n’était rien d’autre qu’un mauvais pressentiment. La suite des opérations devaient se faire dans le silence, le silence glacial de la nuit. Il sortit de sa chambre sans un bruit et à petit pas, parcourait les couloirs, toqua à la première porte, l’entrouvrit, glissa la nourriture et continua son chemin. Les portes s’entrouvraient souvent sur des visages d’orphelins qui n’arrivaient pas à dormir et qui attendaient leur nourriture. Et Dew leur souriait, et la passait à travers la porte. Des "merci" murmurés dans un silence de mort, apeurés. Ces nuits étaient angoissantes. Les gens souriaient de moins en moins, ils étaient en plein ce qu’on appellera "les jours noirs de la Wammy’s House". A moins que ça ne finisse jamais, et alors ces jours noirs deviendront juste "les jours ordinaires de la Wammy’s House". Il passa ensuite aux dortoirs des filles. Même manège. La ration de la semaine. C’était petit, mais il avait du mal à récolter plus car la cuisine était dangereusement surveillée. Porte à porte, à trois heures trente six du matin. Les oreilles aux aguets, ne pas se faire chopper. Trois heures quarante, dans sa chambre, à nouveau. Allongé dans le lit, il n’arrivait pas à dormir. Toujours pas. Mauvais pressentiment. Alors il regardait le plafond, WildCat à côté de lui. Pendant dix minutes, il regardait le plafond. Puis bruits de pas, un couple de talons d’aristocrates frappaient le sol du couloir, et on pouvait sentir un à un, les frissons de chaque orphelin dans chacune des chambres. Les poils se dressaient, chair de poule. Un grand sentiment d’angoisse occupait tout l’étage. Soudainement alerté, Dew jeta un œil vers sa petite amie, elle dormait toujours. Les bruits s’arrêtèrent devant sa chambre. Les jumeaux, les jumeaux qui s’arrêtaient devant votre chambre à quatre dix du matin, ce n’était jamais bonne augure. Jamais. Apeuré malgré lui, il se redressa un peu dans la pièce noire. Deux bruits de métal retentirent contre le paquet du couloir. Aucun doute, il pouvait reconnaître ce son entre tous… des battes de baseball. Deux battes de baseball qui rebondirent contre le sol, avant de rouler un peu sur elles même, dans un bruit métallique et grinçant. Des bruits de pas encore, qui s’éloignèrent. Deux rires. Deux rires qui avaient du mal à s’étouffer dans la nuit. Un silence, il attendit de ne plus rien entendre et se leva d’un bond pour ouvrir la porte. Il s’était attendu à deux battes de baseball… oui… mais pas dans un état pareil. Un haut le cœur, et des yeux s’étaient soudainement écartés d’effroi. Il tremblait de la tête au pied, comme un fou. De l’hémoglobine rouge goutait le long du manche pour imprégner le parquet. Un frisson d’horreur le parcourut et il eut l’impression qu’on lui coulait de l’eau glacée dans le creux du dos. C’était trop d’un coup, et des miliers de petites peurs, des centaines de grands effrois lui tordaient les organes. Ca voulait dire quoi… qu’est ce qu’il s’était passé, ils n’avaient quand même pas… Un mot. Il se pencha précipitamment pour l’ouvrir, des mains tremblotantes, une boule énorme au milieu de la gorge. Il lui semblait que des mains invisibles l’étranglaient.
Cher Dewi Chou, Tu sais quoi ? On a un cadeau pour toi. Tu devrais nous remercier ! En fait non, on te remercie, parce qu'on s'est fort bien amusés ce soir… mais comme on est pas des voleurs NOUS, on te rend ton bien. Est ce qu'au goût du sang tu pourrais deviner à qui il appartient hein ? Bwahaha ! C'est drôle tu vois, quand on se dit que si tu n'existais pas, et que tes battes de ce fait n'avaient pas existé, rien de tout cela ne serait arrivé hein ? Tu culpabiliseras quand tu verras l'état dans lequel est ton pote. En attendant salut, et bonne nuit, enfin tu vas la passer avec cette odeur de sang, j'espère que ça te dérange pas. Oh, mais c'est comme si t'avais Hurricane à tes côtés hein ? Ou alors en attendant ses seuls amis seront les papiers et les vieux crayons, mais bon il pourra se branler avec, muahahaha. Tes Dieux
Tout le long de la lettre, son cœur s’emballait d’horreur, de peur, d’angoisse. Il avait peur, il était mort de peur quand à l’identité de la victime. Il lui vint même une pensée horrible, le genre de pensée atroce et inhumaine qu’on ne s’imaginait jamais pouvoir penser : tout, sauf lui. Tous les orphelins, sauf lui. La peur donnait au plus gentil des pensées barbares. Dans la dernière phrase, noir sur blanc. Hurricane. Pas lui. A ses pieds, avant même qu'il ne réalise clairement quoique ce soit, des battes de baseball, les siennes, couverte d'hémoglobines. Et le sang qui avait taché le papier imprégnait à présent le bout de ses doigts, un sang chaud, bien rouge, beau et à la fois horriblement laid. Tu te mettras fort en colère si on tue Hurricane ? by ghostwillow Huh... Vous feriez mieux de ne pas essayer. Je pourrais vous tuer rien que pour le fait que ça vous soit venu à l'idée. ^^ Haha désolé mais je pense qu'il y a des choses avec lesquelles on ne plaisante pas. 1 days ago C’était comme si on venait de lui arracher le cœur, le bras droit et la jambe gauche en même temps. Avec de l’acide qui flottait dans son cerveau. Et une envie de meurtre lui ligotait les entrailles, il devait frapper quelque chose, battre quelqu’un à mort, défoncer un mur à coups de poings, hurler comme un aliéné, courir. Cette fureur frustré, parce qu’il n’y avait rien, il ne pouvait rien faire, il n’y avait personne. Il avait envie de courir, de les retrouver et de se défouler sur eux. Les défigurer, leur faire cracher leurs dents, une à une, les castrer et les saigner. La main qui froissa le papier était pleine de rage, mais plus que la rage, l’inquiétude folle et inébranlable lui bouffait l’estomac. Déjà, il courrait, il dévalait les escaliers, quartes à quatre, manquant plusieurs fois de se rater. Il avait peur, il était mort de trouille, mort de rage, jamais autant d’angoisse n’avait fait rage à l’intérieur de lui. Jamais. Il avait l’impression de bouillir, de mourir, il avait besoin de savoir, il perdait totalement la tête. Il ne pensait à rien, son cœur battait à tout rompre qu’il lui semblait qu’il allait s’arrêter, sa tête allait exploser. Les larmes de rage lui piquaient les yeux. Il allait mourir. S’ils avaient tué Hurricane… s’ils l’avaient vraiment fait… un coup de poing dans le mur, et il tourna brutalement pour prendre les escaliers du rez de chaussée. Crayons et papier, la réserve. Son cœur allait éclater. Hurricane ne pouvait pas mourir. Il ne pouvait pas mourir, il le lui interdisait. Il ne pouvait pas mourir sans qu’il lui ait dit à quel point il l’aimait. Il aurait dû lui dire, merde, ça fait un baille qu’il aurait dû lui dire, il aurait dû savoir. Quel con, quel putin de gros con. Et c’est sa batte… sa passion pour le baseball qui l’aurait tué. Quelle ironie, quelle ironie… surtout en sachant que Hurricane détestait ce sport. S’il mourrait… il ne pourrait plus jamais toucher une batte de sa vie, quoiqu’il doutait même d’être capable de continuer à vivre. Ah, l’idée d’une vie sans lui paraissait… surréaliste. Et toutes ces choses qu’il aurait dû faire, qu’il aurait dû dire, et tout ça explosait dans sa tête. Ca lui bouffait les yeux, et son cœur agonisait, quelque chose était en train de le déchiqueter, de le saigner, de le torturer. Il avait mal partout, il semblait exploser de l’intérieur, et il courait. La porte de la réserve, fermée. Il l’a défonça d’un coup d’épaule, parce que ses mains tremblantes n’étaient de toute manière plus apte à tourner une poignée.
- WILLIAM !
Un hurlement retenu du fin fond de ses entrailles. Dans le noir, ses yeux cherchèrent frénétiquement ce qu’il avait peur d’y trouver, le cœur prêt à exploser, à lui éclater dans la poitrine. A se déverser dans sa chair, à le tuer sur le coup, d’un coup sec. Non, non, c’était impossible, ce n’est pas possible. Une lumière chancelante, un corps. Un corps suspendu comme de la viande séchée, comme une saloperie de bout de viande. Hurricane. Non. Un corps blanc, torse nu, massacré. Une ficelle à piano lui lacérait les poignés, la plante des pieds en déséquilibre sur le sol, ni debout ni assis. Pendouillant, ventre rentré, thorax en sang. Comme mort. Des bleus virant au violet soutenu, des hématomes énormes sur tout son torse et de l’hémoglobine qui ruisselait entre les plis de sa peau. Corps battu et abattu, la douleur courant sur chaque centimètre d’une peau si douce et si pâle. Maltraité, torturé. Froid comme la mort mais palpitant de douleur. Qu’est ce qu’ils lui avaient fait… les images mentales qui lui passaient dans la tête lui déchirait le ventre. Merde, qu’il soit vivant, pitié qu’il soit vivant. Tout bouillonnait à l’intérieur de lui, le genre de truc qu’on avait besoin de faire sortir, qui vous donnait envie d’exploser, d’imploser. Un concentré d’émotion qui trépignaient, qui voulaient crier, s’exprimer, mais il y en avait trop. Il étouffait, il étouffait avec cette boule dans le ventre qui grossissait et venait buter contre ses organes, cette peur acide qui lui coulait dans la gorge, cette chose dans sa tête qui saignait chaque petite cellule de son cerveau. Ça devait être une nuit comme les autres, pourquoi ça ne pouvait pas être une nuit comme les autres. En quelques minutes, le cauchemar s’était transformé en un enfer bien réel. Le voir comme ça avait laminé à la hachette tout bonheur, tout plaisir, toute vie. Il avait l’impression d’être mort. Et l’idée que son meilleur ami le soit était en train de le rendre malade, il avait envie de vomir. Fouillant frénétiquement dans la réserve comme un fanatique, il balançait papier et cahier derrière lui jusqu’à finir par trouver ce qu’il cherchait. Cutter en main, il revint rapidement vers son ami et coupa la fine corde qui éraflait ses poignets, et il disait des trucs… il ne savait même plus ce qu’il disait. Ca va aller, c’est fini, ne t’en fais pas, je suis là, tout va bien… Il disait ça comme s’il était calme et qu’il assurait, alors qu’il était au bord des larmes et qu’il juste devenu dingue d’inquiétude, de peur, de douleur. Une fois le fil coupé, le baseballer empêcha Hurricane de s’effondrer en le soutenant de ses bras tremblants mais fermes. C’était comme une descente de croix. Comme un tableau de descente de croix. Et le sang taché sa chemise, et il en avait rien à foutre. Franchement rien à foutre. Il sentait son pouls, il le sentait et le soulagement qu’il ressentit était monstrueux. Il vivait. Un poids s’évapora, allégeant son cœur d’un poids considérable. Il était vivant, bordel. Même si cela ne changeait en rien que l’état de son meilleur ami était pitoyable, le pire était évité. Toujours optimistes, ce con. Mais les blessures chaudement ouvertes pullulaient de sang et il était éraflé de partout, de partout. Et toujours au creux de son ventre, la rage d’aller voir ces deux jumeaux et de leur faire la peau fourmillait irrésistiblement. Leur faire sérieusement la peau. Il en était tellement capable… les défigurer à coup de batte. Qu’ils ne ressemblent plus à rien. Et il murmurait des trucs cons, il ne savait même pas ce qu’il murmurait. Pourquoi ils t’ont fait ça… mon dieu, pourquoi il faut que ça t’arrive, je suis désolé… j’aurais dû être là, merde. Il lui disait des trucs comme ça. C’était débile comme dans les situations extrêmes, les trucs horribles comme ça… on pouvait tout oublier, son moral, sa retenue. Pourquoi le fait qu’il était fou amoureux de ce type se voyait-il si clairement dans son expression désespérée ? Il était à la fois grave et sérieux là, mais on aurait cru qu’il venait lui-même d’échapper à la mort. L’important c’était qu’Hurricane soit en vie, et si ça n’avait pas été le cas il n’aurait lui-même pas été là pour souffrir comme il souffrait. Il aurait déjà utilisé le cutter une deuxième fois, et non pour la ficèle. C’était tellement bête. Le corps d’Hurricane avait été battu et torturé avec l’objet de son plaisir quotidien, et il ne pouvait même pas imaginait ce qu’avait ressenti l’italien en se faisant saigner de la sorte avec. Sentir le métal dur lui casser les côtes, lui ouvrir la peau, mettre en feu chaque cellule de son corps… et se dire qu’en plus de cela, cette batte appartenait à ce type qu’il détestait. Clavicule en sang, l’aine couverte de bleu… tout ce qu’il avait toujours imaginé dans ses rêveries, en sang. Torturé. Détruit. Il ne voulait même pas imaginer à quel point l’italien devait avoir mal à ce moment, il ne pouvait même pas imaginer. L’hémoglobine parcourait la commissure de sa bouche pour goutait le long de son menton blanc, et il avait peur qu’en le serrant trop, il lui casserait les os. Comme du cristal. Comme s’il n’avait pas assez contribué à ce massacre. Les jumeaux… ils voulaient juste le voir s’énerver, il avait juste voulu voir ce que ça faisait. Parce qu’il était trop souriant tout le temps, trop calme tout le temps, trop heureux. Parce qu’il était idiot, qu’il avait ce caractère trop optimiste que Hurricane n’aimait pas… à cause de ça… merde, il pleurait vraiment. C’était pas le moment, c’était pas le moment.
- William, hey William ça va ?!! Allez répond, dis quelque chose bon sang, William !!!
Oh la fureur, cette chose qui faisait bouillir son sang et tendre ses muscles, qui faisait rougir ses yeux et froncer ses sourcils, crispé. Il avait l’air comme possédé. Il avait presque envie de le secouer, mais la fragilité du corps de l’italien le rendait comme intouchable. Et il le tenait dans ses bras, comme une descente de croix.
La dernière chose qui lui apparaissait clairement devant les yeux ressemblait à une forme humaine en double, à la chevelure rousse flamboyante, et aux regards identiques et terrifiants. Lui, il avait un sourire aux lèvres. Un putain de sourire qui ne le quitterait que quand ils seraient partis. Pour qu’ils se rendent compte qu’ils n’auraient jamais le pouvoir absolu sur les héritiers de L. Pour qu’ils comprennent bien que comme à toutes les guerres, la résistance ne pliait pas. Elle se prenait des coups, elle souffrait, mais elle restait là, fière et vaillante, fidèle au poste. Ils pouvaient diriger l’orphelinat en inspirant la crainte et la terreur, mais ça ne durerait pas éternellement. Contrairement à l’Europe en 1940, Wammy’s House n’aurait pas besoin d’intervention extérieure. Hurricane le savait. Ils réussiraient à se sauver eux-mêmes des griffes de leurs premiers ennemis véritables.
Lui-même en avait connu des emmerdes. Il avait bien connu la douleur. Pire que celle-là peut-être. Ou peut-être pas. L’humiliation lui faisait presque plus de mal que la douleur physique, mais son sourire ne quitterait pas ses lèvres. Aussi ensanglantées, déchirées, et brûlantes soient-elles. Ses dents pouvaient tomber en miettes, ses yeux être éclatés, fermés et bleuis, ses muscles endoloris, fouettés, et ses os craqués sous ses chairs déchirées, que son sourire ne disparaîtrait pas. Il ressemblait plutôt à une grimace, certes, mais l’italien savait qu’il souriait. A deux contre un, sans que leur unique victime n’ait de moyen de se défendre… Quelle belle brochette de lâches. Rien que des putain de lâches, eux et tous leurs suivants. Des enfoirés corrompus qui pensaient leur supériorité acquise. Au corps à corps, et en duel équitable, ils n’auraient eu aucune chance contre l’argenté fou furieux guidé par son instinct de survie surdéveloppé. Et ils le savaient. Voilà pourquoi il avait les poignets liés, voilà pourquoi la corde lui lacérait la peau, voilà pourquoi son poids entier lui paraissait si horriblement lourd, pendu comme une piñata au mur de la réserve.
Une piñata. Une piñata humaine, voilà ce qu’ils avaient fait de lui. Une masse de chair détruite qui pendait là comme les restes d’une de ces formes en papier mâché sur lesquelles on frappait les yeux bandés pour espérer récupérer quelques sucreries ou cadeaux. Mais rien ne tomberait de sa silhouette autre que des dents ou du sang. De l’hémoglobine qu’il voyait couler devant son regard, obstruer sa vision, rougir les formes des jumeaux qui s’amusaient joyeusement de ses souffrances.
BLAM.
Dans les côtes. Aïe. Que ça s’arrête. Putain, tout mais que ça s’arrête. Il avait l’impression que ses os tentaient de s’échapper de sa peau, chaque coup résonnait dans tout son corps et le faisait grogner de douleur, d’une douleur qu’il ne pouvait plus faire mine d’ignorer.
Connards.
On ne pouvait pas dire qu’il avait mérité un tel traitement : en partant du principe que les Jumeaux étaient la loi, pourtant, il l’avait plus que mérité. Quelle n’avait pas été sa satisfaction quand l’italien avait réussi à placer quelques dynamites aux endroits stratégiques de leur « salle du trône » pendant la nuit sans qu’ils ne s’en aperçoivent, et que le lendemain, aux alentours de midi, la panique avait envahi cette aile de l’institut quand BOUM ! La moitié de la pièce avait volé en éclats et réduit en cendres la plupart de leurs biens personnels et des choses qu’ils avaient récupéré des cuisines ou des salles de bains pour leur usage personnel. Qu’ils bouffent comme tout le monde, les rations merdiques qu’ils nous imposent. Qu’ils se lavent à l’eau froide comme nous, sans leurs gels douches qu’ils nous ont piqués. Bande d’enfoirés. Hurricane aurait leur peau, d’une façon ou d’une autre. Faudrait-il qu’il se jette dans leur chambre en pleine nuit, le corps entouré de bombes, pour les faire exploser en mille morceaux en même temps que lui. Oh, l’argenté n’était pas un héros. Il ne faisait pas ça pour sauver la veuve, les orphelins et les fleurs. Juste, plutôt crever avec eux que crever sans eux, eux qui avaient osé souiller ainsi son ego et toute sa dignité. La résistance ne plierait pas. Il ne crèverait pas dans cette réserve merdique, il ne crèverait pas ici. Et pourtant, il était seul. Seul, en sang, à l’agonie, pendouillant comme un jambon, et il avait assez de connaissances en médecine de base pour savoir que même le plus coriace des mafieux ne pouvait pas tenir indéfiniment dans cette situation.
Les jumeaux lui assénèrent quelques autres coups pour la forme, le laissant pour mort, la tête baissée, inerte et couvert de sang, puis s’éloignèrent en riant. De grands enfants au cerveau totalement dérangé. L’italien ne voyait plus rien, n’entendait plus rien. En fait, peut-être que si. Peut-être qu’il allait mourir là. Haha. Quelle merde. Quelle mort de merde. Désolé Seth, je t’aurais pas baisé. Désolé Kennedy, jt’aurais pas cognée une dernière fois. Désolé Navy, je t’aimais bien en fait. Désolé Den, j’aurai préféré mourir de façon plus princière, pour pas te piquer ton expression. Désolé Dew. Désolé, Dew, parce que j’ai vraiment été…
« WILLIAM ! »
Ha, il aurait pu en rire. Il l’entendait à peine, pourtant il aurait juré que c’était la voix de ce crétin de Duncan. Que pouvait-il bien foutre ici à cette heure… Les jumeaux lui auraient dit ? Pourquoi ? Trop dans le coma pour pouvoir réagir, il se contenta de rester inerte, ces douleurs lancinantes le traversant de part en part, et il se laissait doucement bercer par la mort qui se serait fait un plaisir de l’emporter loin de la Terre et de cet orphelinat de malades. Mais ça, c’était sans compter sur Duncan Partridge.
Le sportif le détacha, lui geignait des choses incompréhensibles, se sentait coupable, le rassurait. Tudieu que ça faisait mal d’être détaché, d’être bougé, de sentir ses os brisés bouger à l’intérieur de sa chair en ruines. Lâche-moi, ducon. Lâche-moi.
De ses dernières forces pourtant, il se voyait agripper les vêtements de Dew là où il pouvait l’atteindre, là où ses muscles en miettes pouvaient encore lui permettre de le retenir, faiblement. Tellement faiblement que peut-être que le brun ne s’en rendait même pas compte.
De tout le monde, il avait fallu que ce soit lui qui le retrouve dans cet état, hein. Ironie débile. D’un autre côté, probablement que personne d’autre n’aurait eu autant de compassion. Qu’avait-il bien pu faire pour mériter ça, lui qui traitait le baseballer comme une merde tout le temps ?
Incapable de trop réfléchir, l’italien se contenta d’entrouvrir ses lèvres en sang, de façon si infime que ça ne se voyait pas.
« William, hey William ça va ?!! Allez répond, dis quelque chose bon sang, William !!! » « Va… Ca… Va… »
Une grimace de souffrance lui déforma le visage déjà grossièrement abîmé par les coups de battes, et il gémit en ayant depuis de longues heures déjà oublié ce qu’était la dignité. Mafieux ou pas mafieux, c’était un adolescent qui avait mal.
« J’vais..crever… Heh…»
Ca n’avait rien de drôle. Pourtant il l’avait pensé très fort, que son sourire ne quitterait pas son visage. Et ce n’était certainement pas Duncan qui allait le voir se morfondre et pleurer. Du moins, pas encore. Il avait bien trop mal pour pleurer. Il avait la haine. La rage au ventre. Il avait mal. Il pleurerait quand il aurait le temps. S’il le trouvait un jour.
Me laisse pas tomber, Duncan. C’est tout ce que je te demande pour l’instant.
Les larmes de rage coulaient le long de l’arrête de son nez, nez plissé de rage, petits plies de peau, sourcils froncés. Il ressemblait à ce type, dans les films noirs, qui avait sa femme mourante dans les bras. Hurricane lui, ne ressemblait plus à rien. Paupières gonflés, paupières mortifiés. Les lèvres couvertes d’un rouge qui aurait été érotique dans d’autres situations que celle-ci, peau déchirée et torturée. Et Dew tremblait, les yeux ouverts plus qu’il ne le fallait, ouverts d’horreur, humides. Par terre, une dent, deux dents, alors il plissait les yeux, et ça coulait. Ça coulait le long de son nez. La colère le rendait pourtant dur et sec, sans pitié, sans aucune once de commisération pour les deux êtes qui avaient fait ça. Plus de gentillesse, plus de compréhension, plus de niaiserie. Plus rien. Seulement une rage folle lui faisait mal tant elle voulait sortir, boule rebondissante dans son estomac. La frustration grandissait, la boule aussi et elle rebondissait de plus en plus fort. Elle le frappait de l’intérieur, de tout côté, elle était la colère, la tristesse et l’amour. S’il aurait été un loup garou où quelque chose du genre, il se serait transformé dans un hurlement désespéré qui aurait retenti dans tous les alentours. Il aurait griffé murs et portes jusqu’à trouver la salle des trônes et venir y chercher son repas…. Histoire que le poids accablant qui écrasait ses organes se fasse moins pesant. Sauf qu'il n'était qu'un humain. Il n'était qu'un humain, et il sentait une mêlé de sentiments horribles lui monter à la gorge, lui donner du mal à respirer, lui obstruer les sens. Les lui obstruer, alors qu’il avait besoin de vomir son aversion, de la rejeter par flots trépignant, de la dégurgiter, de l’expulser. Ses mains autour du corps de son ami devenaient petit à petit gluantes de sang, sang qui venait couler entre ses doigts. Sang chaud et pourpre qui glissait sur les plies de ses mains. Parfois, on voyait de la chair sans peau, poisseuse, mise à nu, vibrante et brillante. De la viande qui lui donnait des haut-le-cœur. Il voyait sous sa peau et il voyait dessus. Bosses bleus, énorme hématomes et en plus de la sensibilité, la sensiblerie venait lui brûler la gorge quand il tentait de déglutir. Chaque écorchure, chaque goutte de sang, chaque bleu lui rajoutait un poids au fond du ventre. Il y avait des blessures dont la seul vue vous donnait des remontés acides et l’envie de fermer les yeux. Sous les siens, des contusions anormales montraient que des os avaient été brisés, fracturés, fracassés. Son corps, brisé. Lui, brisé. Hurricane totalement brisé entre ses bras. Un corps autrefois dynamique et tendre qui ressemblait maintenant à une dépouille était à présent dans ses bras. Des miettes de corps à mettre aux ordures, déchet humain. Non, non, il refusait que son meilleur ami soit un déchet humain. Il refusait que cette armure de peau qui enfermait une telle personnalité ne s’abime. Il avait peur des séquelles, il avait peur tout comme il avait la rage. Une rage qui lui mangeait le ventre, le dévorait, sans faim. Et il tremblait. Pas de tristesse, non pas de tristesse. Mais de répugnance, de répulsion, d’écœurement. Un écœurement profond envers cet acte qu’il ne comprenait pas. Mais il ne pouvait pas lâcher Hurricane, il ne pouvait pas l’abandonner pour aller calmer toute cette tempête compressée. Compressé dans un petit bocal, un petit bocal trop petit, trop fragile, un petit bocal qui allait vite exploser. Il fallait se calmer. Dents serrées, ses canines lui faisait mal tellement sa mâchoire se forçait, tellement il avait besoin de quelque chose pour ne pas péter un câble. Et tout envoyer valser, détruire les murs à coups de battes, et les têtes qui dépassaient. Perte de contrôle, une perte totale de contrôle. Nerfs à vifs, nerfs à nus, nerfs tendus. Et une main invisible lui serrait la gorge, il avait le nez bouché. Il se sentait mal, cette rage exacerbée l’épuisait, cette rage folle cloitrée dans son thorax l’étouffait jusqu’à l’asphyxie. C’était une torture que de rester ici alors que son corps lui ordonnait d’aller les tuer. Les tuer, ces jumeaux. Alors il agonisait lentement. Parce que ça le tuait, de le voir comme ça, bon dieu. C’était tellement absurde, tellement surréaliste, tellement atroce que ça devait être faux. Ca devait l’être, et le pire… c’est quand vous réalisait petit à petit que ça ne l’était pas. La chaleur humide et poisseuse sur ses mains, ce corps épuisé qui se reposait sur lui, ce visage gonflé de bleus, tout cela était vrai. Chacune des blessures qui lancinaient le corps de son meilleur ami était vrai. Dents serrés, bouillonnant. Et ca gonflait, ça gonflait, mais cette chose qui gonflait était attachée par des câbles. En ce moment, il aurait tout donné pour avoir les jumeaux devant lui, comme s’il désirait presque les revoir. Juste pour leur éclater la gueule et se calmer un peu. Un peu. Mais la santé de Hurricane était prioritaire, alors il devrait être patient. Il devait l’être, mais l’attente lui faisait mal, il avait besoin de le faire. Une bouche remplie de sang, légèrement entrouverte, la voix éraillée.
- Va… Ca… Va…
Pourquoi ça l’énervait… ça le rassurait, mais ça l’énervait tellement en même temps. Il était agacé, du sang bouillant dans les veines. Plus Hurricane grimaçait, plus il crachait du sang, faiblement, et plus ça le mettait en rogne. Les entrailles contractés, les trippes serrées.
- Tu vois bien que non…
- J’vais… crever… Heh…
Et il souriait en plus, Hurricane. Sourire grimaçante, grimace souriante. En temps normal, il l’aurait regardé tendrement. S’il lui avait dit ça dans une situation un peu moins grave, un accident ou quoi, il lui aurait caressé les cheveux en souriant, et il lui aurait dit « Mais non, t’inquiète pas… ». Peut-être même qu’il l’aurait serré dans ses bras, quelque chose comme ça. Il aurait été positif, gentil, tendre.
- Dis pas de conneries !
Il avait hurlé. Oh, Dew, contrôle-toi un peu. On ne t’avait jamais vu hurler comme ça, ça a résonné dans la petite pièce. Tu as froncé les sourcils, ça ne te va pas du tout. Surtout quand tu pleures en même temps. Ah, tu t’es aperçu que tu as été un peu trop agressif, alors tu l’as répété, plus normalement. Tu l’as répété, puis un silence. Tu essaies de te contenir, tu lui dis que tu vas l’emmener à l’infirmerie, mais que le trajet sera sans doute douloureux. Tu lui dis de tenir bon, de serrer les dents, ça va aller. En observant les blessures et les endroits de fractures, tu te dis que le mieux serait de le porter par devant, comme un enfant, un koala, avec un seul point de contact. Alors tu prends ses mains, et tu t’aperçois qu’elles étaient accrochées à sa chemise. Tu ne sais pas pourquoi, ça te fait plaisir, ça te fait mal. Tu te dis : c’est donc la seule situation où il peut avoir besoin de moi ? Mais tu t’en fous, tu t’en fous, et tu poses ses bras abimés sur tes épaules, avant de le hisser contre ton torse, le portant sous les cuisses. Puis tu fais volte face, ouvres la porte d’un coup de pied et sort. Lentement, des pas consciencieux, tu n’as pas envie de tomber. Contre ton torse, tu sens le sang s’imprégner dans chaque fibre du tissu de ta chemise. Tu as les mains sous ses cuisses, dans une autre situation ça t’aurait fait rougir, ça aurait emballé ton imagination. Mais les cuisses que tu sens sous tes doigts sont abimées, émiettés, hachés. Cuisses de poulet, de porc. Ca n’avait plus rien de charnel, ils lui avaient retiré tout ce qu’il avait de charnel, jaloux. Jaloux. L’escalier ne lui avait jamais paru aussi immense, ni les marches aussi hautes. Il avait beau faire attention, marcher sur du verre pilé, il ne pouvait pas empêcher certaines choses. Dans la nuit, le noir, le silence. Un corps vidé, mains pendouillantes sur des épaules solides, il avait l’impression de trainer un cadavre. Mais c’était un cadavre qui avait mal, qui souffrait, qui ressentait la douleur. C’était le cadavre de son meilleur ami, un cadavre précieux. Et heureusement, c’était un cadavre en vie. La fenêtre laissait la lune les éclairer, un peu. Il marchait en silence, essayant d’assimiler la situation calmement. Un corps détruit contre lui, c’était vraiment trop cruel. C’était vraiment trop abject de lui faire voir ça, de l’avoir choisi pour voir ça, c’était vraiment trop sadique. Pourtant il n’aurait pas supporté que quelqu’un le fasse à sa place. C’était tellement égoïste. Il lui dit qu’ils étaient bientôt arrivés, quelques mètres et il pourra bientôt s’allonger. D’un même coup de pied, il ouvrit la porte de l’infirmerie. L’infirmerie qui, de nuit, n’était pas bienveillance, les rideaux des lits donnant comme un effet fantomatique à cette pièce froide et vide. Dans la nuit, la lune réfléchissait sur le blanc des tissus, le bruit de ses propres pas sur le parquet brisant le silence. Il posa alors Hurricane sur l’un des lits, l’allongeant consciencieusement. Le résultat et les dégâts de son corps étaient encore plus horribles vu d’au dessus, en plongé, en le regardant allongé. C’était un désastre, c’était vraiment trop inhumain… il ne comprenait pas comment quelqu’un pouvait en venir à un tel degré de violence devant un corps si naturellement frêle. Mais il n’avait pas le temps de s’attarder et se précipita chercher de quoi désinfecter fouillant parmi les flocons de manière hâtive dans un fracas de verres qui s’entrechoquaient. Revenant s’asseoir sur son tabouret avec le matériel, il lui dit qu’il allait le désinfecter, qu’il allait appeler l’infirmière mais qu’il fallait d’abord qu’il le désinfecte vite. Il lui dit que ça allait un peu piquer, qu’il était désolé, mais que ça allait piquer. Alors il désinfecta des plaies, enduisant d’aseptique les endroits que les microbes avaient l’habitude de trouver à leur gout. La chair fraiche, saignante, dégoulinante. Il se retenait de fermer les yeux ou d’aller vomir devant ce qu’il voyait, ce qu’il découvrait en essuyant peu à peu le sang qui avait déjà commencé à sécher. Petits cotons blancs devinrent rouges, et une montagne de boules pourpres s’empilait à côté du lit. Silence, respirations et bruissement des rideaux. Grande pièce morne et blanche. Et lui il avait les yeux rivés vers le corps massacré de son meilleur ami, il voyait ce corps désirable à présent agonisant et essayait de se calmer, un peu. Mais sa respiration était forte, et ses gestes bien que attentionnés, étaient parfois maladroits. Il tremblait encore, furieux. Et c’est tremblant qu’il appliqua des compresses grasses sur les zones ouvertes. C’était tout ce qu’il pouvait faire, c’était vraiment tout. Ca le désespérait tellement c’était trop peu.
- William… c’est tout ce que je peux faire, je vais appeler l’infirmière, ok ? Je vais appeler l’infirmière et elle s’occupera de toi. T’as deux côtes cassées et une double fracture au bras. Aucune des côtes n’a percé le poumon, sinon tu cracherais du sang… si t’en craches là, c’est parce que tu as perdu des dents et que ta joue s’est ouverte….
Il disait ça pour le rassurer un peu, lui dire qu’il n’allait pas mourir, qu’il n’y avait aucune raison qu’il meurt. Ils n’étaient pas dans Docteur House et savait que Hurricane, bien plus intelligent que lui, savait lui aussi ce qui se passait dans son corps. Mais dans la douleur et la rage, le plus souvent, on était pas vraiment apte à réfléchir. Soupirant, il se demanda pourquoi il le réconfortait aussi pitoyablement. Pourquoi il disait ça de façon si formel alors qu’il était absolument dingue de lui. En y réfléchissant, c’était justement parce qu’il était absolument dingue de lui. Il aurait voulu lui faire comprendre combien ça le faisait mal de le voir dans cet état, combien ça le tuait, combien ça le mettait hors de lui. Il aurait voulu l’apaiser avec des mots plus personnels, lui dire des choses plus sophistiqués, plus à lui, pour lui. Il aurait voulu qu’il sente qu’il ne faisait pas ça par amitié. Parce que ce n’était pas de l’amitié. Ce n’était pas de l’amitié, et il voulait qu’il le sache… mais il n’avait pas le droit de profiter de la situation. Il n’avait pas le droit de l’énerver avec ça. C’était vraiment le pire moment pour le mettre en colère. Faisons le par amitié, alors.
- Écoute William, je vais y aller, pendant que l’infirmière s’occupera de toi, ce sera fini, ok ? Je vais le faire, j’en ai marre de tout ça… c’est trop, j’en ai marre. Je vais m’en charger.
Fini. C’est fini. Ça va finir. Ça va peut-être finir. Ça allait finir ce soir, peut-être. A cet instant, la dictature lui importait peu, il devait juste évacuer toute la rage qui s’était accumulé en lui. Il n’avait aucune chance, il n’avait aucune chance contre les jumeaux dans l’état actuel des choses, mais la colère le rendait aveugle tout comme les actes faits par colère étaient toujours longtemps regrettés. La vengeance, bête et conne. C’était tellement clair dans sa tête… appeler l’infirmière, lui dire de se rendre à l’infirmerie, puis aller dans la salle du trône. Oui, récupérer les battes et aller dans la salle du trône. Alors il se leva, prêt à partir. Prêt à se venger stupidement. Il était vraiment trop bête. Il était vraiment trop abruti et aveugle. Rester à ses côtés, veiller sur lui, lui tenir compagnie… tu n’y pensais même pas tant l’idée de vengeance avait contaminé son esprit. Tu fais fausse route, Dew. Tu fonces vers son désastre, alors qu’il te suffit de rester près de lui. Qu’il te suffit juste de rester assis près de lui. Et tu l’abandonnes, hein, pour nourrir ta rancœur. Enlève ses œillères et regarde autour de toi. Regarde ce garçon dont tu craignais la mort, dont tu craignais qu’il ne meurt sans savoir. Et si à ton retour, il l’était, mort ? Si on l’avait achevé en ton absence. Tu ferais quoi.
Handicapé. Voilà ce qu’il était à cet instant précis. Incapable de bouger par lui-même, de se redresser, d’essuyer sa bouche ensanglantée et hausser les épaules, d’un air nonchalant. Incapable de se débrouiller, il se voyait forcé d’être sauvé par quelqu’un d’autre, forcé de ravaler sa fierté. Il n’avait plus d’autre choix que de laisser le sportif le guider et le sortir de là. Qu’importait un peu de fierté mal placée quand on est au bord du gouffre, quand même respirer devient une épreuve douloureuse ? De toutes façons, quelque part au fond de lui, il savait que Dew était la seule personne qu’il pouvait tolérer dans cette situation. Pourquoi ? Bah. On s’en foutait des pourquoi, des comment, des questions existentielles inutiles, à présent. Tout ce dont il était sûr c’était que sa bouche le lançait, que ses côtes lui faisaient atrocement mal, que chaque muscle de son corps était traversé de souffrances lancinantes qui l’empêchaient même de répondre à tout ce que le brun disait ou faisait. Il n’avait pu que le regarder d’un œil torve et plein de sang quand Dew avait hurlé qu’il ne devait pas dire de conneries, et il s’était aperçu des larmes qui coulaient sur les joues de celui qui venait le sauver : ah, quel sentimental, celui-là… C’était pas à lui de pleurer, là, quand même, alors pourquoi il le faisait ? Par empathie ? Quel gros crétin, mais quel prodigieux abruti… Il ne méritait tellement pas une telle réaction qu’il se permit de fermer doucement les yeux, gonflés, pour s’en remettre totalement à ses faits et gestes. Quelqu’un qui pleure pour votre souffrance est quelqu’un qui se soucie de vous plus que les autres, et il savait qu’il était entre de bonnes mains. Entre des mains qu’il aurait préféré quand même sentir le toucher et le soulever dans des situations bien différentes de celles-ci… Ah, fallait-il toujours qu’on attende le pire pour être sincère avec soi-même ? Fallait-il toujours être collé dos au mur pour se rendre à l’évidence, pour avouer, pour arrêter de mentir et pour prendre les devants ? Fallait-il avoir le corps en lambeaux pour comprendre que ce type n’était pas son ennemi, ni un abruti, ni un profiteur, mais simplement le meilleur ami qu’on pouvait avoir, celui pour qui certains tueraient, celui que tout le monde rêvait d’avoir ? Tche. Voilà que la présence de la mort le rendait sentimental lui aussi. Si c’était pas malheureux ça…
Du noir, du rouge, de la douleur, l’impression de se déplacer quand même. Alors il le portait jusqu’à l’infirmerie, hein. Brave garçon. Courageux. Prêt à tout pour aider son prochain. Oh, sans doute qu’il aurait fait pareil pour n’importe qui qu’il aurait retrouvé dans sa situation, mais là n’était pas la question. Sans lui, sans doute qu’il serait mort à cause de tout le sang qu’il était en train de perdre. Rah, que ça faisait mal, saloperies de battes, ces conneries n’avaient-elles donc réellement qu’une seule utilité dans la vie ? Faire chier William Harper ? Probablement que oui. Arg. Quelques côtes qui bougeaient de façon anormale. Ah mais merde, Duncan, va doucement tu veux, je suis en train de clamser là, si tu continues à me tripoter pendant que je crèves tu vas vraiment finir par m’achever ! L’air frais qui flottait dans l’orphelinat, trahissant la nuit que l’italien n’avait pas vue venir depuis le temps qu’il était enfermé, cet air frais lui faisait du bien. Autant que l’idée d’être secouru par ce type. Mais pas autant que la sensation d’être déposé dans un lit moelleux. Malgré la disposition désagréable de ses os et la souffrance qu’il ressenti au moment où le brun le couchait, il se contenta de grommeler en serrant les dents avant de tenter de se relaxer un peu. Sauf que c’est quand même pas coton de se relaxer quand on est dans le même état qu’un grain de maïs dans un mortier… L’italien se rendait mollement compte que le brun semblait prononcer des mots et tenter de communiquer, mais il l’entendait de façon totalement étouffée, les oreilles bouchées par le sang et la douleur qu’il avait à la tête. Il réussit pourtant à tourner un peu son visage vers le sportif qui continuait de bouger les lèvres, et il parvint à discerner quelques mots parmi le charabia qui se voulait rassurant. « fracture», « crache du sang », « joue ouverte »… Ah, merci Duncan, tu sais que je me sens vraiment mieux maintenant ? Je sais ce que j’ai, j’ai pas besoin de détails, je suis une piñata, c’est tout, pas besoin de chercher plus loin !!! Et pourtant au fond de lui, il ne saurait pas comment exprimer sa gratitude à l’égard du brun qui faisait décidément de son mieux pour le soigner. Il le fixait mollement, le regardait s’inquiéter, paniquer, tout ça pour lui. Ca faisait du bien, vraiment. L’argenté avait beau être un gamin chieur et passablement égocentrique, il n’aimait pas faire s’inquiéter les autres pour lui. Il voulait se débrouiller tout seul le plus possible. N’avoir besoin d’aucune aide extérieure. Ne pas avoir de comptes à rendre, à personne. Cette fois, pourtant, il se rendait vaguement compte, dans son esprit embrumé, de la différence d’un acte par intérêt et d’un acte de pure amitié. Duncan ne lui demanderait rien en échange. Il était probable que Duncan ne demandait que son rétablissement, et que rien que ça lui suffirait.
Alors qu’il sentait le sommeil et la fatigue extrême s’emparer de lui, l’adolescent comprit que ce que le brun partait faire ne consistait pas seulement à aller chercher l’infirmière, mais qu’il comptait également prendre lui-même sa vengeance sur l’acte des jumeaux. L’idée le fit frémir, à la fois de contentement, d’inquiétude et d’une colère profonde qu’il n’avait aucun moyen d’exprimer. De contentement parce qu’il fallait vraiment que le brun tienne à lui pour vouloir le venger. D’inquiétude parce qu’il savait qu’il n’avait aucune chance face aux deux petits démons, et que c’était du pur suicide de se jeter dans la gueule du loup comme ça. Surtout qu’il était fort probable que les deux rouquins s’y attendaient et se préparaient en silence à une vengeance du sportif. Et il refusait catégoriquement que le brun se mette dans le même état que lui. Hors de question. Jamais. Puis de colère, parce qu’il ne supportait pas non plus l’idée qu’on le venge à sa place. Il s’en occuperait tout seul. Dans une semaine, dans un mois, dans un an, peu importait, mais il le ferait lui-même. Mais vas-y hein Duncan, te préoccupe pas de ce que je pense, joue les héros, vas donc te faire tuer ! Pour ce que ça me fait !!! Va donc ! Cours ! Rien à foutre !
… Mais t’es con, hein ? T’es vraiment con à ce point ?
Hurricane : « Reste là… »
Putain de bouche qui lui faisait trop mal pour gueuler. Appelle-moi cette idiote d’infirmière qu’elle vienne m’empêcher de mourir, et toi, reste-là, te mets pas en danger à cause de moi. T’en a déjà trop fait.