« … J'ai faim. »
Grognement balancé comme mon sweat sur la chaise, je me redresse puis vais promptement prendre un paquet de biscuits dans le placard. Ma main se pose sur un objet, je le prend puis le détaille. La broche. Elle n'avait pas changé, depuis les années, elle était toujours aussi brillante et petite. Je plonge ma main dans ma poche en réfléchissant au prochain « cap » que j'allais pouvoir lancer à Thought, puis je repars m'asseoir, biscuit entre les lèvres, yeux posés sur mon cahier.
Parce que j'avais toujours été comme ça. Je pensais un peu à elle, un peu à nous, puis je balayais tout avec les cours et des conneries comme le temps dehors. J'essayais de me remplir la tête de connaissances, j'essayais de m'attirer le plus d'ennuis avec les autres, j'essayais de me changer les idées, de ne plus la voir. Mais je n'y arrivais pas. Elle revient toujours, sa chevelure azure volant sous mes yeux, sa voix me tirant de cet océan de mathématiques, de littérature ou de philosophie, son rire brouillant tous les chiffres et tous les beaux mots installés dans mon crâne.

Je suis faible, avec elle.

Et pourtant, c'était moi qui venais toujours la tirer des problèmes. C'est moi, qui l'aidais à se relever et qui essayais de frapper les cons. Je la protégeais, mais comment faire lorsque notre plus grande peur était de perdre celle qui menaçait de se briser au moindre coup de vent … ? Putain. Coup de poing sur la table, je vois mon cahier tomber par terre et je n'ai pas la force d'aller le ramasser. Parce que j'en ai marre de tout ça, de ces maux de têtes à force de trop vouloir me compliquer la vie. Pourquoi ne pas l'embrasser, cette fille ? Pourquoi ne pas laisser tomber tous ces cours ? Pourquoi ne pas simplement faire ce que j'aime et ce pour quoi j'ai toujours vécu : le foot ?
J'suis conne, un peu. Mais je suis aussi une fille. Une fille ne devrait pas en aimer une autre, une fille n'est pas vraiment faite pour jouer au foot. Pourquoi ne suis-je pas un garçon ? Tout aurait été plus simple. Mes excès de colère, mes attirances, le foot, ma façon de parler... Tout. Tout aurait été normal. Je ne suis pas du genre à essayer de correspondre au schéma parfait de la petite fille, mais j'essaye tout de même de ressembler à ce que j'aurais aimé être. Et, même si je ne sais pas exactement ce que je voudrais devenir, je sais exactement ce qui m'exècre.

Et c'est moi.

Moi et mes manières de mecs, moi et mes sweats trop grands, moi et mes théories foireuses, moi et ma petite taille, moi et le comportement que je peux adopter face à elle.
Mais merde quoi.
Malgré tout ça, j'avais beau me haïr, j'avais beau ne pas savoir ce que j'aimerais être, il me restait tout de même une chose infime, voir minime, mais tout de même importante.
Et cette chose, ce n'était ni moi, ni les mathématiques, ni le sport.
Non, cette chose, c'était Thought.

« Héhé... Je sais. Cap ou pas cap de danser sur le bureau d'un prof'. Ouais. » Je souris, en pensant à elle. Je souris, en pensant à nous, bien que je ne me l'autorisais pas. Puis je ramasse mon cahier, écrivant mon idée dessus et posant la broche juste à côté.
J'avais beau me l'interdire, elle revenait toujours.
Thought.