THEY CALL ME
GIRL

— Hé, tu sais, le nouveau s'appelle Zadig.
— Ah ouais ?

Sa fourchette vola presque et on la vit traverser le réfectoire comme une furie.


Le seul indice de son pseudonyme ne l'aida pas beaucoup. Elle aurait dû demander l'âge, l'apparence et la classe avant de partir à sa recherche. Mais il y avait quelque chose d'excitant de partir à sa recherche à travers l'établissement et à questionner les uns et les autres au sujet de ce Zadig. Au final, personne ne put lui donner d'indications précises - une fille même lui racontait qu'il avait les cheveux roses, et il fallait de débrouiller par soi-même. Se figurer un visage approximatif selon le détail de l'un et la précision de l'autre. Le portrait robot obtenu ressemblait plus à un porcin fusionné avec une planète gazeuse, mais elle ne perdait pas espoir. Beaucoup riaient en répondant à ses interrogations, elles, sérieuses. Personne ne s'imaginait vraiment que Voltaire puisse devenir un jour grave et répondaient par des blagues en repensant aux dernières farces qu'elle leur avait faites.
Mais on parle de génies, et puisqu'ils l'étaient tous, ou à peu près, elle devrait bien trouver par elle-même. Elle déduit de son investigation que Zadig était donc quelqu'un de discret et d'introverti, pour que personne ne l'aie vraiment remarqué. C'était donc, probablement, un enfant jeune, impressionné par son nouveau foyer et marqué par les événements qui lui sont récemment arrivés. L'âge n'était pas une fonction sûre, mais à vue de nez, elle devait viser juste, pensait-elle. Elle l'imaginait avec un physique très banal au point de n'attirer l'attention de personne, et elle lui donnait, environ, voyons, huit ans.
Elle cherchait donc quelqu'un d'approximativement un mètre vingt-cinq.

Il est inutile de détailler davantage toutes les peines du monde que se donna la distraite Voltaire, et là, si appliquée, pour trouver son poussin de Zadig.
Finalement il n'y avait qu'un endroit où elle n'était même pas entrée, cette salle ayant été éliminée d'office pour quelqu'un qui venait d'arriver.
Le tribunal miniature n'était jamais fermée à clef. La porte grinça un peu, et elle fut aveuglée par un rayon de soleil tardif, un de ces rayons puissants et chauds, qui montrent chaque grain de poussière qui vole.
Elle ne le vit pas d'abord. Et quand elle vit quelqu'un, elle fut tentée de faire demi-tour.

Zadig ne faisait pas un mètre vingt-cinq et ne paraissait pas avoir huit ans. Il semblait même plus âgé qu'elle. Elle s'approchait doucement, comme quand on veut s'approcher d'un petit oiseau sans le faire s'envoler, sans faire de bruit avec ses semelles en caoutchouc; mais ses colliers tintaient et les petits carillons amplifiés par la salle lui semblaient être une agression auditive.
Elle s'arrêta devant lui, et dégagea un peu ses cheveux pour avoir un air présentable.

— C'est toi, Zadig ?

Il était très difficile de savoir quelle posture adopter. Être trop sérieuse n'était pas très accueillant et afficher un grand sourire n'aurait pas été respectueux. Il ne la regardait même pas; il semblait que Neville se crût encore seul. Il avait un regard touchant d'émotion, et cette tristesse l'assomma.

— Moi, c'est Voltaire.

Elle s'assit à côté, sur la banquette. Toute cette course, cette précipitation, cet essoufflement, pour finalement contempler les boiseries par une fin d'après-midi haletante. Elle n'était pas très sûre d'elle, mais elle était Voltaire, et un gai pinson comme elle ne cherchait pas à approfondir les dilemmes - juste à les résoudre avec des rires.