Sujet: Ses aisselles sentaient le basilic Dim 22 Jan - 17:09
mai 2009, Barros Julieta 15 ans
On m'a dit que je m'appelle Boring, maintenant. Ça me fait marrer. Comme si l'assignation d'un surnom pouvait sauver l'anonymat. Boring. Me voilà cantonnée à cette qualification comme si elle me résumait. Je suis ennui. De l'ambition en cache-misère, pour le reste, pas grand chose d'autre que l'ennui. Il y a cette bédé que Manolo lisait dans la voiture, maintenant je me souviens : David Boring, j'aurais dû la regarder. Bien sûr qu'à un moment le mot « Boring » abandonnera tout son sens, pour ne rester que le ronron d'une sonorité trop de fois répétée. Je m'y fais déjà. Je ne suis ni triste, ni contente d'être là. Ce chiffre qu'ils ont collé à mon QI, j'y crois pas trop. L'intelligence est définie selon des critères bidons, Bourdieu le dit. Mais bon, si ça peut m'éviter les TIGs, c'est tant mieux. Et puis le bâtiment est bien chauffé, les chiottes sont propres, la vie sereine, tout va bien ! Le doute m'arrache un long soupir. Cette douche que j'ai prise tout à l'heure, elle n'a pas chassé la chaleur inconfortable qui travaille mon ventre et mon dos. Résultat, mes cheveux mouillés sont collés à mon coussin, j'ai les pieds gelés et je ne me sens toujours pas mieux. Je pense à Manolo et aux autres qui passent en procès dans deux jours. Je pense à la maison, à tous nos efforts pour la garder ouverte, je pense à ce que je laisse derrière. Et tout cela me fait me sentir vide, soudain c'est plus fort que moi, les larmes gonflent et vont s'affaisser sur mes tempes. Il y a trois lits vides autour de moi. Ça sent le propre des chambres impersonnelles. Je regarde le revêtement blanc des murs et ça me donne encore plus le cafard. Ce lieu est tellement en rupture avec ce que j'ai pu connaître durant ces dernières années ! Je me sens bernée. Je me sens seule. J'ai juste le temps de renifler et de me passer la manche sur le visage, que quelqu'un pousse la porte de la chambre. C'est une petite brune qui doit avoir à peu près mon âge. Je lui souris et la salue d'un hochement de tête :
« - Hêlow ! »
Je me lève et range méthodiquement les objets qui traînent sur mon lit. Des fringues, essentiellement. En les rangeant dans mon armoire, j'ai l'impression d'achever mon suicide symbolique. Ces fringues qui sont passées par tant d'endroits incroyables, ces fringues dans lesquelles j'ai vécu une presque liberté, maintenant rangées dans cette armoire, elles se destinent à la vie morne qui m'attend moi-même. En quittant le lycée, je croyais vraiment pas remettre les pieds dans un bâtiment scolaire de si tôt, alors une école pour surdoués ! Je pousse mon gros sac sous mon bureau et m'installe à la chaise qui est en face de celui-ci. Je regarde la nouvelle arrivée avec un mélange de curiosité et d'embarras. Même si l'envie d'entrer en communication est forte, je ne sais baragouiner que deux trois phrases en anglais et ne peux me contenter que d'un :
« - I'm Boring ! »
Quelques secondes filent et je me rends compte que ce que je viens de dire peut être prix totalement hors de propos.
Sujet: Re: Ses aisselles sentaient le basilic Mar 31 Jan - 11:25
Mai 2009, 15 ans
C'était l'âge où, bel et bien ancrée dans l'adolescence, dans la peur du rejet toute juvénile, Pure était le plus souvent investie de le la tâche d'accueillir des nouveaux arrivants. On lui confirait, dans le futur, Dino, petit être recroquevillé et revêche, hostile et presque détestable. Désormais, c'était une main caressante sur l'épaule qu'on l'avait conduit devant la chambre de la nouvelle. Une moue de timidité déformait sous visage, des a priori ses pensées. C'est fou comme on est jeune à quinze ans, c'est fou comme on est un peu con, même avec avec un QI de surdoué.
On l'abandonna alors devant cette porte muette mais pleine d'interrogation, avec ses cadres comme des points d'interrogation ou de gros yeux étonnés. Elle inspira profondément et bloqua ses poumons, prête à se jeter à l'eau, les mains un peu moites. Pure n'eut toutefois pas le courage d'ouvrir le battant en grand et se contenta de l'entrebâiller, laissant simplement apparaître son visage trop pâle et des sourcils inquiets. On percevait une retenue douloureuse dans son regard comme un chien qui a peur de se faire battre après avoir fait pipi sur le tapis.
Elle trouva la pièce agressive car trop neutre, froide car peu habitée, vide parce qu'on y était seul. Aussitôt son regard accrocha les yeux charbons et brillants de la nouvelle, immédiatement elle regretta d'avoir été désignée.
Pure n'avait pas envie d'être confrontée, encore, à la douleur d'autrui. Il avait fallu du temps pour la rassurer, lui faire comprendre qu'elle n'était pas responsable de ce qui était arrivé à sa mère et, surtout, de penser à elle. Et c'est justement parce qu'il s'agissait d'un travail difficile que Perla s'y attelait avec application, repoussant les assauts de l'empathie qui lui aurait fait oublier ses propres peines.
C'était égoïste mais beaucoup moins dangereux que de s'attacher.
Toutefois elle pu s'empêcher d'éprouver, en s'approchant de l'inconnue, un sentiment presque maternel, protecteur. Elle aurait aimé posséder des mains de mère, de celles qui, d'une unique caresse, font disparaître les monstres sous le lit et les écorchures aux genoux. Elle aurait tout donné pour qu'en cet instant, d'un mot, elle puisse tout guérir.
— I'm Boring.
Puis elle baragouina un peu, prenant subitement conscience de l'absurdité de son pseudonyme, avec un rire silencieux, un peu humide, de celle qui a pleuré sans vouloir le dire.
— I'm Pure.
Elle se dandina un peu, ne sachant que faire de ses mains qui lui semblaient ridicules, au bout de ses bras raides le long de son corps trop maigre. Sans y penser elle replaça une mèche de cheveux, lâcha un sourire bref et gêné avant de finalement s'asseoir sur le tout rebord du lit que Boring avait quitté. Elle leva des yeux suppliants vers elle, comme si elle espérait qu'elle lui souffle son texte.
— Je suis là pour t'expliquer le fonctionnement de. l'orphelinat.
Elle s'était arrêté en route, se demandant si le mot orphelinat n'était pas trop dur à entendre. Pure fut pris d'un léger vertige en imaginant toute sorte de possibilité quant à la vie passée de sa nouvelle camarade et, comme à chaque fois qu'elle s'angoissait, se reporta à ses cours pour tenter de la percer à jour.
La jeune fille avait des yeux et des cheveux si noirs, ainsi qu'une peau si mate, qu'il lui fut facile de la classer dans la catégorie hispanique/latinos. Elle élimina la seconde catégorie en repensant au roulement des mots quand elle parlait anglais. Pure et Boring faisaient à peu de chose près la même taille mais cette derrière paraissait grandie, comme plus apte à affronter un monde que Pure avait à peine connu, comme si, elle, avait vécu au-dehors, comme une grande.
Ses réflexions avaient laissé un temps de latence, lui conférant un air scrutateur qu'elle n'arborait que rarement. Émergeant, avec distance, elle dit :
— Tu as reçu ta boîte d'entrée ? T'sais le truc avec tes draps de lit, de bain, ton horaire, ton pc et tout ?
Voyant l'air quelque peu déconfit de l'autre, elle ajouta, plus bas, en espagnol :
— No hablo muy bien, pero puede hablar conmigo en español, lo entiendo.
Invité
Sujet: Re: Ses aisselles sentaient le basilic Ven 16 Mar - 15:32
En l'habillant, son appellation, lourd linceul, l'enseveli. Je la vois PURE. Sur sa petite tête brune, je vois se déployer en corole les voiles antiques de ce qui est nu. Je l'entends calme et profonde, creusée dans la pierre pâle et solide des statues. Sans que j'y mette un nom, dans mon préjugé, ça se dessine comme cette intuition qu'on a des gens sans les connaître. Et puis merde à cette connerie, tout ce que je vois, c'est une fille aux sourires engageants qui semble un peu désemparée devant la tâche qu'on lui a confiée. Elle ressemble à une fille que j'ai connue et qui s'appelait Elza, cette pensée me traverse la tête aussi rapidement que je superpose les deux visages dans un angle de son menton ou de son nez. Une fois que Pure a relevé la tête, je n'y vois plus qu'une vague similarité dans le jeu des sourcils. Je ne sais pas ce qu'il y a de si avenant dans sa mimique mais je sens que j'aimerais l'intéresser et peut être avoir son amitié. J'aimerais m'ouvrir à elle, mais je ne sais pas sur quel sujet. L'occasion se présente quand elle me demande si j'ai eu la boîte. Le plus beau, c'est de la voir faire l'effort de parler dans ma langue maternelle. D'un doigt vif je lui montre ladite caisse que j'ai glissée sous mon lit.
- oh, je vais faire l'attention sur parler anglais, j'ai besoin de m'entraîner ! Ouais, on me donner la boîte ! Dis donc, le PC, jamais vu une machine comme ça, ils rigolent pas ! Mais ça me rend joyeuse de savoir tu comprends ma langue ! ¿ Es-tu anglaise ? ¿ Ou tu viens d'un pays estranrrer toi aussi ?
Tout en parlant, je me suis agenouillée devant ma boîte pour en sortir les draps. Lançant un sourire à Pure, je me représente le malaise que doit constituer cette rencontre un peu forcée. Il y a cette image qu'elle a du se construire pour nous les nouveaux : derrière elle, c'est tout l'orphelinat qui attend, sa poignée de main, c'est la poignée de main de la Wammy's House. J'imagine qu'accueillir des orphelins ça veut dire les prendre à chaud, encore socialement tout disloqués. Pure a de grands yeux graves qui donnent à son visage une maturité sereine. J'attrape mon coussin et le fourre dans sa housse.
Je ne me suis pas encore imprégnée de l'ambiance de la Wammy's House. Tout ce que j'en ai goûté, c'est son odeur de clinique. En traversant le bâtiment, du bureau d'accueil à la chambre, j'ai juste eu le temps de croiser trois visages et tous étaient trop fermés pour que je puisse y discerner un quelconque sentiment global que leur procurerait l'orphelinat. Je me souviens qu'au lycée, je sentais très nettement dans les regards, la tension adolescente provoquée par la recherche d'identité : qui plus est dans un lycée français fréquenté par l'élite barcelonaise.
Je sens le désarroi, je sens le trouble dans lequel me mettent mes propres dispositions à revêtir le corps d'enfant orphelin et la tête d'enfant surdoué. Je ne me sens pas contrainte, je vois l'évasion très simplement. Ce qui me rattache ici c'est ma solitude circonstancielle, mais aussi, l'envie de voir ce que ça fait de travailler son ego et sa volonté. Je déplie la couette et tâche de lui enfiler son drap.
Sujet: Re: Ses aisselles sentaient le basilic Dim 13 Mai - 13:54
hrp. c'est toujours la même chose : tes rps me laissent pantoise d'admiration. j'aimerais écrire aussi bien. je t'ai mis un cadeau dans la partie graph.
Elle conservait les rougeurs d'avoir marmonné dans une langue qui n'est pas totalement sienne, simplement celle d'un père disparu. Et puis elle se souvint que même l'anglais était joué, presque menti. Le français quant à lui, lui semblait être la langue du passé, d'événements lointains, comme ceux qu'on a lu, un jour et qu'on s'est approprié. Mais tout cela sonne faux puisqu'à la Wammy's House, tout cela est censé disparaître. Pure se contenta de hocher la tête, tandis qu'elle repensait à son italien balbutié et des phrases qui n'ont de signification que dans cette même langue : vergognati, Perla.
Le regard de Pure suit son doigt, non sans s'être accroché quelques millièmes de secondes à celui-ci, comme celui d'un enfant qui ignore la signification de ce geste. La boîte est là, elle achève d'effacer toute originalité : nous avons tous les mêmes draps et les mêmes premières possessions. Rares sont ceux qui ont eu le droit de conserver un vestiges de leur vie d'avant. Mais au fur à mesure, on se reconstruit, avec l'argent alloué aux orphelins, on s'achète une nouvelle personnalité à force d'entasser des choses, d'habiller cette chambre froide.
Un peu étonnée d'une question si personnelle, la jeune fille la fixe un instant, ses yeux d'avantage agrandis.
— Ouais le pc est cool. J'te montrerai comme faire pour le ligne sale et euh. Je ne.
On ne doit pas en parler, on doit oublier. Elle devrait répondre : j'ai la nationalité anglaise.
— Ma langue maternelle est le français.
Elle eut soudainement l'impression de se quitter elle-même, qu'en parlant ainsi elle se dédouanait de l'obligation de penser, de réfléchir sur elle-même. Elle comprit pour la première fois Quinn, d'Auster, et la sensation s'intensifia.
Elle se leva pour saisir la housse de couette et la retourner et essaya non sans mal d'attraper la couette pour la glisser à l'intérieur. Pure s'entendit demander :
— Tu viens d'où ?
On ne pose pa de question. Elle devrait répondre : j'ai toujours été là.
Contenu sponsorisé
Sujet: Re: Ses aisselles sentaient le basilic
Ses aisselles sentaient le basilic
Page 1 sur 1
Permission de ce forum:
Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum