Si tout s’arrêtait aux apparences, elle serait sans nul doute comblée, la belle Circé. Après tout, qui avait-il à reprocher à ce visage dans le miroir ? La douceur de son trait, le pulpe de sa lèvre ou l’intensité de ses yeux pers ? Non, absolument rien. Elle applique le khôl avec délicatesse pour un regard de braise, elle donne vie ces pommettes opalines d’un coup de blush. Elle le chérie, ce reflet. Mais elle n’est pas égoïste; ce n’est pas pour elle mais pour vous. Pour ceux qui la croiseront quand elle foulera le sol des couloirs du pensionnat. Elle n’est pas narcissique non plus; plutôt Blanche Neige que belle-mère envieuse, être la plus belle ne l’intéressait pas et elle n’en avait pas la prétention. Plaire était la seule chose importante. C’était terriblement futile comme aspiration, tout bien réfléchi. Elle n’était pas une femme futile, pourtant. C’est l’air qu’elle semble se donner, ce qu’elle semble aimer. Vivre dans le reflet des choses, sans chercher la profondeur et la complexité qu‘offre la vie. Le plaisir plutôt que l’amour. La déception plutôt que le désespoir. Tant de réflexion pour une simple séance maquillage devant le miroir d’une coiffeuse … Tout cela parce que ce reflet l’a faisait doucement sourire. Si parfaite, si angélique. Ils sont plus d’un à savoir que cette jolie poupée n’a de blanc que l’émail de sa dentition et c’est l’un d’eux qu’elle allait rencontrer aujourd’hui.

La jeune professeur se lève et délaisse son pinceau sur la surface laquée, qui roule et tombe finalement sur le parquet. Circé fonctionnait par cycle. Comme toutes les femmes me direz-vous, certes; mais aussi concernant le rangement. Et là, comme sa chambre ressemblait à peu de choses près à un quartier afghan après une attaque de talibans, on pouvait en déduire qu’elle n’était pas tout à fait dans sa phase névrosée de l’hygiène et du rangement. C’était d’ailleurs un bon signe ! Signe de sa bonne humeur. Circé fout le bordel quand elle est de bon poil, et alors ? Enfin. La jeune femme termine de nouer ses cheveux dans un chignon lâche avant de passer sa veste noire. Une de ses vestes plutôt car sa garde-robe devait être au moins aussi fournie que la bibliothèque de la Wammy’s House.

Sortie de sa chambre, elle rejoint la masse d’élèves dans les couloirs en ce samedi après-midi. Peu importait le jour, il y avait toujours de la vie mais le week-end, l’atmosphère était nettement plus décontractée. Et toujours aussi facilement, la professeur se fondait sans problème aux orphelins. Sa petite taille ou son air de douce rêveuse ? Elle n’avait pas eut de mal à s’intégrer ni à s’habituer aux lieux. Quand on n’a pas de chez soi, on peut facilement se sentir partout comme à la maison. Apparemment tout allait bien ici. Tout allait mieux, lui aurait dit son psychologue. Apparemment. Qui se doutait du mal être de cette pin-up en escarpins ? Qui s’en souciait, plutôt ? Son jean plus que moulant laissait tout deviner de ses formes, tout comme son chemisier blanc laissait voir la dentelle de son soutien-gorge. Que restait-il à cacher ? Ce mal être n’existait pas tellement. C’était plus exactement la peur de ce mal être qui faisait d’elle de qu’elle était. Pas de peur, pas de mal être. Tout allait bien. Tout irait bien tant que les choses continueraient ainsi. Elle se sentait bien.

Passant une porte, la voilà dans une petite allée entre les bâtiments. Pas de pluie, pas de vent; les températures avaient même un peu remontés pour ce mois d’hiver. Le sentier était dessiné par de petits arbustes soigneusement taillés, ses talons crissent dans les cailloux gris. Circé lève les yeux sur la chapelle qui se dressait à quelques pas, elle semblait plus triste sans soleil pour frapper sa pierre blanche. Inutile donc de s’émerveiller sur un paysage mort. Quelques marches en pierre et elle pousse les portes de bois sculptées. Le silence tombe. Il n’y avait eut personne au-dehors, mais le silence de ces lieux étaient différents. Réconfortant. Circé n’était pas croyante, mais elle aurait aimée avoir cette foi. Elle avait préféré se tourner vers l’humain plutôt que le spirituel pour trouver ce dont elle avait besoin, et il était trop tard à présent pour faire demi-tour, la mauvaise voie l’avait entraînée trop loin. Elle l’avait amené jusqu’ici, mais pour des raisons bien moins chrétiennes. Une pècheresse que les bancs du confessionnal n’intéressaient pas, comme beaucoup d’autres. Depuis longtemps elle ne se posait plus la question du mariage, elle ne rêvait plus de marcher jusqu’à l’autel, mais elle trouvait toujours les lieux de culte presque féériques. Leurs vitraux, leurs sculptures, leur beauté pieuse.

Et il y avait cette silhouette, adossée. Un sourire étire le coin de ses lèvres tandis qu’elle s’avance; la discrétion n’est plus possible comme ses chaussures résonnent sur le marbre. Circé se détourne de la nef pour longer un banc, ses doigts effleurant le haut du dossier. Elle penche légèrement la tête sur le côté, son sourire s’étirant, séductrice.

« Vous êtes en avance, Lazy. »

Ou bien était-elle en retard ? La femme n’était pas de ceux qui guettait l’heure, elle ne portait même pas de montre. La voix douce, tâchant de ne pas rompre l’atmosphère sacrée. Mais sa présence était déjà un blasphème, un sacrilège, un péché. Circé était déviance. Un professeur est censé garder une distance entre lui et l’élève; elle tentait tout bêtement l’inverse.

Mais sinon, tout va bien docteur, elle a juste besoin d’un dealeur.

Je. Ferais mieux après, promis ;;