Il paraît que la musique adoucit les mœurs. Il y avait longtemps cru, avec ténacité même, mais les beuglements qui envahissaient les couloirs de l'institut quand les élèves mettaient leur culture sonore sous haut parleur le faisait douter, pire, ça lui faisait même souvent froid dans le dos. Un doigt glacé vous caressant l'échine, comme sortis d'outre tombe. Il se raidissait, on essayait de l'aliéner, et ça marchait très bien. Doom Death Black Metal, le nom de la maladie. Une tendance qui participait au renforcement de cette vieille impression, celle qui clamait haut et fort que n'étiez qu'un débris, une ruine à la con bonne pour le dépotoir.

Certains jours en étaient néanmoins pire que d'autre, et aujourd'hui tout l'institut semblait célébrer la naissance de Satan, ou quelque chose dans le genre. Lui s'était payé des boules quiès pour l'occasion. Malgré un sentiment d'auto-pénétration auditive il accédait à un monde de silence. La réalité perdait alors rapidement de sa superbe quand il coupait le son. Les élèves s'agitaient dans une danse aléatoire ou insensée, et pour peu, un artiste néo brutal aurait appeler de l'énergie créatrice. Lui il en aurait vomis. Comme à cet épisode de Jackass où un abruti s'amusait à se percer un énorme bouton. C'était dégueulasse et l'on ne l'y reprendrait plus jamais. Il n'avait qu'à rester un vieux débris à la con, ça lui suffirait amplement.

Mais ses « coupes monde » avaient aussi leur limite, et la douleur le saisissait trop souvent après une non-écoute prolongée. Alors il se réfugiait dans le parc, rôdait parmi les arbres comme le dernier des violeurs, et finissait généralement par se trouver un coin ombragé où il était à l'abri jusqu'à qu'on le débusque. Ce qui ne tardait jamais. Les élèves étaient toujours plus ingénieux et imaginatifs, et la dernière fois qu'on l'y avait pris, il passa pour le mysterious public masturbator de l'institut. Depuis, il avait élaboré une stratégie d'attaque et tombait sur les élèves avant qu'eux lui tombent dessus. Il surgissait des buissons, les mains en l'air, les bombardant de questions accusatrices, espérant qu'il les attraperait la main dans le sac, en train de faire quelque chose d'illégal ou d'embarrassant. Ce qui lui assurait d'habitude un petit bonus temps et tranquillité.

Aujourd'hui tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes, c'était la guerre, mais une bulle assonorisante l'enveloppait. Quelques cris et fausses notes au loin, c'était tout, les oiseaux se faisant un plaisir de couvrir les vestiges du vacarme. Allongé dans l'herbe, sous un arbre il sourit. Jusqu'à que ce qui ressemblait à de la musique parvint à ses oreilles. La force de l'habitude le mit sur pied et le jeta à travers les buissons, le visage déjà crisper par le masque du méchant clown. Mais cette fois- ci, rien, si ce n'était deux élèves qui le fixaient comme s'il était fou, et un guitare qui semblait se moquer de lui. Oops.

La scène aurait pu être comique s'il ne l'avait pas pris avec autant de sérieux. Il s'était paralysé sur le seuil des buissons, dans une position presque indécente. Il avait déjà honte de sa bêtise, les regards amusés et les quelques petits rires finirent par l'achever, le descendant plus bas que terre. Dans un cadre plus intime il en aurait presque rougit, mais les conventions sociales et le règlement le lui interdisaient. Jusqu'à présent il presque su se contenir. Dans un soupir il répéta cette fameuse méthode magique d'autodiscipline, se murant lui même dans le mutisme intimidant qui semblait tant le caractériser. Il croisa les bras, achevant sa mutation en professeur autoritaire.

Il croisa les bras, plaça une main sous son menton, soutenant un regard méfiant et accusateur. Il n'avait pas prononcé un mot mais avait confiance en son image du grand méchant professeur mangeur d'enfant. Il balaya la scène du regard, cherchant un petit quelque chose à redire, se redonner un peu de contenance. Rien, si ce n'est que le spectacle lui apparaissait comme un croisement improbable entre le mythe de Lesbos et un concert privée folk style 70's. Une fraction de seconde, une image plus qu'obscène lui traversa le cerveau.

Il réprima difficilement le feu qui lui montait aux joues, partager entre gêne et honte envers lui même. Il avait conscience d'avoir quelques penchants... discutable, mais là sa libido allait trop loin. Il soupira longuement d'un air exaspéré. Cette jeune fille ne devrait pas emmener sa guitare n'importe où, elle risquait de l'abîmer avec tous ces guignols qui rêvaient de fracasser le matériel de l'école sur une scène rock. Bref... Qu'est-ce qu'elles jouaient au juste ? Il s'était pris au jeux, et au lieu de faire une sortie triomphante, s'éternisait là. Il observa longuement ces quelques doigts danser sur les cordes, un souvenir vieux de plus d'une vingtaine d'années refit surface, sortit de l'eau et marcha vers lui.

Il était jeune, probablement à peine plus vieux qu'elles, peut être dix-sept ou dix-huit ans, il avait les cheveux mi-longs, crasseux et tenaient dans ses mains ce qui semblait bien être une guitare, folk, elle aussi. Il se revit, concentré, les sourcils froncés, la bouche crispée, essayant de tirer une petite mélodie de la boîte de bois polie. Au loin le regard distant et neutre de son père, il regardait autre part, peu préoccupé par les efforts de son fils. Il cherchait l'attention de son paternel, peut être à l'impressionner, qui sait... Mais toutes ces tentatives se résumèrent à une nuit amer et solitaire dans l'obscurité de sa chambre, à essayer de s'ameilorer, parfois de grandir.