L'été touchait à ses derniers jours et le portail de l'académie lui tendait les bras. Le poids des années n'aidait pas, et n'aiderait probablement jamais, pour lui comme pour tous. Il demeurerait toujours fraîchement arrivé, le ventre noué par l'appréhension et la nostalgie de jours qui étaient déjà derrière lui. C'était une belle fin de journée, un pied à l'intérieur de l'enceinte, il se retourna lentement, comme si quelqu'un l'eut appelé, et se vit dans le regard dépité des autres, dans le soleil de fin d'après midi qui semblait partir lentement. L'instant avait ce goût d'adieu aigre-doux. Celui des jours qui ne reviendraient plus. Mélange de nostalgie et regrets.

Rien ne changeait jamais d'une année à l'autre, y compris ce petit rituel d'adieu. Tout n'était qu'une vaste routine, une machine aux rouages finement huilés. Et pourtant chaque rentrée il revenait en arrière, à sa première année, la même boule aux creux de l'estomac. Il s'arrêtait toujours sur le seuil du portail et essayait de lire l'horizon plat et verdoyant qui s'étendait derrière la foule, quelque part au loin ses parents, son chez lui qui l'attendait peut être encore. L'envie de s'en aller était alors aussi grande que de savoir l'acte impossible. Chaque année à la même période, il avait de nouveau 13 ans.

Il entrait dans l'énorme hall, et une voix nébuleuse et lointaine sortit de ses écouteurs, des sons comme éclatant à la surface de la mer, quelqu'un d'allongé au fond de l'océan. Le même morceau qui résonnait au fond de son crâne quand un autobus l'emmenait loin de la guerre, des années auparavant. L'impression que l'océan immense et froid l'emmenait avec lui. Il oubliait quelques secondes et vit une autoroute côtière, un visage où se fondaient le bleu et le blanc, des vagues dans les yeux et une voix sans aucun souffle, un sourire de corail.
Malgré ses petits yeux grands ouverts la réalité semblait figée, puis, très lentement, aller au ralenti, comme immergée.

Il monta rapidement dans sa chambre, des draps soigneusement pliés sur lit, une odeur aseptisée et fraîche dans l'air, l'énorme fenêtre grande ouverte sur le soleil distant. L'image en elle même était poids écrasant sa conscience. Se sentir comme dépossédé de soi même, aliéné par le protocole et le règlement. Il arracha ses écouteurs et les lança sur « son » lit, bientôt suivis par un sac de voyage. Penché à la balustrade, le brouhaha incessant des pensionnaires semblait un écho lointain. Il sortit une cigarette de la poche de sa chemise, la porta à ses lèvres, l'alluma lentement, fébrilement. Un dernier moment d’individualité avant de se sacrifier à l'œuvre. Il voyait un chauffeur de taxi lui demander où ils allaient, ses lèvres disaient loin, demandaient le silence.