Je marche, tu marches, il marche, nous marchons… En effet, Spade marchait. Elle marchait, tranquillement dans le parc de l’orphelinat. Elle regardait ses pieds, jouant avec les cailloux et gravillons qui roulaient le long du chemin. Elle balançait ses pieds, l’un après l’autre… On aurait dit un canard boiteux. Elle marchait sa tête vide de toute émotion. Avez-vous déjà ressenti cela ? Cette impression d‘avoir des marshmallows à la place du cerveau. Se reposer, ne plus penser à rien. Sentir que son esprit est embrumé et ne plus vouloir relever les yeux de peur de perdre cette sensation si apaisante. On ne craint pas de tomber dans le vide de cette brume et de ne plus pouvoir en sortir. On sait qu’on pourra en sortir, c’est certain. On cherche juste à prolonger cet instant si court où on a plus besoin d’être intelligent. Plus besoin de réfléchir… Juste marcher en suivant le chemin. C’était ce que ressentait Spade à ce moment-là. Et pourtant arriva le temps où elle dû relever la tête. Devant elle se dressait, droite et inébranlable, la grille. Cette grille devant laquelle elle se sentait si petite. Et pourtant, elle ne lui donnait pas l’impression d’être prisonnière. Cependant, bientôt peut-être, viendra le jour de quitter cet endroit, de tourner le dos à cette grille. Que ferait-elle à ce moment là ?

Elle entendit le crissement du gravier. Elle se retourna lentement. Qui cela pouvait-il être ? Pas Ghost et Willow… Elle soupira, ferma les yeux et croisa les doigts. Elle attendit… Espéra… Ouvrit les yeux…

DEN !! Des étoiles se mirent à briller dans ses yeux. Youpi !! Une partie d’elle voulait courir vers cette silhouette qui se détachait au loin en criant : Deeen !! Elle voulait sauter sur lui et le serrer dans ses bras, l’air guilleret. Mais non. Elle s’approcha, le sourire au lèvres cependant, et lui dit d’un ton calme.

- Salut Den. Ça va ?

Première approche. Elle savait qu’ici, il valait mieux ne pas trop brusquer certaines personnes. Elle savait qu’elle même détestait qu’on l’approche par surprise alors… Elle resterait (pour le moment è__é) assez distante avec lui. Malgré tout, s’il avait regardé attentivement son visage, il aurait pût remarquer l’amour débordant qui en émanait. Grand frère !! Ses yeux parlaient à sa place. Elle s’assit sur un banc à proximité et l’invita à l’y rejoindre. Elle regarda dans le vague. Le vent lui fouetta le visage. Il faisait assez froid. Ses mains devenaient un peu rouges et tremblaient. Elle les enfonçât dans les poches de sa veste.

- J’aime bien me promener par ici. C’est presque toujours calme. Et toi ? Tu aimes être ici ?

Elle se balançait d’avant en arrière, un peu gênée. Pourquoi ? Elle ne savait pas. Pourtant elle aimait bien Den. Beaucoup même. Et son diadème aussi. D’ailleurs, elle commençait à le fixer du regard. Il brillait au soleil. Il est tellement beau… Mais elle sentait que ça n’était peut-être pas le moment de lui demander si elle pouvait jouer avec… Elle sautillait sur place, elle avait du mal à se contrôler. Je devrais peut-être lui demander finalement… Non ! Imagine que tu la casses !! Maiiis j’ai trop envie de la voir de plus près >.< Non !! Il est peut-être déjà pas super en forme alors si en plus tu lui abîmes ! Pendant que son conflit intérieur faisait rage, elle posa délicatement sa tête sur l’épaule de Den. Puis, la guerre fût abandonnée et elle se décida.

- Den…

Elle le fixa droit dans les yeux avec un regard suppliant.

- Tu peux me prêter ton diadème ? =3

[Flash back]


Soudain, elle se souvint. Un souvenir remonta à la surface, comme une bulle de savon qui éclate. Et cette bulle contenait une parcelle de sa mémoire. Une nuit.
Elle était assise sur le rebord du petit muret qui longeait la plage. Il y avait comme une odeur de sel qui s’insinuait dans ses narines. Elle entendait le bruit des vagues et le murmure du vent, vent qui lui fouettait le visage et emmêlait ses cheveux. Les embruns lui piquaient les yeux mais elle les maintenaient ouverts les plus grands possibles pour ne rien rater du festival de lumière qui ne tarderait pas à commencer.
Elle était très impatiente, tous ses sens en éveil. Elle en tremblait même, à moins que ce ne soit de froid. En attendant, elle regardait les lumières rouges, blanches, vertes et bleues à l’horizon. La lumière des phares donnaient l’impression que le feu d’artifice avait déjà commencé. Subitement, un sifflement retentit suivi d’une explosion. Tous les regards se tournèrent en direction du port sauf celui de Spade qui fixait d’ors et déjà le ciel obscur, lequel venait de s’illuminer d’une lumière dorée. Les petites étincelles incandescentes retombèrent puis s’éteignirent à la surface de l’eau, laissant sur leur passage une fine fumée grise. Ensuite, de nombreuses autres fusées s’envolèrent, formant d’immenses fleurs dans le ciel étoilé. Le bruit, semblable à celui d’un coup de tonnerre, arrivait bien après que sa fusée n’ait explosé en mille petites météores si bien qu’on ne pouvait déterminer à laquelle il appartenait.
Spade fixait tout cela avec émerveillement, le sourire aux lèvres.

- Oh ! Regarde comme ça brille ! Et celle-là ! Comme elle est jolie !

Elle ne savait où donner de la tête. Une mais délicate se posa sur son épaule, comme une plume d’oiseau.

- Mais toi tu es encore plus jolie ma petite princesse.

Elle n’avait pas besoin de se retourner pour sentir que les yeux de cette personne souriaient. Son sourire était comme un soleil et elle voyait ses rayons briller devant elle jusqu’à l’autre bout du monde. Elle se retourna quand même, souriant en retour à cette personne. Mais…

[Fin du Flash back]

Son souvenir s’arrêta là et elle revint à la réalité, assise sur ce banc avec Den. Dans son esprit, le visage de cette personne restait flou. Qui était-ce ? Elle ne savait pas. Elle ne savait plus. Tout ce qu’elle savait, c’est qu’elle aimait cette personne. Peut-être même plus que Den.
Elle se rendit compte qu’il ne lui avait toujours pas répondu. Elle se tourna vers lui, pleine d’espoir.

- Désolé, mais c’est hors de question, comme d’habitude.

La réponse tomba tel un couperet. Elle sentit son cœur se déchirer en deux. Si son cerveau avait tout oublié et guéri, ce n’était pas le cas de son cœur. Il savait lui. Et il en profitait pour la faire souffrir. Elle avait l’impression qu’une lame chauffée à blanc venait de la transpercer. Elle baissait la tête. Elle ne voulait pas que Den la voit si triste et qu’il pense que c’était de sa faute. Ce n’était pas de sa faute. Il ne pouvait pas savoir ce que même sa mémoire ignorait. Ma petite princesse… Sa tristesse la submergeait et, pareille à une vague, elle ne pouvait rien contre elle. Elle se laissa donc faire, se noyant presque dans une mer de pensées obscures. Cependant, elle fit en sorte qu’aucune larme ne passe la barrière de ses yeux bleus nuit.

- Eh, tu m’en veux pas… petite sœur ?

Elle voulait lui répondre que non, elle ne lui en voulait pas. Mais elle sentait qu’à la première parole prononcé elle fondrait en larmes. Alors elle secoua lentement la tête de gauche à droite pour le lui signifier. Elle tenta, presque en vain, de se calmer un peu. Lorsqu’elle fût certaine de pouvoir parler sans laisser échapper ses larmes traîtresses, elle demanda :

- ... Den ?

Une de ses mains s’accrocha instinctivement à la manche de son blouson. Avec le froid, elle était devenu vraiment rouge. Elle tremblait et fixait le bout de ses chaussures.

- … Je peux… Je peux m’asseoir sur tes genoux ?

Et, sans attendre de réponse, elle se pelotonna contre le torse de son grand frère, laissant quelques gouttes salées perler sur ses joues.

Smile…


Un sourire. Le visage de Spade s’en trouvait illuminé. Elle souriait, elle souriait de tout son cœur. Quelques larmes étaient restée accrochées à ses cils, comme des gouttes de pluie après un violent orage. Son sourire était d’autant plus lumineux qu’elle ne s’attendait pas à ressentir un bonheur si grand après une si longue chute dans les méandres de sa tristesse. La situation s’était inversée, en quelques mots. Quelques gestes. Elle se rappela… Comme des images qui défilaient devant ses yeux. Den qui soupire. Den qui dit quelque chose qu’elle ne comprend pas, ses paroles se perdant dans le flot des larmes versées. Den qui retire son diadème et qui, solennellement, le pose sur sa tête. Les larmes qui cessent. Les yeux qui s’ouvrent, grands, étonnés.

- Hm hm ! Je prête ici et aujourd’hui mon si précieux diadème encore jamais prêté à aucune personne au monde et déclare officiellement Spade princesse, afin qu’elle soit de nouveau joyeuse, parce que je n’aime pas la voir triste.

Un discours, presque officiel pensa-t-elle joyeusement. Seul, ce geste avait arrêté ses larmes. Un seul mot de Den l’aurait fait sourire. Et puis le bonheur la submergea, comme une vague de chaleur dans tout son corps, réparant son petit cœur blessé. Elle riait à présent. Après qu’il eût essuyé ses joues, elle posa son front sur l’épaule de son grand frère d’adoption.

- … Merci Den.

Elle aimait cette sensation, ce bonheur sans borne. Elle avait l’impression de pouvoir aller loin, très loin sans que rien ne l’arrête. L’impression d’être libre. Elle ferma les yeux, toujours souriant. Elle se sentait apaisée. Le calme après la tempête en quelques sortes.

- You’re so cute, princess ! <3 alors ne pleure plus, d’accord ?

Elle acquiesça. Pourquoi c’était-elle mise à pleurer déjà ? Impossible de se rappeler pour la petite amnésique. Elle ne le savait pas, mais elle ne faisait que fuir une réalité qui lui faisait peur. Elle avait toujours eu peur de tout. Cette petite famille gentille, ce quotidien digne d’une petite fille normale, tout cela n’était qu’inventions dans le but de la protéger. Le temps n’avait plus d’emprise sur elle, elle était là la réalité. Qui sait, peut-être resterait-elle une gamine, éternellement. En attendant, elle était heureuse.

- Grand frère ?

Elle était toujours assise sur les genoux de Den mais elle le regardait cette fois-ci. Elle avait son petit air sérieux de petite fille qui ne se rend pas compte qu’elle va dire une énorme bêtise, plus grosse qu’elle.

- Tu as déjà touché le ciel ?

Ce disant, elle pointa du doigt celui-ci pour illustrer ses propos.

- Moi, je suis déjà montée très très haut dans les arbres mais je n’ai jamais réussi…

Elle fit une mine dépitée. Et, en même temps, elle avait l’air mélancolique. Elle voulait être libre, elle voulait effleurer le ciel, même du bout des doigts. Dur de croire qu’elle avait un Q.I. supérieur à la moyenne. Au fond d’elle, elle le savait. Elle savait qu’elle ne pourrait jamais toucher le ciel. Mais elle voulais rêver. La désillusion lui faisait peur. Den, promets-moi que jamais tu ne l’empêchera de rêver. C’était elle, et en même temps ce n’était pas elle. C’était la Spade qui avait continué de grandir lorsque son âme s’était brisée. Celle qui savait, celle qui se souvenait, de tout. L’autre Spade, elle, ne pensait pas au passé. Ni au futur. Il n’y avait que le présent, Den, les autres orphelins, les chats, son bol de lait, les arbres, le ciel… Son univers, sa bulle qui à chaque instant menaçait de disparaître et de la laisser tomber dans les profondeurs obscures de sa peur. Elle serait alors engloutie par ce vide et rien ne pourrait empêcher sa chute. C’est pourquoi, en attendant ce jour fatidique, elle souhaitait juste rêver et aller le plus haut possible.

- Tu m’aideras à monter jusqu’au ciel ?

Elle jeta un coup d’œil vers Den avant de retourner à la contemplation de ce bleu infini qui semblait l’attendre.

…and Fly away.

.


- Je ne sais pas. Je ne peux pas te promettre quelque chose que je n’ai jamais fait moi-même.

Elle perçut de l’hésitation dans sa voix. Les mots s’étranglaient dans sa gorge. Elle le laissa à sa réflexion. Après tout, qu’il lui réponde oui ou non, peu lui importait. Sa présence lui suffisait. Elle le sentait, derrière elle, comme prêt à la protéger. Peut-être que lorsqu’elle tombera il essayera de la rattraper… Elle sourit doucement, les rayons du soleil lui caressant les cheveux. Elle ne savait pas trop pourquoi elle se les teignait en bleu, peut-être pour être plus proche du ciel ? Le bleu est une couleur extraordinaire… Pour certains, ce n’était qu’une couleur parmi tant d’autres. Mais pour Spade, elle était spéciale. Elle frissonna. Elle aimait ce mot. "Spécial". Elle se tourna vers Den, le scrutant dans ses moindres détails. Était-elle spéciale à ses yeux ? Sûrement puisqu’il lui avait prêté son diadème. Elle porta sa main à sa tête, tâtonnant jusqu’à sentir sa forme si particulière sous ses doigts. Elle aurait bien aimé connaître le passé de Den. Savoir comment il était arrivé ici. Mais elle savait qu’il y avait certaines questions à ne pas poser dans un orphelinat, que ce soit à la Wammy’s house où ailleurs. Elle-même, si on lui avait posé des questions sur son passé, n’aurait sût que répondre… Rien. Son passé n’était rien, il ne devait pas être important pour qu’elle ne s’en souvienne pas.
Derrière elle, Den semblait avoir trouvé une réponse qui lui convenait. Elle le sentait plus calme, plus sûr de lui lorsqu’il prit la parole.

- Tu sais quoi ? On va le faire. Ensemble, on essaiera d’aller toucher le ciel.

Elle sourit, encore. Cette journée n’était qu’une suite le sourires, tous différents les uns des autres. Les sourires songeurs, les sourires amicaux, les sourires enjôleurs, les sourires tristes puis les sourires rayonnants. Spade avait beaucoup de sourires dans son répertoire, elle les avait accumulés avec le temps. Combien de temps déjà ? Elle essaya de compter le nombres d’années qu’elle avait passé à l’orphelinat… Sans succès. Elle se posait des questions parfois, sur le temps passé, le temps qui passe et le temps qui passera, plus tard. Mais elle abandonnait presque aussitôt sa réflexion, comme si elle ne voulait pas vraiment savoir. Elle resta à réfléchir. Longtemps. Elle ne répondit pas à Den, elle pensait qu’il devait avoir compris, que son sourire en tant que réponse devait lui suffire.
Elle regarda le ciel, de nouveau, les yeux emplis de mélancolie. Elle le regardait, comme si elle voulait graver dans sa mémoire le moindre millimètre carré de ce bleu qui semblait si quelconque. Le soleil était presque couché à présent, elle le voyait partir, petit à petit, vers une autre face du monde. Il allait briller pour quelqu’un d’autre. Le vent soufflait de plus en plus fort et il faisait de plus en plus froid. Elle entrouvrit ses lèvres et murmura, tout doucement, comme une berceuse.

- Il commence à faire nuit, on devrait rentrer.

Cependant, elle ne bougea pas. Elle resta à observer le ciel bleu s’évanouir, son rêve s’envoler avec le soleil vers un autre espace. Mais elle savait qu’il reviendrait alors elle n’avait pas peur. La peur, elle la ressentait si souvent, elle n’allait pas s’inquiéter pour si peu. Et puis, Den était là. Il la protègerait, toujours. Elle se leva. Elle voulait voir son visage, le graver lui aussi dans sa mémoire. Voilà une chose qu’elle ne voulait jamais oublier. Elle devait faire de la place dans sa tête, pour des moments comme ceux-là. Elle pouvait bien oublier quelques formules de mathématiques, quelques dates d’Histoire, ce n’était pas important pour elle. C’est-ce qu’elle avait toujours voulu, même si elle n’en avait plus conscience aujourd’hui. Être une petite fille comme les autres. Avoir une famille qui l’aime. Aller à l’école comme les autres enfants. Jouer dehors, sortir quand elle le souhaitait. Au lieu de cela, elle avait grandit dans une prison dorée, seulement accompagnée de ses rêves de liberté. Mais de tout cela, il ne restait plus rien dans sa mémoire. Elle ne pouvait que ressentir ce bonheur immense qui s’emparait de son cœur, sans en connaître la raison. En cet instant précis, elle était heureuse.
Elle prit le diadème sur sa tête, l’enleva délicatement et le reposa sur celle de Den. Et elle lui offrit un nouveau sourire. Un sourire qui voulait dire "ne t’en fait pas pour moi" et "je tiens beaucoup à toi". Et aussi "je ne te remercierais jamais assez", "on ira jusqu’au ciel tous les deux"… Tellement de chose dans un sourire. Elle voulait qu’il comprenne quelque chose qu’elle ne pouvait dire avec des mots.