It's raining today [PV Wind] Terminé! =)

Un samedi banal, une simple après-midi solitaire de plus, s'écoulant doucement dans le flot de jours. Night déambulait dans les couloirs, se laissant porter par ses pas, sans même savoir où elle allait. Un pied devant l'autre, elle avançait le regard dans le vague, et il lui semblait qu'au bout de son chemin se profilerait une destination inconnue, un endroit merveilleux à découvrir, un lieu étrange et dépaysant, comme un nouvel horizon. Elle trouvait amusant de partir ainsi à l'aventure, d'errer dans le vide de son imaginaire. Un jeu. oui, tout cela était un jeu.

Soudain, quelque chose, une intuition peut être, la ramena dans ce monde étrange, appelé réalité. Elle regarda autour d'elle, comme sortie d'un long sommeil, avant de comprendre qu'elle se trouvait devant la biliothèque. La bibliothèque, quelle bonne idée... N'y avait t'il pas d'endroit plus merveilleux, plus dépaysants, que la bibliothèque? Qu'allait t'elle découvrir parmi les rayonnages, vers quels nouveaux horizons l'emporteraient ses livres, aux perspectives sans limites? C'était aussi un des seuls endroits peuplés, où elle aimait passer du temps. Détestant les foules, le bruit, elle avait toujours l'habitude de se tenir à l'écart des autres, mais ici, elle se sentait particulièrement bien, dans son élément même, les autres orphelins vacant, eux aussi, silencieusement à leurs occupations, elle était sûre de ne pas être dérangée.

D'un pas léger, elle franchit l'entrée, et se glissa, telle une ombre, entre les livres. Ceux ci avaient été ses plus fidèles compagnons depuis son enfance, les confidents de ses rêves, de ses colères, de toutes ses peines aussi. Les seuls à l'accepter, quand petite, tout les autres enfants rejettaient cette gamine froide, timide et solitaire. Car Night n'était pas vraiment douée pour les relations humaines. Longtemps mise à l'écart, il lui a fallu du temps, pour apprendre à s'ouvrir aux autres, chose qui n'a été rendue possible que par la patience et la gentillesse de certaines personnes, Taz entre autres. Aujourd'hui elle préfère encore se tenir à l'écart des autres, même si peu à peu, elle accepte de laisser entrer certaines personnes, dans sa bulle, qu'elle affichait autrefois comme un mur hérmétique, entre elle et le monde extérieur.

Elle avança doucement entre les rayonnages, frôlant avec respect les couvertures défraichies et rapées des différents livres. Elle en saisait un au hasard, commença à feuilleter les pages cornées et jaunies avec bonheur, à la recherche d'un passage, qui la marquerait quand... elle tomba sur un dessin, ou plutôt faudrait t'il dire un gribouillagge, particulièrement grotesque et grossier, sûrement laissé par un des jumeaux. Avec une grimace de dégoût elle referma le livre et soupira, légèrement en colère. Si il y avait bien une chose dont il fallait prendre soin, pour la jeune fille, c'était bien les livres, comment osaient t'ils le souiller ainsi? Certains ne repsectaient vraiment rien...

Soudain un livre attira son attention, et lui fit vite oublier cette contrariété passagère. Il s’agissait de "Huis clos", de l'écrivain Sartre. Elle se souvenait de cette pièce, dont une phrase en particulier, l'avait fortement marquée: L'Enfer, c'est les Autres. Elle y avait longtemps réfléchi, à ces quelques mots, qui pendant des années, furent son lot quotidien. Regards méprisants, rires mauvais, bousculades, coups, oui ces camarades lui en avaien fait voir de toutes les couleurs autrefois. Et puis le temps avait passé... Et elle avait compris que les autres n'étaient pas uniquement synonymes de douleur, mais aussi... de bonheur parfois.

Soudain, un bruit attira son attention, un long roulement de tonerre, qui déchira le silence de la salle. Elle jeta un coup d'oeil vers la fenêtre. Du ciel, entièrement gris et masqué par les nuages, tombait des trombes d'eau, accompagnées de quelques éclairs qui striaient par moments la voûte celeste. Elle aimait écouter tomber la pluie, entendre chaque goutte s'écraser contre le sol, ou glisser en douceur, le long d'une tuile, sur une feuille, ou contre la paroi glacée d'une fenêtre. Elle aimait cette sensation de calme et d'appaisement que cela lui procurait, cette douce mélodie du ciel, qui la berçait dans ses rêveries. Elle eut même le désir d'aller s'élancer sous cette pluie battante, de sentir les gouttes se glisser à travers ses cheveux et ses vêtements, jusuqu'à chacun de ses pores, et de tourbilloner, seule et grisée, sous ce ciel en colère. Chose cependant impossible avec ces éclairs. Soit, elle resterait ici, bien à l'abri avec son livre. Sur ces pensées, elle s'instralla dans un fauteuil confortable et commença sa lecture.

Boum. Boum. Boum. Boum. Boum. Boum. Boum ! Boum. Boum. Boum. Boum . . .

C'était son coeur qu'elle entendait. Ou plutôt le coeur d'un être ridicule, insignifiant, mais qui s'accrochait pourtant à la vie. Ses huit pattes parfaitement harmonieuses, elle tissait, tissait, sans jamais s'arrêter. Sa toile, petit chef-d'oeuvre parmi tant d'autres, suspendue entre des feuilles bien vertes et épaisses, commençait à prendre forme. Elle ne se sentait pas heureuse, ni fière, juste satisfaite. Comme une ouvrière à la fin de sa journée. Pour les humains, sa maîtrise de l'esthétique et de la symétrie resterait un mystère fascinant ; pour elle, c'était la routine. Elle en était là dans ses vagues pensées quand un de ses êtres vulgaires et écoeurants lui marcha dessus.

Boum . . . boum.

Pourquoi ? Pour les araignées avaient-elles un si grand désir de vivre, pourquoi entendaient-elles leur coeur leur frapper la poitrine en cadence ? Les hommes n'entendaient pas leur coeur, eux. Les hommes étaient sourds. Sourds aux milliers de sons autour d'eux, sourds au sentiments de ceux qui n'étaient pas de la même espèce qu'eux, sourds enfin à leurs propres sentiments, au point de s'entre-tuer.

Wind, elle, était juste aveugle à toutes ces horreurs. Elle venait de se voir arachnide, bercée par sa toile de soie, son propre travail. Elle venait de sentir une brise humide sur tout son corps, elle venait de voir des centaines de perles que la rosée avait déposées, simplement et pour une heure, sur les feuillages des arbres. Celles-là étaient gratuites ; on ne payait pas des millions pour les sortir d'un pauvre coquillage.

A l'aube des temps
Tu n'étais pas là,
Pour tes origines
C'est la page 2 du manuel.

Encore une fois, quatre vers idiots, fredonnés à haute voix. La vision s'interrompit, et la jeune fille se retrouva dans le noir pour la première fois de la journée. Enfin, cela n'allait pas durer longtemps ; elle savait bien que dans quelques minutes, ses trips reprendraient. En attendant, essayons de faire comme tout le monde. Tiens, elle pourrait aller déambuler à la bibliothèque. Il y avait beaucoup de monde, comme d'habitude, mais elle ne risquait pas de tomber sur une bande de terreurs. C'était un des endroits les plus sûrs au sein de la Wammy's. Le plus chaleureux, aussi, au goût de Wind.

La jeune fille ouvrit prudemment l'un de ses yeux, alertée par un bruit qui lui était délicieusement familier : celui de gouttes d'eau s'écrasant contre une vitre. Et un bonheur infini l'envahit lorsqu'elle regarda par une des fenêtres longeant le couloir : il pleuvait. Des torrents, des cordes. Bon, d'accord, la foudre restait une source de lumière, mais le tonnerre était irrégulier, bref. Donc, pas de risques majeurs d'éclatement de rétine. Formidable, son après-midi commençait bien. D'un pas un peu plus enjoué (mais les paupières refermées), l'adolescente prit un chemin qu'elle connaissait (en théorie) par coeur pour se rendre à la bibliothèque. Après avoir flâné dans quelques couloirs et s'être pris deux colonnes, elle arriva enfin au but. Elle passa la main sur un rayonnage au hasard, histoire de s'occuper les mains, puis s'assit dans un fauteuil au hasard et commença à 'lire'.

Lire entre guillemets, puisque d'une, elle avait les yeux fermés, de deux, l'ouvrage était un taité de physique particulièrement assommant, et de trois, Wind le tenait à l'envers.

Mais en tout cas, à voir sa tête, elle avait l'air de bien s'amuser. Cela n'avait sans doute rien à voir avec la physique.

En fait, elle commençait une nouvelle dérive mentale. Dans quelques seondes, si personne ne l'interrompait, elle deviendrait un animal, ou un nuage, ou un arbre, ou resterait humaine, et arriverait dans un monde complètement délirant. Un monde dont elle tenait les reines. La perspective, avouez-le, était tout de même excitante. Ce qui expliquait le léger sourire qui venait de fendre le visage de Wind à l'instant où elle avait ouvert l'ouvrage.

Night n’était déjà plus là. Son esprit planait loin, si loin, glissant, virevoltant entre les mots, tourbillonant entre les lignes, alors que ses doigts tournaient les pages, presque automatiquement, guidés par une force invisible. Elle n’était plus là, perdue entre les pages, frissonnant à travers les personnages, ressentant leur peur, leur incompréhension… Elle était dans le livre, non elle était le livre. Dominant l’histoire, elle se sentait toute puissante, comme un dieu omniprésent, qui observerait toute la scène de haut. Plus rien n’existait autour d’elle, ni les gouttes s’écrasant contre la fenêtre, ni les roulements de tonnerre accompagnant la foudre, ni…

Soudain, elle sentit une présence. Etonnée elle décrocha le temps d’une seconde de sa lecture et leva les yeux. Une jeune fille s’était assise dans le fauteuil en face du sien, et avait, elle aussi, commencé à lire. Bah, ce n’était pas elle qui viendrait la déranger. Et elle replongea le nez dans sa propre lecture. Mais… sans qu’elle sache pourquoi, le charme était brisé. Non, elle n’arrivait pas à laisser glisser de nouveau son esprit entre les pages, les mots défilaient devant ses yeux totalement vides de sens. Que se passait-il ? Et de nouveau elle leva les yeux, sans vraiment savoir pourquoi. Une intuition peut être… Ses yeux se posèrent de nouveau sur la personne en face d’elle. Elle se tenait légèrement penchée au dessus de son ouvrage, souriant à demi, quelques mèches de sa longue chevelure, couleur châtain, lui tombant par-dessus les épaules. Mais ce qui la marqua surtout, plus que son air concentré, fut sa peau, claire comme de la neige, cette peau sans couleurs aussi pâle que la sienne, qui lui donnait une allure irréelle. Une jeune fille tout droit sortie d’un songe…

Quel dommage qu’elle n’avait pas pensé à prendre son carnet à dessin, elle aurait tant aimé la dessiner. Soit, elle la regarderait encore quelques instants, juste le temps de figer cette apparition dans son esprit, et elles retourneraient chacune dans leur mondes respectifs. Elle la regarda encore quelques instants, fixant cette peau aux allures diaphanes, cette douce chevelure couleur, ces mains, si frêles qui…tenaient le livre à l’envers ?!
Et soudain, elle comprit que… la jeune fille ne s’adonnait pas à la lecture avec une cette expression concentrée, les yeux à demi plissés, un petit sourire au bord des lèvres, qu’elle croyait avoir entrevue sur son visage, si captivée et enchantée par sa lecture, qu’elle ne l’avait pas remarquée, non... elle dormait !

Et soudain, Night, cette demoiselle toujours si discrète, si silencieuse, celle qui ne pipait jamais mot, Nelly l’inexpressive, au visage impassible…éclata de rire! Un rire haut et clair qui résonna dans le silence de toute la salle, des spasmes la prirent, tordue en deux, elle riait tellement qu’elle sentit ses yeux se remplirent de larmes, elle riait, riait, impossible de s’arrêter. Elle avait conscience qu’elle troublait totalement le calme de la bibliothèque, mais décidément ce n’était pas possible, elle ne pouvait pas, non elle ne pouvait pas. Non, jamais elle n'avait vu quelque chose d'aussi drôle.

Qu'est-ce que c'était, ce rire ?

Il ne faisait pas partie de sa vision, en tout cas. Quoique, une forêt vierge habitée par des serpents rouges à pois blancs pouvait bien rire . . . mais non, celui-là venait bien du monde réel. Un rire de fille, apparemment. Hm, elle aurait bien aimé voir qui riait ainsi. Il ne faisait pas beau. Pas de soleil, donc pas de danger de se massacrer les pupilles. Si elle ouvrait les yeux, cela n'auait rien de suicidaire. Ca pourrait même paraître normal. Courage. Wind ouvrit un oeil argenté, qui repéra bien vite l'origine de ce bruit qui l'avait fait ré-atterrir. Et pour cause, la jeune fille assise en face d'elle était pliée en deux, des soubresauts d'hilarité la secouant comme une brindille. Les autres personnes présentes dans la salle avaient commencé à tourner la tête vers elle, se demandant ce qui la faisait rire, et si elle allait se calmer.

Wind, elle, ne put s'empêcher de sourire. C'était un point contradictoire, cette crise au milieu d'un lieu aussi calme. Deux éléments qui n'avaient rien à voir. Cela lui rappelait un peu ses délires à elle. Elle remarqua alors que son livre était à l'envers. Ah, c'était peut-être d'elle que la jeune fille riait. Ok, tout s'expliquait.

- Euh, je veux bien le remettre à l'endroit. Enfin, si ça peut te permettre de souffler.

Tout en parlant, l'adolescente examina l'inconnue de son oeil unique, rechignant toujours à ouvrir le second. Une peau plus pâle que la sienne, et sans bleus, en plus ! La chance. Et puis, quels yeux. Ils pleuraient, certes, mais restaient splendides. Quelle noirceur. Plus noirs que ses cheveux. Et puis, elle avait l'air fragile. Un peu trop. Il sembla à Wind que chaque soubresaut pouvait la briser en mille morceaux. On aurait dit une poupée de porcelaine. Mignonne.

Wind la connaissait, chose inhabituelle pour l'avoir vue 'par accident', un jour de pluie comme celui-ci. Son pseudonyme . . . Night, ou quelque chose comme ça. Si sa mémoire était bonne.

Le tonnerre retentit. Ca y est, la tempête venait de commencer. Le sourire de la jeune fille s'élargit. Elle passa la main dans ses cheveux châtain, et ses deux yeux s'ouvrirent. Ô, colère divine, sublime pluie. Malgré les lampes qui venaient de s'allumer un peu partout, il faisait sombre. Délicieusement sombre.

Aux confins des continents
Jouent trois fillettes
Entends-tu le chat
Qui cherche la souris ?

Elle chanta ces vers à voix basse, heureuse qu'elle était, et porta son regard aussi gris que le ciel sur la haute fenêtre en face d'elle.

- Il fait beau, aujourd'hui. Tu ne trouves pas ?

Elle riait, riait, la vue totalement embrouillée par les larmes, riait tellement qu’elle n’avait plus conscience du monde extérieur, rien n’existait plus que cette terrible hilarité, qui la secouait entièrement. En fait, elle ne savait même plus pourquoi elle riait. Soudain, une voix la ramena à la réalité. Une voix douce, légère, qui fila en son esprit comme un souffle de vent.

- Euh, je veux bien le remettre à l'endroit. Enfin, si ça peut te permettre de souffler.

Ah oui, le livre. La jeune fille endormie. Zut, elle l’avait dérangée. Elle essuya d’un revers de main son visage trempé par les larmes, et tenta d’articuler, entre deux soubresauts.

-Non…c’est bon…excuse moi…c'était...tellement drôle…

Ce retour à la réalité lui permet de se calmer, ses spasmes s’espacèrent, et elle leva les yeux pour regarder autour d’elle. Horreur ! De nombreux visages étaient tournés dans sa direction. Atrocement gênée de s’être donnée ainsi en spectacle, elle se recroquevilla en rougissant. Non, elle ne voulait pas de tout ces regards, fuir, il lui fallait fuir, loin de toute cette attention. Mais sa crise de rire étant passée, les orphelins se détournèrent vite d’elle, retournant à leurs occupations. Pfiou. Elle eut un demi sourire. Elle n’avait pas rit ainsi depuis…une éternité. Et étrangement elle se sentait bien, comme si cette manifestation de joie lui avait permi d’évacuer un peu tout ce qu’elle gardait au fond d’elle. Une ouverture au monde en quelque sorte.

Elle se tourna de nouveau, vers la personne en face d’elle. Elle la regardait d’un seul œil, gardant l’autre fermé. Un œil superbe, argenté, constellé de petits points de lumière, comme une myriade d’étoiles. Une petite fenêtre ouverte sur un immense ciel étoilé. Elle aurait aimé plonger toute entière dans ce regard, pour en percer touts les mystères, en rechercher toutes les nuances. Encore une fois elle se maudit de n’avoir pas son carnet.
Et subitement elle se rendit compte qu’elle avait dût terriblement la déranger, en troublant tout le silence de la bibliothèque. Très embarrassée elle murmura.

-Je suis vraiment désolée. Je ne voulais pas te réveiller.

De nouveau, le tonnerre retentit. La jeune fille ouvrit à présent son deuxième, aussi profond et superbe que l’autre. Son visage lui disait vaguement quelque chose, peut être l’avait t’elle croisée au hasard un jour, cependant, elle n’arrivait pas à se rappeler quand. Elle chantonnait à voix basse, une litanie dont elle ne peut saisir les paroles. Et à travers les sifflements du vent et les grondements de l’orage, résonna pendant quelques instants cette petite voix, douce éclaircie au milieu d’un ciel en colère. C’était…si beau.

-Il fait beau, aujourd'hui. Tu ne trouves pas ?

Sa question la surprit. D’habitude, quelqu’un aurait dit « Quel sale temps n’est ce pas ? » ou « Il fait bien mauvais aujourd’hui. » La plupart des personnes ne comprenaient rien à la beauté de la pluie. A la force sublime de ce ciel en colère, à cette atmosphère mélancolique dégagée par le voile gris des nuages, transformant le paysage en un univers figé par le temps, comme ces vieilles images en noir et blanc. Mais voilà, les orphelins de la WH n’étaient pas comme les autres.
Son regard se tourna encore une fois vers la fenêtre. Et si… elle devenait la pluie ? Elle s’immobilisa, les yeux dans le vague et se plongea toute entière dans sa méditation. Et le temps de quelques secondes, elle ne fut plus qu’une goute de pluie, glissant à travers les cieux, une petite goutte insignifiante au milieu de tant d’autres, tombant en une éternelle chute, de la voûte céleste, tourbillonnant à travers l’immensité, alors que le sol se rapprochait de plus en plus près, de plus en plus près et… Plouf. La goutte s’écrasa à terre, raccrochant son esprit à la réalité. Soudain Night se rendit compte qu’elle n’avait pas encore répondue à la question de la jeune fille. Avec un léger sourire, encore grisée par son rêve, elle murmura.

-Oui, il fait un temps…magnifique.

Soudain elle se rendit compte qu’elle ne connaissait toujours pas son nom. Dans ce cas, la moindre des politesses était peut être de se présenter en premier.

-Hm, je suis Night…et toi?

Elle avait donc bien retenu : la jeune fille s'appelait Night. Ses souvenirs ne l'avaient pas trompée. C'était rare. Night. Joli pseudonyme, et qui allait parfaitement avec sa propriétaire. Il reflétait d'une manière frappante ses cheveux sombres, ses yeux plus noirs que noirs, et sa mine discrète. Miss Dreams contempla une dernière fois les vraies rivières qui coulaient désormais sur les carreaux, puis referma les yeux : elle sentait déjà ses paupières se fatiguer, faute d'entraînement. Décidément, sa tendance à la cécité et sa dépendance à l'obscurité s'aggravait de jour en jour. Bientôt, elle ne pourrait plus soulever les paupières sans se cacher le visage des mains. C'était presque regrettable. Presque.

- Je suis Wind.

Par un côté, elle était heureuse que tous les élèves de la Wammy's aient dû prendre un faux nom. Parce qu'elle se serait presque sentie honteuse de dire "Je suis Willelmina". Bon Dieu, une vraie horreur. Sa mère avait vraiment été impitoyable. Bref, passons. Avant de fermer les yeux, l'adolescente avait eu le temps de jeter un coup d'oeil sur le livre que tenait Night. De quoi lancer la conversation.

- 'Huis clos' . . . j'aime bien Sartre. C'est un des livres que je préfère, même si je n'en ai pas lu beaucoup.

Autant dire qu'elle en avait lu très peu. Les livres servaient avant tout à s'évader dans un autre monde ; or Wind le faisait toutes les cinq minutes sans l'aide d'aucun paragraphe, aussi, les ouvrages fantastiques, d'aventure, d'amour, policiers, tout cela ne l'intéressait pas vraiment. Au mieux, elle appréciait certaines histoires ; et 'Huis clos' était de celles-là. En tout cas, ce n'était pas le pavé devant lequel elle avait piqué du nez qui allait l'intéresser. La physique quantique, très peu pour elle. Déjà que le professeur enseignant cette matière n'arrivait pas à lui faire retenir la formule chimique de la molécule d'eau. D'ailleurs, qu'est-ce que c'était, déjà ? H3O, non ? Quand elle s'était fait interroger à ce sujet, le pauvre homme avait plongé : pour la première fois de sa carrière dans ce pensionnat pour surdoués, il se trouvait confronté à un cas désespéré et à une classe morte de rire. Ses études supérieures ne l'avaient pas préparé à ce genre de situation. Aussi était-il resté là, les bras ballants et la bouche entr-ouverte, répétant l'abération qu'il venait d'entendre comme pour s'assurer qu'il n'avait pas rêvé. H3O . . . H3O . . . H3O . . . Mon Dieu ! Les autres orphelins avaient frôlé l'étouffement, pliés en deux sur leur sièges, quand Wind avait esquissé un sourire, sûre d'elle et fière d'avoir appris sa leçon, pour renchérir "Ben oui, H3O."

Tiens, cela lui rappelait une chose qu'elle aurait dû demander. Une petite question pratique.

- Au fait, juste pour savoir . . . quel jour sommes-nous ?

Parce que dans son cerveau, Dimanche resplendissait, sa parure dorée et paisible scintillant au soleil de la fin de semaine, saluant le repos du Père des hommes après la crétaion de la Terre ; mais si on était lundi, elle venait de sécher une journée entière de cours. Oops. Bah, dans le cas de Wind, les professeurs ne s'inquiétaient pas trop. Il arrivait souvent que l'orpheline loupe des jours en se croyant en week-end. Ils avaient même cessé de la punir, comprenant que c'était inutile. La jeune fille leur en était reconnaissante ; cependant, cela la mettait mal à l'aise. Elle sentait bien que si elle faisait des efforts, ce genre de bavures ne lui arriverait pas. C'était plus fort qu'elle, pourtant. Elle ne cessait de rêver, donc elle s'envolait, et le monde ou elle allait ne prenait pas en compte des choses d'une banalité aussi affligeante que les horaires des cours ou les jours de la semaine.

Pour Wind, donc, nous étions (comme toujours) Dimanche. Un bon grand Dimanche qui la couvait de ses yeux bienveillants. Quoique, peut-être pas si bienveillants que ça : après tout, l'orpheline ne lui faisait pas honneur, à Dimanche, en le passant les yeux fermés ; en reniant les rayons de son soleil, les activités de plein air qu'il prônait. Oui, il devait la détester, cette sale môme qui le provoquait ouvertement ; Dimanche était un jour de repos universel, mais ces songes, ces délires dans la tête de la pseudo-aveugle continuaient à travailler à plein régime. Bah, là, il ne pouvait pas dire grand chose, parce que vu le temps qu'il servait à la Wammy's House, peu d'élèves s'enhardiraient à mettre le nez dehors. Pour ne pas dire aucun. Beaucoup devaient sans doute râler, mais Wind aimait ces Dimanches pourris, ou les nuages crachaient leur dégoût sur cette planète trop terre-à-terre, et ou l'on restait bien au chaud à l'intérieur sous peine de contracter une quelconque pneumonie ; ces jours-là elle se sentait presque normale et moins seule. Presque normale, car elle n'était pas l'unique spécimen qui restait cloîtré entre quatre murs. Et moins seule, parce que même si sa vue ne fonctionnait pas, son ouïe pouvait capter des bruits, des échos de voix, des chuchotis. Des froissements de pages, des crissements de chaises, des frottements de stylossur du papier, et tant d'autres bruits rassurants, chaleureux. Des bruits que les autres ne remarquaient sans doute pas, mais qui pour elle, n'étaient rien de moins qu'une preuve de vie. Une âme pour habiter l'austère bâtiment.

[Désolée pour la longueur, et surtout pour le retard >< Gros bug, mon premier post a été supprimé - -']
Edit by Wind : C'est fait ! J'espère que c'est suffisant. A l'avenir, je ferais une page de plus sur World, promis juré craché ! =)

Wind. Quel beau nom. Un beau mot, si doux à entendre, frais et léger comme une brise de printemps. Un nom mystérieux, discret, qui sonnait comme un murmure, envoutant, mais si insaisissable que l’on ne pouvait que le frôler du bout des doigts, le répéter à mi-voix. Wind.

- 'Huis clos' . . . j'aime bien Sartre. C'est un des livres que je préfère, même si je n'en ai pas lu beaucoup.

Tiens, elle connaissait son livre. Night n’avait pas souvent l’habitude de discuter de ses lectures, les autres orphelins ayant souvent d’autres centres d’intérêts. Ou peut être aussi était ce parce qu’elle-même se joignait rarement à eux.

-Oui, ce livre m’a vraiment marquée…je trouve que la vision de l’Enfer qu’il nous présente est terrifiante et fascinante à la fois.

Passer l’éternité cloîtré dans une pièce, avec les mêmes personnes, sans possibilité de jamais dormir, de se laisser aller au doux repos qu’est l’inconscience, non, seul face aux autres, face à ses pensées et ses remords, sans aucune possibilité d’échappatoire… Elle frissonna. Les hommes étaient décidément si étranges. De son côté elle préférait se tenir à l’écart, les observer de loin, sans trop se joindre à cette masse grouillante qu’est l’humanité. Non, elle se sentait mieux dans ce cocon rassurant qu’était son monde à elle…Elle jeta un coup d’œil sur le livre de Wind. Hm, de la physique quantique… Enfin, n’oublions pas qu’elle était dans un orphelinat de surdoués, alors… Non, quoique, ce livre ne devait pas vraiment l’intéresser, la jeune fille s’étant endormie devant.

- Au fait, juste pour savoir . . . quel jour sommes-nous ?

Quelle drôle de question. Mais bon, Night commençait à s’habituer aux originalités de la jeune fille. En fat, plus elle y pensait, et plus cette jeune fille lui rapelait ce qu'elel était elle même, dans le sens où celle ci semblait elle aussi perdue dans son propre univers. Un monde où même le temps n'existait plus.

-Hm… nous sommes samedi. Pourquoi, tu ne t’en souvenais plus ?

Elle laissa distraitement glisser un doigt à travers sa longue chevelure noire. Dehors l’orage s’était calmé, mais le ciel en colère, continuait de déverser des trombes d’eau, qui martelaient le sol sans interruption. De l’eau, toujours de l’eau…Sans savoir pourquoi, elle repensa à sa mère. Ce jour là, ce jour fatidique qui avait tout changé, il neigeait. De légers flocons blancs tombaient du ciel, saupoudrant la terre d’une fine couche blanche, luisant légèrement dans la pâleur du soir. Il lui avait semblé que le ciel pleurait, deversant ses larmes glacées au dessus d'une petite fille qui venait à jamais de perdre la part d'enfance qui restait en elle. Une neige aux reflets rouge sang…

Elle sursauta, puis se rendit compte qu’elle s’était encore laissée allée dans le flot de ses pensées. Car lorsqu’elle laissait son esprit vagabonder, elle finissait toujours par se laisser emporter par le courant de ses idées, jusqu’à finir par perdre pied avec la réalité. Cela pouvait être très agréable dans ses moments de solitude, mais il était aussi difficile de tenir une conversation dans ces conditions.

Elle reposa les yeux sur Wind, qui ne disait plus rien depuis quelques instants et remarqua avec surprise que ses yeux étaient de nouveaux fermés. Quel dommage, elle aurait tant aimé les contempler encore. Son visage abordait une allure calme et sereine, et elle se demanda si elle s’était de nouveau endormie. « Peut être ma compagnie l’ennui t’elle » pensa t’elle, légèrement déçue. Night avait si peu l’habitude de discuter avec quelqu’un que, cela était vrai, elle savait difficilement mener une conversation. Mais elle s’était sentie heureuse de pouvoir discuter avec cette étrange personne, qui s’était de nouveau endormie en face d’elle. Soudain, Wind esquissa un léger mouvement. Peut être ne dormait ‘elle pas finalement. Elle se hasarda à demander :

- Excuse-moi, mais pourquoi gardes-tu les yeux fermés ? C’est dommage… ils sont tellement beaux.

Oui, la description que donnait Sartre de l'enfer était étrange. On avait à la fois envie de l'expérimenter que de s'en protéger à tout prix. Seul un écrivain de talent pouvait inspirer de telles émotions contradictoires à son lecteur. Ce furent les phrases que Wind pensa, après le commentaire de son interlocutrice. Des phrases somme toute très banales, du moins comparées àce qu'elle avait l'habitude d'imaginer ; au point que la jeune fille, pendant un moment, se félicita mentalement de de son effort pour avoir songé àdes choses 'normales'.

Mais les paroles qui suivirent brisèrent net les compliments qu'elle croyait avoir mérités.

Night parut surprise par sa question. Remarque, il y avait de quoi. C'était toujours déroutant, les gens qui n'avaient pas la notion du temps. Wind en faisait partie, et c'était à peine si elle se souvenait qu'elle était dans cet orphelinat depuis sept ans. Alors de là à se tenir informée de la date du jour, il ne fallait pas trop lui en demander non plus . . . la réponse manqua de la faire mourir de joie. Samedi ? Samedi ! Alléluia ! C'était encore mieux que Dimanche ! Aussitôt, Wind s'imagina le Samedi en question sous la forme d'un petit chef d'entreprise en costume gris, tempêtant et criant des insultes à Dimanche pour lui avoir volé la vedette. Quoi, qu'est-ce qu'il avait de plus important, Dimanche ? Pourquoi pouvait-on travailler Samedi et pas Dimanche ? Et son rival de toujours lui répondant en tirant la langue ou en éclatant de rire. La jeune fille aimait ce petit Samedi, engoncé dans son costume de travail et mis de côté, éclipsé par son triomphal lendemain en tenue de vacances. Cette scène, telle qu'elle apparaissait dans son esprit, était toujours à se plier en deux, et l'orpheline pouffa d'un rire léger, presque aérien.

- Samedi ! Merci beaucoup.

Soit béni le temps, le beau temps
Où les caramels pendaient aux branches
Je t'ai rencontré sous cet arbre, te souviens-tu ?
Mais non, les nuages n'étaient que bleus.

Cette fois, elle parvint à se retenir in extremis pour s'éviter une autre situation gênante, et ses vers d'un autre monde ne franchirent pas ses lèvres. Ils se contentèrent de résonner dans sa tête, traversant son corps, l'imprégnant toute entière, comme bien d'autres avant eux ; Wind sourit. Elle avait tellement de chance. Une chance incroyable. Parce que ses rêves, ses poèmes, elle ne les avait pas demandés. Ils étaient juste là, il la prenaient comme elle était, elle, la petite orpheline d'une banalité affligeante, et il la faisaient devenir ce qu'elle n'aurait jamais pu être. Qui, je vous le demande, aurait pu se vanter d'avoir un jour été chien, dauphin, fougère, nuage, incendie ? Qui aurait pu se vanter d'avoir su respirer sous l'eau, d'avoir eu des ailes ? Aucun être vivant normalement constitué, en tout cas. Mais Miss Dreams possédait un don du ciel, une compensation de tous les malheurs qui l'avaient suivie dès sa naissance : son imagination. Certes, c'était parfois légèrement handicapant, certes, lorsqu'elle dévalait sur les fesses trois volées de marches, elle aurait aimé voir tout comme les autres, et certes, parler de caramels sur des branches, de taupes argentées ou de petits soldats n'était pas vraiment profitable quand il s'agissait d'écrire un devoir.

Et pourtant, malgré tous les inconvénients que présentait un cerveau comme celui de Wind (elle était prête à parier que peu de gens parviendrait à supporter ce genre de matière grise), elle ne l'échangerait pour rien au monde.

- Hm . . . ah, pourquoi je garde les yeux fermés. En fait . . . ben, je ne supporte pas très bien la lumière. Le soleil, en tout cas.

Voilà, c'était dit. Bizarrement, elle avait avoué sa répulsion pour la lumière sans réticence. Comme si, depuis à peine cinq minutes qu'elles se connaissaient, Night lui inspirait déjà confiance. Vraiment étrange : Wind n'était pas habituée à dire à qui voulait l'entendre qu'elle avait des paupières plus fines que du papier vitrail. Secret de polichinelle, bien entendu, puisque tous ses professeurs et un grands nombres d'élèves étaient au courant pour sa cécité volontaire. Son envie de se couper du réel, de vivre entre les ténèbres et les illusions. Une envie irrépressible, excitante, et que les autres avaient du mal à comprendre. Pour eux, ténèbres signifiaient paix, voir mort.

Pour elle, ce n'était que mouvements, délires et sons. Elle avait appris à reconnaître le galopement d'une licorne dans un chariot de nettoyage crissant sur les dalles d'un couloir ; le cri d'une harpie aux cheveux violet vif dans les courants d'air qui traversaient les portes des classes, et enfin, la nuée d'insectes phosphorescents qui grignotaient des étoiles, là ou il n'y avait que le frottement d'un crayon sur du papier.

- Les lampes, ça peut aller, mais je me fatigue très vite. Je ne suis pas habituée . . . d'habitude, je n'ai pas besoin de voir.

Wind transmit ces menus détails sur le ton de la conversation, comme s'ils étaient anodins ; en ce qui la concernait, c'était le cas. Elle se sentait un peu idiote, comme à chaque fois qu'elle en parlait : des milliers d'aveugles sur cette Terre donneraient tout pour revoir la lumière du jour, alors qu'elle, au contraire, se damnerait volontiers pour la quitter à jamais.

C'était trop de mauvais souvenirs. Trop de chocs, de gifles, d'insultes tapies aux détours des couloirs blancs. D'un blanc éclatant, un blanc de solitude, à se dégoûter de tout ce qui était clair dans le monde. Le blanc de cet orphelinat où elle était restée jusqu'à ses huit ans, à trembler au moindre rayon de soleil, à pleurer chaque année à Noël . . .

Sans vraiment savoir pourquoi, Night se sentait bien. Peut être était ce la compagnie de Wind qui lui faisait cette effet. Cette jeune fille lui plaisait de par son grand calme et ses allures étranges. Un peu d’originalité n’était pas un problème. En fait, celle-ci semblait elle-même plongée dans son propre monde. Peut être cherchait t’elle aussi à fuir la réalité…

Sans raison apparente, le visage de Wind se fendit d’un léger sourire, et celle-ci pouffa doucement, d’un rire doux et léger, lui rappelant le gazouillement d’un oiseau. Elle essaya soudain d’imaginer Wind recouverte de plume, et dût réprimer un nouvel éclat de rire, devant l’absurdité de cette pensée. En une seule rencontre, Wind avait réussi l’exploit que seul Taz était, pour l’instant, parvenu à accomplir : faire rire Night. Celle-ci ne se découvrait que très rarement de sa façade impassible, qu’elle gardait toujours telle une protection entre son monde et la réalité extérieure, un mur infranchissable, entre elle et les Autres. Mais plus le temps passait, plus elle se rendait compte qu’elle commençait à s’ouvrir à l’extérieur. Certaines personnes lui avaient permi de comprendre que les Autres n’étaient pas uniquement synonymes de douleur, mais aussi… de joie. Encore une fois elle pensa à Taz, ce grand roux toujours souriant et plein d’énergie, toujours là pour elle, à ses grands sourires, au doux son de sa voix et…

- Hm . . . ah, pourquoi je garde les yeux fermés. En fait . . . ben, je ne supporte pas très bien la lumière. Le soleil, en tout cas.

La voix de Wind la tira à nouveau hors de sa rêverie. Elle sursauta, et immédiatement ses joues s’empourprèrent.

-Je… euh… excuse moi, ce n’est rien…

Elle mit quelques secondes à retrouver son calme. Ainsi, Wind ne supportait pas la lumière. Elle pensa au soleil, à ces doux rayons réchauffant sa peau de porcelaine, à cette chaleur si agréable qui l’envahissait lorsqu’elle s’allongeait dans l’herbe par un bel après-midi d’été. Comment ne pouvait-on ne pas aimer le soleil ? Cette réponse l’intriguait. Mais bon, peut être avait t’elle tout simplement les yeux fragiles. Ou peut être y avait t’il une autre raison derrière tout cela.

-Oh…moi c’est le contraire, je… ne supporte pas l’obscurité.

Soudain elle se rendit compte que c’était la première fois qu’elle avouait sa peur du noir à quelqu’un. Depuis petite, elle était terrorisée par l’obscurité. Elle pensa à toutes ces nuits d’insomnie, après la mort de celle-ci, à ses cauchemars terrible, d’où elle se réveillait en sueur, tremblant de tous ses membres. Les ténèbres la happaient, l’enveloppaient, l’étouffait, la noyait et elle avait beau se débattre, hurler, aucun son ne sortait de sa bouche béante, et elle s’enfonçait, toujours plus loin à travers l’obscurité, alors qu’à travers le noir luisaient encore ce dernier regard empli de haine, de l’être malheureux et déchiré qui ne l’avait jamais aimée…A présent encore, l’obscurité laissait planer sur elle cette peur, cette angoisse terrible, et il lui semblait toujours que les ténèbres étaient prêtes à lui sauter à la gorge. Elle aimait la lumière et son aura rassurante. Mais le noir…

-Les lampes, ça peut aller, mais je me fatigue très vite. Je ne suis pas habituée . . . d'habitude, je n'ai pas besoin de voir.

Pas besoin de voir… Elle laissa les mots flotter quelques instants dans son esprit, avant d’en saisir tout le sens. Oh, c’était donc ça. Pour Wind, garder les yeux fermés était peut être sa façon à elle de plonger dans son univers. De se protéger du monde extérieur aussi. Elle pouvait voir plus loin que la réalité. Elle essaya d’imaginer ce qu’était cet autre monde, cet endroit où seule Wind pouvait entrer. Soudain elle eut envie de découvrir, elle aussi, ce qui se cachait derrière ces paupières fermées et posa finalement la question qui lui brûlait les lèvres.

-Qu’est ce que tu vois, je veux dire, lorsque tu fermes les yeux ?

Le sourire n'avait pas quitté le visage de Wind. Il ne fit que s'élargir lorsque Night lui révéla une peur panique du noir. Elles étaient si opposée l'une à l'autre. La jolie brune devait voir les ténèbres comme des bêtes monstrueuses prêtes à la dévorer, tandis que les yeux gris l'orpheline les voyaient comme une bande de joyeuses et paisibles vieilles dames. Il y avait de quoi s'inquiéter : pourquoi s'entendaient-elles si bien, si leurs peurs n'étaient en rien similaires ? Peut-être qu'elles se complétaient.

- Avoir peur du noir est tout à fait normal, tu sais. On aura moins de mal à te comprendre que moi, en tout cas, fit-elle avec une moue ravissante.

La question suivante manqua de lui faire lever les paupières ; elle se retint de justesse. Comment son interlocutrice avait-elle pu deviner la raison de sa cécité ? La surprise était totale. Le coeur de Wind se mit à battre un peu plus fort. Sans même avoir eu des indices concrets, cette fille qui était il y a cinq minutes une parfaite inconnue avait parfaitement compris pourquoi elle s'obstinait à fuir la lumière. Et par la même, le monde réel.

- Ce que je vois ?

Elle hésita, le rouge lui montant au joues. Gênée, elle détourna un instant la tête, et se plongea dans une profonde réflexion : comment expliquer à Night ce qui était à la limite inexplicable ? Comment retranscrire en mots ce qui n'existait pas ? La jeune fille chercha, chercha désespérément les bons mots, des descritptions un minimum réalistes. Mais elle ne trouva pas grand-chose, et se trouva ridicule lorsqu'elle reprit la parole.

- Ca change. Ce n'est jamais la même chose. C'est très dur à raconter. En fait, ce sont des tonnes d'images, de sensations, d'odeurs, qui n'ont rien à voir l'une avec l'autre. Un ciel doré, des nuages roses, des chevaux bleus, des prairies rouges. Ou des montagnes en verre, des pluies de bonbons, des tornades de pétales de rose . . . ce genre de choses, pour moi, sont banales. Et ce n'est pas tout.

Une étrange excitation l'envahit. Elle se sentait comme portée par un vent inconnu, une volonté, une envie insatiable de tout raconter. Comme une touriste chevronnée revenant d'un très, très long séjour aux pays des merveilles, et voulant absolument faire part de ses découvertes à ses proches avant de repartir vers de nouveaux horizons. Jamais elle n'avait ressenti une telle exaltation auparavant, et elle se demanda un moment si elle n'avait pas perdu l'esprit. Mais non, ses descriptions se faisaient de plus en plus rapides.

- Quand je suis arrivée dans la bibliothèque, j'étais araignée. Je tissais une toile, dans une forêt vierge, mais un humain m'a écrasée, et après, je me suis retrouvée dans la même jungle, sauf qu'il y avait des boas rouges à pois blancs ! Et hier, j'étais un lynx qui courait à travers une forêt. Les arbres de cette forêt étaient tous en fer, avec des feuilles dorées, c'était superbe. Parfois, je cours pour rien, et je me noie dans une rivière de champagne ; ce rêve-là est dingue, parce que j'ai l'impression d'être ivre sans l'être. Il y a aussi les fois ou je tombe sans m'arrêter, et quand j'atterris, ce n'est pas dans le désert que j'avais vu mais dans un lac géant habité par des poulpes écarlates. Leur couleur est vraiment magnifique ! Ensuite, il a des paysages bizarres. Je me retrouve sur le toit de bâtiments célèbres qui existent en vrai -la tour Eiffel, l'Empire State Building- et j'ai une vue sur des choses horribles comme des bidonvilles, des villages détruits par des catastrophes naturelles. Je pleure beaucoup, mais quand je me 'réveille', je ne sens aucune larme sur mes joues. Plutôt déstabilisant. Oh, et les fois où j'ai été un poisson ! On ne s'en lasse jamais, surtout quand c'est dans un océan aussi lumineux. Il est si transparent qu'on en voit le fond, et on a l'impression de voler quand on nage. La plupart du temps, dans mes visions, rien n'a sa couleur naturelle. Je me suis déjà vue avec une peau bleu clair et des cheveux vert fluo ! Il y a des endroits, des situations, que je reconnais. Par exemple le champ de maïs qui pousse juste sous mes yeux, avec l'épouvantail vivant qui les garde et les nuées de pétales rouges et jaunes qui jouent les corbeaux. Eux aussi, ils ont l'air de me reconnaître, et ils sont heureux de me voir. Mais où que j'aille, c'est toujours splendide.

Elle s'arrêta enfin, à grand-peine, et reprit doucement sa respiration. Puis elle baissa les yeux, morte de honte. Qu'est-ce qu'elle venait de sortir ? Bon Dieu, qu'est-ce qui lui avait pris ? Elle avait envie de rentrer sous terre. De disparaître.

* Vas te coucher, Willelmina, je crois que tu en as assez dit. *

Aïe. Quand elle commençait à se parler par son vrai nom, c'était vraiment qu'elle s'en voulait. Et en effet, son comportement pouvait très vite et très simplement être catalogué au chapitre des plus stupides. Night devait déjà la trouver bizarre, mais là, elle allait sans doute carrément la prendre pour une véritable attardée mentale. Des cheveux vert fluo et des épouvantails vivants . . . Wind la voyait déjà hausser les sourcils et la dévisager d'un regard condescendant voulant clairement signifier 'Ravie de t'avoir rencontrée, maintenant, tu devrais prendre tes cachets.'

Pour un peu, la pauvre en aurait eu les larmes aux yeux. Pour une fois qu'elle s'entendait bien avec quelqu'un. Pour une fois qu'elle avait une (infime) chance de se faire une amie, elle gâchait tout par un flot de paroles sans queue ni tête. C'était pire que ses poèmes idiots.

En voyant le sourire de Wind s'agrandir, Night tressaillit. L'orpheline se moquait t'elle d'elle? Elle se sentait à présent un peu honteuse d'avoir avoué sa peur à une inconnue.

- Avoir peur du noir est tout à fait normal, tu sais. On aura moins de mal à te comprendre que moi, en tout cas.

Cette phrase fut prononcée d'un ton si innocent, que Night dut réprimer un nouveau sourire. C'est vrai, Wind ne pouvait pas la comprendre. A ses yeux, la peur de Night semblait banale, comme celle de ces enfants imaginant des monstres cachés sous leur lit. Non, elle ne pouvait pas comprendre ce que les ténèbres représentaient pour elle. Et de son côté elle ne pouvait pas non plus comprendre la vision de Wind. Elle essaya d'imaginer la manière dont celle ci se représentait les ténèbres, peut être l'enveloppaient t'elles de leur doux voiles noirs, cocons hérmétiques la protégeant d'un monde hostile.

- Ce que je vois ?

Sa question dût la surprendre, car les joues de Wind s'empourprèrent et celle ci détourna la tête. Elle semblait même très embarrassée. Très génée de l'avoir mise dans cet état, Night voulut ouvrir la bouche pour s'excuser de sa question, peut être trop indiscrète, quand Wind se remit à parler.

- Ca change. Ce n'est jamais la même chose. C'est très dur à raconter. En fait, ce sont des tonnes d'images, de sensations, d'odeurs, qui n'ont rien à voir l'une avec l'autre. Un ciel doré, des nuages roses, des chevaux bleus, des prairies rouges. Ou des montagnes en verre, des pluies de bonbons, des tornades de pétales de rose . . . ce genre de choses, pour moi, sont banales. Et ce n'est pas tout.

Sa voix prit peu à peu de l'assurance et les mots d'abord hésitants, glissérent de plus en plus nombreux, de plus en plus rapides, hors de ses lèvres. Pour la première fois depuis leur rencontre, Wind semblat réellement enthousiaste, fièvreuse, comme si, elle plongeait elle même à travers les images qui sortaient peu à peu de sa bouche. Cela aurait put passer pour une mauvaise blague. Mais Wind semblait vraiment voir toutes ces choses, ou du moins, elle y croyait, ce qui revenait au même. Car pour qu'une chose existe, le plus important, c'est bien d'y croire, non? Alors Night ferma les yeux et se laissa porter à travers le voyage le plus fantastique et le plus fou qui lui fut jamais proposé.

C'était si fou, étrange, grisant. Elle tentait d'imaginer peu à peu les images que Wind lui décrivait. La forêt. Le lac géant. La rivière de champagne. Les cheveux verts fluos. Bien sûr ces images n'apparaissait pas avec la même intensité que celle que Wind devait ressentir à travers ses rêves, non, ce n'étaient que des bribes, des éclats de couleur et de sensations s'affadissant au loin. Mais même dans ces rêves les plus fous, elle n'aurait pu voir tant de choses.

Et finalement elle comprit, pourquoi Wind aimait tant les ténèbres. Celles ci ne lui apparaissaient pas telles un trou sombre et béant prête à la happer à tout moments, au contraire, elle débordaient de vie, de couleurs, de sensations...Pas étonnant que la jeune fille garde toujours les yeux fermés.

Finalement, la voix de Wind s'évanouit et Night ouvrit les yeux. Encore grisée par ce voyage, la brunette mis quelques instants à reprendre ses esprits. Elle avait rarement ressenti une telle ivresse.

Elle hésita quelques instants, cherchant ses mots. Comment décrire une telle experience? Finalement, elle pris une grande inspiration et se lança.

-C'est... comment dire... fou. Totalement fou. J'ai souvent l'habitude de m'évader par la pensée, mais même dans mes rêves les plus insensés je n'aurai pu imaginer des choses pareilles.

Elle prit une pause et continua.

-C'est absolument...magnifique. Je veux dire, je n'ai pût qu'entrevoir ce qu'était ton monde, mais tout m'a semblé si... merveilleux. Tu as une chance extraordinaire de pouvoir ressentir et voir tout cela.

Oui, ce monde lui appartenait, à elle et à personne d'autre, Night simple spectatrice, avait à peine pût en franchir le seuil, et encore. Mais elle se sentait heureuse d'avoir pu entrevoir cet imaginaire merveilleux. Un grand sourire illumina son visage, un de ces si rares sourires francs et doux, dont elle avait le secret.

-Merci de m'avoir raconté tout ça.

Wind releva la tête, n'en croyant pas ses oreilles. La brunette ne la prenait pas pour une folle ? Non, elle la remerciait ! C'était bien la première fois. Jamais, depuis le début de ses visions, on ne l'a comprise. On lui a tout dit : qu'elle était folle, qu'elle s'inventait des amis imaginaires. Bref, elle avait mis sur le compte d'un miracle que sa 'si gentille' directrice ne l'aie pas fait interner. Et puis là . . . incroyable. La jeune fille resta un instant stupéfiée, puis éclata de rire. Un gentil rire, léger, parce qu'elle n'avait que celui-là, découvrant ses dents blanches commes des perles. A cet instant, elle se sentit comme libérée d'un poids trop lourd. Ca avait été si simple. Night l'avait écoutée et entendue. Elle avait voyagé avec elle. Les yeux fermés, Wind s'imagina son interlocutrice à ses côtés, survolant le monde fantastique qui était le sien. Elle s'imagina la guidant, lui expliquant quelques détails, racontant des anecdotes ; pour la première fois en onze ans, elle n'était pas la seule touriste à arriver du monde réel.

- De rien. Ca m'a fait plaisir.

L'adolescente referma son livre de physique quantique et le posa sur la table basse à côté de son fauteuil. Etrangement, elle ne se sentait pas (du tout) pressée de le rouvrir.

- D'habitude, les autres ne sont pas franchement partants pour faire ces voyages avec moi. Normal, ils pensent que je suis une folle. C'est dingue que tu m'aies accompagnée comme ça, spontanément.

Accompagner. Oui, c'était le bon mot. Night l'avait accompagnée, comme on accompagne une bonne copine faire une balade. En l'écoutant, elle s'était laissée transporter, au lieu de se fermer tout de suite face à des idées aussi farfelues. Elle avait elle aussi fermé les yeux ; geste simple, et que pourtant personne jusque là n'avait eu l'idée de faire pour tenter de la comprendre. Geste qui lui avait entrouvert les portes d'un monde délirant. Tant pis pour les esprit bornés et rationnels qui ne savaient pas ce qu'ils perdaient. Wind se sentit un peu soulagée de constater qu'elle n'était pas la seule à être sensible à ses songes.

- Tu vois, il ne faut pas avoir peur des ténèbres. Ils sont idiots, les scientifiques qui les qualifient de sombres. Les ténèbres sont noires à la base, mais tu dois les considérer comme un terrain vierge à construire. Plus tu as de l'inspiration, moins tu voudras les quitter. Elles t'envelopperont comme elles m'enveloppent. Elles te chanteront des histoires formidables. Mais pour ça, il faut faire leur connaissance.

Hm, la vision qu'elle venait de donner était peut-être un peu saugrenue. Il faudrait qu'elle développe un peu . . . la jeune fille s'accorda un temps de réflexion, histoire de trouver les bon mots pour la suite de sa tirade. Puis elle reprit la parole, beaucoup moins hésitante qu'au début de leur conversation : elle se sentait désormais vraimant en confiance.

- Les ténèbres, ce sont des vieilles dames habillées en noir. Quand je les vois, je suis dans un berceau accroché à une branche, et elles sont assises un peu plus bas. Elles pensent que je dors et pour ne pas me réveiller, elle parlent à voix basse. Ce sont des grand-mères charmantes. Parfois, elles tricotent des tissus splendides, où on voit toutes les couleurs de l'arc-en-ciel, mais elles ne se font pas de vêtements avec, elle n'osent pas. Il faut les comprendre, elles n'ont vu que le noir. Moi, je descend du berceau et j'essaie de les convaincre qu'elles seront très belles avec des robes multicolores. Elles ne veulent pas m'écouter, et pour me faire taire, elles rient et me couvrent de leurs châles. Enfin, je ne perd pas espoir . . .

L'adolescente ouvrit un oeil, et planta son regard dans celui de Night. Elle avait de beaux yeux, cela ne faisait aucun doute ; un noir brillant, presque iréel.

- Pour l'instant, je n'arrive à rien. C'est très difficile. Il faut croire qu'elles sont vraiment très têtues. De vraies mères poules. Elles ne pensent qu'à moi, et elles me donnent tous leurs tissus. J'en ai une immense collection, dans une armoire dorée. Parfois, je les regarde, je palpe le tissu. J'ai déjà essayé de tricoter come elles, mais les aiguilles sont trop dures à tenir et pour l'instant, je n'ai fait que deux mailles. Ridicule, quand je pense à tout ce qu'elles ont déjà fabriqué, elles.

Elle accompagna ses paroles de gestes vagues de la main. Cela faisait longtemps qu'elle n'avait pas été aussi absorbée dans une conversation, aussi désireuse de partager ses pensées et ses impressions. Elle s'arrêta à grand-peine, surprise de sa soudaine tendance au bavardage. Décidément, ce Dimanche de pluie, gris de nuages et blanc de foudre, n'était pas comme les autres. La jeune fille ne put s'empêcher de poser une question, en toute innocence, voyant de son oeil unique la brunette esquisser un sourire tout simplement ravissant.

- Night, tu es vraiment jolie quand tu souris. Pourquoi ne le fais-tu pas plus souvent ? C'est dommage.

Wind afficha d’abord une expression très étonnée, puis se mit… à rire. Cela faisait chaud au cœur de la voir ainsi. Elle semblait… heureuse. D’habitude, Night ne prêtait pas attention aux autres. Renfermée sur elle-même, les Autres lui avaient longtemps semblés être un tout, douloureux et froid. Mais son arrivée à l’orphelinat lui avait peu à peu appris que les autres pouvaient être plus que cela. Et aujourd’hui, même si cette masse grouillante d’humanité lui semblait toujours hostile, certaines personnes avaient réussi à changer quelque peu cette vision. Etrangement elle se sentait déjà très proche de cette jeune fille, pourtant inconnue il n’y avait pas si longtemps, comme si ce fabuleux voyage les avaient toutes deux rapprochées.

- D'habitude, les autres ne sont pas franchement partants pour faire ces voyages avec moi. Normal, ils pensent que je suis une folle. C'est dingue que tu m'aies accompagnée comme ça, spontanément.

Ces paroles lui firent chaud au cœur. Ce « voyage », comme Wind l’appelait si bien, avait été si différent que toutes ses propres escapades imaginaires. En fait, se rendit-elle compte, son monde à elle n’était rien d'autre, lui aussi, qu’un immense voyage. Des rêveries où elle s’élançait sous la pluie, volait libre et légère comme un oiseau à travers le ciel, des instants où elle s’allongeait simplement dans l’herbe laissant le soleil réchauffer sa peau pâle, des lectures dans lesquelles elle se plongeait toute entière… Des bribes de songes et de douceur. Et elle pensa à ces vers de Beaudelaire, qui un jour l’avaient marquée :

Comme un navire qui s’éveille
Au vent du matin,
Mon âme rêveuse appareille
Pour un ciel lointain.

D’un autre côté, elle comprenait la douleur de Wind. Pendant des années les autres enfants l’avaient elle traitée de « sorcière », la rejetant à cause de sa différence. Elle se souvint de leurs cris de haine, de leurs regards méprisant, et une lame de ciseau étincela, comme un éclair, à travers son esprit. Elle eut un frémissement, porta la main à ses cheveux et soupira de soulagement en constatant qu’ils étaient toujours de la même longueur. Un mauvais souvenir, rien de plus.

- Tu vois, il ne faut pas avoir peur des ténèbres. Ils sont idiots, les scientifiques qui les qualifient de sombres. Les ténèbres sont noires à la base, mais tu dois les considérer comme un terrain vierge à construire. Plus tu as de l'inspiration, moins tu voudras les quitter. Elles t'envelopperont comme elles m'enveloppent. Elles te chanteront des histoires formidables. Mais pour ça, il faut faire leur connaissance.

Elle laissa Wind lui exposer sa vision des ténèbres. Encore une fois celle-ci semblait très enthousiaste, et elle écouta, étonnée et fascinée à la fois. C’était si… différent, bien plus rassurant que ses ténèbres à elles. Des vieilles dames en noir, tricotant de merveilleux tissus multicolores. Elle aurait tant aimé les voir, elle aussi. Mais le noir restait encore un endroit bien trop hostile pour elle.

-C’est si étrange, je n’aurai jamais pu imaginer les ténèbres comme ça. Pour moi elles ne sont qu’un endroit hostile, froid, un endroit de mort et de peur. Trop de mauvais souvenirs y sont liés. Mais quand celles-ci m’oppresseront, je penserai à ce que tu m’as dit. Ainsi, peut être finirai je par apprendre à les apprivoiser, peu à peu.

Elle aussi se sentait bien plus à l’aise, bien plus libre de parler. La présence de Wind lui rappelait celle de Taz. Agréable. Rassurante. Lui donnant la sensation qu’elle pouvait tout dire, sans crainte. Même si Night n’avais jamais révélé sa peur du noir à Taz.

- Night, tu es vraiment jolie quand tu souris. Pourquoi ne le fais-tu pas plus souvent ? C'est dommage.

La question de Wind la prit totalement au dépourvu. Pourquoi ne souriait-elle jamais ? Elle chercha ses mots, tenta de former une réponse correcte, mais rien ne lui vint à l’esprit. D’habitude les gens ne se souciaient pas de sa froideur apparente, de cet éternel masque, qu’elle avait tant l’habitude de porter, qu’elle-même l’arborait sans y prêter attention. Elle réfléchit quelques instants avant de finalement parvenir à parler.

-C’est… assez difficile à expliquer. En fait, c’est devenu une habitude depuis que je suis petite. Une manière de me protéger du monde extérieur. Cacher mes émotions me permet de… de me dissimuler à l’intérieur de moi-même, à l’abri dans mon monde. C’est un peu ma façon de garder les yeux fermés, si tu vois ce que je veux dire.

Wind sourit légèrement. Finalement, son interlocutrice n'était pas si différente des autres ; elle avait la même opinion des ténèbres que la plupart des gens. Sans doute était-ce elle, l'aveugle, la seule à voir les choses de ce point de vue. Sans doute ses idées étaient juste trop bizarres pour que d'autres les rallient. Mais Night lui promis qu'elle ferait des efforts pour combattre sa peur.

- Tu as raison. Si quelque chose te mène la vie dure, soit tu t'arranges pour laisser glisser sans que ça ne t'atteigne . . .

Elle pensa aux milliers de coups qu'elle avait eu à supporter jusqu'à ses huit ans, aux larmes qu'elle avait versées à chaque Noël, à ces 'camarades' qui, à défaut d'avoir les yeux fermés, se faisaient passer pour muets et sourds.

- . . . soit tu te bats.

Chose que, maintenant qu'elle y pensait, elle n'avait jamais essayé de faire. En fait, s'était toujours inclinée face à ses problèmes. Ces derniers avaient fini par passer tous seuls. Un peu comme quand on se blessait : il ne fallait surtout pas toucher la plaie, attendre qu'elle se referme. Quitte à ce qu'elle laisse des cicatrices. Dans son cas (et elle avait eu de la chance), ces cicatrices n'étaient pas très grandes. Pour ne pas dire inexistantes. Son caractère lui permettait d'oubier sans trop de mal des faits qui en auraient traumatisé à vie plus d'un.

- Si tu veux, je pourrais te les montrer. Peut-être, un jour, je te raconterais. Il te suffira de fermer les yeux et d'imaginer, comme il y a quelques instants. Tu l'as vu, c'est facile.

Bon, ce n'était pas le tout, mais elle commençait à avoir des crampes aux jambes à force d'être en tailleur. Et son oeil droit, toujours ouvert, élevait la voix pour protester. L'adolescente changea de position, et s'assit à peu près normalement. Elle replaça derrière ses épaules quelques mèches châtain raides qui lui tombaient devant le visage, pui ferma l'oeil. Elle attendit d'être à nouveau totalement baignée de noir avant de se reconcentrer sur la conversation.

Night fit un silence lorsqu'elle entendit sa question, pourtant très simple. Hésitait-elle ? Peut-être que Wind n'aurait pas dû poser cette question.

* Si ça se trouve, cela a un rapport avec son passé. Un évènement aurait pu lui ôter le sourire. Ou peut-être me fais-je simplement des idées. *

Oui, c'était aussi possible. Après tout, elle ne l'avait vue que deux fois, comment pouvait-elle la juger à partir des maigres informations qu'elle avait entendues ? L'adolescente étouffa un soupir. Elle avait tendance à tirer des conclusions trop hâtives. Or, cela n'était pas une chose qu'elle approuvait.

La réponse de la brunette la tira de ses pensées. Ah.

* Eh bien finalement, tu avais raison. *

Mais cela ne la rendit pas fière d'elle pour autant. Maintenant, c'était sûr, elle venait de faire ressurgir des souvenirs sûrement pas très agréables dans l'esprit de Night. Elle le sentait, elle reconnaissait ce ton, hésitant et fermé. Cela la mit mal à l'aise, elle eut l'impression de l'avoir vexée -même si, tout bien réfléchi, elle ne lui avait rien dit de mal. Si bien qu la jeune fille ne put s'empêcher de s'excuser.

- Je vois. Désolée.

Mais il y avait un point positif : son interlocutrice avait un point commun avec elle. Celui de vouloir, elle aussi, s'échapper de ce monde. Sauf qu'elle, elle usait d'une technique un peu moins compréhensible. Ne pas sourire. Il semblait à Wind que Night souriante était un monde fabuleux à découvrir, et qu'en affichant une mine en permanence froide, elle fermait ce monde à clé.

Inconsciemment, Miss Dreams voulut de tout son coeur rouvrir les portes de ce monde et rendre la brunette heureuse. C'était peut-être ça, l'amitié. Vouloir le bonheur des autres, et être prêt pour cela à descendre plus souvent sur terre.

- Mais c'est triste, de toujours avoir l'air malheureuse . . . je me demande comment tu fais . . .

Amitié. Joli mot.

-Tu as raison. Si quelque chose te mène la vie dure, soit tu t'arranges pour laisser glisser sans que ça ne t'atteigne . . . soit tu te bats.

En entendant ces paroles, Night ne put s’empêcher de frémir. C’était… tellement vrai. Elle pensa à toutes ces années passées à prendre des coups, les paroles froides, les regards haineux, l’ignorance de sa mère à son égard. Elle s’était enfermée, de plus en plus profond, à travers elle-même, laissant la colère, la frustration, le désespoir, glisser au dessus d’elle. Mais certains coups frappent toujours plus profonds que d’autres. Certains évènements laissaient des cicatrices qui ne s’en iraient jamais réellement. Car peu importe combien elle se blindait, elle n’en était pas invulnérable…

- Si tu veux, je pourrais te les montrer. Peut-être, un jour, je te raconterais. Il te suffira de fermer les yeux et d'imaginer, comme il y a quelques instants. Tu l'as vu, c'est facile.

Et puis le temps passe. Elle avait avancé, découvert que la vie était plus que ce qu’elle avait connu, rencontré des personnes qui lui avaient permis de comprendre, qu’ elle aussi, avait le droit d’être heureuse. Toutes les cicatrices ne s’effaçaient pas, mais elles pouvaient s’atténuer, peu à peu…

-Pour l’instant, je crois que je ne suis pas prête à plonger dans les ténèbres. Mais un jour, oui, j’aimerai beaucoup que tu me les montres.

Un jour, cela voulait dire qu’elles se reverraient sûrement. Elle sourit intérieurement à cette idée. Car au fond d’elle-même, elle espérait tant pouvoir encore une fois franchir les barrières de l’impossible, et partir de nouveau à la découverte du monde de Wind. Il devait y encore avoir tant de choses à y découvrir…
Lorsqu’elle lui expliqua pourquoi elle souriait si peu, Wind sembla gênée, ou du moins très mal à l’aise. Peut être l’avait elle vexée en se permettant de se comparer à la jeune fille. Mais la réponse de Wind réfuta cette théorie, et la laissa étonnée et perplexe.

- Je vois. Désolée.

Pourquoi s’excusait-elle ? Etrangement la compagnie de l’orpheline la mettait tout de suite à l’aise, c’était la première fois qu’elle s’ouvrait si rapidement à quelqu’un. Parler ainsi lui faisait réellement du bien. Mais la dernière phrase de l’orpheline la prit encore plus au dépourvu.

- Mais c'est triste, de toujours avoir l'air malheureuse . . . je me demande comment tu fais . . .

Malheureuse ? En fait, elle n’avait jamais vu les choses ainsi. Une jeune fille renfermée et triste. Au final, peut être était ce ainsi que les gens la voyaient. En fait elle se souciait peu de l’image que les gens avaient d’elle. Le monde alentour lui importait peu. Mais malheureuse, non.

-C’est étrange, je ne voyais pas les choses ainsi. Malgré les apparences, je ne suis pas triste, enfin, pas la plupart du temps, c’est juste, comment dire, une façade que j’ai tant l’habitude d’afficher que je ne m’en rends même plus compte. La plupart du temps, je m’évade, loin, je rêve que je voyage, visitant des pays tout plus différents les uns que les autres, je m’élance sous la pluie en tourbillonnant, ou je plane à travers le ciel, comme un oiseau. Et puis il y a les visages des gens que j’aime qui me sourient. Alors je me sens… heureuse.

Le temps avait passé, ses cicatrices s’étaient atténuées, même si une part resterait toujours gravée en elle. Pendant longtemps elle s’était tenue à l’écart des autres, se blindant dans sa coquille, persuadée qu’elle n’avait pas le droit d’être heureuse. Pas après ce qu’elle avait fait. Et puis tout avait changé, et avec le temps elle avait compris qu’elle aussi avait le droit à sa part de bonheur. Et restait toujours l’espoir que ce dernier regard de haine finirait par disparaitre.
« J’espère qu’un jour aussi, ton image à toi me sourira, maman… ».
Elle ne voulait donc pas que Wind la croit malheureuse. Et pour appuyer ses paroles, un nouveau sourire glissa furtivement sur son visage.

-Tu vois, en ce moment, je me sens heureuse de pouvoir discuter avec toi.

- Alors, tu rêves. Comme moi. Ca alors . . . la première personne à qui j'adresse la parole en quelques mois me ressemble tellement.

Wind parlait un peu comme pour elle-même. C'était sa manière d'analyser les choses. Ainsi, sa nouvelle amie ne différait pas trop d'elle. Rêveuse à l'extrême, heureuse sans pourtant trop le paraître. Night avait compris qu'à défaut de chercher le bonheur à l'extérieur, on pouvait toujours se rabattre sur des choses dépassant le rationnel. Cela paraissait un peu bête, il n'empêche qu'elle était la première fille que Wind rencontrait qui y était parvenue. Eh oui, se créer un monde n'était pas si facile, n'en déplaise aux hippies qui trouvaient la tâche plus qu'aisée (comment pouvaient-ils être aussi prétentieux, alors qu'ils trichaient en fumant des cochonneries ?). Or, la brunette avait relevé cette tâche haut la main.

Et même si ses visions à elles étaient beaucoup plus simples, plus sincères, plus réalistes, cela restait des visions. C'était déjà ça.

Pourtant, même si cette constatation plongeait Miss Dreams dans un bonheur presque oublié, quelque chose assombrissait le tableau charmant du monde que lui décrivait Night. Les visages des gens qu'elle aimait. Cela voulait dire qu'elle ne s'évadait pas totalement du monde réel : il lui en restait des vestiges, des bribes. Mais pas seulement. Cette précision rappela à Wind qu'elle, elle n'avait jamais vu les visages de ceux qu'elle aimait. La raison était bien simple : qui aurait-elle pu aimer ? Ses parents, elle ne les avait jamais vus. Mrs Sparks, l'enragée qui lui avait servi de directrice pendant les premières années de sa vie ? Les pensionnaires de son ancien orphelinat, pour lesquels elle était juste invisible ? Quel gâchis.

Bon sang, maintenant qu'elle s'en rendait compte . . . elle n'avait aucun être cher sur cette Terre.

Mais de l'autre côté, elle en avait un paquet : Mr l'épouvantail, les trois girafes, les poissons du lagon transparent, les petites boules de poil qu'elle rencontrait dans le désert, Mme la tortue dorée, les nuages de barbe à papa, les pélicans . . . la liste était très, très longue. Tout d'un coup, cette idée la dérangea. Ce n'était tout de même pas normal, d'avoir autant d'ami imaginaires.

* Peut-être suis-je vraiment seule ? *

C'était bien la première fois que cette idée s'insinuait dans son esprit. Et franchement, elle n'était pas très agréable. Wind ne s'était jamais crue seule. Mais comment se croire seule, lorsqu'on était habitée par tous les délires possibles 24h/24 ? Sans doute s'était-elle beaucoup trop coupée du monde. Peut-être même qu'elle était en train de gâcher son temps. De gâcher ce qui devrait être les meilleures années de sa vie.

Mais elle se posait trop de questions. Elle ne devrait pas. Que lui arrivait-il ? Elle n'était pas comme ça d'habitude. L'adolescente se sentit légèrement mal à l'aise. Elle détourna un peu la tête, histoire de ne pas laisser voir sa confusion -après tout, Night n'y était pour rien- et s'appliqua bien à trouver une réplique.

- Pour tout te dire, cela faisait longtemps que je n'ai pas parlé comme ça. Mon quota quotidien se borne d'habitude à deux mots, maximum. Autant dire que moi aussi, je me sens heureuse.

Un sourire enjoué se dessina sur ses traits, quoique emprunt d'un quelque chose de mélancolique. Mais de toute façon, peu de gens s'en rendaient compte. Wind avait toujours les yeux fermés. Mais les songes ne revenaient pas. Non pas qu'elle commençait à s'inquiéter, mais c'était bizarre. Comme si tous ses 'amis' l'avaient abandonnée, boudant sa soudaine remise en question. Sans doute avaient-ils peur qu'elle ne les abandonne.

* Ne vous inquiétez pas . . . revenez. Je n'ai que vous. Rien ici ne vous remplacera, vous le savez bien. *

Voilà qu'elle en venait à les supplier. Que ce passait-il ? Où avaient-ils disparu ? Wind se mordit les lèvres. En pensant à un éventuel isolement, elle venait de se mettre son seul bonheur à dos. Mais était-ce sa faute ? Savait-elle que ses rêves, en plus de n'avoir aucune signification, étaient d'une aussi grande susceptibilité ? Décidément, on nageait dans l'absurde. C'était son cerveau, bon sang.

Night caressa du bout des doigts la couverture du livre, encore posé sur ses genoux. Finalement, elle n’en avait pas eu besoin pour passer l’après-midi. C’était étonnant comme une simple rencontre pouvait changer tant de choses. Peut être un coup de pouce du destin.

- Alors, tu rêves. Comme moi. Ca alors . . . la première personne à qui j'adresse la parole en quelques mois me ressemble tellement.

La réplique de Wind ne fit que confirmer son idée. Cependant les tout derniers mots attirèrent encore plus son attention, et elle ne put cacher sa surprise. Ne devait-elle pas se sentir seule parfois ?

Qu’il était étrange de sa part de poser une telle question, elle qui aimait la solitude par-dessus tout. Oui, mais voilà, cette solitude là était choisie. Elle se rappela encore la petite fille qu’elle était, obligée de s’inventer un monde pour fuir le monde hostile qui refusait de lui ouvrir les bras, enfant livrée à elle-même en permanence ayant tant attendu, espéré, prié, pour une main tendue ou un simple sourire. Et si un jour il n’y avait pas eu le sourire d’un certain rouquin, cette solitude l’aurait sûrement happée pour toujours… A cette pensée, une lueur mélancolique scintilla dans les yeux de la jeune fille.
Soudain Wind parut gênée, ou du moins, comme hésitante, et se tourna légèrement comme si elle voulait se dérober du regard de Night.

- Pour tout te dire, cela faisait longtemps que je n'ai pas parlé comme ça. Mon quota quotidien se borne d'habitude à deux mots, maximum. Autant dire que moi aussi, je me sens heureuse.

Cette phrase lui fit chaud au cœur. Cependant, elle crût déceler une pointe… d’hésitation ? de tristesse ? dans sa voix. Mais le grand sourire qu’afficha Wind écarta cette idée. Sûrement une simple impression.

-Oui, moi aussi. Je crois bien que c’est la première fois que je confie tant de choses à quelqu’un. Peut être est parce que l’on se comprend… conclut t’elle doucement.
Dehors l’orage continuait à gronder, alors que par moments des éclairs striaient l’immense toile du ciel. Il faisait plus sombre, la nuit commençant à tomber, mais confortablement à l’abri dans la douce lumière tamisée de la bibliothèque, Night se sentait bien. Et dire que cette après midi pluvieuse était peut être le début d’une belle amitié. Du moins, elle l’espérait.

Cependant Wind semblait toujours légèrement gênée, et une pointe d’anxiété se laissait voir sur son visage, malgré ses yeux fermés. Et soudain, une pensée lui traversa l’esprit. Peut être que la brunette aux yeux fermés cachait aussi ses émotions, tout comme elle. Peut être ses paupières agissaient t’elles comme un masque, ne lui cachant pas seulement le monde, mais la cachant elle-même au monde. Peut être que derrière ce sourire, se cachaient d’autres pensées, bien plus sombres.
« Mais qu’est ce qui te prends d’avoir des idées pareilles ? »
Vlam. Nouveau retour sur terre. Elle cligna plusieurs fois des yeux, se secoua intérieurement. Ce n’était pas parce qu’elles se ressemblaient que Wind agissait comme elle. Cependant, elle ne voulait pas savoir l’orpheline triste. Car Night avait beau se le cacher, au fond d’elle-même elle savait que refouler ses émotions n’avait rien de bon. Au final, tout s’accumulait, se bousculait, se chevauchait, et la déchirait peu à peu de l’intérieur. Mais elle avait toujours préféré la fuite…
Elle hésita quelques instants, puis finit par murmurer :

-Quelque chose ne va pas ?

- Quelque chose ne . . . si, tout va bien.

Inutile de répéter la question qu'on lui avait posée comme la dernière des idiotes. La jeune fille s'ébroua légèrement, comme pour se reprendre. Cela suffisait. Elle n'avait pas à se laisser sombrer pour une histoire de songes. Ce n'était pas toute sa vie, non plus ! (Enfin si, mais elle n'avait pas envie de se l'admettre.) Après quelques secondes de silence, Wind tourna brusquement la tête vers son interlocutrice, la fixant bien en face. Il lui semblait qu'elle pouvait la voir, au-delà de ses paupières fermées, au-delà de ses pensées plus monotones qu'un tournoiement de feuilles mortes.

Des feuilles mortes tombaient, sur un tapis de verre. Une petite fille se trouvait en dessous, et voyait la surface lumineuse de la fenêtre peu à peu cachée par la tempête de couleurs orangées. Quand le dernier rayon de soleil lui fut occulté, elle se leva d'un pas chancelant, comme un enfant faisant ses premiers pas, et s'avança vers une femme blonde, d'une beauté à en couper le souffle ; elle tricotait, assise dans un fauteuil jaune pastel à côté de la porte. La petite s'approcha, tendit ses bras (qu'ils étaient courts !) vers son aînée. Celle-ci esquissa un sourire bienveillant, ses yeux mauves comme un champ de lavande brillèrent d'une lueur que la fillette ne savait pas interpréter. Tout simplement parce qu'elle ne l'avait jamais connue. La blonde tendit elle aussi ses bras, et prit l'enfant dans ses mains. Elle la fit tourner par jeu, et la fillette éclata de rire en même temps qu'elle. Puis ce fut tout, car un éclair traversa le ciel de l'autre monde, le monde réel, où elle était toujours assise dans la bibliothèque ; ce qui interrompit net son rêve.

Ton lit pour une fois était fait
Deux ans déjà, j'ai soupiré
Reviens, miroir de l'autre soleil
Au reflet des racines centenaires

Wind s'était reconnue. Elle avait quatre ans à ce moment-là, elle marchait encore mal, et ne voyait pas du tout qui pouvait être cette femme, puisque la seule adulte qu'elle avait connue à cet âge était Mrs Sparks. Elle aurait pu en tirer un mystère à résoudre, une énigme que sa mémoire aurait voulu comprendre. Mais non, elle ne se faisait pas d'illusions. Cette vision n'était qu'inventée et n'avait rien à voir avec son subconscient. Conclusion : les songes étaient revenus, toujours aussi absurdes. La jeune fille ne se sentit plus de joie.

- Oui, ça va. Merci.

Elle ne savait pas trop pourquoi elle disait merci à la brunette. Il lui semblait que la brunette avait été l'élément déclencheur qui avait ramené les choses à la normale. A sa normale.

- Dis-moi . . . toi, quand tu rêves, tu ne vois pas que des choses dénuées de sens, n'est-ce pas ? Il ya des gens, des objets qui sont tirés de ta vie réelle ?

Il fallait qu'elle sache. Si ses déductions se révélaient exactes, alors elle avait rencontré une fille capable de rester amarrée à la réalité tout en ayant la tête dans les étoiles. Et c'était rare. Très rare. Beaucoup plus difficile que de n'avoir que l'un ou l'autre. En fait, jusque là, elle n'avait pas cru cela possible. Déjà qu'elle avait du mal à ré-atterrir après ses voyages à elle, si en plus elle devait garder les pieds sur terre . . .

Sans qu'elle s'en rende vraiment compte, Wind commençait à éprouver une certaine admiration pour Night. Elle avait réussit à capturer son attention, et à la faire parler plus qu'elle n'avait jamais parlé. Mieux, elle lui avait fait ouvrir les yeux de son plein gré, plusieurs fois, et ce juste pour qu'elle la regarde. Ce qui était en soi un exploit. Donc, la brunette n'était pas ordinaire. Et sa nouvelle amie remercia le hasard de l'avoir mise sur son chemin. Pour la peine, elle ferait des efforts.

C'est ainsi que sur fond d'un énième roulemnt de tonnerre, Miss Dreams rouvrit les yeux, sauf que cette fois, elle était bien décidée à les garder ouverts jusqu'à la fin de la conversation. Quoi, il y avait une grisaille à toute épreuve dehors, elle pouvait bien se le permettre, non ?

Pour une fois, quelqu'un semblait la comprendre. Pour une fois, quelqu'un l'avait suivie dans ses rêves, au lieu de refuser tout net la visite sous prétexte que sa guide serait folle. Pour une fois, quelqu'un (et pas quelque chose) avait déclenché un rêve, avait donné naissance à une nouvelle pièce de son puzzle imaginaire. Pour une fois, elle ne se sentait pas seule parmi les élèves de la Wammy's. Et surtout, pour une fois, ouvrir les yeux ne lui posait plus trop de problèmes.

[Bon bah, ça remarche . . . alléluia xD]

Elle semblait gênée de nouveau, perdue dans ses pensées. Décidément cette jeune fille recelait bien des mystères…tout comme elle. Elles se cachaient toutes les deux dans leurs univers respectifs, et même si elles s’étaient ouvertes l’une à l’autre, certaines portes resteraient toujours fermées. Cependant, elle ne voyait pas comme une intrusion le fait d’avoir laissé Wind découvrir une partie de son univers. Au contraire, elle se sentait heureuse de pouvoir partager quelque peu de ce qu’elle avait sur le cœur avec quelqu’un…qui la comprenait. Parmi tous ces orphelins, cette gigantesque cohue humaine courant désespérément après le même but, il y avaient d’autres personnes…différentes. Différentes des autres, différentes d’elle aussi. Mais c’était le fait même de partager leurs différences qui les enrichissaient.
Wind se remit à chantonner, une étrange mélopée qui n’avait pas véritablement de sens, une mélodie aux sonorités si douces, qu’elle ferma les yeux et se laissa bercer par le son de cette voix quelques secondes. C’était si agréable.

- Oui, ça va. Merci.

Ces paroles la réconfortèrent, Wind semblait aller mieux, toute gêne ayant disparue de sa voix.

- Dis-moi . . . toi, quand tu rêves, tu ne vois pas que des choses dénuées de sens, n'est-ce pas ? Il ya des gens, des objets qui son tirées de ta vie réelle ?

La question lui sembla d’abord un peu étrange, et il lui fallut quelques instants avant d’en saisir tout le sens. Et puis elle se rendit compte que Wind avait raison. Quand elle rêvait, ses songes étaient bien tirés d’éléments réels, drôle de paradoxe, en songeant que c’était la réalité elle-même qu’elle voulait fuir. Et pourtant ses lectures, ses dessins, ses rêveries, malgré le fait qu’ils étaient ancrés dans l’imaginaire gardaient toujours une part de réalité. Des visages, des images revenaient régulièrement, et puis ses livres, son carnet, son crayon, qui lui permettait de s’évader, étaient bien de véritables objets. Au contraire, les visions de Wind étaient totalement imaginaires. Encore une différence.

-Je crois que tu as raison. En fait, je ne m’en étais jamais vraiment rendue compte, mais…mes rêves gardent toujours une certaine part de réalité.

Et elle comprit que contrairement à Wind, elle ne parvenait jamais à s’isoler totalement en son esprit. D’une manière ou d’une autre, une part d’elle-même restait connectée à la terre. A cette vie. Soudain elle se sentit envieuse et admirative envers son interlocutrice.

-Tu as vraiment de la chance tu sais. Cette capacité à avoir des visions…je crois que c’est un véritable don.

Nouveaux roulements de tonnerre. A sa grande surprise, elle aperçut la brunette ouvrir grand ses deux superbes yeux. Un peu déroutant, après les avoir vus fermés pendant presque toute la conversation. Soudain elle se rendit compte que la bibliothèque était à présent presque vide. Elle regarda sa montre et constata avec surprise que le soir était sur le point de tomber. Le temps était passé si vite…
De son bureau, Nikolaï leur fit gentiment signe que la bibliothèque fermait et qu’il leur fallait donc sortir. A cette nouvelle Nelly ne put s’empêcher de ressentir une pointe de déception. Déjà…

-Et bien je crois qu’il nous faut partir. Dit-elle en se levant avec un léger sourire.

Elle fit quelques pas vers les étagères, y reposa son livre, puis se tourna de nouveau vers Wind.

-J’ai vraiment passé un très bon moment tu sais. J’espère que nous pourrons nous revoir bientôt, n’oublies pas que tu dois toujours me montrer ta vision…des ténèbres.

Elle hésita légèrement sur ce dernier mot. Il était difficile de vaincre ses peurs, ce genre de chose prenait du temps. Mais peu à peu, grâce à Wind, elle y arriverait sûrement. Et elle lui en était véritablement reconnaissante. Drôle de hasard que cette rencontre durant un après midi pluvieux, de deux jeunes filles se ressemblant tant. Hasard ou…signe du destin ? Au final peu importe, l’essentiel était que cela était sûrement, le début d’une belle amitié.
Night resta quelques instants dans le couloir à regarder s’éloigner la jeune fille partant dans la direction opposée, avant de murmurer doucement.

« Wind…merci ».

Oui, une belle amitié…

Topic terminé! =)

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It's raining today [PV Wind] Terminé! =)

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