22:34. D'accord, Aurore – comme quelques orphelins – devait être couchée depuis longtemps. Mais elle n'arrivait tout simplement pas à dormir, et c'était le week-end ; ça allait pas la tuer si elle restait une petite heure de plus éveillée. De toute façon elle serait restée éveillée dans son lit aussi, alors autant regarder la télé. Tant qu'un surveillant ou un prof ne venait pas lui demander de quelle année elle était … c'était bon elle pouvait se la couler douce comme elle le faisait. Et puis ce soir, il devait y avoir, allez quoi, trois personnes dans la salle commune ? Et pour ce qui est dans la salle télé où elle était présente, et bien c'était simple : elle était seule. Tant mieux, personne venait la faire chier. Donc mademoiselle était allongée sur le long canapé, dans le noir, éclairée par les images défilantes d'une série pour adolescents, les chevilles croisées et les mains jointes derrière sa tête, cette dernière appuyée sur l'accoudoir. Elle avait la tête tournée vers la droite pour voir l'écran, les lèvres entre-ouvertes, car concentrée sur la scène actuelle. La série qu'elle regardait était du même genre de « Skins » . Elle l'adorait par dessus-tout. Et voir un nouvel épisode valait bien de se faire engueuler par un surveillant, d'après elle.

Et donc, Ariane faisait sa grosse loque là, des petites soquettes blanches aux pieds, un simple shorty à la taille et un tee-shirt trop grand pour elle en guise de pyjama avec quelques dessins abstraits aux diverses couleurs. Au pied du canapé – bonjour j'me crois chez moi même si je le suis un peu quand même – était posée une petite bouteille en plastique qu'elle attrapait par moments, durant les transitions de scènes. Et puis, elle fronça les sourcils, grommela même, lorsqu'ils annoncèrent le début de la pub. Une nouvelle fois elle attrapa sa bouteille pour en boire une gorgée, et se dit qu'elle ferait mieux d'aller aux toilettes avant d'aller se coucher mais … la pub était réellement courte cette fois-ci et elle ne réussit pas à se détacher de l'écran. Et là, lorsqu'elle remarqua cette relation étroite et étrange d'un garçon et d'une fille qu'elle identifia immédiatement à sa vie, elle se redressa, venant se mettre en tailleur, complètement fascinée par la série. Les deux personnages se parlaient, et la fille acceptait enfin de se donner au mec. Sauf que celui-ci mit rapidement fin au baiser – sous la frustration totale d'Aurore qui tapa du poing contre sa cuisse – avant de lui déclarer, d'un air désolé et compatissant : « J'aime un homme. » C'est là qu'elle se dit « j'aurais pas du identifier ça à lui ».

Inutile de décrire la réaction d'Ariane à cet instant. Quoi, vous voyez pas ? Bah tout simplement ça commence par les yeux écarquillés, la mâchoire qui lui en tombe, et la fixation pendant dix bonnes secondes de l'écran, abasourdie. « Mais ... » Et elle serre sa bouteille entre ses doigts, bouteille posée dans l'espace créé par ses jambes en tailleur. « ... mais quel connard ! Gay de mon cul ouais ! Et à elle t'y pense ?! » Oui, c'est ça quand on identifie des personnages fictifs à soi ; les réactions sont nettement plus animées. 8D

Malgré ça elle continue d'être attentive à la scène, désireuse de savoir la suite. « J'aime Taylor. – OH MON DIEU ! » Geste brusque sous la surprise, l'eau de la bouteille mal fermée s'expulse au sol. « Meeerde ... » Néanmoins, avant même qu'elle ne se décide à nettoyer ou autre – de toute façon, la flemme – elle est de nouveau captivée par la série. Et ce stupide mec le répète. Il est amoureux de Taylor. Taylor, ou le gars qu'elle ne pouvait pas supporter dans la série – et immédiatement, lorsqu'elle chercha à l'identifier à quelqu'un de son entourage, ce fût Shiney. Sauf que … Ca collait pas ça. Ca pouvait pas … Blake Shiney, LOOOOOL. Du coup, elle pouffa soudainement, se passant une main dans les cheveux. « Qu'est-ce que tu peux en penser des conneries Aurore ... dit-elle pour elle-même alors qu'elle refermait correctement la bouteille et la reposait sur la table. » Du coup, elle se recoucha comme précédemment, jusqu'à ce qu'elle entende des pas s'approcher. Oh nan, on allait l'engueuler ? ._. Bah voilà ça lui apprendrait à avoir des réactions excessives. Elle ne s'identifierait plus jamais à cette Rachelle de mes deux.

Aurore sentait la fatigue s'emparer légèrement d'elle, d'un coup. Mais elle avait vraiment, vraiment envie de rester regarder sa série. Mais de toute façon si les pas que l'on entendait dans l'autre pièce étaient ceux d'un surveillant, elle allait pas tarder à aller se coucher, même contre son gré. Elle ferait genre « naaaan j'veux pas y aller » mais au fond, ça la dérangerait pas qu'on la foute au lit. Mais non, elle résisterait, elle se rebellerait ; il fallait qu'elle voit la fin de tout ça. Surtout maintenant qu'elle avait associé les personnages à ses connaissances de l'orphelinat. On verrait bien si cette série allait prédire l'avenir ou pas. :'D Même si la brune n'y croyait pas trop. Ca faisait passer le temps. Ca la tenait éveillée, peut-être, aussi.

Des pas qui s'accélèrent, quelque chose qui se jette sur elle ; pas le temps de voir quoi, en fait. Une masse brune qui fait à peu près le même poids et la même taille, qui semble avoir le même âge, mais qui, mentalement … n'en est pas du tout au même point. Quelqu'un qu'Aurore apprécie cependant plus que n'importe qui ici. « Auroooooooooooooooooooooooore ! » Et elle sent sa respiration coupée un instant, mais ne crie pas comme elle aurait pu le faire sur quelqu'un d'autre ; bah nooon, voyooons, c'est June tout de même, vous croyez quoi. Celui à qui elle laissait tout passer. Comme une mère qui gâtait son gosse. Mauvaise mère, Aurore, mauvaise mère. Et le petit June qui la serre dans ses bras comme s'il ne l'avait pas vu depuis des décennies ; et que ça l'attendrit. Parce qu'Aurore n'est pas naïve et on ne l'adoucit pas facilement, mais June … bordel vous avez pas encore compris ? :'D BAH JUNE C'EST JUNE BOYOOOONS, C'EST PAS PAREIL ON LAISSE TOUT PASSER AVEC LUI. Donc bref, la position ambiguë bah ça passe au-dessus d'Aurore aussi, même si avec les autres ça ne se passerait pas du tout, mais alors pas du tout comme ça. En fait, pour parler franchement, si ça avait été Green par exemple, il aurait fini par terre en un rien de temps. Plus par gêne qu'autre chose évidemment.

« Dis Aurore je t'ai cherchée partout presque ! C'est pas bien de pas être couchée à une heure pareille ! » Elle sourit, amusée. Vraiment, avait-il réellement le même âge qu'Aurore ? … d'un côté, s'il n'était pas ainsi, jamais elle ne l'aurait prit sous son aile ainsi. « Et toi alors ?! le taquine-t-elle. » Elle a complètement oublié sa série, du coup. Mais pour June elle s'en fichait ; elle pouvait bien arrêter deux minutes de scotcher ses yeux sur son écran. « En fait je voulais te poser une question. » June un peu sérieux, ça faisait peur. Elle fronce donc un peu les sourcils, semblant se concentrer sur lui, remarquant cette fois-ci, dans le blanc, l'ambiguiïé de leur position ; mais elle ne s'en soucie pas. C'est comme son frère, osef. « Est-ce qu'on peut tomber enceinte en embrassant quelqu'un ? »

… Y a pas à dire, June savait étonner. Et quelle innocence. Quelle naïveté. Et cela laisse sans voix la grande brune, un instant. Elle réfléchit ; c'est une question piège ou quoi ? Bah ouais, pour qu'elle soit aussi évidente que ça … mais non, elle se rappelle que c'est à June qu'elle parle là. Donc elle rigole, se redressant soudain, restant néanmoins assise, le poids de June toujours un peu pesant lorsqu'elle s'appuie sur ses bras pour se redresser. « June, sérieusement ? » Elle secoue la tête, un sourire sur les lèvres, du genre « n'importe quoi toi ». Mais elle ne se moquait pas de lui ; osez vous moquer de June et vous vous prenez une raclée dans la gueule par Aurore de toute façon.

Le dos de sa main vient frotter légèrement sa joue, et elle le regarde, son petit sourire amusé toujours scotché à ses lèvres. « Bien-sûr que non. Imagine le nombre d'enfants qu'il y aurait ? Et imagine tous les enfants à la maternelle qui s'embrassent sur les lèvres. On ne peut pas être enceinte à, genre, quatre ans … Quelque chose comme ça. » Elle jette un œil à sa série, voir où ça en est ; mais ça ne paraît pas avancé, alors elle repose son regard vers la candeur incarnée. « Tu n'as jamais embrassé de fille ? l'interroge-t-elle. » Bah, oui, s'il en avait déjà embrassé – ce qui serait normal pour son âge, même un simple bisou de maternelle – il devait savoir que la fille n'était pas ensuite tombée enceinte. Et puis, June déjà père … LOL, imaginez le truc.

« Non, je l'ai jamais fait. Jamais sur la bouche. C'est trop. Intimidant, de faire un bisou sur la bouche de quelqu'un. »

Qu'il avait dit. Alors oui, bien-sûr, c'était vrai. C'était, en soi, l'une des choses les plus intimidantes dans cette période d'adolescence – du moins pour les non-précoces, hein. Mais, ici, c'était différent. Aviez-vous déjà vu un adolescent de seize ans plus naïf et innocent que ce garçon l'était ? Sûrement que non ; c'était tout bonnement impossible. Et, même si Aurore s'y était vite habituée et l'avait vite pris sous son aile, la réponse l'empêcha de décrocher ne serait-ce qu'un petit mot. Lèvres closes, elle se posait des questions, se demandait s'il y avait une raison à tant d'innocence et d'ignorance de la part de June. Vraiment, même orphelin et coincé dans ce bâtiment, pouvait-on ignorer toutes ces choses de la vie dans une société aussi libérée que celle du XXIème siècle ? De plus, ce n'était pas comme si les orphelins résidant ici étaient des plus coincés qui soient... ! Malheureusement pour certains, se dit Aurore. Se fermait-il volontairement aux choses pour ne pas être blessé ou avait-il eu ce blocage à la mort de ses parents ? Bah ! Quelque soit la raison de ce blocage, il demandait aujourd'hui à savoir, visiblement. A Aurore, qui plus est. Peut-être qu'il était temps que June perde une partie de son innocence et grandisse un peu, sans pour autant changer de personnalité. Et si quelqu'un devait aider ceci à se faire, c'était bien Aurore.

Elle se sentait soudain un peu maman contre son gré, à une période que celles-ci connaissaient bien et qu'elle n'avait, évidemment, jamais connue. Vous savez ce moment de « comment on fait les bébés ». Sauf que là, c'était une meilleure amie à son meilleur ami de seize ans. Seize ans. Il avait tant de retard sur son âge, c'en était inquiétant, vraiment. Mais c'était June. Et, s'il n'était pas aussi vulnérable, tu ne l'aurais jamais pris sous ton aile. C'est ton petit frère. Personne d'autre ne doit lui apprendre ces choses-là. Alors, d'un côté, tu es contente de devoir répondre à ces questions.

« Dis Aurore, ça fait quoi de faire un bisou sur la bouche de quelqu'un ? Pourquoi on le fait, si c'est pas pour avoir des bébés ? »

...Bon, par contre, les questions de June étaient, d'accord, naïves et innocentes, mais d'un côté, perspicaces. Non mais attendez, qu'est-ce que vous répondez à un ado qui demande pourquoi on s'embrasse ? La réponse peut sembler simple, mais il n'y en a pas qu'une seule. Ce n'était pas comme si le baiser était une valeur absolue attribuée à un unique et indiscutable intérêt.

« Pourquoi ? répéta-t-elle. »

Oui, pourquoi, Aurore ?
Elle se redresse en toussotant un peu, prenant un peu de temps pour réfléchir à sa réponse par la même occasion. Sa main ne s'est pas remise sur la joue du brun, qu'elle regarde avec des yeux un peu moins protecteurs, attendris... maternels ?

« On embrasse lorsque l'on a envie de le faire, June. Ce n'est pas par intérêt, généralement. Bien-sûr tu peux te forcer à le faire simplement pour essayer, pour rigoler, pour un pari, ou je ne sais quoi. » Ou encore manipuler, mais ça, tu ne vas pas lui déballer – à quoi ça servirait ? « Mais sinon, tu le fais parce que tu en as envie, parce que tu aimes plus que superficiellement la personne. Tu l'aimes assez pour, euh... Euh, bah, disons, en gros, partager ton corps avec le sien ? 8D » Grand sourire, voir si ça passe assez bien comme explication... « Il n'y a pas de raison. Il y a de l'envie, du ressenti. Tu le sais, quand tu en as envie. Tu la sentira, un jour, cette pulsion. » Mais bien-sûr, tu ne te doutes pas une seule seconde que cette pulsion pourra se ressentir avec Green. Non, June ira avec une gentille fillette bien mignonne et adorable et puis c'est tout. June et un garçon, pour toi, c'est impensable. T'évites quand même de préciser que cette pulsion n'est pas toujours nourrie de sentiments mais aussi de désir sexuel par moments, qu'importe la personne. Parce que bon, tu as beau te répéter vingt fois qu'il a seize ans, t'arrives pas à faire l'impasse sur son innocence.

Aurore le regarde un moment, tentant de se rappeler sa question de départ. Elle se la répète dans son esprit, de façon à vérifier si elle n'a pas oublié de lui répondre à quelque chose d'autre. Effectivement, il lui avait semblé entendre quelque chose à propos de ce que ça fait, juste avant le pourquoi. Là, elle tripote ses propres doigts, ouvrant la bouche comme pour dire quelque chose, sans que rien ne sorte. Qu'est-ce que ça fait ? Mais bon dieu. Tant de réponses. Ca dépendait de la personne, de la situation, du moment, de la façon dont c'est fait, ça dépendait de tout ! Et puis, le sentiment était propre à chacun. Comment lui expliquer tout ça sans le laisser dans le flou ?

« Et, pour ce que ça fait, fit-elle enfin, eh bien, c'est propre à chacun, je ne peux pas vraiment te dire. Puis, si tu n'apprécies pas la personne, ça peut être très désagréable. Pareil si elle le fait mal. Ca dépend vraiment de toi, je ne peux pas te dire. Tu le verras quand tu essayeras. »

L'idée de faire essayer à ton petit frère ne t'est pas apparue à l'esprit. Evidemment. Jamais !