Abruti. Ce mot lui résonne dans la tête, et c'est le seul qui lui paraît à l'esprit. Tout s'explique ! Sous les insultes de ses propres parents, il ferme la porte de sa chambre et médite. Donc, il a tout compris, tout s'explique. Il était mauvais en cours, il était mauvais avec ses camarades, mauvais avec ses parents, mauvais avec ses enseignants. C'est du moins ce qu'on lui fait croire depuis qu'il est né. Mais tout s'explique par le fait qu'il est né stupide. Il n'est pas né intelligent, bien dommage pour lui. Sa stupidité l'a rendu différent. Il n'y avait pas un jour où il n'avait pas droit aux insultes de sa mère, de son père, des insultes qui ne l'atteignent même plus. C'est en ce jour merveilleux qu'il prend conscience de sa stupidité, en laçant ses chaussures. « Ah, bah merde. » -vous voyez le genre quoi. Depuis il n'en devient pas moins con, d'ailleurs, il n'a pas l'intention de se donner la peine de paraître ce qu'il ne peut pas être : intelligent. C'est exactement ce qui lui a valu du tord. Il était bien trop bizarre. Il l'est. Il n'est pas normal, sa stupidité a atteint une logique imparable: il en devient intelligent. Ou presque. Et il ne veut pas avoir l'air crédible, il veut être ce qu'il est. Morphée n'aime pas les gens, c'est un asocial. Il n'aime que quand il peut en tirer profit : à savoir la drogue, les fêtes, les filles et les garçons. Ce sont les seuls profits qu'il s'accorde. Il faut savoir, il est con, il ne sait pas se servir des gens non plus, hein. Il n'est rien d'autre qu'un pauvre maladroit délinquant de merde qui n'a pas choisi d'avoir ce caractère : il est poussé à vivre comme ça, ce crétin, contre son gré. Morphée, c'est le genre de type pourri qui fait chier le monde sur le net, par exemple. Se faisant passer pour un putain de kikoolol pas drôle sur un chat. Rien que pour embêter les geeks, les no-lifes, les gens normaux. Les voir rager et le bannir au bout d'un débat à la con. Parce que c'est jouissif, et marrant. C'est aussi le genre de terroriste ridicule qui va taguer une bite sur le mur de son école. Un chieur-né. Un jeune qui s'assume pas, qui n'est né que pour faire chier, qu'un petit peu chieur sur les bords. Rien de grave, les amis.

Il s'est fait viré de chez soi, il ne remarque qu'alors qu'il est vraiment seul. Il s'est viré, et pourtant, quand il appelle ses pseudos-amis, la moitié ne répond pas, l'autre moitié raccroche au bout de deux secondes. En même temps, il ne sait pas s'exprimer. « Eh ducon, t'aurais pas... » -bip. Bip. Plus de réponse. Bah merde. Triste vérité, il n'a aucune personne sur qui compter. Bof, pas grave. Il va dormir dans l'école, infiltré dieu sait comment dans une salle de cours. Voilà, personne ne sait qu'il est sans domicile fixe. Évidemment, sa mère avec qui il vivait ne sait pas que Morphée est un sans ami fixe, quoique, même si elle le savait, elle l'aurait quand même jeté dehors. Pour le bien de son amant. Son amant, dont elle est folle amoureuse. La personne que Morphée déteste le plus au monde. L'amant de sa mère, il est pourtant gentil le bonhomme. Mais Morphée ne peut s'empêcher de l'insulter, de l'humilier en permanence. Il menaçait sa mère de le quitter s'il ne virait pas son fils. Bah, l'amour rend aveugle. Au point de chasser son fils de chez elle.

Puis un jour. Alors qu'il glandait dans un supermarché les mains dans les poches, se permet de manger des bonbons. Ceux que n'importe qui se doit de payer. Ceux dans les boîtes, là. Ben Morphée, l'air de rien, a ouvert une boîte et a bouffé tout son contenu. Mais le hasard fait bien les choses, il se fait prendre par le directeur, qui flânait entre les rayons, n'ayant rien à branler d'autres que de surveiller son supermarché. Alors d'abord, humiliation en public. Ou plutôt, il devient tout rouge et il crie des mots incompréhensibles en postillonnant. Putain qu'il est crad. Morphée, le regarde et part en haussant les épaules. Eh bien non. Il est emmené au bureau du directeur, traîné par le manche de son gilet. Morphée arrive dans son bureau, et touche à tout. Il a des livres, des papiers, des chaises. Il observe non sans admiration et sans indifférence. Il siffle, pas bien discrètement. Le vieux monsieur tout rouge lui fait signe de venir s'asseoir en face de lui. Morphée ronchonne et va s'asseoir confortablement, dans une position des plus impolis. Le petit monsieur commence son speech. Il l'engueule un peu, normal. Puis il lui demande de payer. Morphée lui sourit et lui montre ses poches vides. Ah, c'est bête, il est pauvre. Le petit monsieur redevient tout rouge, il demande le numéro de ses parents. Il lui donne. Il appelle. Sa mère répond, et lui prit d'appeler son père. Le petit monsieur appelle donc le père. Morphée hurle. « J'ai pas de père! » -Son père décroche, il râle et arrive dans le bureau. « Le gland que tu viens d'appeler n'est pas mon père, juste un glandu qui porte accessoirement le même nom qu'moi. » -Morphée et son père ne s'entendent pas. Ils sont ennemis parfaits, parce que justement, ils sont exactement les mêmes. Ils se tapent dessus à chaque regard de travers, à chaque remarque déplacée. C'est pour cette raison qu'ils se sont séparés, la mère de Morphée et son père. Elle n'en pouvait plus, et pourtant, il l'aime encore, sa femme. Son ex-femme. Ah, on se disperse. Bref. Il arrive, comme un vieux clochard, les mains dans les poches, une barbe immonde et la dégaine d'un jeune. Morphée lui lance un regard, le vieux clochard vient lui prendre le col avec violence et toise le petit monsieur, qui rosit à vu d'œil. Il a peur, le fourbe. Il aurait pas dû appeler son père, hein ? Le petit monsieur s'explique en bredouillant. Il a pas envie de se faire violenter, donc il fait ça avec douceur, petit craintif. Le père râle et regarde Morphée. L'air grave, il a envie de lui gueuler dessus. « Tu peux partir, tu sais, personne ne te retient. » -son père lâche le col, pose des billets sur le bureau du petit monsieur et soupire. Puis sort. Il est pas si méchant, en fait. Le petit monsieur, satisfait, regarde Morphée avec un sourire victorieux. Le jeune hausse un sourcil, lève les yeux au ciel et agrafe la main du petit monsieur avec l'agrafeur géant qui se trouvait par là. Le petit monsieur hurle de douleur, Morphée sort du bureau, l'air de rien. Puis c'est la routine, une nouvelle fois.

Ça ne se finit pas tout à fait ici. Il s'apprête à rentrer chez lui. Son vrai chez lui. Là où il y a sa mère chérie, son amant de merde et sa chambre. Bim. Plus là. Ils étaient partis. « Bande de glands. » -lamentable. Pathétique. Pour une fois, il pleure. Morphée, regarde la maison vide. En quelques jours, ils avaient réussi à le fuir. Son seul réconfort, le fait qu'il a une maison pour lui tout seul. Mais bien vite, il s'ennuie à en crever. Il plonge son nez dans l'héro, il devient obsédé du monde imaginaire. Il devient un champignon, à force de consommation excessive. Les champignons hallucinogènes. Quelques mois. Quelques mois ont suffit pour amener Morphée à la folie. Tout hallucinogène est bon. Des bad trip. Des bons. Des mauvais. Il devient un cadavre. Ou plutôt, il se plante chez lui. Et fait pousser ses compatriotes du jardin. Joie de vivre. Mais son milieu idyllique aura fini son rôle aussi. Sa mère, a dû quand même s'inquiéter pour son pseudo-fils. Elle a envoyé des hommes. Des hommes en noir, après avoir observé l'état de Morphée. Elle avait eu peur de l'approcher. Elle a donc déclaré le jeune homme, comme sans parents. Où allons nous ? Cure de désintox. Un lieu de travail pour les psychothéraputes. Putes. Exactement. Un truc du genre, c'est le seul mot dont il se souvient de cet endroit. Psychothéraputes. Il y est resté, et en a perdu la notion du temps.

Ressorti, il n'avait plus rien. Plus de maison, plus de parents, plus de drogues. À peine revenu de la cure, il reprit. Mais à dose plus faible. Encore heureux pour lui. Toujours un champignon, sauvé. Il se fit consulter pour aller dans un orphelinat, ou autre connerie du genre. Pensionnat, orphelinat, tout y est passé. Mais finalement, les entretiens qu'ils avaient avec ses futurs ex-supérieurs n'en furent pas convaincus.

« Bonjour, Monsieur Laforet.
- Laforet, lala lalalaa ! »

« Pourquoi avez vous choisi de venir dans cet internat, Monsieur Laforet?
- Il faut que tu dises que tu es déterminé et que tu comptes bien travailler malgré tes difficultés, c'est pas grave si tu mens, dis tout ce qui te passe par la tête!
- Pardon?
- C'est pas moi! C'est ce qu'on m'a dit de dire! »

Et puis, quelques uns de ses petits incompétents lui conseillèrent d'aller voir un psychologue.

« Qu'est-ce qui vous amène? Quand est-ce que ça a commencé? Dans quelles circonstances?
- M'sieur. Une question à la fois. Mon cerveau ne vous suit pas. Il voyage, là.
- Il voyage?
- Ah carrément! Je parle, mais je suis dans une autre dimension. Une dimension où les papillons apprennent à voler, où les humains sont torturés comme il le faut et où la musique est un Dieu.
- Les humains, torturés?
- Vous posez beaucoup de questions inutiles, je trouve.
- Développez l'idée.
- Les humains, torturés. Ils ne savent pas ce qu'ils sont, ils ne savent rien. Ils ne comprennent pas pourquoi ils vivent, ils n'ont pas compris qu'ils n'étaient qu'un jouet. Des jouets. Que certaines personnes prennent plaisir à manipuler. Les plus forts gagnent, les plus intelligents survivent. C'est la règle du jeu. Je fais avancer mon pion, et je dois détruire mon prochain. Ils sont ridicules, n'est ce pas? Des âmes torturés. Ils ne savent rien, ils ne comprennent pas. Ils ne veulent ni voir, ni savoir, ni entendre, ni toucher, ni sentir.
- Vous savez tout, vous?
- Tout. Et vous comprendrez que je suis peut être meilleur que vous. Je n'en ai pas l'air. Je fais le con, je suis con. Mais la connerie va gagner. Les plus indifférents vont gagner la course. Je fais partie de ceux qui veulent savoir, qui veulent entendre, qui veulent la franchise. L'hypocrisie est d'un tel paradoxe. Vous êtes humains, vous ne devriez pas comprendre. Il est question de jeu! Un énorme plateau de jeu, dont vous n'êtes même pas conscients! En fait. Vous devriez me remercier, en attendant, je retourne chez les papillons et champignons. Ils sont colorés, ils sont indifférents. Ce que j'aimerais être un champignon. Morphée vous parle, alors faites l'effort de suivre un peu ma logique. »

Par les moyens de quelques complications inexplicables, Morphée fut intégré dans un Orphelinat à peine particulier. Chez les surdoués. Il n'était pourtant pas censé se retrouver dans un tel merdier. Il savait trop de chose. Du moins, c'est ce qu'il laissait paraître.

JE VOLE! JE SUIS UN CHAMPIGNON QUI VOLE!