Sujet: The notes of the Nightmare... Mer 27 Aoû - 22:33
Dance with the blues flames which ascend from the ices.
Le sol était glissant. Vraiment glissant. Des orphelins avaient dû se promener dehors pour rentrer trempés et laisser leurs vêtements s’égoutter dans les couloirs du premier niveau. A présent, les derniers adolescents qui allaient prendre leur repas du soir dérapaient. L’un d’eux, un adolescent d’une quinzaine d’années, tomba même sur le sol en poussant un juron. De colère, il donna un violent coup de pied au mur avant de se relever en s’y appuyant. Il remarqua alors une silhouette immobile en face de lui, loin d’à peine un mètre et demi. La forme d’une enfant qui se tenait presque droite malgré la canne sur laquelle elle appuyait une petite main à première vue maigre. La tête de l’enfant était plutôt baissée, mettant en évidence sa pâle chevelure qui tombait de façon raide de part et d’autre de son visage. L’adolescent la toisa d’un air dur. Que fixait-elle, cette gamine ? Le trou de son jean au niveau de son genou ? Il baissa les yeux vers la déchirure volontaire avant de les relever vers la naine. « Qu’est-ce t’as ? Tu veux mon g’nou dans ton ventre ou quoi ? » Pas de réaction. Sans doute une petite à problèmes, comme il y en avait dans tout l’orphelinat. Certains semblaient même fous. D’autres effrayants. Celle-là, dans sa petit robe délicate noire, avec sa canne, ses cheveux presque blancs, sa rigidité, son absence de tout mouvement… Elle semblait folle tout en étant effrayante. « Hé ! J’t’ai causée ! » Lent mouvement de sa petite tête. L’adolescent eût encore préféré qu’elle garde la tête baissée. Deux lueurs glacées s’enfoncèrent dans les yeux du garçon qui, gardant son air dur, sentit toutefois son cœur rater un battement. Ce regard était si froid et surtout si… si vide ! L’ombre des paupières telles d’énormes cernes noires soulignait ce regard effrayant qui attirait le garçon dans son gouffre. Apeuré, il fit un pas en arrière, dévia précipitamment les yeux, marmonna : « ‘Scuse-me d’t’avoir dérangée. » Il tourna les talons et se dirigea vers le réfectoire, l’estomac nettement moins affamé à cause de cette rencontre. Il ne tarda toutefois pas à saliver lorsqu’il sentit l’odeur de la nourriture et rangea l’épisode de la fillette dans un coin de la mémoire qu’il verrouilla… pour un temps. Dans son dos, un claquement sec retentit et le suivit jusqu’aux cuisines, mais son oreille refusa de le percevoir.
Tout en avançant, l’adolescente redressa ses lunettes de vue afin de les ajuster face à ses yeux noisette. Elle jeta un regard à la fenêtre devant laquelle elle passait en soupirant. Quelle pluie ! Il en tombait des quantités énormes depuis le matin et cela ne semblait pas près de s’arrêter. A quand le soleil de l’été ? L’orpheline était impatiente d’étudier sous le soleil, obligée de se contenter de la bibliothèque, de la salle d’étude et de la common room – le soir lorsqu’elle était suffisamment silencieuse, elle pouvait être un agréable lieu de lecture, surtout quand la bibliothèque était fermée – en attendant. Elle tourna au coin du couloir. Elle devait passer par le hall afin de prendre l’escalier principal qui se trouvait non loin et qui l’amènerait vers sa chambre. Le livre sous le bras, elle traversa encore deux allées avant d’entendre un étrange claquement. Elle s’immobilisa, l’escalier en vue. Personne. Le bruit venait du chemin menant au réfectoire. L’adolescente haussa les épaules. Sans doute quelqu’un s’amusant avec un bout de bois. Elle jeta un coup d’œil à sa montre. Onze heures du soir. Il était tard, elle devait se coucher. D’autant qu’un orage approchait, grondant au loin. Un éclair brilla par les fenêtres tandis que l’élève montait les premières marches d’un pas rapide. Elle avait horreur de l’orage ! L’on disait que le premier successeur de L, Near, en avait peur aussi. Au moins une chose qu’elle partageait avec lui. Parce que, sinon… Une porte grinça. Pas n’importe laquelle, celle de l’entrée. Qui était assez fou pour se promener dehors par ce temps pareil ? L’adolescente se retourna pour apercevoir l’idiot mais, à cet instant précis, un éclair jaillit du ciel noir et illumina… un fantôme ?! « Aaaaaaaaaah ! » Le cri de la demoiselle terrifiée par l’orage et la silhouette translucide fut couvert par une explosion de tonnerre qui masqua aussi la chute du livre dans l’escalier. L’orpheline posa une main sur son cœur affolé et fixa de nouveau l’entrée. L’apparition ne représentait pas un fantôme… mais juste une enfant et sa canne – d’où le claquement étrange. Elle était même vêtue de noir ! Comment l’adolescente avait-elle pu la confondre avec un spectre ? Et où allait la petite fille ? Dehors ? Avec sa petite robe en dentelle ? Et par ce temps ?! Elle fit pourtant un pas vers l’extérieur. « Hey ! T’as pas vu l’heure et le temps qu’il fait dehors ? » L’enfant ignora la remarque et s’engagea sous la pluie dans son claquement. Elle était timbrée ! Une vraie folle ! Comme beaucoup d’orphelins dans cet endroit, d’ailleurs. Si on avait fait un asile au lieu d’une école pour grosses-têtes, les occupants n’en eussent pas beaucoup changé. Seuls quelques uns étaient sains d’esprits. Mais s’il fallait être bizarre et fou pour devenir le nouveau L, beaucoup avaient des chances de lui succéder. Comme cette petite fille qui avait disparu sous la pluie et l’orage. L’adolescente ramassa son livre. Redressa ses lunettes. Elle remontait l’escalier lorsque la grande porte à double-battant grinça brusquement et se referma sous le tonnerre. Un sursaut faillit déséquilibrer l’élève qui se retint sur le mur et continua sa montée, le cœur battant. Celui-ci finit par se calmer quand la demoiselle s’enferma dans sa chambre, retrouvant une sensation de sécurité dans son lit.
C’est un triste monstre que voici, ce démon orné d’une auréole bleutée qui pleure sur les toits. Je le vois qui brille dans le ciel, ses grands yeux infinis masqués par la fumée de sa morosité.Quand je sors afin de lui offrir ma compagnie, il me confie sa détresse. Il m’aime car je l’écoute en silence, jamais je ne le couperai, jamais je ne le trahirai. Il me hait car je l’ai déjà coupé, je l’ai déjà trahi. Coupé en criant ma naissance et ma vie, trahi en naissant, en vivant, en étant. Mais je reste auprès de lui et j’entends dans chaque goutte qui éclate sur ma peau un remerciement désespéré tandis que sa méprise me gronde sans répit.Soyons ensemble éternellement, monstre du ciel. Echangeons notre détresse. Entre démons.
Les cours allaient bientôt débuter. Les élèves sortaient de leur chambre les uns après les autres, leurs petits sacs à dos bien installés sur leur échine. Parmi toutes les portes, certaines furent verrouillées. Un cliquetis de clef se démarqua des autres. Il fut mis en évidence par le claquement qui s’ajouta à lui, celui du bout d’une canne cirée contre le sol qui apparut par l’entrebâillement de la porte. La canne fut suivie d’une jambe pâle traversée des vaisseaux bleuâtres qu’on avait l’habitude d’y voir. Au-dessus des genoux était ornée de délicates dentelles blanches une jupette noire et ondulante où apparaissaient plusieurs motifs tels une rose gris-clair ou une croix chrétienne entourée de ronces hérissées de pointes acérées. Le haut de l’enfant était quelque peu moulant au niveau de la taille, les extrémités décorées de ces mêmes dentelles blanches. Au niveau de la poitrine inexistante de la fillette, penché en diagonale vers le cœur, volait une petite paire d’ailes d’ange que l’on pouvait sentir en y passant le doigt. Les plumes n’étaient hélas ! pas douces mais rugueuses et désagréables au toucher. La chevelure terne de la petite étaient attachés d’un ruban qui par sa finesse laissait à chaque fil la liberté d’exhiber sa raideur. Ce fut ainsi accoutrée que la fillette referma la porte derrière elle, ne manquant pas à la verrouiller, et partit en cours. Elle fixa un instant Near et lui communiqua un salut poli du regard. Il lui répondit par un bref mouvement de tête avant de rejoindre sa place, bousculé au passage par un blondinet turbulent dont il ne fit cas. Des voix de pipelettes retentissaient au fond de la salle de cours dans laquelle pénétraient les élèves de la Classe 1. Des saluts familiers, remarques sarcastiques et regards noirs furent échangés avant que le professeur n’ordonnât le silence. Ce dernier mit quelque temps à venir mais ne tarda pas assez pour couvrir le bruit du store qu’on abaissait. Le temps était tout aussi perturbé que cette classe allait l’être tôt ou tard et des nuages bas assombrissaient la pièce ; tout le monde ignora pourtant le geste contradictoire de la fillette vêtue en petite lolita, ses magnifiques bottines noires luisant dans la pénombre de son coin de classe. Le professeur sortit une liasse de papiers de sa sacoche. Et la leçon débuta.
Dans le couloir des classes régnait un brouhaha insurmontable. Les gamins les plus jeunes cherchaient à se frayer un passage parmi les adolescents qui s’échangeaient objets volés contre des pièces et billets qui finissaient enfouis dans les poches des vêtements, qui prévoyaient une activité pour leur après-midi libre, qui discutaient simplement de tout ou de rien. On entendit alors un cri de colère aussitôt suivi d’une injure. Très vite, les orphelins s’écartèrent pour mieux encercler deux filles, une adolescente de dix-sept années et une plus jeune au visage masqué par une chevelure de jais. La plus âgée frappait du pied l’autre qui, allongée sur le sol, se tordait de douleur en silence. Quelques courageux tentèrent de retenir la grande qui cria dans la huée : « Lâchez-moi où j’vous bute aussi ! » Cette tentative de retient suffit toutefois à calmer suffisamment la violente pour que celle-ci, après avoir un jeté quelques paroles méprisantes et un regard assassin à la jeune, tourna les talons, en percutant au passage le dos de sa victime, et s’éloigna sans un regard derrière elle où des dizaines de paire d’yeux la fixaient. Les orphelins finirent par se disperser. Quand une adolescente au regard bienveillant tendit une main à la victime encore allongée, celle-ci l’ignora et se releva en difficulté sans son aide avant de s’éloigner silencieusement, boitant à peine. Une lueur indéchiffrable brillant dans ses yeux bleus, la fillette aux cheveux ternes et vêtue de noir fut une des dernières à s’en aller. Elle l’avait vue. Elle avait vu cette ténébreuse aura autour de la victime aux cheveux d’ébènes. Et cela l’avait intriguée malgré cette horreur, toujours la même qui se saisissait du cœur pour le secouer en lui en donner la nausée, qui s’éveillait à chaque injuste violence. La fillette fut soulagée de retrouver sa chambre, mais elle se sentait encore mal. Serrant son domino dans sa main, elle s’avança jusqu’à son armoire en tendant un bras désespéré. Elle avait mal, tellement mal ! Voir ces gens se frapper, voir cette violence… C’était si douloureux ! Elle fit un faux pas, trébucha, tomba. Sa chute fut accompagnée du bruit d’une architecture de bois en miniature s’écroulant. L’enfant se retrouva au milieu de ses dominos. Elle lâcha sa canne qu’elle avait emportée dans sa chute, se tourna sur le dos et fixa le plafond, le cœur battant. Des coups, des cris, des injures, des pleurs. Où qu’on aille, on en voit toujours. Mais elle ne pouvait s’y faire. Elle en était ridiculement incapable. Abyss eût aimé que le ridicule la tuât. Mais elle ne pouvait que vivre et subir l’Angoisse.
It corrodes me. Fatally.
Dernière édition par Abyss le Dim 28 Sep - 1:04, édité 1 fois
Invité
Sujet: Re: The notes of the Nightmare... Mer 27 Aoû - 22:36
Elle se réveilla dans la rassurante exiguïté de l’armoire dans laquelle elle s’était enfermée après s’être débarrassée de ses beaux vêtements pour retrouver sa petite robe noire en dentelle. Elle se redressa en clignant ses yeux fatigués. A travers la porte de son armoire lui parvenait la pluie qui martelait les toitures. L’heure. Quelle heure était-il ? Elle avait besoin de ce repère afin d’éviter de se sentir perdue dans la réalité. Elle poussa le battant de son armoire pour en émerger et fixer à quatre pattes les aiguilles phosphorescentes du réveil solitaire déposé sur sa table de nuit. Vingt heures. Elle n’en avait nullement envie mais elle devait manger. Sinon elle ne supporterait pas la moindre activité nocturne. Elle se saisit du domino qu’elle avait laissé dans son armoire, se redressa à l’aide de sa canne qu’elle attrapa, et marcha vers la porte de sa chambre. Le sol était glissant. Vraiment glissant. Sans doute à cause d’orphelins qui avaient fait une petite escale à l’extérieur sous la pluie avant de rentrer trempés. Certains n’étaient pas gênés par leurs vêtements collés à la peau et l’eau tombant par gouttes de leurs cheveux. Dans cet orphelinat, il était normal de trouver des surdoués dotés de cette habitude folle pour beaucoup de gens communs. La fillette dérapa une fois mais se rattrapa à l’aide du mur. Elle croisa certains élèves qui lui adressèrent à peine un regard, grignotant quelquefois un morceau de pain ou discutant en groupe. Une lueur verte. L’enfant se retourna soudain, alarmée. A cet instant, un bruit de chute retentit. La jambe d’un adolescent glissa à quelques centimètres à peine de sa canne. Le garçon se releva en jurant après avoir frappé le mur du pied, dévoilant une immense corpulence. La fillette resta fixe, le cœur encore battant. Et la lueur ? L’avait-elle vraiment vue ? Ou était-ce une hallucination due à une terreur qui s’était réveillée tout à coup ? « Qu’est-ce t’as ? Tu veux mon g’nou dans ton ventre ou quoi ? » Toujours marquée par sa frayeur, la fillette ne réagit pas à la menace. La tête lourde, le domino tourné par des doigts nerveux dans l’ombre de sa frêle silhouette, elle recherchait un peu de calme, suffisamment pour qu’elle pût sortir de cet état où l’angoisse, loin de l’avoir envahie, attendait toutefois le moindre prétexte supplémentaire pour la submerger. Là, elle allait mieux… « Hé ! J’t’ai causée ! » L’adolescent perdant patience, l’enfant décida de réagir enfin. Elle n’avait pour ainsi dire pas envie d’avoir des problèmes avec lui. Elle leva lentement sa tête encore pesante et fixa le garçon de ses grands yeux bleus. Elle n’eut pas le temps de lui envoyer le moindre message. La réaction fut immédiate. La menace mourut dans un regard devenu fuyant tandis que le grand marmonnait des excuses avant de marcher vers le réfectoire. La petite le regarda s’éloigner, quelque peu intriguée par cette réaction mais non surprise. Elle était habituée à susciter un tel comportement chez certains. Elle reprit sa marche et se dirigea elle aussi vers les cuisines qui n’attendaient qu’elle.
Après son repas, elle alla errer dans le bâtiment, visitant la cave et le grenier comme elle le faisait quand l’ennui la prenait. L’heure avançait, mais il n’était pas assez tard pour sortir. La fillette alla flâner à la bibliothèque mais dut en sortir à sa fermeture sans avoir trouvé le moindre livre qui lui plût. Elle finit par s’enfermer dans sa chambre et redresser mélancoliquement la cathédrale qu’elle avait détruite plus tôt dans la journée. C’était un immense endroit qui, cabré sur ses murs, subissait la triste pluie et l’agressif soleil depuis des siècles. Une horloge en haut de sa plus haute tour, des cloches puissantes résonnant chaque heure dans la ville. Juste dans la ville, pas dans les villages alentours, pas à Wammys’s house. Mais une église n’était pas loin et, pour une oreille avertie, les cloches résonnaient jusqu’à l’orphelinat… quand la pluie ne venait pas couvrir ses échos. Obligation de regarder le réveil pour observer les changements des aiguilles. Dix heures du soir. Une cathédrale qui, même au fin fond d’un village, est capable de se dresser en quelques heures grâce à sa miniaturisation. Une cathédrale obscure qui, peu à peu, voit ses tour s’élever dans l’ombre d’une chambre où règne l’odeur de renfermé. Des vides où il suffit d’imaginer les vitraux pour les voir. De magnifiques vitraux luisant à la lueur bleutée d’une lune irréelle. Une goutte de rêve dans l’obscurité du réel qui en devient irréel. Un océan de rêve dans les profondeurs abyssales.
Lorsque retentit le premier grondement, l’ennui n’était plus qu’un souvenir. Mort. Il était près d’onze heures du soir mais la pluie tombait de sa façon toujours effrénée, sans interruption. Ce n’était toutefois pas elle qui allait empêcher Abyss de suivre ses habitudes. Celle-ci délaissa la construction non terminée de son monument et sortit de sa chambre en emportant un domino avec elle. Elle traversa un couloir avant d’emprunter l’escalier arrière du bâtiment, préférant les voies longues aux principales. Comme à chaque fois qu’elle marchait, le claquement sec de sa canne l’accompagnait, fidèle compagnon dans sa solitude. Elle repassa devant le réfectoire, le sol étant moins glissant qu’au passage précédent, les orphelins ayant renoncé à sortir aussi tard par ce temps. Un éclair fit son apparition par une fenêtre, suivi plus tard d’un tonnerre déjà rapproché. La fillette arriva enfin dans le hall. Elle s’arrêta un instant, hésitante. N’allait-elle pas attraper la maladie après sa folle sortie ? Son doute fut chassé à coups de pieds imaginés tandis qu’elle parcourait les derniers mètres qui la séparaient à la porte. Elle irait dehors, on l’attendait. Il était hors de question d’annuler une entrevue au dernier moment, c’était si irrespectueux. Presque une trahison dans cette situation. L’enfant serra son domino au fond de sa paume afin de pouvoir saisir la poignée d’un immense battant et la tirer. Le grincement de la lourde porte de bois retentit dans le hall, très vite suivi d’un vif éclair qui s’engouffra à l’intérieur. Un tonnerre tout proche fit vibrer le sol et s’écrasa sur les murs en résonnant. Il fut orné d’un magnifique cri de terreur et de la chute d’un lourd livre dans l’escalier principal situé non loin. La jeune fille ferma un instant les yeux et inspira une goulée d’air frais, ignorant sa lourdeur. Le Démon était particulièrement furieux ce soir-là. Et la voix qui le coupa alors que l’écho de son tonnerre résonnait encore dehors n’allait que le rendre plus enragé. « Hey ! T’as pas vu l’heure et le temps qu’il fait dehors ? » Elle appartenait à celle qui avait décoré l’orage de sa terreur. Lui apporter une attention était inutile, étant donné que la fillette savait évidemment l’heure qu’il était et n’avait besoin ni d’yeux ni d’oreilles pour connaître la météo. Les morts eux-même savaient que le Monstre manifestait sa furieuse morosité. L’enfant refit claquer sa canne en s’engageant dehors, fouettée après quelques pas par une pluie piquante qui la trempa rapidement.
The burning rain freezes the icy flames.
Assise contre la façade du bâtiment qui ne la protégeait nullement de la pluie, elle ferma les yeux et écouta. Elle écouta la tristesse dans la pluie, la fureur dans le tonnerre. Elle écouta longuement, sans un bruit, petite silhouette recroquevillée sous la pluie, trempée et grelottant dans le froid de l’émotion lourde de cette nuit. Elle resterait aussi longtemps que son frêle corps le lui permettrait, elle resterait tant que sa santé misérable ne démolirait pas sa détermination à écouter les plaintes qui venaient d’en haut. Ayant dormi durant toute l’après-midi, elle n’était pas fatiguée. Ayant connu l’ennui durant la soirée, il ne l’envahissait pas malgré les longues minutes qui s’écoulaient de plus en plus nombreuses. Elle resta longtemps, longtemps sous l’orage. Après avoir tonné sa fureur, fait trembler les pauvres enfants de tout le village encore terrifiés par l’orage, arraché plusieurs arbres, le monstre du ciel se calma. La beauté lumineuse de la foudre laissa place à la douceur du vent qui se tourna de sorte à secouer la chevelure terne de la petite fille recroquevillée les yeux clos contre son mur sale et mouillé. Son visage trempé ne laissait aucunement deviner des larmes, pourtant elle pleurait en silence. Ses lèvres remuaient en silence. Un désespoir était formulé en silence. La règle clef de l’instant était ce silence qu’elle ne devait pas couper. Seul le démon du ciel avait droit à la parole, elle devait se taire. Les lèvres de l’enfant gouttèrent le sel de ses larmes mélangé à la douceur de la pluie. Des parapluies noirs de partout, un silence ancestral seulement coupé par la pluie, un triste rang qui attend de murmurer un dernier mot pour celui qui repose dans sa tombe. Une chevelure blonde affreusement familière qui occupe la première place et qui jette d’u regard sa malédiction dans la rose noire lâchée sur le cercueil qui n’est pas encore recouvert par la terre. Puis le regard calculateur qu’il lance à la silhouette d’un vieil homme à lunettes dont le crâne, où les cheveux font quelquefois défaut, possède toutefois une épaisse mèche bouclée. Des sourcils broussailleux surmontaient les yeux pâles du vieil homme fixant une petite fille qui, le visage grave, attend patiemment son tour pour murmurer ses derniers mots à celui dont on fête la mort. Et le meurtre. Des peintures sur des pages, un nom horriblement familier en bas à droite de chacune d’elle. Ne plus y penser. Se chasser ailleurs. S’envoler le plus haut possible, quitte à se retrouver happée par le vent et percutée contre une façade.
Elle ouvrit brusquement les yeux, le souffle coupé. Combien de temps avait-elle rêvé ? Combien de temps avait duré son sommeil sous la pluie ? Elle leva le regard vers le ciel, des mèches de cheveux passant devant ses yeux malgré le poids de l’eau qui les imprégnait à cause des violentes bourrasques. Le monstre du ciel semblait s’être tu. Sa pluie continuait d’accumuler sa détresse sur les toits mais les gouttes n’éclataient plus en mots. Se saisissant de son domino trempé, empoignant sa canne à deux mains, elle se releva avec difficulté, les jambes engourdies. Les premiers pas furent difficiles, des courbatures traversant douloureusement les cuisses de l’enfant à chaque foulée. C’était une bien misérable enfant qui claudiquait, trempée jusqu’aux os, son frêle corps tremblant telle une fragile feuille proche de la mort. Ses cheveux terne ondulaient légèrement dans une irrégularité marquée tant ils étaient imbibés d’eau. Mais enfin, Abyss parvint à la porte d’entrée après avoir marché dans la terre boueuse et pénétra dans le hall, sale et trempée. Ce fut un soulagement de retrouver le claquement sec de sa canne alors qu’elle traversait le couloir du réfectoire. Elle marcha jusqu’à l’arrière du bâtiment et emprunta un escalier peu fréquenté afin de monter les étages. Elle allait continuer son ascension lorsqu’elle entendit venant du couloir suivant des sons qui la figèrent un instant sur place. Des pas. Quelqu’un venait, mais ce n’était pas n’importe qui. Car c’était quelqu’un. Un humain. Sans doute la dernière des créatures qu’elle avait envie de voir en cet instant. Son cœur accéléra le rythme, le sol vibra sous ses pieds, les lumières vacillèrent malgré ses clignements de yeux. Elle secoua la tête mais ne réussit qu’à perdre l’équilibre, vacillant un instant avant de s’appuyer sur sa canne afin de se reprendre. Tremblante de froid et d’effroi, elle s'éloigna de l'escalier puis s’approcha de quelques minuscules pas du mur le plus proche et y déposa ses petites mains, laissant tomber sa canne qui chuta dans un bruit sec résonnant dans le couloir. La pierre glacée la réchauffa. Un peu. Trop peu. Vers une porte sans doute verrouillée elle avança de pas feutrés malgré elle tout en tâtant le mur, telle une aveugle. Des sinuosités le parcouraient, on sentait ici qu’un élève furieux avait écrasé son poing contre la rêche façade. Les lumières vacillaient, les murs ondulaient, le sol tremblait. Elle était terrorisée la pauvre petite. Terrorisée par cette Angoisse qui lui faisait perdre la tête, terrorisée par cette présence qui se rapprochait, terrorisée de ne pas être accroupie dans la rassurante exiguïté de son armoire. Elle plissa ses yeux, hurla mentalement à l’Angoisse de s’en aller. Les éclairs dans ses yeux, le tonnerre dans ses oreilles. Que tout s’en allât, tout. Qu’elle s’en allât, elle, l’enfant. Qu’elle s’envola loin, très loin de ses yeux, de ses oreilles, d’elle, de la réalité, de tout.
Elle s’était assise contre le mur, les jambes repliées contre elle malgré sa robe, son corps se balançant d’avant en arrière dans le rythme des notes de piano dans lesquelles elle s’était réfugiée, les yeux éteints.
Fly, fly little thing.
Invité
Sujet: Re: The notes of the Nightmare... Ven 5 Sep - 17:44
C'est comme lancer une bouteille à la mer... Mais dans ta baignoire.
La petite créature grattait furieusement dans la sciure de bois. Son poil blanc renvoyait les rayons bruts de la lumière artificielle de la chambre, accentuant encore le contraste avec le sang qui maculait lesdits poils. L'être semblait lutter. Lutter contre quelque chose qui le dévorait de l'intérieur, à proprement dit. Affolé, perdu, il cherchait un refuge où se tapir, sans trouver ce qu'il lui fallait. Lorsque des humains donnaient fin à leur vie alors qu'ils paraissaient en parfaite santé, des rats luttaient de toutes leurs forces contre les poisons que l'on injectait dans leurs veines, décidés à survivre. Lequel des deux était le plus intelligent ? Au final, si la vie était, il fallait la protéger au prix de tout les efforts. Les homos sapiens sapiens se persuadaient que dans le ciel attendait leurs semblables, à bras ouverts, pour un monde meilleur tandis que les rats savaient d'instinct que le meilleur des monde était celui dans lequel ils vivaient. Lequel des deux était le plus intelligent ?
Le petit pelage blanc s'agita de spasmes provoqués par les muscles, torturés par la fièvre. Le mammifère continua tout de même de creuser, moins rapidement, mais avec toute l'obstination de l'instinct de survie. Il ne fallait pas céder, il ne fallait surtout pas s'arrêter une seconde. Survivre, survivre. Le mot clef de toute existence, de toute vie. Il fallait survivre et s'adapter à toutes les conditions que la nature imposait.
Erreur fatale.
Ce n'était pas la nature qui imposait ses conditions dans ce cas-ci. C'était l'Homme. Ou plutôt sa curiosité. Au dessus de la cage un visage fixait l'agonie de la créature. La tache rouge rongeait de plus en plus de sciure, le rat était quasi-mort, il se débattait encore, pourtant bien conscient de sa fin proche. Le visage se détendit totalement, affichant une moue dubitative, les questions se bousculaient dans ses yeux d'acier. L'Homme se battrait-il de la même façon ? Ou se laissait-il emporter avant les dernières forces ? Elle ne le saurait probablement jamais, et c'était bien triste. Pour ces prunelles grises de pluie ne restait que le rat et sa fin. Il s'arrêtait. Peu à peu, submergé par une froideur qu'on ne connaissait qu'une fois. Et tandis qu'une étincelle de vie s'éteignait, une autre s'allumait au fond d'un regard métallique.
C'était terminé. Pour de bon. Mais il s'était débattu jusqu'à la fin, malgré la douleur indescriptible qui l'avait assailli, de plus en violente au fil des secondes. Son meurtrier souhaitait intérieurement posséder la même force morale, afin de savoir comment survivre. Survivre pour dominer. Dominer pour le pouvoir, le pouvoir pour l'immortalité. L'immortalité n'était bien sur qu'une allégorie, elle ne désignait que la gloire au travers des âges. Certains voulaient l'argent pour tout obtenir, mais l'orphelin lui ne désirait qu'une chose : la reconnaissance. Achille des temps modernes, cet être humain aspirait à se battre pour elle jusqu'à la mort, jusqu'au dernier souffle, coûte que coûte, qu'importait la douleur.
Mais le temps coupa Mercedes dans ses réflexions sur la force de l'esprit. La pluie. Un claquement régulier qui frappait son visage, s'engouffrant par la fenêtre ouverte de sa chambre. Les éléments. S'il était une chose qu'elle ne pourrait jamais contrôler, c'était justement ces éléments. Les gouttes d'eau glacées s'écrasaient les unes après les autres sur ses joues, poussées par le vent. Elle prit le temps de fermer les yeux, sentant le baiser glacé de l'orage. Lorsqu'elle consentit enfin à les rouvrir, son regard se fixa sur le lieu de son crime. On avait nettoyé la scène de meurtre, ne restait qu'un corps blanc et humide, semblant presque endormi. Étais-ce là un message de la nature ? Tuer était dans l'ordre des choses, seuls les humains attachaient autant d'importances à l'interdiction de cette pratique de survie. Pourtant, chacun savait qu'il avait les moyens de détruire bon nombre d'autres personnes, et plus l'on prenait conscience de ce fait, plus la conscience s'élevait pour hurler.
Et personne n'aimait personne. Personne ne manquait à personne. Pourquoi même y penser ?
Il était dans la nature profonde de l'humain de semer destruction et désolation, pourtant il se cantonnait dans des dogmes vieux de plusieurs milliers d'années. Alors, pour passer sa frustration, il inventait des pratiques comme le sado-masochisme, le viol, le bondage. Mercedes laissa s'échapper un sourire. Elle ne ressentait aucun désir sexuel tant qu'elle pouvait continuer à satisfaire sa curiosité. Oui, l'homme aurait été voué à l'auto-destruction s'il ne s'était pas interdit de tuer son prochain pour mieux se reproduire. C'était l'avis de l'adolescente, il valait ce qu'il valait, mais elle était plutôt fière de ses déductions. Beaucoup étudiaient la façade de l'humain, celle qu'il avait façonné à travers les âges, développant des traits de caractères différents, pantin grotesque entre les mains des dix commandements. A présent, il était persuadé de faire le bien, ceux qui étaient frustrés n'étaient que des « anomalies ». On aurait jamais pensé qu'ils étaient simplement sensibles à leur nature.
Après cette pensée plus ou moins bancale, probablement causée par le mauvais temps et l'humeur massacrante de Mercedes, cette dernière songea un bref instant à jeter le cadavre du rat avant d'aller manger. Ces petites expériences lui avaient ouvert l'appétit, c'est pourquoi elle ne prit même pas la peine de s'occuper du corps avant d'attraper sa veste et de sortir de sa chambre, elle la ferma bien à double tour derrière elle. Ses docs martins montantes protégeaient ses mollets du courant froid qui passait dans le couloir, remué par les autres orphelins qui s'apprêtaient à aller manger, comme elle. Tout l'avantage de ce genre de chaussures, c'était qu'elle pouvait mettre ses mini jupes même en hiver, le tout avec des chaussettes montantes. Oui, elles étaient bien loin les réflexions philosophiques. A peine le seuil de sa porte franchi, Mercedes reprenait son rôle de jeune adolescente préoccupée par les superficialités. Pas besoin de se forcer, c'était un automatisme. Presque une double personnalité. Ses pas résonnaient sur la pierre quand elle descendit les escaliers, les mains dans les poches.
Le sol était glissant, vraiment glissant. Nombre d'enfants affamés exécutèrent des pas de danses improvisés afin de ne pas faire une rencontre forcée avec le sol. Mais les bonnes vieilles docs de Mercedes semblaient narguer toutes leurs baskets et autres escarpins, tandis qu'elle avançait sans faire attention aux endroits où elle mettait les pieds. Il fallait aussi dire qu'elle passait vite et bien, afin d'éviter tout contact inutile. Il n'y avait pas besoin de s'attarder ici. Et à force de ne pas prêter attention à son environnement, elle manqua de percuter un garçon affolé qui lui aussi semblait relativement pressé de rejoindre la salle du réfectoire. Elle l'avait vaguement vu frapper le mur sans raisons. Quel imbécile, s'énerver n'était qu'une perte d'énergie, surtout contre de la pierre.
Mercedes dévora son plateau avec avidité, au milieu de ses amies. Certaines parlaient des cours, d'autres des garçons, d'autres encore de L. Mercedes, elle, préférait manger, c'était moins fatiguant. Elle ne disait rien, plongée dans son activité, ruminant pourtant un bon nombre de pensées qu'aucun des orphelins n'aurait soupçonné.
I'll make the angel scream And the devil Cry.
La jeune femme aux cheveux azur leva les yeux et fixa la tête blanche de Near qui se découpait un peu plus loin puis celle plus blonde et dorée de Mello. Elle croqua dans sa pomme, Mello n'était qu'un imbécile, elle n'avait jamais vu quelqu'un d'aussi émotif, d'aussi impétueux, fougueux et impulsif. Elle espéra un instant qu'il mourrait vite de ses propres erreurs. Lorsqu'elle croqua dans sa pomme une nouvelle fois, un goût cuivré accompagna l'acidité habituelle du fruit. Suivie d'un picotement au niveau du pouce. Elle s'était mordue sans même s'en rendre compte. Le sang avait un goût si particulier, si amer et ferreux. Mais Mercedes aspira lentement sur sa plaie avant de poser une des serviettes du réfectoire par dessus, cachant sa main droite sous la table afin de cacher le petit accident aux jeunes filles qui partageaient son dîner. Ne pas parler, surtout pas parler. Le seul sujet de conversation futile qui lui vint à l'esprit fut les chaussures, c'était à exploiter au cas où l'une des autres demoiselles lui posa la moindre question. Répondre par « chaussure ». Mais, par chance sûrement, aucune d'entre elles ne pensa à se soucier de Mercy. Elles voyaient sur son visage que leur amie n'avait pas envie de parler ce soir, et elles respectaient cela. L'orpheline avait donc tout le reste de sa pomme pour se concentrer sur les deux pustules majeures des lieux. Near et Mello. Mello et Near. Si différents et toujours associés.
L'un luttait abominablement contre la connaissance pour battre l'autre. C'en devenait presque ridicule. Mais c'était sans doute sa vision de la survie. Mercedes l'enviait dans un sens, tant de volonté pour vaincre un autre humain, c'était peu commun. C'était même Mortel. Ses yeux s'illuminèrent un instant, mortel. Mello était si impulsif, peut-être que le désir de tuer son rival l'assaillait régulièrement. Peut-être qu'avec un peu d'aide il pourrait arriver au bout de ses envies. La vie était pleine de peut-êtres. Mais si seulement elle essayait, si elle se rapprochait de lui, le poussait à exulter ses désirs les plus sombres, peut-être que ...
« Mercy ! Il y a du sang partout sur ton plateau ! » S'écria une voix à sa droite, la coupant net dans ses pensées les plus noires. D'autres songes de ce types envahirent son esprit une fraction de seconde. La décapiter avec son plateau ? L'éventrer avec le couteau rond de la cantine ? Peut-être la massacrer à coups de pichets ?
« C'est rien je vais aller dans ma chambre je suis fatiguée. » Répliqua l'adolescente en se levant, plateau dans la main.
Il n'y eut pas de suites, elles avaient toutes enregistré l'information : Mercedes était dans une de ses journées noires, il ne valait mieux pas l'agacer. Lorsque les éléments se déchainaient, Miss Mercedes aussi était en ébullition, et ce n'était plus un secret pour personne. Elle que l'on disait douce et avenante devenait froide, distante ou incroyablement superficielle quand le ciel faisait ses caprices. Les ongles vernis bleus cherchèrent à ouvrir la porte sans succès. Elle se rappela alors qu'elle avait fermé à clef, il lui fallut donc quelques secondes de plus pour rejoindre sa tanière. La pluie battait toujours, formant une flaque sur le sol. Elle donna un coup sur le battant de la vitre, qui se referma net sous le choc. Elle n'arrivait plus à gérer ses pensées, elle en avait même oublié de fermer sa fenêtre. Mercedes pesta contre elle-même silencieusement, entre le coup de l'orage intérieur et celui de la morsure, il était clair qu'elle avait plus ou moins besoin de sommeil. Ou de remontant. La seconde option lui parut bien meilleure, tant pour se calmer que pour se dire: Je me contrôle.
Car dans la vie, pour chaque être, tout est une question de contrôle. Elle comprit que tout ce qu'elle avait fait dans cette journée, c'était écouter son « moi », plutôt que son surmoi. Les pensées enfouies au plus profond d'elles-mêmes étaient ressorties en vrac, dévoilant une partie de sa vraie personnalité. Et heureusement pour elle, personne n'avait été présent. Même en se faisant passer pour celle qu'elle était devant les autres, il y avait eu un changement très perceptible par tous. Elle se chercha une excuse pour le lendemain, qu'elle trouva aussitôt : le syndrome mensuel. C'était passe-partout, discret, et compris de tous. Parfait. Tout rentrait dans l'ordre et le contrôle revenait. L'orpheline avala quelques cachets avant de commencer à ranger ce qu'elle avait sorti pour ses expériences. Le poison qu'elle avait injecté au rat clapotait dans une seringue. Elle regarda un instant le liquide ambré puis en jeta le contenu dans une autre fiole qu'elle plaça ensuite au frigo. Elle nettoya le plan de travail très minutieusement, comme toujours. Pas une trace ne devait subsister. Pas une. Elle passa plusieurs couches de produits puis nettoya ses outils avec attention avant de les ranger à leur place habituelle, dans sa valise cachée sous son lit. Une fois ce « nettoyage de printemps » terminé, la jeune fille s'approcha de la cage et ouvrit légèrement plus les yeux. Le cadavre du rat avait été rongé par ses petits camarades qui étaient fort mal en point à leur tour. Ils avaient été punis de leurs gourmandise. Chaque péché capital était fatal, même la nature s'y mettait. Amusée, Mercedes jeta les corps et les recouvrit par la sciure dans laquelle ils avaient reposé quelques heures. Un éclair éclaira brutalement toute la chambre, exultant chaque détail du décor. Cet éclair fut suivi par un bruit assourdissant. Cette fois l'orage était au dessus de leurs têtes, il n'était plus question de pluie fraiche mais bien de torrents glacés. Plus personne ne rôdait dehors, pas une âme n'avait le courage d'affronter ce déchainement. Enfin, pas une qu'elle puisse connaître.
Dernière édition par Mercedes le Dim 28 Sep - 2:18, édité 1 fois
Invité
Sujet: Re: The notes of the Nightmare... Ven 5 Sep - 17:45
La jeune femme se laissa tomber sur son lit et prit son livre de sciences naturelles afin de réviser. Le savoir ne venait pas tout seul, il fallait le façonner, l'étoffer, l'étirer afin de bien l'assimiler. Lire plusieurs explications différentes et apprendre rigoureusement. La solution pour devenir L n'était peut être pas dans la reconstruction cellulaire mais peut-être dans la méthode d'approcher ces connaissances. Il fallait tout analyser, mot par mot, pour avoir le déclic. Elle s'y forçait, toutes ses capacités intellectuelles étaient exclusivement consacrées au problème posé. Ainsi, elle tuait l'ennui utilement. Les heures passaient, les pages se tournaient et l'adolescente ne faisait aucun bruit, ne s'autorisait aucunes pensées futiles ou sans rapport avec le travail. La concentration était une de ses armes les plus lourdes. C'était grâce à elle qu'elle arrivait à garder son rôle sans faillir – en temps normal- grâce à elle, encore, qu'elle pouvait se défouler complètement en peu de temps sur un tapis de danse. Elle n'avait plus de pensés parasites et était toujours plongée dans ce qu'elle faisait.
L'orage gronda à nouveau, et Mercedes sentit presque le sol bouger. Elle releva les yeux de sa feuille couverte de notes et referma son livre d'un coup sec. Il était temps de changer d'air, elle n'aurait pas tenu plus longtemps, il ne fallait pas se surestimer. Elle se rechaussa après avoir enfilé une paire de chaussettes longues jusqu'à mi cuisses, noires et une veste de cette même couleur, en cuir. Ses pas sonnaient creux dans le couloir qu'elle traversait. Il ne semblait d'ailleurs ne plus avoir de fin. Il lui fallait de l'air, et rapidement. Un cri perça alors le silence de l'orphelinat. Silence... Non, le bruit de l'orage berçait les lieux, mais c'était un silence humain. Il faisait sombre, et la jeune fille n'avait même pas pensé à regarder l'heure avant de quitter sa chambre. Qu'importait ? Le temps qui grondait au dehors l'appelait depuis le tout début. Son esprit avait beau se concentrer de toutes ses forces sur ce qu'il voulait, le besoin de sortir l'envahissait. La jeune femme ouvrit la porte et regarda le ciel torturé.
I'll make the angel scream ... And the devil cry.
Tout était en acier. Les nuages, la pluie, la pierre. Tout était froid, sans vie. Le crissement du gravier sous ses chaussures rappelait des ongles qu'on grattait sur une plaque en fer. Un temps parfait. Ses pas la menèrent lentement jusqu'à un carré de terre qu'elle connaissait bien. Tapi au fond du parc de la Wammy's house, elle ne l'avait vu que sous les rayons de la lune ou de la lumière diffuse des soirs de pluie. Comme dans toute vieille bâtisse, on avait l'ancien cimetière de la famille qui avait vécu là des générations et des générations. Les pierres étaient élimées, dévorées par le temps et l'érosion. La nature avait repris ses droits sur le lieu. De nombreux arbres cachaient l'entrée, c'était pour cela qu'on ne remarquait presque jamais cet endroit. L'herbe n'était même plus entretenue et les plantes poussaient à leur guise, comme pour engloutir les tombes à jamais. Mercedes ferma les yeux et alla s'asseoir contre SA pierre. C'était la sienne. Enfant, elle avait inventé une vie entière à celui qui reposait sous ses pieds. Il s'appelait William. Ce bon vieux William savait apaiser son cœur. Il ne disait certes pas grand chose mais était toujours à l'écoute.
« Bonjour William. »
S'ensuivit une longue discussion silencieuse. La pluie comme musique d'ambiance, lumières tamisées, ombres gigantesques, on se perdait soi-même dans le décor pour en faire partie intégrante. La jeune orpheline parlait ainsi des heures durant. Tantôt dans son esprit tantôt à voix haute. William l'entendant d'une façon ou d'une autre. Sa main parcourait la pierre rugueuse, comme pour se rapprocher de la mort. L'esprit s'apaisait, se relâchait, et elle pouvait enfin se détendre totalement. Le froid pour couverture, elle pouvait passer plusieurs heures assise sans bouger, regardant les arbres danser mollement dans le vent.
Une vraie vie sociale. Sans faux-semblants, sans miroirs. La jeune fille éclata d'un rire franc tant elle se trouvait étrange. La pluie venait mourir sur ses dents et rafraichissait sa langue, tandis que sa voix s'élevait dans les airs. Ni aiguë, ni grave, sans teinte particulière. La voix des anges. Mais cette même pluie se faisait plus disparate, et les bruits de tonnerre ne résonnaient que par intermittence. L'orage partait, l'euphorie avec lui. Il fallait rentrer. Il fallait dormir. Il fallait...
L'obligation. Encore une fois. Rien de plus terre à terre que l'obligation. Mercedes se leva et se dirigea à nouveau vers l'orphelinat, remerciant William de sa compagnie bienveillante. Un bruit éveilla son attention. Un bruit répétitif, aussi doux que le crépitement de la pluie. Mais il n'était pas naturel, il était provoqué par l'homme. L'adolescente recula de quelques pas et resta dans la pénombre, présente à chaque pas. Au loin une silhouette se découpait. Une silhouette courbée, claudicante et frêle. Presque un fantôme. Un nouveau rire naquit dans la gorge de Mercedes, mais elle le retînt. Il n'y avait décidément que les timbrés pour sortir à de telles heures sous l'orage. Pour une fois, elle était usée. Usée de jouer son rôle, et avec une personne comme le fantôme, c'était probablement inutile. Tout comme sa tante avant elle, Mercedes chérissait les esprits et les apparitions, sans pourtant y croire vraiment. Ses pas se firent légers, son souffle court, elle suivait de loin comme un prédateur. Une fois que la silhouette se fut engouffrée par l'une des entrées de la bâtisse, l'adolescente fit le tour du bâtiment et se faufila à l'intérieur par une autre porte. Ses grosses chaussures ne pouvaient faire des miracles, elle devait filer de loin.
Clac...Clac...Clac...
Comme on suit une luciole dans la nuit, Mercedes suivit les claquements réguliès de la canne sur le sol en pierre.
Clac...Clac...Clac...
Le couloir du réfectoire. Il fallait donc passer par le réfectoire en lui même avec toute la discrétion possible. Arrière du bâtiment.
Cette fois-ci, l'adolescente fit demi tour et emprunta le premier escalier qui venait en contre sens. Elle grimpa les marches à la volée. Il était temps de faire face au fantôme. Le surprendre peut-être ? Ses pas se firent audibles. Elle marchait rapidement, se rapprochant toujours un peu plus du claquement.
Hypnotisée par ton métronome Tu en casses les cordes de ton violon.
Clac...Clac.................
Rien. Il n'y avait plus rien. On l'avait entendue. Le fantôme avait senti sa présence, il s'était arrêté. Dégoulinant de pluie, Mercedes continua de s'approcher de la source. Plus qu'un tournant. Qui était cette forme ? L'avait-elle déjà vue ? Oui ? Peut-être ne l'avait-elle jamais remarquée... Sa curiosité émoustillait ses sens. Mais ce n'était pas une curiosité naïve ou excitée, c'était une curiosité poussée, une curiosité qui voulait tout savoir. Tout.
Une enfant. Une enfant terne, une enfant délavée. Comme une princesse laissée là depuis des centaines d'années, abandonnée de tous. La poussière couvrait ses cheveux, voilait son regard. Une toute petite princesse. Victoire. Il n'y avait pas meilleure prise. Le fantôme se balançait d'avant en arrière, complètement replié sur lui même. L'espace de quelques secondes, il n'y eut que le bruit de l'eau qui coulait de leurs deux corps. Enfin, Mercie s'approcha lentement et se baissa à la hauteur de la fillette. Son visage ne reflétait aucune expression. Il n'était qu'une longue étendue de vide lui aussi poussiéreux. Qu'importait, Ce n'étaient pas par ce biais que vivaient les réelles émotions. L'adolescente le savait, comédienne d'une vie, elle pouvait faire passer des sentiments qu'elle n'avait jamais ressenti. Alors il était si concevable que le fantôme ne sache pas comment exprimer les siennes, comme un parfait contraire. Si elle s'était arrêtée pour se rouler en boule, ce n'était sûrement pas par envie d'être remarquée, mais sans doute sous la terreur. La terreur d'un Autre, la terreur de ce qui n'était pas l'orage. Pour quiconque se serait arrêté sur son apparence physique, elle aurait paru effrayante plutôt qu'effrayée. Mais Mercedes était très bien placée pour penser que ce n'était pas l'habit qui faisait le moine. Elle ôta lentement sa veste en cuir et chassa les gouttes d'eau qui ruisselaient à sa surface avant de la poser sur les épaules de l'enfant. L'intérieur était chaud et sec.
La gamine la rassurait. Il existait encore des fantômes, des esprits. Ils habitaient un corps à leur mesure, et étaient des êtres vivants. Ils n'étaient pas humains. Ils ne voulaient pas détruire leur prochain.
Lorsque l'on trouve un diamant brut, il faut l'estimer à sa valeur.
Dernière édition par Mercedes le Dim 28 Sep - 2:18, édité 3 fois
Invité
Sujet: Re: The notes of the Nightmare... Dim 28 Sep - 0:57
Elle observe cette plume. Une plume noire. Noire et froide. Noire et ténébreuse. Comme la mort. Une plume enfermée dans son emballage transparent à la pointe taillée de façon à s’imbiber d’encre. D’une encre et noire, et froide, ombreuse. Comme la mort. Une encre qui trace des lettres calligraphiques aux courbes d’une beauté sombre et délicate, agréablement froide et ténébreuse. Comme la mort. Les courbes forment des lettres, les lettres forment des mots, les mots forment des vers et des proses. Poésie. Lyrisme. Profondeur du gouffre noir. Comme la mort. Elle n’aime pas ce vide, il la dénude de toute résistance, il l’agresse par son encre noire qui la caresse telle une plume. Ô comme elle voudrait fuir loin de lui, comme elle souhaiterait mourir pour fuir. Mais elle est déjà morte. Pas de joie, pas de tristesse. Juste le vide. Comme elle est seule, cette enfant, sans le moindre contact avec autrui, sans autre maintien qu’une canne de bois ! Seule contre le vide, seule contre la vie, si seule. Le rêve est un havre empli de douceur et de quiétude. Certes. Mais ce n’est qu’un refuge éphémère malgré le temps qu’elle voit passer en ce loin monde. Sait-elle qu’il existe un monde aussi chaleureux que son cœur est froid ? Aussi chaleureux que le papier fauve sur-lequel elle trace sa poésie ? Aussi chaleureux que cette plume, dehors, qui s’échappe d’un oiseau libre comme le vent et qui virevolte sur les pavés grisâtres de la ville ? Sait-elle que la porte de ce monde ne peut s’ouvrir qu’en elle ? Non, elle l’ignore. Elle ignore, mais elle l’a touché de ses mains autrefois pures comme celles des princesses, elle est née dans ce monde empli d’amour et de douceur, elle y a grandi. Et la princesse y est morte. Dès lors, elle erre tel un fantôme, pâle et froide. Et le piano joue inlassablement sa mélodie de la mort, inclinant ses touches nacrées comme appuyées par des doigts invisibles.
Abyss s’était dirigée vers la caisse, tenant la plume noire enfermée dans son emballage par le bout des doigts, le bras raide, s’appuyant de son autre sur sa canne. Arrivée devant le comptoir où personne ne payait ses achats, elle déposa son achat de sa petite main sous le regard suspicieux de la jeune caissière. Elle était bien jeune, cette enfant, pour rester seule. Bien jeune mais aussi très particulière dans son allure, effrayante même. Habillée telle une lolita en deuil, les yeux quelque peu gonflés par des cernes mises en évidence par un teint relativement pâle… Et puis sa canne, montrant une infirmité que toute mère aurait jugé comme étant une fragilité permanente dans la vie quotidienne. Mais elle restait seule chaque fois qu’elle venait afin d’acheter un ou deux produits. L’aura effrayante qui l’entourait était sans doute due à cette solitude qui la suivait dans cette boutique. La première fois qu’elle était venue ici, la caissière lui avait demandé si elle était seule ou si sa mère était dans les environs. Seul un regard lui avait répondu. Glacial. S’il n’en tenait qu’à elle, elle aurait insisté. Une enfant aussi jeune – elle semblait avoir à peine dix ans, cette petite, mais ses yeux indéchiffrables n’étaient que trop troublants – n’avait pas à être seule dans une boutique au beau milieu d’une ville. Pourtant, presque par réflexe, elle avait saisit l’achat de l’enfant puis, après un bip sonore, avait simplement articulé le prix, omettant sans s’en rendre compte le rituel « s’il vous plaît ». L’enfant sortit aussitôt les pièces de son porte-monnaie et les lui déposa. Elle les avait à peine regardé. Mais c’était la somme exacte. Depuis cette première fois, la caissière ne faisait plus aucune remarque à la petite sur sa jeunesse qui lui interdisait d’être seule, et se contentait d’articuler froidement le prix de l’article choisi par sa cliente qui sortait toujours la somme exacte de son porte-monnaie, comme si elle avait préparé le nombre exact de pièce pour un achat dont elle retenait le prix. Ce n’était pas le cas. Abyss ne s’embêtait pas à retenir des prix, elle ne prévoyait pas même ses achats. Elle savait juste les pièces qu’elle devait prendre et ses doigts les reconnaissaient au premier contact. L’habitude d’employer de la monnaie liquide, sans doute. Une fois sa plume payée – la caissière n’avait pas pris la peine de la mettre dans un petit sac plastique – l’enfant lui avait tourné le dos sans un mot. A côté d’elle, la caissière pourtant froide et sèche à son égard semblait grandement chaleureuse. A peine sortie de la boutique qu’une plume fauve avait virevolté sous ses yeux afin de se déposer sur son soulier droit. L’enfant s’était immobilisée. Elle avait regardé un instant la petite plume avant de courber sa nuque dans l’autre sens et chercher dans le ciel qui lui avait envoyé ce cadeau. Elle n’avait vu que des oiseaux de ville crasseux voler au-dessus des pavés et atterrir un peu plus loin, près d’une viennoiserie dont les clients avaient répandu les miettes près de l’entrée en mordant dans leur pâtisserie tout juste achetée. Cependant, la fillette s’était penchée en avant, avait ramassée la plume fauve et l’avait appuyée doucement contre la plume noire, un emballage en plastique transparent les séparant.
Cette couleur si chaude et rassurante lui rappelle des yeux dans lesquels elle a nagé dans son enfance. Des yeux emplis d’une chaleur, d’une douceur. Des yeux d’un autre monde, bien différent au monde royal dans lequel l’enfant a passé ses premières années avant de sombrer et mourir. Du sable tiède, des châteaux de bonté qui s’ouvraient si grands que leurs portes étaient larges comme le ciel. L’eau qui y sort est pure tel un océan mythique reflétant un doux soleil illuminant ces yeux d’une cascade d’émotions éblouissantes. Puis une pluie, agréable et fraîche, qui se déverse d’un rythme particulier dans l’océan. Certaines gouttes sont bruyantes, d’autres timides ; et toutes forment une mélodie qui, malgré les nuages blancs masquant le soleil, font briller ces yeux comme d’humide pierres précieuses car infiniment rares. Un paradis entier concentré dans deux seuls iris, dans un seul regard. Un paradis nommé Damase. Comme ces yeux manquent à l’enfant, comme elle aimerait revoir cette eau, et la boire, y nager ! Vivre avec le rêve qu’un jour, elle pourra revivre ce qui n’est plus que rêve.
Retournée dans sa chambre, Abyss avait observé les deux plumes. L’une élégante telle une Fleur, dotée du pouvoir de pleurer d’obscures larmes sur le papier ; l’autre libre et sauvage, chaleureuse, quelque peu ébouriffée, indomptable tel un fauve courant entre des flammes de ses pattes légères et agiles. Elle avait sorti un écrin argenté et les y avait déposées. Toutes les deux. Ensembles. Telles la mort et la vie.
Dreams are filled with life.
Son cœur battait, elle ignorait pourquoi. Elle se sentait relativement paisible, mais son cœur était affolé. Avait-il peur de l’encre qui tombait du ciel au-dessus de sa tête ? Avait-il peur de l’apparence de vide obscur que prenait le sol qu’elle foulait de ses pas ? Elle ne voyait rien d’autre que les étoiles qui tombaient avec l’encre noire, la même qu’elle employait dans son cahier à la différence près que celle-ci venait du ciel de la nuit, et que la nuit pleurait. C’était la première fois que c’était la nuit elle-même qui versait ses larmes, et c’en était fascinant. On avait l’impression que l’espace entier s’écrasait sur la Terre qui allait devenir le véritable centre du monde, un monde de vide. Elle tendit une main où atterrit aussitôt une étoile. Elle la regarda avec attention, émerveillée. Étincelante sans éblouir, des branches pointues sans faire de mal, un corps de cristal à travers lequel on ne voyait que du blanc. Magnificence. Elle tourna l’étoile dans sa main et aperçut une partie écarlate. Elle passa le doigt dessus, il fut peint en rouge. Elle le passa sur ses lèvres, elles furent caressées par une langues qui identifia du sang. L’enfant observa ses mains éclairées par l’étoile. Milles coupures les traversaient, mais elle ne sentait rien. Le sang commença toutefois à s’écouler entre ses doigts, elle en ressentit un étrange chatouillis. Elle saignait sans avoir mal. C’était bien la première fois. Elle leva les yeux au ciel. Elle avait toujours souffert sans jamais saigner, et voilà que les choses s’inversaient. Etait-ce cela qui affolait son cœur qui ne cessait de battre la chamade ? Les étoiles au-dessus de sa tête se décrochèrent les unes après les autres. L’enfant les regarda sans faire le moindre mouvement. Son cœur déjà affolé accéléra jusqu’à la faire souffrir, pourtant elle n’avait pas peur. Une étoile transperça son œil. Son champ de vision se réduisit alors, de façon bien familière. Elle se rappela le couteau, tranchant, effrayant, assurément fatal. Une étoile éclata son crâne. Elle sentit ses jambes lui échapper, et ce ne fut qu’à cet instant qu’elle remarqua qu’elle n’avait pas de canne. Etait-ce cette absence qui terrorisait son cœur ? L’absence de cette canne qui servait à l’enfant de tenir debout sans trop chuter ? L’absence qui commençait à l’envahir alors qu’elle sentait le vide sous sa joue ? La dernière étoile se décrocha du ciel noir. Les ténèbres forçaient sur ses paupières et lui murmuraient avec douceur de se laisser aller. Un liquide poisseux s’écoulait autour d’elle, l’image du sang lui échappa. Elle se sentait partir, comme attirée par un autre endroit, un autre monde qui serait obscur d’une autre façon, qui mêlerait la vie et la mort d’une autre façon, qui la chasserait d’une autre façon. Alors qu’elle closait ses paupières, la lune se décrocha du ciel.
Une immense tour s’élevait dans une plaine où régnait une lourde pénombre causée par de noirs nuages bas cachant entièrement le ciel. L’enfant se trouvait à son sommet, près des créneaux. A l’autre bout se tenait une sorcière. Grande, vêtue d’une longue robe noire, une immense chevelure obscure volant dans le vent trop chaud de cet air pesant, elle ressemblait à une femme quelque peu différente dans ses goûts mais finalement normale, néanmoins elle était sorcière. La fillette le savait. Elle le savait par sa façon de se tenir, droite et imposante, par son regard, tranchant et empli de l’assurance mêlée de méprise. Elle le savait, simplement. Elle esquissa un sourire d’où s’échappa des nuages de ténèbres et tendit une main. « Viens, mon enfant. » La petite restait sans réaction lorsque apparut une bien jeune princesse qui se mit à gambader en riant. La main maléfique fut tendue vers elle, et la petite demoiselle blanche cessa son rire cristallin. Ses bras tombèrent le long de son corps et, le regard hautement curieux, elle s’avança vers la sorcière qui lui offrait son plus beau et plus noir sourire. L’enfant à l’écart fit un pas en avant, mais la princesse ne la vit pas. Au contraire, elle accéléra même le pas, l’hésitation dans ses bras s’envolant peu à peu. La distance séparant la mort de la vie se réduisait considérablement. La fillette désespérée voulut courir, mais ses jambes se dérobèrent, son équilibre l’abandonna. Encore. Les pierres de la tour lui écorchèrent douloureusement les genoux. Elle redressa la tête, son cœur fou parvenant à guider ses émotions. Une terreur la submergea tandis que la demoiselle blanche tendait une petite main de déesse vers la mort dont le sourire s’élargit. L’enfant à terre voulut ramper vers elles, mais il était bien trop tard. Les mains se touchèrent. Abyss cria. Le piano, qui répétait sa mélodie angoissante, cessa. La tour et la princesse s’effondrèrent. La sorcière plongea en l’enfant.
The death is just a dream.
Dernière édition par Abyss le Dim 28 Sep - 1:09, édité 1 fois
Invité
Sujet: Re: The notes of the Nightmare... Dim 28 Sep - 1:00
Elle eut un violent mouvement de recul mais, étant dos à un mur, ce fut vers le côté qu’elle se hâta de se traîner. Dans le sens qui l’éloignait de cette apparition soudaine dans ce couloir revenu tout à coup. Quelque chose s’échappa de ses épaules. Son cœur lui transperçait les côtes mais l’Angoisse elle-même était plus forte que tout. Tremblante, elle jeta un coup d’œil à ce qui était tombé, gardant toutefois en vue l’être humain qui se tenait à sa hauteur. Un manteau ? Depuis quand avait-elle un manteau sur elle ? Elle se souvint alors de la pénétration brûlante de la sorcière dans son corps. S’il était possible à sa terreur de monter d’un cran, elle l’aurait fait. Mais elle était visiblement à son point culminant. Quant à l’Angoisse, elle lui faisait perdre la tête. La bouche entre-ouverte laissait circuler un souffle saccadé, ses épaules étaient raides et, durant l’instant où son corps tout entier avait souffert de la brûlure, son regard était passé du vide profond au trop-plein d’émotions tout aussi insondable. Autrui était là, devant elle. Il l’observait à travers des iris bleus. Un bleu différent du ciel, différent de la mer. Il semblait mêlé de jour et de nuit, nuancé d’un violet discret. Ce bleu se mariait avec un visage assez clair et humide encadré par des mèches trempées qui égouttaient de la pluie. Autrui avait été dehors récemment. Peut-être en même temps qu’elle. Peut-être l’avait-il espionnée, peut-être avait-il voulu l’effrayer pour la manipuler ensuite, peut-être, peut-être, peut-être… Autrui était un monstre, toujours ! qu’il soit fille ou garçon, enfant ou adulte, il était un monstre terrifiant ; que ses yeux soient bleus ou noirs, que ses mains soient menaçantes ou rassurantes, il était un monstre affreusement angoissant. Ici, Autrui était une fille, ses yeux bleus, ses cheveux également mais plus sombres, sans doute colorés par quelque liquide chimique. Ici, Autrui ne souriait pas mais ne fronçait pas ses sourcils non plus. Abyss baissa les yeux vers la veste de cuir, cette veste qui appartenait sûrement à cet Autrui, cette veste qui l’avait brulée dès le premier instant où elle avait touché ses épaules, cette veste qui avait glissé lorsqu’elle avait bondi aussi loin que le lui avait permis sa position assise et son équilibre facile nécessitant une canne. Sa canne ? Où était-elle ? L’enfant regarda autour d’elle, gardant toujours un morceau d’attention pour ce danger qui la terrifiait et chercha son bâton ciré luisant un peu plus loin. Il gisait au milieu de couloir, à plusieurs mètres qui lui semblaient immenses. Pire, Autrui se tenait entre elles deux. La fillette abandonna l’idée de marcher à quatre pattes jusqu’à son appui nécessaire à toute fuite, aussi grossière et ridicule fût-elle, et se décala de quelques décimètres encore, cherchant à s’éloigner du manteau brûlant et son possesseur. Son Angoisse ayant atteint son point culminant, l’enfant se sentait presque mieux que lors de la brûlure, alors que son cœur s’affolait autant, qu’il allait lâcher elle le sentait, et une douleur telle une aiguille lui transperçait ce muscle hideux qui la retenait à la vie tout en nourrissant l’espoir d’une mort organique et physique imminente. Le corps tremblant, la fillette attendait seulement, dans un vain espoir que cela se produisît, qu’Autrui se retirât et la laissât seule avec son Angoisse afin de la modérer. Mais Autrui et ses yeux bleus étaient encore présents, non loin d’elle, accroupis comme l’avait été le géniteur du manipulateur. A ce souvenir, Abyss se crispa. Elle oublia son cœur qui la traitait comme un martyr. Elle oublia les couloirs proches de son orphelinat. Elle oublia la pluie qui ruisselait sur les toits. Elle oublia le manteau et Autrui. Elle oublia tout. Et se souvint, et ressassa.
Iris bleus comme le ciel cachant à peine la lueur démoniaque qui y régnait. Sourire permanant sur des lèvres fines, visage calme d’une peau nette et ferme. Un idéal en vie, un cauchemar mortel. Idéal pour Autrui, cauchemar pour la fée déchue dont on avait arraché les ailes sans pitié, laissant couler des flots de sang, laissant s’écouler la vie. Et surtout, le chocolat que tendait l’homme aux iris venus d’un enfer voilé de bleu. Un chocolat enveloppé dans un petit papier rouge. Une menace. Poupée. Toute sa vie, elle n’avait été traité qu’ainsi. Une poupée qui, en regardant ses mains, ses pieds, sa tête dans un miroir, voyait des fils transparents en sortir et trainer sur le sol, des fils qui ne demandaient qu’à être saisis par des mains manipulatrices. Elle avait bien tenté de les tenir contre elle, en vain. Ces fils étaient toujours là, invisibles et éblouissants. Manipulation. Dès sa naissance, quand on lui avait donné un nom signifiant Espoir d’Etre. Un pourquoi était né, mais elle n’avait pu répondre. Pourquoi ce nom ? Pourquoi par quelqu’un qui la méprisait ? Espoir d’Etre. Puis plus tard, maniée comme on fait avancer un âne, avec le bâton et la carotte qu’il n’atteint qu’à l’arrivée alors qu’elle est toujours toute proche. Elle s’en était sortie de justesse. Enfin, envoyée de force ici par ce Démon aux iris océan et au corps empli de beauté et d’élégance, sans savoir ce qu’il attendait d’elle. Et cela l’effrayait. Allait-on se servir de son intelligence pour de mauvais coups ? Allait-on l’étudier après ce travail qu’elle ferait sur son QI jusqu’à sa majorité ? Allait-on se servir de machines et lui faire du mal à cause d’une odieuse curiosité typiquement humaine ? Ces idées la dégoûtaient mais, encore et surtout, la terrifiaient. Non seulement elle ignorait ce qu’elle était vraiment, mais de plus elle ignorait également ce qu’elle serait plus tard, lorsqu’elle s’en irait. Et rien ne pouvait la guider. Car elle n’était qu’une poupée. Une misérable poupée. Poupée…
Ce n’était pas la première fois qu’elle perdait le contrôle d’elle-même bien qu’elle n’eût jamais poussé de hurlement strident de terreur comme ceux qu’elle avait fait subir à tous ceux qui l’avaient tirée par le bras, la forçant à faire ce qu’elle ne voulait pas, la forçant avec toute la violence qu’elle ne pouvait supporter. Mais ce n’était pas la première fois qu’elle plongeait dans l’Angoisse, qu’elle éprouvait le besoin de se recroqueviller contre un mur et/ou de le toucher de ses mains, de les y appuyer, de l’explorer. En général, elle était dans sa chambre lorsque cela arrivait. Mais quelquefois, alors qu’elle était coincée dans un embouteillage d’un couloir, les contacts trop nombreux et violents avec Autrui se multipliant à lui en donner le tournis, elle se plaquait contre le mur le plus proche et, lorsqu’on ne la jetait pas sur le sol en la déséquilibrant ou en cognant sa canne, elle s’accroupissait et attendait, repliée sur elle, qu’Autrui se retirât. Quand Autrui l’observait derrière des yeux d’adolescente bienveillante lui tendant la main, elle fermait les yeux et plaquait parfois ses mains ses oreilles en appuyant de toutes ses forces. Une main sur son épaule ? Elle se jetait sur le côté en suant. Et voilà que cela se reproduisait. Mais rien, strictement rien n’avait éveillé cela. Rien sauf des pas ayant brisé sa solitude, les pas d’une seule personne qui ne semblait pas lui vouloir du mal. Sa phobie sociale était-elle si poussée ?