PUT41N D3 M3RD3, T'3S P4S CL34N T01 C4 S3 V01T. Fawkes saute sur les autres, avec ses manières passablement dégueulasses, sa sale habitude de toucher/lécher ses semblables. Fawkes, on ne l'aime pas, on la tolère. Ce n'est pas qu'elle soit foncièrement méchante non, c'est juste qu'elle fait un peu peur quand elle débarque comme un boulet de canon en gueulant VISITE DE ROUTINE et qu'elle se met à fouiller vos poches ou à vous questionner sur votre emploi du temps. Et si elle trouve que quelqu'un a l'air un peu louche, il faut se préparer à passer un sale quart d'heure. Parce que Bonnibel est du genre à traîner les suspects dans un endroit louche et les cuisiner jusqu'à ce qu'ils avouent.
Et personne n'arrivera à la faire flancher, Fawkes est la justice, elle en a rien à foutre de vos supplications, une mauvaise action mérite une punition, c'est comme ça. Pourtant elle n'est pas rancunière non, Bonnie considère juste qu'elle fait son travail, elle n'est pas cruelle, elle est juste pas très réaliste. Elle n'a d'ailleurs jamais été réaliste, plutôt du genre à croire que la justice peut triompher, et que le crime finira à agoniser dans une cellule humide. Fawkes vit dans son monde, un monde plein de saveurs, un monde coloré dominé par le code moral plutôt simple de Bonnibel : le crime existe, il faut combattre le crime. Armée d’une résolution en béton armé, elle fait ses tours de garde, observe, inspecte, renifle et lèche, persuadée qu’un criminel va se présenter au détour d’un couloir. C’est qu’elle est un peu parano parfois. Et si Fawkes est parfaitement apte à comprendre les motivations des autres et leurs sautes d’humeur, ça ne veut pas dire qu’elle sera indulgente, ça ne veut pas dire que la faute en est diminuée. Et elle ne s’en rend pas compte, mais rester enfermée dans son monde fantaisiste, à ne pas vouloir grandir et à faire la justice, ça l’éloigne des autres, ça creuse ce fossé qu’elle a de plus en plus de mal à franchir.
Fawkes aurait aimé être aveugle au fond. Cachée derrière ses lunettes teintées et son sourire, et son rire qui ne la quitte pas, Fawkes aurait aimé ne plus voir la crasse d’un univers qu’elle arpente comme une somnambule, meneuse tyrannique, justicière façon pile électrique. Avec son franc parlé et sa vulgarité, son attitude franchement chiante, on n’aime pas Bonnibel, on la tolère. Parce qu’on a l’impression qu’elle nous juge avec un sourire, et que rien ne la touche, rien ne l’émeut. Et c’est peut-être un peu le cas, parce qu’après tout la Justice ne s’embarrasse pas d’émotions.

Vous vous demandez qui est votre mère.
Vous n’aimez pas la lumière, ou c’est la lumière qui ne vous aime pas, elle ne vous a jamais chéri la lumière, quand bien même vous avez passé toute votre enfance dans le Nevada. Toujours elle a dédaigné votre peau la lumière, toujours vous êtes restée blanche et fade sous le chaud soleil américain. Vous vous appelez Bonnibel, et vous avez toujours apprécié ce prénom parce qu’il est différent, même si les autres avaient pour habitude de se moquer gentiment de celui-ci, parce qu’après tout il est bizarre, quelle idée d’appeler sa fille comme ça ? Oui, quelle idée d’appeler sa fille comme ça en effet. Peut-être que si vous aviez connu votre mère, elle vous l’aurait dit, mais vous avez vécu dans un foyer pendant les seize premières années de votre vie, alors vous essayez de ne pas trop vous poser la question. Vous avez eu une enfance comme celle de n’importe qui, hormis, bien sûr, que vos parents étaient absents. C’est du moins ce qu’on vous a toujours dit, et vous n’avez jamais vraiment cherché à creuser plus loin, pas par manque de curiosité, non, mais par désintérêt grandissant de votre histoire personnelle. Vous n’aviez pas de famille à vous, certes, mais en tant qu’individu vous existiez et c’était déjà ça de gagné.
Vous avez donc grandi dans un orphelinat jusqu’à vos seize ans. Vous étiez habituée à voir vos camarades partir vers un avenir meilleur, et ça ne vous faisait rien, parce qu’après tout c’était comme ça, vous n’étiez pas du genre à vous accrocher aux autres, et le fait que personne n’est jamais venu vous chercher pendant les dix premières années de votre vie ne vous a jamais inquiété plus que ça. Vous êtes et avez toujours été une pile électrique et vous fatiguiez vite tout le monde, tout le monde sans exception, même les autres enfants. Vous n’étiez pas insupportable, les autres orphelins vous suivaient souvent dans vos fantaisies, mais vous faisiez un peu peur, vous avez toujours fait peur. Vous avez toujours ri, vous ne savez pas pourquoi, au début un peu par désespoir d’être toujours seule parce qu’aucune mère ne s’est proposée pour vous, ensuite par amertume et habitude.

•••

Bonnie lisait. Elle n’était pas particulièrement attirée par la chose en elle-même, cet assemblage de mots ne l’intéressait pas à vrai dire, les figures de style et toutes ces conneries, mais le savoir qui découlait des livres la captivait. Sa culture littéraire se réduisait au strict minimum et elle s’en fichait, parce que lire lui permettait de s’évader. Et même, lire lui apprenait tout ce qu’il y avait à savoir. Bonnibel n’était pas le genre de fille à passer des heures à lire. C’était une enfant vive, plus à l’aise dehors à courir qu’enfermée dans une pièce à compulser des bouquins. On lui disait que c’était la clef du savoir, mais elle s’en foutait pas mal. Bonnibel lisait pour les dragons. Bonnibel voulait tout savoir des dragons. Petit à petit sa minuscule cellule se remplissait de peluches colorées de dragons, et elle adorait ça, comme elle adorait jouer avec celles-ci.

— M0NS13UR S0RB3T C1TR0N, V0US S4V3Z P0URQU01 V0US C0MP4R41SS3Z 1C1 4UJ0URD’HU1.

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— Bonnie, tu sais que je vais partir pas vrai ? Demain ! Je suis trop contente, je vais avoir une famille tu te rends compte ?? Avec une maman toute gentille et un papa et ils ont un chat aussi et ils ont l’air si gentils tu n’as pas idée !
Elle rit.
— Oui je sais ! C’est génial tu vas pouvoir vivre normalement maintenant. Avant d’être trop vieille, c’est chouette que quelqu’un t’adopte Marcy.
— Bonnie…
Ses yeux de cocker fixent à l’aveugle la couchette de sa compagne de chambre. Elle sourit sa compagne mais elle est déjà trop vieille à onze ans pour être adoptée. Personne ne veut plus des enfants à cet âge-là. Marcy est plus jeune, heureusement, et mignonne qui plus est, on la trouve chou avec ses yeux verts en amande et sa peau constellée de tâches de rousseur, sa moue joliment boudeuse.
— B0N C4 SUFF1T M41NT3N4NT M4D3M01S3LL3, C0NTR0L3 ! QU’4V3Z-V0US F41T D3 V0TR3 J0URN33 ?
— Bonnibel !
— P4S D3 P1T13, P4S M3M3 P0UR V0S B34UX Y3UX 3T L3UR D3L1C13UX P4RFUM D3 P0MM3 V3RT3 ! V0TR3 PYJ4M4 3ST D’41LL3URS S1 4C1DUL3 C3 S01R 1L 3ST G0UT FR4MB01S3 N’3ST-C3 P4S ?
— Bonnie. Arrête ça. Personne comprend rien quand tu pars dans tes délires, on dirait que t’es folle…
Silence déçu.
— Tu veux dire que—les couleurs. Elles ont, hum, pas de goût ?
— Non Bonnie, c’est juste toi qui sent ça !
— Oh.

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— Bonnibel, il faut que tu y ailles tu sais. La région n’a plus assez d’argent pour financer l’orphelinat. Tu seras plus proche des choses là-bas ! Bon bien sûr ce sera pas le grand luxe mais c’est déjà ça tu sais. Une grande ville, penses-y. Tu vas pouvoir découvrir des tas de trucs.
— Je suis bien ici merde, c’est pas Las Vegas et j’en suis bien contente.
— Bonnie… Tu sais que j’adorerais pouvoir rester avec vous, tu le sais pas vrai ? Mais je peux pas.
— Bien sûr que si tu peux.
— Ecoute, Bonnie, il faut que tu comprennes, s’il-te-plaît. Tu as treize ans et demi, tu commences à être grande pas vrai ? Il y a un moment où il faut regarder en face ses responsabilités, c’est ça être adulte tu comprends ? Peut-être que maintenant c’est compliqué mais après tu te rendras compte que j’ai fait ça pour ton bien.
— D’accord.
Et la petite orpheline si seule, elle rit.

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— Bonnie…
— PUTAIN DE MERDE, IL FAUT QU’ON SE TIRE D’ICI.
— Où ? On peut pas Bonnie, on est seuls. Toi, peut-être que t’as une idée, j’en sais rien, mais nous, notre bande ? On a personne Bonnie, on a nulle-part où aller que le foyer.
— MAIS SI T’EN AS RIEN A FOUTRE RESTE-LÀ, JE M’EN BATS LES COUILLES MOI. MOI JE ME CASSE.
— Bel, je-- jesais que c’est pas la joie ici, mais imagine autre part. Ca pourrait être pire. Il paraît qu’à Las Vegas, il se passe des trucs biens pires chaque nuit et--
—JESUS, BIEN SÛR QU’IL Y A TOUJOURS PIRE. ET ALORS ? IL N’Y A PAS QUE NOUS. IL Y A DES GOSSES ICI SCOTT.
— Je suis pas sûr que ce soit la bonne idée, ébruiter ce qui se passe ici. Faut qu’on se démerde mais on peut pas se tirer comme ça. Je sais ce qu’ils t’ont fait, ce qu’ils font à certains des autres mais—
— PUTAIN C’EST PAS CE QU’ILS M’ONT FAIT, C’EST PAS CA L’IMPORTANT !
— Et alors c’est quoi l’important, Bonnibel ?
— La justice.

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— Bonnibel, uhm, ce qui se passait dans ce foyer…
— HM ?
Elle rit, toujours, amertume, ses yeux façon naufrage cachés derrière des lunettes.
— C’est bien d’en avoir parlé. Les enfants vont être, uh, placés dans des structures plus sécurisées, plus sûres. Je, je suis désolée pour ce qui s’est passé.
— AU FINAL LA JUSTICE TRIOMPHE TOUJOURS HEHEHE !
— Oui, uh, oui, c’est ça.
Silence.
— Bonnibel, vous ne pensez pas que vous pourriez avoir un meilleur avenir ? J’ai vu que vous vous souciez beaucoup de la justice, et, uh, des autres, mais votre avenir, vous n’y pensez pas ?
— NON !
— Ecoutez, mademoiselle, il y a, un, uh, orphelinat particulier qui souhaiterait vous avoir pour, pensionnaires, vous voyez ?
— AH ?
— Et donc, hm, il faudrait partir en Angleterre est-ce que ça vous irait ?
— OUI BIEN SÛR ! L’ANGLETERRE CA SENT COMME DU CHOCOLAT A LA MENTHE HEHEHE !

•••

En regardant pour la dernière fois le continent où vous avez grandi à travers le hublot de l’avion qui vous emmène vers cet endroit inconnu qu’est l’Angleterre, vous vous demandez une dernière fois qui est votre mère. Mais après tout, pour faire la Justice, avez-vous vraiment besoin d’une mère ?