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 Purée de Patates

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Sujet: Purée de Patates Purée de Patates EmptyMar 19 Avr - 9:56

    Ouais c'est un truc tout con que j'ai écrit pour participer au concours postale Déclarez-vous en toutes lettres. J'ai gagné le prix régional mais pas de chance pour le national. 8D Et si c'est niais c'est normal.

      À Toi et aux Madeleines,

      C'était l'Espagne, c'était mon père. Il est le matin de midi, la chaleur humide, mon frère riant au cours d'une lecture, c'est aussi l'aîné, en statue grecque fumant à la fenêtre. Les Madeleines et le Chocolat chaud. Expérience quasi érotique, avant-goût d'un paradis calorique et d'un enfer acnéique. Je tendais des mains avides lorsqu'il me présentait la tasse ornée de roses, je restais bouche bée en l'admirant déposer une assiette garnie de six mousseuses, proche du platine liquide. Je finissais par le remercier à demi-voix et me laissais emporter par la conversation douce, paternelle et apaisante, propre à mon père détendu et brûlé par le soleil Tenerifien.

      Les Madeleines c'étaient les plus beaux présents à la rentrée des classes. C'est ma mère, un sourire galopin sur le visage, de la douceur de la voix et une caresse toute prête. Elle m'offrait une boîte de pur amour. Pour rien, comme ça, parce qu'elle en avait envie. Parce qu'elle m'aimait. Ainsi le meilleur moment de la journée était l'incessant aller et retour en voiture, le jean couvert de miettes, la bouche pleine de rire et la fenêtre ouverte qui laissait échapper de la rock music.

      Mais les meilleurs Madeleines, c'est toi, à mon chevet, toujours, au creux de ton torse, sous tes lèvres, dans tes bras.

      P.S : N'oublie pas les Madeleines, je t'aime.
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End
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Sujet: Re: Purée de Patates Purée de Patates EmptyMar 19 Avr - 11:15

Pure a écrit:

C'était l'Espagne, c'était mon père. Il est le matin de midi, la chaleur humide, mon frère riant au cours d'une lecture, c'est aussi l'aîné, en statue grecque fumant à la fenêtre. Les Madeleines et le Chocolat chaud. Expérience quasi érotique, avant-goût d'un paradis calorique et d'un enfer acnéique.


*______________*

Bravoo pour le prix, tu l'as mérité, j'adore tonn texte, vraiment bravo
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Sujet: Re: Purée de Patates Purée de Patates EmptyMar 19 Avr - 11:28

    Ah t'as pris mon passage préféré ! 8D Merci beaucoup ça me touche vraiment.
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Invité
Sujet: Re: Purée de Patates Purée de Patates EmptyMar 19 Avr - 11:43

    Krrr tu sais déjà ce que j'en pense. je savais pas si on avait le droit de polluer ton topic de commentaires de KIKOOBESTAAAAAH <333
    /sort
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Sujet: Re: Purée de Patates Purée de Patates EmptyMar 19 Avr - 11:50

    OHWI POLLUEZ-MOI !

    Merci !
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Invité
Sujet: Re: Purée de Patates Purée de Patates EmptyVen 22 Avr - 16:58

Gniiih c'est tout court mais superbe j'ai vraiment plonge dedans. Et puis j'aime ton style et comment tu joue avec les mots, tout en restant simple a la fois. C'est beau quoi. *w*
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Sujet: Re: Purée de Patates Purée de Patates EmptyVen 22 Avr - 17:38

C'est gentil merci. J'ai un penchant pour la simplicité, ouais.

8D
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Invité
Sujet: Re: Purée de Patates Purée de Patates EmptyMar 26 Avr - 17:02

La simplicité, c'est le bien.
Le passage cité par End est également mon préféré.
Court, certes, mais suffisant pour faire rêver. ~
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Sujet: Re: Purée de Patates Purée de Patates EmptyMar 26 Avr - 17:54

    wub



    (nuff said)
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Sujet: Re: Purée de Patates Purée de Patates EmptyMer 11 Mai - 1:08

    Vos commentaires m'ont beaucoup touchés, merci ;o; Je mets l'histoire d'un de mes persos, histoire qu'on sache que je ne fais pas que des pures.


      Il y a un type comme moi dans chaque bar où vous avez pu vous rendre, je suppose. Celui qui finit toujours par repartir avec une fille, avec cet air d'habitué tranquille mais aimable. Malgré ma nature on me déteste pas, pas plus qu'on ne me connaît vraiment. Je crois qu'on peut me définir comme un sacré connard, de ceux qui vous pique votre copine avec un air désolé, les mains dans le dos, tandis que secrètement j'exulte de vous avoir mis dans la merde. J'ai été voir un psy un jour, je m'ennuyais un peu je dois dire, tellement que dépenser cinquante euros pour m'écouter parler m'avait semblé raisonnable. Sur le coup j'ai été un peu déçu, je sais bien qu'il y a une saleté de complexe d'Oedipe là-dessous, qu'avoir grandi sans père est une explication. En revanche j'ai pas vraiment l'impression de manquer de confiance en moi, sinon comment expliquer ma popularité ?

      Quand j'étais gosse, qu'on pouvait encore laisser traîner ses gosses dehors en soirée je veux dire, j'étais petit et blond et je ne me souviens pas avoir été martyrisé par les caïds du coin. J'ai pas dû emmerder grand monde non plus. Peut-être que deux glands dans toute mon existence m'ont traité de bâtard ou de fils de pute, mais c'était plus pour la forme que pour énoncer une quelconque vérité, j'imagine. Je vais quand même pas aller faire chier les gens parce qu'ils m'ont insultés y'a des lustres et leur mettre sur le dos un traumatisme à la con.

      En parlant de truc à la con, je voulais vous dire aussi. Je suis italien donc j'ai vécu toute ma vie dans la botte européenne. Alors de base je ne parlais que l'italien. Alors qu'est-ce qui m'a amené en Norvège ? La recherche de mon paternel. Ouais je sais ça fait un peu roman de gare. Mais à la mort de ma mère, alors que je vivais encore chez elle, j'ai pété un plomb, j'ai fait mes valises et j'ai pris l'avion. C'était la première fois. Le plus loin où j'avais jamais été c'était à Ostia, en voiture, avec maman et l'un de ses copains. Alors l'avion, croyez-moi, à vingt-quatre ans, c'est pas que ça impressionne mais on se sent un peu con : vous connaissez l'apparence de l'engin, l'ambiance qu'il peut y avoir lors qu'un crash aérien, tout ça grâce aux films. Et puis un jour, l'air de rien, vous grimpez dedans et découvrez que vous ne savez rien de la vie, ou presque. L'odeur des sièges, le sourire des hôtesses, le moment de gêne lorsque quelqu'un a pris votre place par erreur.

      Le ciel gris et aveuglant, l'odeur de la neige, le vent bref et sec. J'arrivais à Olso avec un immédiat regret. M'enfin y'avait des filles, au moins. A croire que les stéréotypes étaient fait pour attirer les touristes : elles n'étaient pas plus ou moins belles qu'ailleurs, ni plus dévergondées. Peut-être plus souvent blonde. Un blond froid, comme le paysage, comme les routes, comme le lycée où je me suis rendu pour le premier entretien d'embauche de toute ma vie.

      J'ai jamais tellement fantasmé sur les lycéennes quand j'y pense. On aurait pu croire que m'embaucher dans un tel endroit serait comme ouvrir grand la porte de la bergerie au grand méchant loup. En fait non. J'avais envie de faire bien mon boulot, d'apprendre à des gosses à cuisiner autre chose que des pâtes et de leur éviter d'être dépendant du micro-onde. Étrangement ça m'a bien plus d'enseigner.

      Et puis quand je dis que je suis parti sur un coup de tête, en fait, c'est pas tout à fait vrai. Depuis quelques temps j'apprenais, enfin presque, le norvégien, avec une étudiante native. Relation purement professorale qui se finissait parfois en une relation purement sexuelle. M'enfin. En gros je lui avais demandé de m'apprendre le vocabulaire de cuisine et de vie courante. J'avais pas envie de me faire chier. À l'origine je pensais peut-être rester là-bas genre deux mois, me faire embaucher sur le pouce dans un resto à la con. Et puis je suis tombé sur l'annonce. Ils m'ont contacté, et puis des fois être italien ça aide, très intéressés et je suis parti immédiatement.

      Enfin bref. On s'en fout limite. Quoiqu'il en soit je me suis retrouvé devant une bande de moches, en tablier dans un ancien labo de chimie réaménagé, à essayer de leur faire différencier leur trou du cul d'une spatule en bois. La seule chose qui m'impressionnait était qu'on dispense des cours de cuisine au lycée, en fait.

      Enfin quand je dis la seule chose, c'est faux. Y'avait une fille, avec des airs de chienne en chaleur, qui me tournait autour. Je ne sais pas ce qui m'étonnait le plus : qu'une gamine puisse s'intéresser à moi ou qu'on puisse être aussi vulgaire si jeune. Non, je n'ai pas couché avec. J'avais besoin de ce boulot. Et puis mineure quoi. C'est un peu sale en fait, je trouve. La brunette a fini par abandonner et alors que je me sentais pousser des ailes et que je m'attendais à chier une auréole, Yuui m'est apparu.

      Tiens, au fait. Concernant mon père, je me suis rendu à l'unique adresse que j'avais obtenu, après moult débats avec ma mère. Avant cela je n'avais jamais eu le courage d'envoyer ne serait-ce qu'une lettre et me voilà avec une photo niaise à la main en train de toquer à sa porte. En fait non. C'était pas lui. Je n'ai jamais retrouvé mon père. Je ne sais pas s'il est en Norvège ou pas, s'il est marié ou pas, si j'ai des frères ou des soeurs, si j'ai raté quelque chose quand il est parti, ou pas. J'ai pas vraiment abandonné, je l'ai jamais vraiment oublié. Il était toujours là, dans un coin de ma tête, ce foutu père auquel je ressemblais sûrement. Et bizarrement je n'étais pas vraiment surpris quand j'ai décroché et que c'était lui qui me causait, qui m'expliquait, qui s'excusait.

      Pourtant y'a des choses qui ont changées, par la suite, comme si on m'avait repris quelque chose que je croyais acquis. Je me suis senti seul et oublié, perdu et inutile. Le don que je taisais depuis si longtemps, que j'avais appris à juguler, à brider, explosait à intervalles irrégulières et dangereuses. J'ai convaincu mon voisin bruyant de se tuer. Enfin je crois. En tout cas j'y pensais souvent, très fort et je sentais parfois le don s'échapper, comme de la fumée sous une porte. Alors je restais immobile, silencieux, ma clope à la main. Et quand je l'entendait roter au milieu de son salon je respirais à nouveau. Mais un jour j'ai été tranquille dans mon appartement miteux aux murs en carton. J'ai regardé l'ambulance partir par la fenêtre de ma cuisine. J'ai rendu un élève muet aussi. C'est qu'il avait une voix terrible le gosse et qu'il causait toujours avec son binôme, au volume maximal. Après ça a été mieux, j'ai retrouvé ce vieux bracelet, grisé par le temps et tout s'est calmé. Comme si tout cela n'avait été que malheureuse coïncidence.

      Et puis, quand Yuui est entrée dans ma vie, dans ma salle de classe pour la première fois, le jour de mes vingt-cinq ans, le détournement de mineur ne m'a plus semblé aussi sale. Ca m'est pas venu comme ça. C'était pas conscient non plus. J'ai simplement fait attention de garder mon bracelet, quitte à passer pour une pédale ou une saloperie de surfeur. Et je me suis débrouillé pour l'avoir. Et je l'ai eu. Et j'ai jamais été autant heureux d'avoir une fille.

      J'avais pas besoin d'aller voir ailleurs. J'avais plus besoin de ma mère. J''avais pas besoin d'avoir d'amis. Je n'avais ni à me justifier, ni à me défendre, ni même à mentir. Elle était à moi.

      On a vécu comme un gentil petit couple des éditions Harlequin jusqu'à ses vingt ans, où je l'ai ramené en Italie. C'est vraiment la merde comme âge. Je sentais qu'elle m'échappait, qu'elle devenait femme et donc indépendante. Là j'ai joué au con, je l'ai trompé, par paquet de cinq. Je l'ai laissé croupir dans notre appartement pendant deux jours, une fois, aussi. Enfin bon, je pensais pas qu'elle se laisserait crever de faim. Et puis un jour j'ai balancé mon bracelet, dans un élan de pure colère. Jamais je n'avais ressenti un telle frustration, une telle envie de briser quelque chose entre mes poings.

      Je me souviens de ma mâchoire crispée, au bord de l'explosion. L'odeur du café. Son regard apeuré, presque animal, sa voix qui montait dans les aigus tel une sirène d'alarme qui résonnerait longuement en moi.

      J'ai fait des conneries. Mais ça n'allait pas. Au boulot on me reprochait mes retards, mon comportement à l'égard des élèves. Je les ai royalement envoyé chier et me suis retrouvé au chômedu. Alors quand je rentrais et que la voyais me couvrir de son regard paniqué mais aimant, ça me mettait hors de moi. Une partie de moi avait envie de la prendre dans mes bras et l'autre de lui fracasser le crâne contre le mur. Je n'avais pas envie que la gamine que j'avais ramassé au bac à sable me fasse remarquer ma médiocrité. Je la faisais souffrir, comme pour prouver qu'il me restait de ma superbe. Comme un vieux con qui fait du skate pour prouver à son rejeton qu'il est branché, lui aussi. Et qui se vautre comme je me suis vautré.

      Je ne sais pas quand est-ce que l'inception a commencé. Peut-être la première fois que je l'ai prise violemment, comme si chaque coup de rein enfonçait l'idée plus profondément dans sa fragile psyché. Je lui étais devenu indispensable. Grâce à cela j'ai pu la garder à mes côtés pendant trois années. Trois années au bout desquelles elle disparu. Simplement. Sans un mot. Sans avertissement. Et je me suis retrouvé seul.

      J'avais trente-trois ans. L'âge où mes copains de lycée et de fac' se mariaient, avaient des enfants. J'étais putain de vieux et j'étais putain de seul au monde. Ca a été une période trouble, sale, malodorante. J'ai essayé des trucs pas nets. Ce genre de truc que les parents craignent pour leur enfant. Mais j'étais seul alors tout le monde s'en foutait. Et puis un jour où je me regardais dans la glace, moi vieux machin de presque quarante piges, encore beau gosse mais complètement à la ramasse, on m'a appelé.

      Harper était un vieux pote. De ceux que vous pouvez appeler en pleine nuit et qui viendra direct vous aider à enterrer le corps. Il m'a dit qu'il avait croisé Yuui, dans ce sale pays humide, et m'a demandé des nouvelles du couple que nous formions il y a de cela des années lumières. Ca m'a frappé, là, au creux de l'estomac. Qu'étais-je devenu pendant ces cinq années sans elle ? Avais-je cessé d'exister dès lors que son regard ne se posait plus sur moi ?

      — Au fait. Ils cherchent un prof' de cuisine. C'pour ça que j'ai pensé à toi, comme j'ai été refusé, tu vois.

      — Merci. J'arrive.
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Sujet: Re: Purée de Patates Purée de Patates EmptyLun 5 Déc - 14:54

    L'amour sans éternité s'appelle angoisse : l'éternité sans amour s'appelle enfer.


    Je me suis réveillé au bout de seize ans d'existence. Après un immense silence, enveloppé dans un cocon de morphine, j'étais resté, jusqu'à lors, comme étranger à la vie. J'avais déjà ris, pleuré, hurlé ou gémis mais je ne pouvais prétendre être vivant. J'aimais ma famille, je m'éduquais en classe, je grandissais auprès de mes amis mais rien ne semblait devoir durer. Dès l'âge de raison je m'étais décidé. J'avais choisi mon instant, mon petit instant choisi c'était la date de ma mort. Je ne voyais aucune tristesse à me donner la mort le jour de mes dix-huit ans. Il me paraissait tout simplement aberrant que ma vie puisse perdurer au-delà. Cela doit sembler fou, surtout expliqué d'une telle manière. Mais je n'avais ni but, ni rêve d'avenir, aucune aspiration. Je n'attendais rien de particulier de mes jours, je pensais pouvoir en faire le tour au bout d'une petite vingtaine d'année. Ce n'était pas triste, non. Si la fin de l'espoir est le commencement de la mort peut-être ne suis-je jamais réellement né.

    Le jour où je me suis projeté, pour la première fois, dans le futur, j'avais donc seize ans. Je me suis vu, vingt ans plus tard, marié, peut-être avec un enfant, avec une barbe ou les cheveux longs, en costume ou en uniforme, avec une bague en argent ou en or autour de l'annuaire. Une simple vision m'a ouvert l'avenir et une terrible douleur, véritable naissance, s'abattit sur moi. C'est donc vrai que tout le malheur des hommes vient de trop d'espérance. J'ignore ce qu'est vraiment le Lien ou le coup de foudre. Je suis tombé amoureux par faiblesse, contre nature. Parce que, seul, j'étais enfermé en moi-même et qu'elle pu m'ouvrir à un monde qui me semblait beaucoup, beaucoup trop cruel. Je ne prétends par la connaître entière, ni même que je l'aimerai pour toujours. Ce dont je suis persuadé c'est de maintenant. J'aime Amélia, je la chéris de toutes mes attentions. Souvent maladroitement. Et, autant que ce soit possible, je la protégerai des blessures du monde.

    Est-il possible que je n'ai pas été totalement humain ? Je me souviens de mes peines passées, de blessures enfantines qui me faisaient geindre au creux du torse paternel. Pourtant n'ai-je pas été d'avantage touché lorsque, recalé aux Beaux Arts, je sanglotais dans les bras de ma femme ? Je sentais la peine, semblable à une blessure physique, glacée, s'écouler en moi et glisser sur Amélia dont les pores avalaient goulûment mes amertumes. Je veux bien qu'elle me rende meilleur mais j'aurais également préféré ne pas être trop humain.

    *

    Elle est belle nue, comme vêtue. Je ne suis pas Pablo Nerruda, je ne peux réécrire une Ode à une beauté nue sans raturer l'équivalent d'une forêt du nord. Et puis comment décrire ce qui est plus un sentiment qu'une sensation ? Les lettres se foutent de moi. Il n'y a plus qu'une chose à faire : se lever. Pourtant je m'attarde, je parcours son dos du regard. Son oeil bleu m'observe par dessous ses cils. Tricheuse.

    Devant le miroir, à poil, je m'interroge. Ma peau devient-elle ce qu'elle n'est pas, sous ses doigts, ou reste-t-elle un peu sèche et irrégulière ? Fronçant mes épais sourcils noirs je murmure à mon reflet : t'en fais une sacré gueule mon pote. Mon front se plisse, faisant apparaître trois lignes ondulées. J'écarquille les yeux. Elles disparaissent. Je me tire la langue. Mes yeux sombres ne reflètent pas grand chose. Elle entre dans la salle de bain, je le vois dans le miroir. Et je vois aussi, juste un instant, que c'est seulement à ce moment là que mes yeux expriment autre chose que de la débilité. Petite chose, elle m'entoure de ses bras et enfouit sa tête entre mes omoplates. Que ça doit être étrange, comme sensation, que de s'enfoncer entre deux os et dans une chaire un peu molle, chaude et à peine lisse. Je passe ma trop grande main sur ma joue l'air un peu dégoûté de tant de pilosité. Sa main, caressante, rejoint ma pogne.

    — Ca te va bien, la barbe.

    Je suis trop démesuré par rapport à elle pour qu'elle maintienne sa position trop longtemps. Mais peu importe, son corps s'imprime en moi, il laisse une trace au creux de mon dos. Je souris.

    *

    L'entretien promet d'être long et je m'ennuie. Pourtant je reste poli. Pourquoi ? Il me faut cet emploi, maintenant. C'est la deuxième fois que j'échoue aux Beaux-Arts. Mon père avait raison de me faire faire l'école normale. Que serai-je devenu, sinon ? Peintre maudit ? Ridicule.

    — Vous êtes en Suède depuis combien de temps ?
    — Toujours. Mes parents se sont liés ici et ils ne sont plus repartis.

    Et si Amélia trouvait son Lié, genre demain ?

    — Avez-vous de l'expérience dans l'enseignement ?
    — Malheureusement non, comme l'indique mon CV, mais je suis issu d'une famille... euh... disons... nombreuse. Nous sommes huit enfants.
    — Fabuleux ! Une bien grande famille... Vous êtes l'aîné ?

    Et que se passerait-il si je trouvais mon Lié ?

    — Non, le second. Mais le premier est décédé.
    — J'en suis navré...

    Ah bon ?

    — Je vous remercie. Comme je le disais, étant issu d'une famille nombreuse j'ai l'habitude de m'occuper de jeunes enfants et d'adolescents. Il me serait réellement agréable d'enseigner au sein de votre établissement. Mais si mon Cv ne vous convient pas...
    — Et bien je dois avouer... mais... Il paraîtrait que vois ayez des capacités, disons, innées pour les mathématiques ?
    — C'est totalement faux, désolé.
    — Ah...

    Est-ce qu'elle resterait avec moi ou partirait avec son Lié ? Et moi, qu'est-ce que je ferai ? Qu'est-ce qui compterai le plus ? Et pourquoi le directeur regarde-t-il ses papiers d'un air gêné ? quelque chose m'a échappé. Il faut que je me souviennes.

    — Les tests n'ont rien révélés de particulièrement extraordinaire. Mon QI est dans la moyenne. Je reconnais être dyslexique et avoir tendance à être déphasé mais je dois également admettre être doué et aimer l'arithmétique.

    Et là il va te demander une démonstration, tu vas obéir, faire une allergie à a craie et avoir le job. Bien.

    *

    — Dites, la bague à vot'doigt, c'est une alliance ?
    — Oui. Je suis marié.
    — Oooh ! Et vous êtes liés ?
    — Non.
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Sujet: Re: Purée de Patates Purée de Patates EmptyLun 5 Déc - 15:43

gniii du coup j'ai tout lu ce que t'avais mis, j'ai particulièrement aimé l'histoire du bonhomme inconnu. D8 sérieusement quoi, des fois j'ai envie que y'ai que des fiches comme ça (mais les gens je dis pas que vos fiches sont nulles ou quoi ! enfin là avec ce que j'ai vu aujourd'hui je me dis que le monde humain est bien fade c'est tout)

Bref ouais, le type est sombre, sans être surfait quoi. J'imagine Fiamou qui fait que des Pure, laul, DES PURE PARTOUT, SUR TOUS LES FORUMS. Ca me rappelle quelqu'un ça. *tousse*

Bref non, je kiffe.

Et quant au truc de Soulmates j'ai bien kiffé aussi, j'adore la fin, c'est tellement...enfin...ça fait rire tristement tsé, enfin bref, moi je dis MOAR D8
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Sujet: Re: Purée de Patates Purée de Patates EmptyLun 5 Déc - 23:36

Pure a écrit:
    L'amour sans éternité s'appelle angoisse : l'éternité sans amour s'appelle enfer.


    Je me suis réveillé au bout de seize ans d'existence. Après un immense silence, enveloppé dans un cocon de morphine, j'étais resté, jusqu'à lors, comme étranger à la vie. J'avais déjà ris, pleuré, hurlé ou gémis mais je ne pouvais prétendre être vivant. J'aimais ma famille, je m'éduquais en classe, je grandissais auprès de mes amis mais rien ne semblait devoir durer. Dès l'âge de raison je m'étais décidé. J'avais choisi mon instant, mon petit instant choisi c'était la date de ma mort. Je ne voyais aucune tristesse à me donner la mort le jour de mes dix-huit ans. Il me paraissait tout simplement aberrant que ma vie puisse perdurer au-delà. Cela doit sembler fou, surtout expliqué d'une telle manière. Mais je n'avais ni but, ni rêve d'avenir, aucune aspiration. Je n'attendais rien de particulier de mes jours, je pensais pouvoir en faire le tour au bout d'une petite vingtaine d'année. Ce n'était pas triste, non. Si la fin de l'espoir est le commencement de la mort peut-être ne suis-je jamais réellement né.


    GPOY


    C'est vraiment agréable à lire. Je me régale.
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Sujet: Re: Purée de Patates Purée de Patates EmptyMar 6 Déc - 9:45

Je. Franchement je vous remercie. Ca me fait vraiment très très plaisir que ce soit vous deux qui aient commenté en premier de façon positive. MERCI D8
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Sujet: Re: Purée de Patates Purée de Patates EmptyMar 6 Déc - 18:27

wub wub wub wub wub wub wub
Je t'aime.
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Sujet: Re: Purée de Patates Purée de Patates EmptyMer 7 Déc - 10:50

    LÈVE TOI ET MARCHE.

    Le temps ne s'arrête pas. Les battements du coeur ne vont pas jusqu'à occulter le monde. C'est bien dommage, mais pour dire vrai, c'est l'inverse. Tout va trop vite, le corps explose en protestations et souvent une seule pensée tourne en boucle dans l'esprit aliéné : COURS COURS COURS. C'est une fuite en avant et une bataille perdue d'avance. Il y l'obstacle de la chair et des muscles mais surtout ce trou du cul de Oslo qui vous projette du sable à même la tronche. Vous vous retrouvez à crachez vos poumons en deuxième place alors que vous avez fait le meilleur départ.

    Et c'est seulement à ce moment là que vous sentez que quelque chose de vrai remue en vous, quand tout s'efface justement parce que vous devez reprendre votre souffle, accroupi comme si vous vous apprêtiez à chier sur la piste. Le sang bat sur votre nuque, la gorge brûle et vos muscles mis au supplice un instant grincent d'aise en se relâchant. C'est la meilleure des dopes, celle qui fait planer le plus loin et prévoit un atterrissage en douceur. Il faut boire maintenant.

    Joseph nous intima de nous placer dans nos couloirs respectifs puis engueula consciencieusement Dakar qui avait retiré le haut de sa combi sous prétexte qu'elle le moulait trop et lui donnait un air pédé.

    — Vous avez tous des allures de pédé, t'es tout à fait à ta place.

    C'était pas faux. Le lycra moulait jusqu'à leurs poils de bite. Même si on leur avait demandé de s'épiler, histoire de gagner quelques secondes, les mecs avaient refusé. Sauf moi, ce qui avait eu un grand succès dans les douches. On était six, j'étais celui qui en voulait le plus. Je pardonnais jamais à celui qui me volait la premier place de l'essai du jour et bien souvent c'était Oslo, le mec énorme, blond, imposant et accueillant comme une porte de prison. On était six. On était comme des frères.

    On a tous été abandonné peu après notre naissance, on a grandis dans des familles d'accueil qui voulaient pas vraiment de nous. Ou qui nous ont un peu trop aimé, comme le père de Malte qui venait le voir chaque soir dans son lit. Moi je crois que j'ai toujours été là, déjà là à l'époque de la mère de Joseph et Barney, la fondatrice du centre, avant qu'elle ne meurt à moitié folle et laisse la place à ses fils.

    Au début c'était un orphelinat comme les autres. Peut-être plus petit, et même assez minable, cassé entre deux immeubles du centre de Bath. Et puis quand les fils Peterson ont repris le taudis, ils ont décidé de faire des pensionnaires de grands sportifs. Et comme Oslo, Dakar, Malte, Cali, Boston ou moi étions trop cons pour prétendre à un sport d'équipe, ils ont choisi le sport qui demandait le moins de neurones : l'athlétisme. On avait tous entre quatre et sept ans quand on a commencé. Ca nous semblait normal, pas vraiment une vocation mais personne ne pensait à protester. C'était aussi naturel que de couleur un bronze : le matin, en semaine, on se levait à cinq heure pour aller jogger, puis on prenait un petit déj' hyperprotéiné et on partait en cours à la middle school de quartier où on restait entre nous.

    Alors c'était pas à la veille de mes quatorze ans que j'allais me remettre en cause. Pour moi, la course, c'était tout. C'était ma façon penser, de manger, d'évacuer, de fuir et d'aspirer. Parce que c'était, il me semblait à cette époque, le seul moyen de dégager de ce trou. Je rêvais de gloire, de terre battue, de foule et de médailles. J'ai jamais trop su pourquoi. Un con de psychologue me dirait sûrement, petit, c'est normal, t'as été abandonné alors tu cherches à attirer l'attention. Peut-être. J'en suis pas trop sûr. Ce dont je suis sûr c'est que je hais les psys.

    Joseph nous a ramené au bus pour rentrer au centre histoire qu'on prenne une douche. Bon Dieu ce que ce bus pouvait m'évoquer l'enfer. Il y avait dix places. On était six. Et on sentait la mort. Il s'est mis à pleuvoir et j'ai senti une crampe dans ma jambe, ce qui m'a étonné dans la mesure où je buvais tellement que je passais le plus claire de mon temps à pisser. Me suis massé, c'est passé, j'ai oublié.

    Barney nous attendait avec une gueule de mec qui a pas chié depuis plus d'une semaine. Pendant un moment on a flippé, on a cru qu'il avait trouvé les revues pornos cachées dans le buffet.

    — Bon les merdeux. Y'a un mec qui a appelé.
    — Ah ça doit le macro de Sarajevo.
    — Ou plutôt le père de Dakar qui propose de l'échanger contre des chameaux.

    Barney a même pas sourcillé.

    — C'était l'entraîneur de Usain Bolt.

    Dakar, qui avait décidé d'étrangler Cali lâcha un "quoi ?" tout à fait à propos et, parce que je m'étais contenté d'adresser un doigt à Boston, lui ai filé un coup de coude bien senti et une réponse :

    — Berlin, neuf secondes cinquante-huit, merdeux.

    Y'a eu un silence. Le mec avait entraîné Hines quand il était gosse. Et il arrivait demain pour nous entraîner, nous. Bénévolement.

    — Z'avez intérêt à être sages, les connards.

    Dakar et moi on s'est lancé un regard entendu, les lèvres déformées par le même rictus moqueur. Les trois autres ont ris comme des veaux. Je sais pas si un mec qui est né dans une famille lambda, qui mange chaud trois fois par jour et à qui on offre une console de jeux à chaque Noël peut vraiment comprendre l'émotion qui nous a traversé. Quelqu'un s'intéressait à nous. Peut-être qu'il nous confierait ses plus grands secrets, nous conférant alors une supériorité sur les autres athlètes ou peut-être même adopterait l'un d'entre nous, pour l'entraîner à devenir le nouveau Dieu des JO tout en le couchant dans des draps de satin et en le torchant avec de la soie. On s'est mis à rêver comme des pisseuses du Prince Charmant.

    Le soir, alors que Malte ronflait déjà, ma jambe droite à recommencé à m'élancer d'une douleur vive qui s'éteignait puis revenait, comme si mon coeur y avait établi sa résidence de villégiature. Je m'étais fait mal, y'a deux-trois jours, un truc vraiment con, je m'étais pris une poignée de porte. Mais il n'y avait rien, pas de bleu, pas d'écorchure. J'ai laissé tombé mais j'ai eu du mal à m'endormir. Le lendemain, à cinq heure, c'était oublié.

    Pendant le jogging on était silencieux, concentrés presque. C'était rare. D'habitude Barney nous laissait courir seuls et on faisait les cons à démolir des boîtes aux lettres ou à lancer les journaux des braves gens à Arès, le chien du gardien du musée. Mais il est venu avec nous et on a couru en silence, on a pu voir le soleil se lever et comme à chaque fois, on se sentait les maîtres du monde.

    Mais pour le retour j'ai dû trottiner, ma jambe me faisait souffrir. J'avais l'impression qu'un fil invisible s'y tendait et semblait sur le point de se rompre. Barney avait pas l'air content. Il a dit aux autres de rentrer au centre et m'a fait asseoir sur les marches d'une église méthodiste. Il a commencé à me masser avec cet air concentré, impassible et indéchiffrable qu'il arborait presque toujours, comme tourmenté par des choses au-delà de nos compréhension. Je l'ai laissé faire même si c'était trop gay.

    — Tu pourrais pas courir.
    — Hein ?

    Il m'a regardé droit dans les yeux et a répété avant d'ajouter :

    — Tu t'es claqué un muscle. Là.

    Il a montré du doigt un hématome tout neuf au milieu de ma cuisse gauche. J'ai touché cette blessure avec répugnance et douleur.

    — Je peux bien courir quand même !

    J'ai vu son regard. Ce regard que lance un père quand non c'est non.

    — Tu peux pas me retirer ça, tu sais très bien ce que ça représente putain, t'es qu'un enfant de salaud si tu me fais ça ! BORDEL DE MERDE JE VIS QUE POUR CA.

    Me suis senti con à hurler devant ce type au regard triste, assis sur le parvis d'un lieu de culte, un beau samedi matin. Je me suis senti con quand je me suis rendu compte que j'avais rien d'autre dans ma vie que cinq vrais faux frères, deux vrais faux pères et surtout la course à pied. Je croyais que Barney était comme Nicolas Cage, qu'il n'avait qu'une seule et unique expression en rayon. Pourtant le frère Stevenson m'a regardé comme s'il comprenait. J'ai compris qu'il avait compris. Il a compris que j'avais compris qu'il avait compris. Il m'a mis de la crème à la cortisone et on est rentrés. J'allais courir.

    J'ai répété les massages toutes la matinée jusqu'au déjeuner. J'ai commencé mes étirements avant tout le monde, j'ai remis de la crème. Et alors que j'étais en train de me changer dans ma chambre, Oslo est rentré sans frapper.

    — Dégage pervers.

    Il a pris son habituel air ahuri puis, comme raffermi par une mission divine, il cessa de se dandiner.

    — J'ai quelque chose pour toi.

    Instinctivement j'ai mis mes bras au-dessus de ma tête. Quand un de nos disait ça c'est que l'autre allait se retrouver à la trappe, c'est à dire sous l'aisselle de l'autre. Mais rien ne vint, Oslo se contenta de rire et de me lancer une boîte en carton, avant de sortir, faisant craquer le plancher.

    J'ai pas tout de suite compris ce que c'était. Et puis je me suis mis en colère. Et enfin je me suis fais pitié, à moi aussi. J'ai laissé les anti-douleur sur mon lit défait, sans y toucher.

    Mon corps était tout ce que j'avais. Il était le Temple. Je n'avais jamais bu une goutte d'alcool, jamais tiré une taffe de cigarette ou autre. Je ne me masturbais jamais avant les courses, histoire d'être plus agressif. Je mangeais sainement, je dormais dix heures par nuit. Tout tournait autour du sport. Prendre des médicaments me semblait sacrilège mais ce qui me dérangeait le plus était qu'un abruti comme Oslo avait compris que je souffrais assez pour réduire mes chance d'impressionner l'entraîneur. Je ne sais pas trop si je lui en voulais ou lui en était reconnaissant : il avait essayé de m'aider, malheureusement ça ne m'évoquait qu'une pitié mal placée. J'ai lâché un juron parce que j'étais déjà en retard.

    On attendait comme de braves petits soldats, en rang, en tenue, la tête haute, nos tuteurs à nos côtés quand le mec est descendu de sa voiture. Même pas une voiture de luxe, on a été déçu. Il était en jean. Seconde déception. Il nous a salué avec le sourire je-suis-proche-des-jeunes.

    — Alors les mecs, ça vous botte la course ?!

    Malte était au bord de la crise de nerfs à essayer de se retenir de rire, Boston, qui était maintenant dans le dos de l'entraîneur nous adressait des grimaces d'attardés, faisant saillir ses dents et agitant les bras comme un perdu. Joseph le calme d'une claque à l'arrière de la nuque et Malte laissa échapper quelques larmes.

    On s'est échauffé avec lui, il nous a expliqué comment améliorer nos foulées, nos appuis, nous départ et surtout nos arrivées. Il disait qu'il fallait se jeter corps et âme droit devant, sans même songer à ralentir, balancer sa carcasse comme si sa vie en dépendait. Quelques secondes, disait-il, font tout. Et puis on a rejoint chacun notre couloir et on a mis en place nos starters. J'avais les mains qui tremblaient. Mais le stress c'est bon pour ce qu'on fait. Au moins ma cuisse ne me faisait plus vraiment souffrir. J'avais juste une sensation sourde comme si elle était entourée d'un bandage trop serré. Alors que je m'accroupissait, le mec est venu vers moi. Il a murmuré, rien que pour moi :

    — Tu sais, t'es celui que m'intéresse le plus. T'as vraiment le corps et l'esprit.

    J'ai pas répondu et Joseph l'a chassé, préparé le chrono. J'ai pris une grande inspiration, comme si j'essayais de tout aspirer. J'ai bloqué mes poumons, j'ai regardé droit devant moi, ai placé mes pieds sur les starters et ai visualisé la piste. Allez pas trouver une mise en abîme à la con comme quoi la piste qui se déroulait devant moi était la vie qui m'attendait. Je n'y crois pas. c'est juste une putain de piste en terre battue dans un quartier craignos.

    Joseph a levé la main, y'a eu le silence habituel, rompu par le grincement de dents de Boston, à ma droite. À vos marques. Vous vous accroupissez. Prêts. Vous tendez les jambes. Partez. Vous partez. Et ça recommence, cette panique vous envahi à nouveau. Une panique quasi enfantine, une vois de crécelle qui hurle : ne me laissez pas derrière ! Je gagne, je suis en tête, Oslo est violacé par l'effort, Boston a abandonné, mes jambes sont libres d'une quelconque barrière. J'ai dépassé la barrière de la chair et des muscles. Il reste quarante mètres et le COURS COURS COURS a laissé place à PUTAIN PUTAIN PUTAIN. Je vais enfin dégager d'ici.

    J'ai toujours cette idée en tête, le fait que je vais être intégrer à une école d'athlétique de l'État quand mes genoux s'entrechoquent avant de s'écraser au sol. Je me vois tomber mais je ne comprends pas. Et puis la douleur, la blessure, la mort, qu'on me tue cette jambe, par pitié, enlevez-là moi, je vous en prie.

    Il paraît que j'ai hurlé à en faire pleurer nerveusement Cali. On m'a raconté que je roulais sur le dos, plantant mes ongles dans ma cuisse, les yeux exorbités. On m'a parlé de bave aux lèvres, de cris inarticulés et puis, enfin, d'une accalmie. Je ne me souviens de rien. Je me rappelle de l'hôpital, des infirmières qui chassent les autres, du médecin qui tâte, inquiet ma jambe en décomposition partielle. J'ai fait une thrombose veineuse profonde, un infarctus de la jambe en gros. Et comme elle n'a pas été alimentée en sang pendant toute la durée du transport à l'hôpital et de la prise de décision de mes tuteurs, un muscle est mort. Comme ça, en un claquement de doigt, je suis devenu un zombie avec un membre contaminée par une forme de septicémie.

    — Sarajevo.

    Je ne réponds plus. Je ne dors plus. Je ne mange plus.

    — Écoute moi, Sarajevo. Je t'en prie.

    La voix de Barney se brise et c'est plus par étonnement que je daigne le regarder. Je croise mon visage dans la glace. J'ai perdu cinq kilos en deux jours, j'ai les yeux creux. On dirait un mourant.

    — Je vais signer. Tu ne veux pas perdre ta jambe, n'est-ce pas ? Alors tu dois sacrifier ton muscle. Il est mort de toute façon. Tu pourras marcher, tu pourras...

    — ET JE POURRAIS COURIR ? HEIN ?! Évidemment, tout le monde court avec une canne, un putain de nouveau membre à vie hein ! ET JE VAIS FAIRE QUOI APRÈS ?! Me la jouer femme de ménage au centre parce que j'ai plus rien !? DIS-LE MOI !

    — Je vais trouver une solution.

    Je l'ai regardé comme on contemple un dignitaire nazi en phase d'être jugé pour crime contre l'Humanité. Je n'ai pas répondu. Si Barney voulait se prendre pour Jésus, c'était son problème, pas le mien. Et j'ai décidé de me laisser mourir. Mais un matin, une femme est entrée, à baissé mon taux de morphine, sans écouter mes protestations et m'a emmené. J'étais entouré de cauchemars aux uniformes verts et aux visages anonymes.

    — Regarde Sarajevo.

    Le monstre à lunettes a tapoté l'écran de l'électrocardiographe.

    — C'est ton coeur.

    J'allais l'envoyer chier quand on m'a posé un masque sur la tronche. Compte à rebours Sarajevo, bientôt tu sera un incapable.

    — Je vous emmerde, crevez.

    Et je me suis endormi. Et je me suis réveillé dans un corps qui n'était plus le mien.

    Ma jambe me faisait peur. Je refusais de tirer le draps pour contempler le travail de boucher des chirurgiens. Mais je sentais une douleur croissante se nicher à la place de mon muscle disparu, partit pour les incinérateurs de déchets humains. Et puis la rééducation a commencé.

    Mes vrais faux frères venaient parfois avec un air gêné, contrit, effrayé. Je les renvoyais. Joseph ne venait plus. Barney, chaque jour. Souvent ma jambe me faisait souffrir et il n'avait pas la permission d'entrer lorsque, pris de rage, j'entreprenais de frapper mes éducateurs avec la canne métallique de vieillard qu'on m'avait refilée. Je devais apprendre à me déplacer sans plus faire confiance à mon corps. Car, même s'il me semblait que ma jambe pouvait supporter mon corps, elle était incapable de m'aider à me déplacer sans que ma claudication ne finisse par me faire tomber.

    Je voyais cette canne argentée comme une moquierie constante. Je percevais l'éducateur comme celui qui colportais la nouvelle de mon handicap. Et j'emmerde les infirmières qui me sourient alors que je les envoies chier. Et j'aimerais voir crever chaque membre du groupe de soutien aux nouveaux handicapés avec leurs banderoles à la con. Je voudrais que tout brûle puis renaisse et que ça recommence. Je sais ce que Icare a ressenti en tombant vers le sol. Il n'avait pas peur. il maudissait son père de lui avoir fourni des ailes si limitées, de lui avoir vendu du rêve pour lui reprendre si tôt. De lui avoir fait croire qu'il pourrait être spécial.

    Et voilà que je raconte ça comme si c'était du passé. Alors que le passé est lointain, oublié, pardonné. Je n'ai pas l'intention d'oublier. Même maintenant dans cette berline noire avec les deux molosses à l'avant.

    Barney est le seul à m'avoir réellement dit au revoir. J'aurais aimé qu'il pleure un peu, histoire d'avoir l'impression d'une fin et pas cette sensation de manque, d'acte manqué même. Pour finir il m'a simplement demandé si je savais pourquoi sa mère m'avait appelé Sarajevo.

    — Parce qu'elle avait le sentiment que tout le monde se taperait dessus à cause de moi ?

    Il a eu son sourire d'anglais.

    — T'es toujours en guerre, Sarajevo.

    Et j'ai appris qu'il avait falsifié mes premiers tests de QI pour me garder, j'aime à la croire, auprès de lui. Et j'ai vaguement ressenti ce que ça aurait pu me faire d'avoir un père. Et j'ai eu le souvenir fugitif d'une vieille dame qui me faisait sauter sur ses genoux. Et je me suis souvenu avoir une bonne vieille mère, un jour. Et c'est comme si j'avais perdu un père et une mère, à nouveau.

    J'allais rejoindre ma seconde chance. Une chance que je n'avais jamais considérée au vue de mes résultats scolaires dans la moyenne.

    Et on roule depuis ce qui me semble des jours, blottis dans ce silence agressif et puis on s'arrête et je manque d'avaler ma langue en découvrant le bâtiment à la gueule de bunker du IIIe Reich. Je sens mes sourcils s'arquer et ma gueule s'ouvrir mais un des mecs en noir se contente de lever la vitre de séparation entre la banquette avant et arrière tandis que son compère sors de la voiture.

    Duo de connard. Tu peux être sûr qu'ils se paluchent en matant des films de boules avec des pré pubères. Mon rire résonne bizarrement quand je fais mine de me masturber en le fixant, dans le rétroviseur en arborant une gueule de dégénéré. Dommage que la vite soit pas teinté, hein mec ?

    Et alors que je croyais que son pote ouvrait la portière pour me foutre une dérouillé, un mec entre, pépère et s'installe à côté de moi. Renifle. Me regarde. Re renifle et m'ignore.

    Toi et moi on va pas être copain.

    C'est ce que je me suis répété quand son poing a fait connaissance avec mon nez qui se brisait alors pour la première fois. J'avoue avoir pleurniché, rien qu'un peu, avant de me servir de la canne en alu pour lui défoncer sa sale petite tronche contente d'elle.


    UC.
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Sujet: Re: Purée de Patates Purée de Patates EmptyVen 16 Déc - 0:57

    Toi et moi on va pas être copain.

    C'est ce que je me suis répété quand son poing a fait connaissance avec mon nez qui se brisait alors pour la première fois. J'avoue avoir pleurniché, rien qu'un peu, avant de me servir de la canne en alu pour lui défoncer sa sale petite tronche contente d'elle. Après tout, c'était sa faute : je l'avais simplement appelé racaille, ce qu'il était puisqu'il sortait visiblement d'une école militaire. Pauvre merde au crâne rasé.

    Et maintenant j'ai un putain de bandage sur le nez qui fait que je me fous de ma propre gueule quand je croise mon stupide reflet. Ce qui est moins drôle c'est que je me suis déjà mis à dos le dirlo. Il m'a fixé de ses yeux ambres. Il a eu l'air plus vieux qu'il ne l'est d'un coup, et m'a dit que l'autre passera en premier dans son bureau. J'ai corrigé, quand il a dit "dans", j'ai dit "sous" et l'autre crétin a fait mine de me boxer encore un peu. Il a arrêté d'évoluer y'a quelque temps celui-là.

    J'essaie de fuir, je tourne à en chopper des crampes, cette canne mal réglée me donnant des durillons, son bruit presque sexuelle de succion quand elle couine sur le lino me met hors de moi. Alors quand je trouve enfin une cour, vide, tranquille, trop idyllique alors que je ne rêve que de bâtiments en ruine, elle prend cher. Je lui donne ce qu'elle veut à cette salope. Et chaque coup d'alu contre le muret ne fait qu'empirer les choses et je reprends mon martelage de plus belle, je veux forger une statue en forme de bite géante, graver un fuck dans la pierre, tracer les contours d'un vagin sur le gravier, tout pour simplement retirer ce stupide embout en caoutchouc de cette putain de canne. Je m'entends grogner, presque geindre, peut-être pleurnicher encore un peu, de rage, tandis que la prothèse se tord, se déforme, sans toutefois perdre l'embout en question.

    C'est inutile.

    Je la laisse tomber, comme je laisse tomber l'idée de devenir un athlète, d'être connu, d'être reconnu. J'ai l'impression de devenir adulte et pourtant de rester un gosse auquel on refuse des jouets. Je tombe, encore, puisque ma troisième jambe de fait défaut mais ni es éraflures, ni les jurons ne parviennent à calmer ce sentiment tenace d'injustice.

    Et au-dessus de moi, une fenêtre, un regard ambré, un signe de tête. C'est mon tour.

    Je ne re croise pas l'autre con, et étrangement j'en suis presque déçu. Quand j'arrive dans le bureau, aussi richard que je m'y attendais, le dirlo n'a pas bougé d'un pouce. Il me tourne le dos, toujours à la fenêtre. Je m'assois, je n'y ai pas été invité, et pose ma jambe valide sur son bureau. Un seul regard en coin suffit à me faire changer d'avis.

    — Vous tests démontrent d'une prédisposition dans les matières scientifiques et logiques. Vous serez placé dans le groupe Expert.

    Je me cure le nez avec application, sans vraiment trop y faire attention. Encore un peu et on se croirait à Poudlard.

    — À partir d'aujourd'hui vous n'êtes plus personne d'autre que Hammer.

    **

    Muni d'une nouvelle canne et de mes quelques affaires, on m'a conduit à ma chambre que je partagerai avec un autre mec. Une chambre de deux, compte tenu de mon passé violent. Je savais pas que mon casier m'avait suivi. Après tout c'est mieux comme ça, y'avait une chance sur trois pour que je tombe sur une putain de tarlouze comme camarade de chambrée.

    C'est quand je me suis retrouvé à nouveau nez à nez avec la racaille que j'ai compris que ça aurait pu être mieux, en fait. Mais finalement, j'lui ai tendu la main à ce crétin et en même temps on s'est présenté, comme si on s'était reconnus, d'égal à égal, perdu dans un merdier commun.

    — Moi c'est Hammer.
    — Shark.

    On était fait l'un pour l'autre, faut croire.

    **

    Ici, il n'y a que des pédés et des nymphos. C'est des rumeurs mais elles sont tenaces comme la merde sous vos souliers. Je n'ai plus d'avenir défini autre que le destin de finir médecin généraliste ou spécialisé ou médecin légiste pour le compte d'un reccueil à tarés. Bon et bien, laissons un souvenir impérissable sur le mur des chiottes de la vie. Ou encore une bonne grosse bite velue sur la façade de l'école.
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Sujet: Re: Purée de Patates Purée de Patates EmptyVen 16 Déc - 7:32

    Voilà c'est fini o/ Enfin pas tout à fait. J'aimerais savoir si ça intéresse certain d'avoir une suite, ou quelques épisodes en plus. Au pire c'est pas grave, hein.
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Sujet: Re: Purée de Patates Purée de Patates Empty

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Purée de Patates

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