Rien n'était oublié, les gestes revenaient d'eux-mêmes. J'aurais presque pu être faite pour ça, si mon QI ne m'avait pas poussée plus loin – bien que j'ai encore quelques doutes quant à mes capacités – faite pour faire pousser des carottes. Loin des paillettes et du glamour, en salopette digne de patronne de ranch, sous le soleil campagnard, quelque part en Andalousie peut-être. Aurais-je aimé ? Je ne sais. Mais il fallait avouer que le petit coin que je m'étais réservé dans la serre fleurissait à merveille. Les carottes élançaient leurs fanes vers le ciel, telles de colonnes grecques, les potirons dodues enflaient lestement, les courgettes revêtaient déjà quelques reflets appétissants, et le groupe de laitues se bousculaient pour éclater de verdure ; un tableau, un tableau vous dis-je ! La main verte m'était venue assez vite quand j'avais toisé Helen – ma mère – pour lui annoncer que « je ne mangerais plus d'animaux morts » ; et comme par magie, notre balcon parisien s'était métamorphosé en champ de haricots, ou autres légumes selon les années, tant j'étais décidée à (me) prouver que le juste retour à la vie saine était celui qui venait embrasser la nature à plein poumons.

La plupart des geeks et petits malins présents se foutaient éperdument de ce qu'ils bouffaient, je profitais alors du calme de la serre pour méditer, chantonner du blues, et arroser mes légumes – quel pittoresque attendrissant... Ce mardi là, je mettais les mains à la pâte, pour ne pas dire à la terre, et plantais quelques germes de pousses de soja – délicieuses en salade – un joint au bec. On appellera ça joint pour flatter mon égo, mais je n'étais pas bien sûre de ce que je faisais pousser dans un coin de ma chambre – sale habitude que les fréquentations d'Helen m'avait fait prendre - ; de plus, celui ci avait un goût de thé vert menthe – vous m'en direz des nouvelles.

Tu vivais enfoncé dans un autre toi-même
Et de ton corps si bien abstrait,
Que tu semblais de pierre.

Répétais-je machinalement, sans pouvoir me souvenir de l'auteur de ces vers. Ils flottaient dans mon paysage mental, secs et durs – comme de la pierre, tiens – et se cognaient un peu partout, bien qu'il n'y ai pas de murs dans mon esprit. L'enseignement de la WH avait eu quelques effets néfastes sur mon pauvre corps : on me forçait à réfléchir, à user de ma raison – ce que j'accomplissais d'une façon convulsive et presque orgastique – mais on posait sur mon front la lourde sévérité du concret. Alors une tempête se levait parfois, et Picasso se réécriait de cette trahison, et Rimbaud blamait ma passivité face à mes chaines, et Sartre me demandait où était mon existence ; j'avais trop longtemps vécu dans l'abstrait auréolé d'humanité, un abstrait que j'attirai contre mon coeur, qui posait doucement un pied sur terre si je le désirais, pour me heurter au concret sans éclats. Et les cris de ces gens, mes amis imaginaires en quelque sorte, dans le langage pseudo-médical, n'étaient que pures fabules, que je m'infligeais pour m'ôter un peu de culpabilité.

Une cendre tomba sur les cheveux d'un petit radis qui prit feu, je sortis de mes rêveries quant à mon propre intérieur et souris – oups

Même si j'étais sans doute la seule végétalienne à dix kilomètres à la ronde, je n'étais pas sûre que les habitants de la WH apprécient que la serre prenne feu, et soient forcés de se nourrir de steaks durant des mois (ah oui, les frites sont faites à partir de légumes), et si le sort des autres m'importaient peu tant qu'ils ne rentraient pas dans la balance fragile, téméraire et mystique de mes inclinations, aujourd'hui, ce mardi vers dix-huit heures, je fis un effort, et décidai de ne pas laisser le cours des choses se dérouler comme il aurait pu/du – notons que la destinée était pourtant un sujet qui m'intéressait grandement, notamment les points de vue philosophiques etc, bref, mon radis cramait et j'avais décidé de l'éteindre, dans ma générosité magnifique.

Le robinet était à l'autre bout de la serre, qui soudain me parut immense.
Miséricorde.

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[oui c'est vachement awkward, et non je n'ai rien de mieux à faire. vienne qui voudra, kiss, pardon, pardon je suis pathétique un peu à poster n'importe comment n'importe quoi]