Une belle nuit sans nuages, ça faisait longtemps !
Je me trémousse sur ma fauteuil à roulettes, bougeant le télescope au hasard et un peu n’importe comment. Une démarche pas très scientifique, en gros, mais je m’en fiche, je suis juste venu pour rêver un peu, pas pour noter l’emplacement des étoiles comme j’ai l’habitude de faire.
Même si j’ai l’air d’un gosse qui s’amuse avec son jouet, je suis un peu anxieux : J’ai failli trébucher dans le couloir, tout à l’heure, et j’ai peur que quelqu’un ait entendu le juron que j’ai poussé à ce moment là…
Mais je m’inquiète pour rien, il est trop tard et tout le monde doit être en train de dormir.
Je connais par cœur les habitudes de ronde des différents surveillants, et j’ai retranscris tout ça sur un petit schéma, que je garde soigneusement dans ma poche de pyjama.
Je dois un peu avoir l’air d’un pierrot, habillé comme ça à regarder la lune, mais qu’importe, je trouve ça très poétique.
Sur mon visage est dessiné un sourire radieux, l’idée d’observer le ciel à une heure interdite m’excite.
Pour reposer mes yeux, j’éloigne mon visage de quelques centimètres de la lentille… Et aperçois le reflet de quelqu’un derrière moi.
Je me retourne doucement, car je sais que ce n’est pas un surveillant, autrement, il m’aurait déjà interpellé en rentrant dans l’observatoire.
C’est une fille plus jeune que moi, qui semble attendre que je lui dise quelque chose avec un air imperturbable.

- Oh ! Salut, May.

Elle doit se demander comment je connais son surnom, sachant qu’elle ne me l’a jamais donné.
Je retourne à mon télescope comme si de rien était.

- J’ai entendu quelqu’un t’appeler comme ça dans la salle commune, un jour.

Remarquant qu’elle ne dit rien, je lance, toujours l’œil vissé sur mon jouet :

- Tu veux quelque chose ?

Je me disais bien que j’avais juré trop fort, enfin, si c’est la seule à m’avoir entendu, ce n’est pas trop grave. Je remarque qu’elle a gardé sa casquette, je me demande si elle la laisse pour dormir…

Je l’entend prendre une chaise et s’assoir près de moi. Même si sa présence ne me dérange pas, je suis un peu plus tendu qu’avant.

Après tout, je ne sais presque rien d’elle et elle non plus, tout est encore à faire.

Je lui lance, l’œil toujours accroché à la lentille :

Même si c'est un peu tôt pour qu'on se donne des surnoms, si jamais elle devait m'en donner un, j'aimerais que ce soit celui-ci.

Elle pouffe discrètement, prouvant qu’il existe encore un brin d’humour en moi… Je ne suis pas réputé pour ma capacité à faire rigoler mon monde, à vrai dire, ça doit faire un bail que je n’ai pas fait de blague.

-Euh, White c'est bien.

Ah ? Dommage.
Je continue de regarder le ciel, un peu gêné, me rétractant sur ma chaise.
Après un silence qui dura longtemps, elle finit par me demander :

- Tu viens souvent ici la nuit ?

Je me retourne, histoire qu’elle et moi puissions voir nos visages plus clairement, et répond :

- Assez rarement, ça doit faire la 5ème fois, ce soir.

Je mentais, évidemment, je m’arrange toujours pour y aller une fois par semaine depuis que je suis ici, on doit plus approcher de la cinquantaine…
Mais je n’ai pas encore confiance en elle, et comme je ne veux pas que ça se voie, je continue en lui demandant :

- C’est la première fois, toi ? Je t’ai jamais vu dans ce coin, mais j’ai peut-être pas fait attention.

Spoiler:

- Oui, une fois y'a pas longtemps. Ca va faire la deuxième.

Oh, une future habituée, peut-être ? Le surnom viendra peut-être un jour, alors, tout n’est pas perdu !
May prend sa casquette et la cale sur ses genoux, sans doute décidée à rester ici un petit bout de temps encore.
N’ayant pas fini avec mes questions, je continue en me balançant sur ma chaise :

- Et toi, tu viens ici pour faire quoi ? Regarder les étoiles aussi ?

Je tourne la tête pour la regarder dans les yeux, espérant franchement une réponse positive, ça pourrait nous faire au moins un point commun !
Alors qu’elle s’apprêtait à répondre, je dresse mon index devant mes lèvres en un éclair en écarquillant les yeux :
Je viens d’entendre un autre bruit dans le couloir.
Ma grimace reste figée, mon souffle s’arrête, comme le sien, sans doute.
Le léger bruit de pas si menaçant semble s’éloigner de la porte de l’observatoire, avant de mourir sous la pression du silence.
Mon visage se détend, et je dis, comme si rien ne s’était passé :

- Tu disais ?

Spoiler:

Je souris un peu timidement, m’attendant à cette réponse. Après tout, quel genre de personne n’aime pas regarder les étoiles ?

Je la regarde se familiariser peu à peu avec moi, me demandant si elle ne serait pas en train de marcher sur les plates-bandes de mon jardin secret avec inquiétude.

Bah ! Après tout, c’est toujours possible d’aménager une terrasse, à ce jardin.

Je hoche la tête avec un petit sourire, me décalant pour lui laisser de la place. Je l’observe en train d’admirer la lune, en me balançant doucement sur ma chaise.

Cette question me tracasse depuis de longues secondes déjà, car je remarque qu’elle semble aussi intéressée que moi dans ce domaine, et du coup, je me demande si je dois la considérer comme une amie ou comme… Une sorte de rivale ?

Je peine à l’imaginer avec une tenue de cosmonaute, cette pensée me soulevant le cœur, mais elle a sans doute autant de chances de réussir que moi…

Mon regard s’est assombri, j’attends sa réponse avec impatience, comme si je me préparait à faire la course avec elle jusqu’au centre spatial le plus proche en lui mettant des bâtons dans les roues.

Elle fixe la lentille de longues secondes, secondes pendant laquelle je tente de me découvrir un pouvoir psychique caché et essaie d’influer sur sa réponse.

- Franchement, je ne sais pas vraiment. Ca fait un moment que je n'y ait pas réfléchi.

Je pousse un petit soupir, à la fois amusé et soulagé.
Enfin, soulagé qu’à moitié, car ce n’est pas tout à fait une réponse claire et précise. Toujours un peu gêné, je prend une feuille et commence à gribouiller une fusée, n’ayant pas grand-chose d’autre à faire.
Tout en dessinant les moteurs et la machinerie complexe, je dis doucement, peu sûr de moi :

- Moi, astronaute me tenterait bien.

Je la regarde pour voir sa réaction, mais je tourne vite la tête pour me concentrer sur mon dessin.
Et parce que j’ai du mal à regarder les gens dans les yeux quand je parle de mes ambitions, aussi.

- Mais je ne me fais pas trop d’illusions, il y a beaucoup d’appelés pour peu d’élus.

Je soupire, en regardant le vide stellaire.

- J’aurais déjà beaucoup de chance si j’allais réparer un satellite.

Je ris jaune, le moral écrasé à grands coups de visions d’avenirs composées de carrières d’éboueur, de plombier et de marchand de légumes au marché du coin…  Des métiers tout à fait respectables, mais pour un orphelin au QI de 175, j’espère tout de même que j’aurais un peu mieux.

- Alors, pour la Lune ou Mars…