my emerald city, downtown girl.

02h17. L'heure du crime.

Ou pas vraiment, parce qu'avec toi, il n'y a pas d'heures pour agir. Les autres gens en général préfèrent attendre des heures rondes du genre, 02h15 ou 02h20, mais toi, à part pour sortir de ton lit, tu n'aimes pas faire ça. Tu préfères agir au moment où tu veux agir, c'est toujours plus productif que d'attendre une heure pile et précise. Et puis toi, t'es pas raciste des minutes random. C'est pas parce qu'un nombre ne fini pas par 0 ou 5 qu'il n'est pas cool. Toi, tu aimes les chiffres. Tout les chiffres. C'est juste trop cool de jouer avec.

Et donc il est 02h18 et à part toi, il n'y a personne dans les environs de la réserve. Ça tombe bien, parce que tu meurs de faim. Ça tombe mal, parce que c'est trop silencieux autour de toi.

Le bruit de ta respiration va te faire péter un câble.

02h19.
C'est que ça en prend du temps, de se faire discret.

Tu ouvres la porte de la réserve le plus doucement possible ; au moins tu sais que tu arrives à ne pas faire de bruit quand tu es toujours capable de t'entendre respirer. Ça n'a pas que des inconvénients - disons juste que le poids des inconvénients est bien plus élevé que celui des bénéfices.
Tu refermes tout aussi discrètement la porte derrière toi, et prend le temps d'admirer la vue qui s'offre à toi. Des étagères, et des étagères, et des étagères de bouffe. Tu es déjà venu ici avant, évidement, tu viens souvent faire tes propres réserves de nourriture ici pour pallier à ta tendance d'avoir faim un peu n'importe quand, et pourtant chaque fois que tu rentres dans la réserve, c'est comme si tu y allais pour la première fois.

A la différence qu'à force, tu connais par cœur le chemin jusqu'aux denrées qui t'intéressent.

Tu pourrais probablement passer ta vie à bouffer des gâteaux ; sauf que si tu le faisais, tu finirais sûrement obèse et t'en as pas vraiment envie. T'as déjà suffisamment de problèmes de santé comme ça, il vaut mieux éviter d'en rajouter.

A chaque fois que tu marches dans la réserve, tu as l'impression d'être dans un immense supermarché, à la différence qu'ici, tu n'as pas besoin de payer. Tu as juste à te servir et repartir, le tout bien évidement sans te faire repérer. Et si possible sans laisser trop de traces. Alors tu pioches toujours parmi les trucs au fond des étagères, parce que c'est ce qu'ils remarqueront le moins, et tu les fourre sagement dans le sac à dos que tu as ramené. N'importe qui te regardant pendant le processus se demanderait sûrement si tu es capable de manger tout ça avant la date de péremption, ou alors ils te diraient probablement de manger plus à la cantine au lieu de toujours laisser la moitié de ton plateau. C'est peut-être pour ça que tu n'es pas encore gros ; tu manges mal, mais au moins, tu manges pas trop.

02:26. Tu marmonnes pour toi-même dans un élan de "j'en ai marre de m'entendre respirer" tout en te dirigeant avec une discrétion approximative vers la sortie de la réserve.
Et au détour d'une étagère, tu te rends compte que tu n'es pas seul.

Ton premier réflexe, une fois la paralysie de la surprise passée, aurait probablement été de te cacher, si tu n'étais pas presque sûr de reconnaître ces longs cheveux noirs.

« Morphée ? »

Tu te demandes ce que tu feras, si ça n'est pas elle. Probablement mourir de honte. Mais ça n'est pas comme si tu n'étais pas habitué à te sentir profondément awkward.

Tu regardais avec horreur tes mains.

Tu as tremblée, longtemps. Ta gorge était si sèche, tes pieds si faibles que tu pensais tomber. Tu étais là, tu étais là dans la pièce mais c'était comme si tu ne te souvenais plus rien. Tu as tressauté. Les mains qui devant toi tenaient divers aliments, étaient-ce vraiment les tiennes ? Ce goût sur ta langue, c'était du sucré ?
Depuis combien de temps n'avais-tu pas refait une chute ? Tu as écarquillé les yeux, tu as jeté la nourriture sur le sol. Depuis combien de temps tu as perdu la tête à ingurgiter toutes ces calories ? Tu as nettoyé rageusement tes mains sur ta robe, nettoyé ton visage. Chasse ce goût sucré de ta langue, chasse les miettes de repas qui reste dans le fond de ta gorge. Et mais, tu sais Mathilda, c'est très mal ce que tu as fait là. C'est encore plus grave parce que cette fois si, tu ne te rappelles même plus être venue ici. Tu vois, Mathilda, tu perds ton propre corps. Tu perds la bataille que tu t'es imposée. Oh oui, oh oui que tu as mal maintenant.

C'est que tu as des remords maintenant. C'est que tu te sens lourde. Tu n'en as pas besoin de tout ça, de ton ventre et ton estomac. Ce n'est pas ce que tu veux être, tu ne veux pas être grosse Mathilda. Mais ton corps est si faible. C'est comme si tu avais abandonné quand tu t'es penchée sur le sol, à genoux, tenant tes côtes.
Et tu pleures. Comme souvent. Tu pleures parce que tu es faible. Parce que c'est vrai que tu es inutile, que personne n'a besoin d'une amie comme toi, grosse jusqu'à manger sans en avoir conscience. Tu le sais pourtant, que c'est pour ça que tu es restée seule pendant ton enfance. Que tu ne voulais pas voir les autres, que tu étais différente. Ce mur que tu t'es fait avec les autres, ce mur de protection, c'est pour ton bien, hein. C'est pour éviter d'être cette immondice. C'est une corde de secours.

Et tout ça tombait à l'eau encore une fois ? Tu te haïssais. Dans les larmes qui coulaient contre tes joues, tu voulais disparaître. Et que tu hais ce corps qui te trompe, et que tu hais cette tête qui veut que tu gagnes quelques grammes. Tu n'en veux pas ! Tu n'en a jamais voulu de ces grammes, toi.
Tu veux être fine, tu veux être fière et ne plus voir ce monstre dans ton miroir. Ne plus voir ces formes, ne plus voir ces angles qui te crient dessus.
Tu es un monstre. Tu es faite de sucre, Mathilda. Tu n'es que ça, du sucre. Du sucre qui ne veut pas partir parce qu'il reste encore une partie en toi qui te supplie d’arrêter. Que tu dois t’arrêter, ce n'est pas saint, tu sais ? Ce n'est pas normal de vouloir aller aussi bas !

Bientôt tes poumons seront fait d'ailes de papillons. Tu y as pensé. Un papillon rachitique.

ROCKET : Morphée ?

Mais on t'interpelle et ton corps frissonne. Non, non non ! Pas Rocket ! Pas maintenant ! Tu ne peux te monter comme ça ! Tu ne peux pas lui montrer comment tu es faible ni comment tu es malade ! C'est impossible.
Tu ne relèves pas la tête, elle reste toujours baissé, tes cheveux la cachant comme une protection que tu voulais sûre. Tu as voulu disparaître, comme ça. Disparaître et te retrouver dans ta chambre. Et te peser. Mais là n'était pas la question. Rocket était là et ça, c'était horrible.

Ta voix se mourait entre tes sanglots silencieux. Tu pouvais même entendre sa respiration d'ici.

MORPHEE : Rocket ?

Sur tes mains, il restait de la confiture. Tu as senti le sucre coller tes doigts quand tu les as enlevé de tes côtes. Tu as passé une main contre tes yeux, l'autre dans tes cheveux pour les relever.

Sale. Sale. Sale.
Tu es sale Mathilda.

Tu as feint un faux sourire, fixant la boite de conserve en face de toi. Tu ne l'as pas regardé.

MORPHEE : Tu avais un petit creux ? Héhé.

Tu as pensé à vomir.

my emerald city, downtown girl.

« Rocket ? »
« Tu avais un petit creux ? Héhé. »


Cela fait 30 secondes que tu la regardes sans bouger il est maintenant 02:27 tu n'as pas encore rouvert la bouche 32 secondes ont passé 33 34 tic toc bruiterait ta montre si tu en avais une à la place le silence est rythmé par ta respiration bruyante respiration décalée des secondes inspire expire 40 41 42 43 et toujours juste l'air qui rentre et sort de tes poumons bien trop fort.
En général tu sautes sur la moindre occasion de briser un silence ne serait-ce que pour ne plus t'entendre respirer.
Mais cela fait presque une minute maintenant et tu la regardes et tu la regardes et tu sais que ça devient awkward - toute situation t'incluant fini par le devenir mais celle là a un niveau trop élevé pour que tu continues d'agir comme tu le fais. C'est-à-dire ne pas agir du tout.


Un sourire s'étire sur tes lèvres.

« Pas exactement petit hehe, et puis je me suis dit qu'il était temps de hm. Refaire des réserves ? »

Et tel le maître de l'Awkward que tu es, tu ne fais que basculer d'une situation awkward à une autre situation awkward.
Parce que le sourire sur ta face est forcé, parce que ta voix est hésitante, parce que tu n'as même pas remarqué ta main qui masse ta nuque par réflexe pendant que l'autre est un poing serré dans la poche de ta veste.
Parce que tu ne sais pas quoi faire.
Tu n'es pas stupide - et ça n'est pas parce que tu es dans un orphelinat de surdoués. Tu n'es pas stupide parce que tu sais remarquer les choses, tu sais comprendre ce qu'il se passe sans qu'on aie à te macher le travail, tu es un grand garçon et tu sais te débrouiller tout seul.
Sauf quand ça concerne les autres.

Tu sais que Morphée a un problème et tu sais de quoi il s'agit ; mais tu sais jamais comment réagir. Alors tu fais semblant de rien.
Tu es profondément inutile.

« Je m'attendais pas à te croiser par contre. Pas à hm. Deux heures trente du matin. »

Le pire c'est que faire semblant de rien aussi, c'est difficile, parce que tu as peur de dire un truc qu'il ne faut pas ; et une chose est sûre tu es un candidat bien placé pour le titre de Maitre de la Gaffe.
Tu es le maitre de beaucoup de choses Rocket mais certainement pas celui de Je Sais Réagir Correctement Et Être Un Ami Utile. Duh. Pathétique.

Tu hésites entre bouger et rester fermement planté au même endroit comme tu le fais depuis 10 minutes - non là tu exagères il est à peine 02:29 tu as juste l'impression de vivre les plus longues minutes de ta vie, ce qui t'arrive à peu près une fois par heure. Bouger te forcerait à nouveau à ouvrir la bouche afin de ne pas avoir l'air d'un psychopathe se rapprochant lentement de sa victime piégée seule dans la rése- woah Rocket what. Tu as soit besoin de sommeil soit de te calmer un grand coup et de redevenir maître de tes pensées rapidement.
Quoi qu'il en soit, tu ferais probablement mieux de te taire parce que la probabilité que tu dises quelque chose que tu aurais mieux fait de ne pas dire est trop elevée pour être ignorée. Quitte à rendre la situation lentement plus awkward qu'elle ne l'est déjà et atteindre des niveaux que tu n'avais encore pas eu la chance d'explorer, autant y aller sans dire quelque chose que tu regetteras dans la seconde.

Yep, tu vas juste te taire et rester là avec ton air de mec qui vient juste de se foutre dans une situation sur laquelle il aurait mieux fait de ne pas tomber. Ce qui représente plutôt bien ce que tu es.

ROCKET : Pas exactement petit hehe, et puis je me suis dit qu'il était temps de hm. Refaire des réserves ?

Léger tremblement, léger frémissement de sa voix. Tes yeux restent fixés devant toi. Oh, que c'est dure de rester droite quand à l’intérieur tout est dévasté. Tu le sens, ton corps qui se tend et flechit à l'idée même que Rocket t'aille vu. Tu les sens, les larmes dans tes yeux qui n'attendent que ça, qu'il parte pour pleurer. Pour redevenir la faible Morphée, pour devenir la fille qui a toujours fais office de papier-peint, de deuxième amie, de mauvaise relation.

Votre conversation n'a aucun sens, vous le savez, tous les deux, qu'il y a quelque chose qui cloche. Un non-dit, un secret déjà connu, ce sujet tabou que vous devrez un jour parler mais que vous préférez taire dans vos bouches orphelines que de subir les bas et les hauts. Tu ne veux pas qu'on en parle, tu ne veux pas qu'on te découvre encore plus misérable. Alors tu arques un peu plus ton corps contre le sol, les jambes maintenant sur le béton froid. Tel un fœtus difforme.

Tu aurais du crever à la naissance, Mathilda.
Tu aurais du rester coincée dans son ventre
et ne jamais connaître la faim du tien.

ROCKET : Je m'attendais pas à te croiser par contre. Pas à hm. Deux heures trente du matin.

Ta main se niche dans tes cheveux. Tu as tellement envie de pleurer. Te pleurer à en mourir. Tu fixes tes chevilles, maudissant leur taille, maudissant ton entité, toutes les courbes qui n'en sont déjà plus, tes propres mains que tu caches dans tes cotes, contre ton cœur.
Tu ne veux pas qu'on te juge, tu ne veux pas qu'il te regarde, tu ne veux pas. Pas Rocket, tout le monde sauf Rocket. Il ne comprendrait pas, il ne verrait que les cicatrices. Ton cocoon de fabulation est trop fin, tu le vois, par transparence, derrière avec son sourire inquiet.

Tu es ta propre peau, ton propre corps, et dans le fond de ses pupilles azures, tu noies les tiennes de tes larmes salés. Pardon Rocket. Pardon pardon pour tout ce que je te montre. Je. Je ne suis pas ce que tu pensais. Tu vois, je suis sale. Tu vois j'ai commis des péchés. Tu vois ma peau n'est pas à moi. Je ne me gère pas. Je. Ne. Sais. Pas. Etre. Moi-Meme. Oh, s'il te plaît. S'il te plaît, ne me regarde pas. S'il te plaît, ne remarque pas à quel point je ne vous mérite pas. J'ai envie de mourir, arrete. Arrete je t'en supplie de me voir. Repars dans ta chambre. Faisons comme si rien n'avait jamais été.

Tu t'es levée, les sanglots tranchant ta voix. Tu as essayé en vain de lutter, contre la douleur, les larmes et la peine. Mais tu ne pouvais pas.

Tu t'es jetée dans ses bras avec la tristesse la plus insoutenable. Avec la violence la plus forte pour ta frêle carrure. Oh oui que l'air tranchait tes sanglots, que tes mains ont longtemps cherchés les siennes, ta tête contre son torse, tes cheveux pagaille. Articuler n'était pas possible. Tu voulais du réconfort, tu ne voulais pas d'une mauvaise image. La douleur ensanglantait ton estomac, lui faisant crier à l'aide. Toi aussi, tu avais besoin d'aide.
Rocket était ton sauveur. Tu es longtemps restée ainsi, à pleurer contre lui, à te réconforter dans son cou, à inonder son sweet de larme. Tes mains ont trouvé les siennes et tu les as serré fort. Pour te prouver qu'il était là. Pour te monter la tête que non, tu n'avait pas à subir ça.

Que ça avait éclaté et qu'en toi, tu étais devenue ouragan.

Et essayer de remettre à bout les morceaux de ton existence tout en l’enserrant.

MORPHEE : Excuse-moi. 

As-tu réussi à murmurer entre deux sanglots avant de tomber à terre.

Trou. Noir.