Vous vous demandez ce que vous faites là.

Si il y a bien un endroit sur terre où vous aimeriez ne pas vous trouver, actuellement, c'est ici, là, dans ce réfectoire précis à ce moment précis. Non pas à cause du réfectoire en lui-même, vous n'êtes pas quelqu'un qui n'aime pas manger, ni quelqu'un qui n'aime pas se fondre dans la masse et supporter le boucan environnant, vous n'êtes pas non plus allergiques aux réfectoires et à la nourriture qu'ils servent ─ et pourtant dieu sait que ça serait une allergie justifiée ─, non, rien de tout ça.

C'est juste que vous vous demandez pourquoi une bataille de nourriture a décidé de se déclencher au moment précis ou vous entrez dans ce réfectoire précis. Elle n'aurait pas pu avoir lieu ailleurs, dans un autre établissement, dans un autre pays ? Ou a une autre heure, tout simplement une autre heure. Non, non, il a fallu qu'elle se déroule maintenant, sous vos yeux désespérés, parce que sinon c'était pas drôle.

Le plus désespérant serait sûrement le fait qu'il y a bien plus de la moitié des personnes présentes qui participent à cette magnifique apocalypse culinaire, ce qui rend la tâche de calmer la guerre complètement irréalisable et qui décourage bien vite les plus motivés. Ce n'est pas que vous n'avez pas envie de dire à tout le monde qu'on ne joue pas avec la nourriture et de vous prendre une assiette de nouilles dans la face, mais disons que là, maintenant, l'idée de vous dissimuler derrière une table vous semble bien plus attrayante. L'idée de s'enfuir en courant du réfectoire l'est encore plus, mais la distance qui vous sépare de la porte est actuellement protégée par un vol (migratoire ?) d'assiettes, de cuillères et de tomates. Courageux mais pas téméraire, n'est-ce pas Lambda.

Dans votre élan pour aller chercher protection derrière une table située dans un lieu approximativement sûr du réfectoire ─ mais pour combien de temps, hein ─, vous vous retrouvez bousculé par un adolescent aux cheveux verts. Adolescent que tout le monde connaît au moins de nom, ne serait-ce que parce qu'il semble écrit dans la végétation lui servant de cheveux : Green. Vous faites d'ailleurs partie de ces gens qui ont tendance à le penser plus buisson que humain, parfois.

Whatever, ça n'est pas le moment de vous perdre dans ce genre de pensées ridicules, c'est uniquement le meilleur moyen de vous prendre un morceau de pain dans la tronche. C'est d'ailleurs la tranche de pain traversant votre champs de vision à quelques centimètres de votre visage qui vous ramène sur terre et vous fait vous précipiter derrière la table que vous aviez repérée, dont la protection est désormais squattée par le buisson et une fille à la couleur de cheveux aussi improbable que la sienne. Vous n'êtes pas bien sûr de vous souvenir de son nom à elle, par contre.

Vous y réfléchirez plus tard. Si vous ne vous réfugiez pas derrière la table très vite, vous allez vraiment vous prendre de la bouffe dans la face.

« Ça vous dérange si je squatte ? »

C'est pas comme si tu partirais si ils te le demandaient, hein.

Maintenant, la question est : depuis combien de temps êtes-vous caché derrière cette table ? Vous n'en avez pas la moindre idée, vous avez, comment dire, légèrement perdu la notion du temps. La table est un bon bouclier, et vous n'avez pas besoin de sortir la tête de derrière votre cachette pour deviner ce qu'il se passe ; le boucan environnant et un peu de bon sens vous permet de deviner que des assiettes sont lancées à travers la pièce et explosent joyeusement par terre, que des gens hurlent des cris de guerres tous plus primitifs les uns que les autres et, si vous tendez bien l'oreille, vous entendez ceux qui se font mal en se prenant quelque chose ou en marchant sur des débris. En écoutant la scène sans la regarder, vous n'avez aucune difficultés à vous visualiser en plein milieu d'un champs de bataille. Dont vous aimeriez vraiment pouvoir vous enfuir.

Et soudain c'est la délivrance. Vous êtes bien placés pour voir la porte du réfectoire s'ouvrir violemment ─ cette même porte que vous avez passé tout votre temps à observer sans pouvoir tenter de l'atteindre ─ et vous entendez vaguement l'un des surveillants fraichement entré crier quelque chose comme un « C'EST PAS BIENTÔT FINI CE BORDEL ? ». Et avec un léger temps de réaction, la bataille fini par se calmer, les élèves tentant de retourner avec empressement s'asseoir en ramassant les chaises et tables au sol ─ vous avez d'ailleurs failli tomber étant donné que vous étiez bêtement appuyé contre la table.

Vous pensiez que c'était la délivrance, que vous pourriez fuir ce réfectoire et retourner paisiblement dans votre chambre pour goûter au silence reposant qui vous manque énormément, mais ce n'est pas le cas. Les surveillants restent plantés devant la porte et attendent de savoir qui a lancé cette bataille de bouffe pour bouger et vous laissez partir.

Ce fut un long, très long moment. Plus long encore à vos yeux que toute la scène de bataille de nourriture. Mais au moins, maintenant, vous êtes finalement dehors, et vous n'allez sans aucun doute plus bouger de votre chambre pendant un long, long moment.