Peut-être avait-il trop vu de séries classées politiquement incorrect. Peut-être que les élancements de sa jambe l'avaient définitivement rendu dingue. Ou était-ce simplement dû à des douleurs inhabituelles dans sa main droite. Au début Shark s'était foutu de sa gueule, lui conseillant de laisser un congé à Madame Pouce et ses filles. Puis il s'était carrément étranglé de rire quand il était revenu avec un canne de papy à trois pattes. Fallait dire qu'à la rééducation on l'avait pas prévenu que sa main souffrirait aussi de ce nouvel assujettissement.

La limitation aux anti douleurs lui semblaient d'autant plus ridicule. Il lui arrivait de devoir quitter une salle de classe, la face aussi rouge qu'un fanion Coca-cola, la canne bousculant des bureaux. Et à l'infirmerie on le couvait simplement d'un regard désolé. La nuit il se réveillait parfois et restait impuissant et douloureux. C'était tout à fait injuste.

C'est pourquoi, lors d'un après-midi à glander en salle commune, devant la télévision, pour une fois seul, alors qu'il essayait de tomber sur une chaîne de cul que Hammer pensa à une solution. Tranquillement, une main dans le pantalon, il dressa la liste des ingrédients, vaguement lus sur Wikipédia il y a des lustres. Finalement il se dit qu'un petit conseil sur le Deep serait un complément suffisant. Il partit donc en direction des labos, fit un high-five à Shark qui passait par là, de la même main qui grattait ses burnes il y a quelques instants.

Il y avait tout ce qu'il fallait. Bien entendu, le phosphore rouge, l'iode, le lithium, l'ammoniacanhydre, ainsi que les solvants et l'acide étaient sous clefs. Mais Sarajevo avait eu suffisement d'été à s'ennuyer pour apprendre à crocheter des serrures simples. Toutefois cette fois-ci il se contenta de faucher les clefs au surveillant pédé et blond, tranquillement, alors qu'il déposait un devoir dans le casier de Greed. Il était particulièrement fier de lui, tellement que lorsqu'il s'enferma à clefs dans le laboratoire principal il ne prit pas garde à la silhouette avachie dans un coin et s'attela tout de suite à sa tâche, revêtant gants et lunettes de protection avec un sérieux tout scientifique. Cette méthamphétamine n'allait pas se faire toute seule.

Hammer ne sut jamais vraiment ce qui avait couillé. Il se félicita simplement de ne pas avoir eu les yeux plus gros que le ventre et d'avoir commencé par de petite quantité. Lorsque ses yeux commencèrent à pleurer il eut tout juste le réflexe de se protéger le visage. Il entendit à peine l'explosion mais il sentit clairement le souffle de la déflagration sur ses mains levées, la sensation du caoutchouc chauffé le surpris de prime abord et ne le fit souffrir que, alors à terre et entouré de fumée épaisse et malodorante, il retira ses gants pour contempler ses mains rougies à l'extrême. S'il ne faisait rien, demain, apparaîtrait les premières cloques purulentes.

Mais le principal à cet instant était de nettoyer tout ce foutoir. Alors qu'il retenait des gémissements de nouveaux nés, il ouvrit dans le robinet d'eau de sa paillasse, laissant ses mains se rafraîchir, il comprit enfin qu'il n'était pas seul.

De grands yeux le fixaient en effet.

— Bordel de queue.

L'autre a une allure de gosse ayant bu trop de soda et dont les parents sont sortis, le laissant avec chips devant la télé. Tentative de se foutre de la gueule d'Hammer. S'il n'avait pas eu les mains cuites, sûr qu'il l'aurait cogné.

— Ouais c'est ça, je fabriquais des pétards et des boules puantes. grogna-t-il.

Puis il renifla avec dédain, le fixant de ses yeux gris, totalement hostile. Il se sentait presque aussi con que le merdeux en face de lui. Déjà parce qu'il avait réussi à tout faire péter et à se blesser tout seul comme un grand, mais également parce qu'il ne l'avait même pas remarqué à son entrée dans la pièce. Il se demanda un instant si ce n'était pas le mec à qui il avait collé une rouste à Noël mais écarta ces contingences d'un soupir mental. Désormais il avait à traiter un problème de plus, un putain de témoin oculaire. Il arrêta l'eau, traversa la salle, ignorant l'autre, pour aller se coller à la fenêtre. Personne. Encore heureux qu'on soit samedi, songea-t-il, ouvrant alors la fenêtre sur la cour complètement vide. L'air devint un peu plus respirable mais Hammer sentait toujours une certaine oppression, sûrement due à l'urgence.

Il avait faiblement claudiqué, abandonnant la tripod en alu derrière lui, ses mains le démangeant de plus en plus. Il entreprit de ramasser, doucement, sans trop de pression, les quelques bouteilles de différents produits pour aller les ranger. Une sale odeur l'accompagnait, pourtant autre que celle de chair abîmée, quand il déposa ses fardeaux dans l'armoire, il remarqua la petite chose roulée, balancée dans un coin. Il lâcha un ricanement de hyène avant de lancer un sourire goguenard au mec. Ca puait cette histoire, et pas que l'herbe. Tout en se rapprochant de la paillase dégueulasse, il exposa :

— Bon. On est deux méchants garçons. J'propose qu'on s'entraide. il grimaça. Ou plutôt que tu m'aides à nettoyer, comme ça personne saura que t'fumes d'la merde ici.

Il arqua un sourcil hautain en attente d'une réponse, récupérant sa canne sans trop y penser, glissant la main la moins amochée dans sa poche, histoire d'attraper ses anti-douleurs, décidément bien utiles aujourd'hui. Le connard voit dans ses yeux que le mec est un peu ailleurs, ou carrément la tête dans le fion, à peu de chose près. Alors il lui tend une pilule avec, on y croirait presque, une allure de démon tentateur.

On peut supposer que cette offrande était une forme de s'il te plaît.

Et finalement il en engloutit deux avec cet écoeurant son de déglutition d'habitué.

Des pétards et des boules puantes. Ouh la belle époque. Époque de jeune con, où les bêtises se limitaient à une fessée et où les conséquences se voyaient minimes. Je ricane et j'y pense. J'ai toujours été un con, alors. Et je le serai jusqu'à ma prochaine mort, sûrement, je sais pas trop. En même temps je suis un chieur-né, un Peter Pan malsain qui pourri le conte d'autres valeureux héros puants la rose. J'ai toujours aimé les conneries et les bêtises. J'ai toujours aimé voir la gueule déterrée des gens. J'ai toujours apprécié la compagnie du dégout et de la méprise certaine. En conclusion, je me suis toujours aimé. 

Rires. Je le regarde dans les yeux, mais je détourne vite fait le regard. Il a des yeux de tueur, de meurtrieur, de crimier vilain. Il a éteint le robinet. Et il semble remarquer mon mégot par terre. Rien à foutre, tout le monde sait ici que je suis le plus gros drogué de tout le pensionnat, au point de m'offrir une boîte de champignons hallucinogènes à Noël. Hallucinant mais tellement bon. Il ouvre sa grande gueule et il parle. Deux méchants garçons qui s'entraident. Mais quelle merveilleuse idée franchement. Mais plus concrètement, il me menace presque. Si je l'aide pas il va dire aux pions que je fume ici? Honnêtement. Qu'il le fasse. Ça pourrait être drôle comme situation. Surtout que l'homme de ménage, ou Playmobil doit sûrement passer par là pour nettoyer mes crasses. Il doit savoir que le laboratoire est mon QG. 

Mais j'ai un bon fond, finalement. Enfin je crois, parce que je l'aide. Je me dis que j'y perds rien, que j'ai beau être le plus gros flemmard du monde, je sais quand est ce qu'il faut réagir. Parce que je sens que si je l'aide pas, je vais m'en prendre plein la gueule après. Rien qu'à sa tête, on le devine surtout. Le crimier me tend une pilule. Il en bouffe deux. Qu'est ce. Je doute de la qualité de ce genre de produit. Mais il semble m'obliger à le prendre, exerçant une lourde pression avec son regard. Voyez, Mushroom, adulte de 19 ans mais physiquement ado de 15 ans, agressé par un autre élève qui semble avoir la trentaine au moins. Monde injuste? Coïncidence seulement. Je prends sa putain de pilule. Et je l'aide à nettoyer. Mais étant aussi un bêtisier ambulant, je ne peux m'empêcher de créer encore plus de soucis. Je ne fais pas exprès de faire tomber une collection de tube à essai. Ça fait beaucoup de bruits, énormément même. Je regarde le chien aux mains cramés à côté de moi et je lance un sourire gêné, mi terrifié, mi désolé. Oups octopus, j'ai merdé. On risque de nous entendre. Bingo.

Et là, un bruit. 

« Merde y'a quelqu'un qui entre ! Planque, vite. »

Une bruit de serrure. Un bruit d'un Mushroom qui se cache dans l'armoire vers le fond à gauche. On va d'abord sauver nos vies avant de s'entretuer, d'accord ?