Le papier gras du hot dog lui glisse des mains pour dramatiquement s'affoler dans une brise et retomber par terre. Elle l'aurait bien laissé là, mais Pure, non. Elle se penche alors à contrecoeur pour ramasser le déchet - il valait mieux ça qu'une reprimande. On connait trop ses amis à force, et celle-ci n'a pas eu besoin d'ouvrir la bouche pour forcer une lionne à s'humilier un petit instant. C'est beau l'amitié.
Les sorties accordées aux orphelins étaient une marque de bonté dont il fallait absolument abuser. Winchester avait d'abord paru immense à la petite rousse puis si limité une fois découvert. Il n'y avait rien d'excitant, rien de digne d'un Pré-au-lard, pas d'attraction quelleconque.
Ah si, il y avait le marchand de hot-dogs.
À force lui aussi connaissait les goûts de sa fidèle cliente. Moutarde ketchup avec un coca s'il faisait chaud. Il lui suffisait d'arriver et de le saluer pour que le vieillard ait déjà fini de preparer sa commande.

Avec Pure, c'etait différent. Il y avait plus à découvrir, bien plus que le petit chariot à roulettes qui sentait la saucisse. Les journées avec elle passaient trop vite : le portail auquel elles arrivaient signifiait la fin d'une journée trop courte. Il y avait les fripes où les vêtements improbables s'amoncellaient, les vendeurs de vinyles qui somnolaient derrière leur comptoir, les coiffeurs patients qui écoutaient les demandes improbables de la rouquine. C'étaient aussi des expérimentations en roller sur la pente la plus dangereuse de la ville ou des rencontres étranges avec des vieilles qui regardaient les vêtements de ces jeunes débauchés.

C'etait aussi un couinement qui surgit de la poubelle dont elle soulève le couvercle pour y jeter avec rage son papier. Elle a un regard halluciné vers le fond de cette benne et ne voit rien. Le sac en plastique noir vide s'agite avec le vent qui s'engouffre dedans. Un truc gratte et sort comme un diable et -

— AH SA RACE.

Pour une race, elle lui est inconnue. La seule chose qu'elle sait, c'est que cet ours miniature mordille sa cheville, enfin, est montée sur ses pieds et lui bave dessus. Elle a ce geste puéril de reculer vivement et de battre l'air avec sa jambe - pour degager l'ours ou enlever sa salive, on ne sait pas.

La scene qui suit est digne de celle de Shrek où le chat Potté agrandit ses yeux.
La chose les regarde, avec de grands yeux adorables et un petit gémissement inaudible. Elle a des poils qui semblent denses et tellement doux, des petites pattes potelées, une minuscule queue qui remue un peu, des oreilles qui retombent de façon adorable, des -

— UN CHIOT.

Lux a cet air répugné et sans coeur des méchants dans les dessins animés.
La petite bête ne cesse de les regarder, surtout Pure en fait, c'est malin ces petites choses, ça a compris que Lux ne fondrait pas devant leur gueule baveuse. La rousse regarde avec incrédulité ses jambes souillées et songe à brûler ses converse en rentrant ou à prendre une douche brûlante avec mille savons, une douche à la Virgin.

Dans un tourbillon de flammes rouges de l'enfer - ce ne sont pas des effets spéciaux, juste une périphrase pour désigner sa crinière, elle fond tel un faucon sur la misérable bestiole qui se met à émettre des petits sons aigus et pathétiques.

— Connard, on ne t'a pas élevé correctement ?

Elle le tient pas la peau du cou, il a arrêté de remuer sa queue, il a compris la puissance grandiose et magnanime de cette bestiole pire que le plus aggressif des rottweilers, il a ployé devant l'air furieux et la voix houleuse de Lux la très grande, il se soumet à sa tyrannique colère, c'est un petit chiot intelligent et raisonnable.

— En plus tu as ta queue toute cassée.

Elle est retournée comme un tire-bouchon, ça doit être un mélange entre un chien et cochon ou il ne se serait pas mesuré à un monstre pareil.
Ou alors avait-il senti l'aura adorable et clémente et miséricordieuse de Pure.