L'odeur profonde et puissante de la forêt parcourait les alentours, fourvoyant avec vigueur le piteux état de l'air de la ville. La beauté du ciel dissimulé ou au contraire embelli par le magnifique feuillage des platanes se trouvant au-dessus de moi chantait à travers le vent une mélodieuse mélancolie.

_En bref j'aurai vu Bambi que ça ne m'aurait même pas étonné._

J'allais rarement dans le bois, mais j'avoue que j'aimais bien m'y retrouver. Même si, comme dit précédemment, je trouvais tout ce cirque totalement futile. Ok c'était cool l'environnement, la nature et tout. Mais pourquoi inventons-nous des graphismes biens plus beau que la réalité si cette dernière est si parfaite ?

Je pris de la poche de ma veste noire un paquet que cigarettes longues duquel je sorti une de mes 3 dernières. Je réenfonçai alors l'embalage délabré à son emplacement habituel avant d'en ressortir un briquet zippo en argent. Eh ouais les trucs qui ne servent pas plus qu'un briquet à un euro mais qui coutent bien plus cher.

Portant les objets à ma bouche entre ouverte, je mis mon autre main devant afin d'abriter le feu consumant le bout de la clope. Mes lèvres froides étranglèrent le philtre beige afin d'en aspirer lentement sa vapeur. Une bouffée pénétra ma gorge sèche.

*Celle du matin, c'est la meilleure.*

La fumée recrachée perça le souffle vide et pur de l'air parmi la brise. Je fixai un moment ce paysage superficiel, me disant que je n'avais strictement rien à faire ici. Mais une chose était sûre, je m'y sentais vraiment bien. Certainement grâce à l'espace : j'étais claustrophobe.

Je parcourrai la verdure nonchalamment, brisant la transparence de l'air.

*Je n'aime pas quand il fait beau.*

Mon enfance, recouverte d'un tissu d'illusion mettant en scène une famille joyeuse vivant dans un joli quartier où il fait toujours beau et bon vivre, était un souvenir pénible. Et je haïssais la moindre chose me la rappelant. Moi, j'aimais la pluie. Ce phénomène hydrométéore météorologique du cycle de l'eau. La pluie se forme à partir de la condensation de la vapeur d'eau qui a été évaporée par le Soleil, cette saloperie, puis s'est condensée dans le nuage par le refroidissement adiabatique dû au mouvement ascendant de l'air. Bref on s'en fout. J'aimais la pluie, point.

*Une en moins.*

J'envoyai à terre seul le filtre qui restait du mégot, m'arrêtant près de cinq secondes pour bien l'écraser. Il ne faudrait pas qu'elle mette le feu au bois quand même...
J'avançai encore un peu, puis une soudaine envie de me poser quelque part me prit. Je regardai autour de moi, vérifiant qu'il n'y ai pas une bande de gamins pas très loin ou encore une ruche, puis m'assis promptement dos contre un arbre.

Je fermai les yeux.

*Heaven, un jour, tu seras libre. Libre comme ce vent que tu pollues plus de jours en jour.*

L'espoir m'envahissait de plus en plus. Chaque seconde, je me disais que même moi, je pourrais m'en sortir. Mais j'avoue qu'il m'arrivait parfois d'en douter. Et,

Shctrchsssssss

*Eh ? C'est quoi ce bruit ?*

J'ouvris les yeux sèchement, et aperçus un des gamins de l'orphelinat.
Génial.
Moi qui adorais les gosses !

Celui-ci me disait quelque chose. Je l'avais probablement déjà vu.
Après l'avoir analysé du regard un quart de seconde, je me rendis compte que cet enfant à l'allure fantomatique et brutale était connu par nombreux d'entre les orphelins. Entre les solitaires, les fous, les accros à je ne sais quoi, les violents, etc..., lui, parait-il, n'était pas dès plus sages et sympas malgré son jeune âge.

Avec cela, la première chose qui me vint à l'esprit fut :

*Je vais pouvoir m'amuser <3.*

Verte. Sa peau était verte. Et parsemée d’écailles. Est-ce normal pour un pot de yaourt ? Marrant en tout cas. Il toussa un peu et mis ses lunettes. Pas sur son nez, non, les pots de yaourt n’ont pas de nez. Il prit un bout de parchemin qu’il lu à voix haute.

« Le monde est beau, le monde est vaste. Mais le monde et petit et laid… »

Les bananes applaudirent, suivies des fraises, pendant que les casseroles pestaient entre elles, et que le frigo se mit à rire de sa voix rauque et forte.

« Je poursuis… Les arbres s’étendent à perte de vue… Que déjà ils n’existent plus… »

On entendit une acclamation provenir de l’intérieur du lave-vaisselle qui s’excusa aux noms des couverts qu’il renfermait pour cette seconde interruption.
Le pot de yaourt eu un regard noir, et s’apprêtait à reprendre…

SPLAAASH

_Wha!
_ Salut, bien dormi ?

Je tournais ma tête lentement, et le vis. Mon cœur battait fort dans ma poitrine, comme s’il espérait se décoller et partir au loin. Je le regardai incrédule, les yeux écarquillés. Il souriait, le salaud. De ce sourire de triomphe en tenant ce putain de sceau à la main. Mes cheveux étaient plaqués contre mon visage, alourdi par l’eau qui dégoulinait joyeusement jusqu’à former une tache énorme sur mes draps.

_ T’es… Sérieux ? Dés le matin tu utilises une méthode si ridicule ? Putain… Tu as tellement envie de mourir, tu pouvais pas attendre quelques minutes de plus ?!

J’avais fini par hurler à la dernière phrase. Ce gars raffermissait mon sentiment de haine envers l’espèce humaine à chaque fois que je voyais son putain de visage. Le frapper, tout de suite, ne serait pas pour me déplaire.

_ Non, le chat voulait seulement te réveiller, ma chérie.

Il souriait jusqu’à s’en plisser les yeux. « Ma chérie » ? Ça l’amuse en plus ! Pour lui je ne suis rien d’autre qu’un jouet ? Un jouet… Je sais bien que ce n’est pas ça, c’est plus bête encore. On ne pouvait juste pas supporter l’autre. Son visage, son comportement, tout. Une haine physique et réciproque.
Je pris mon oreiller pour lui lancer à la figure, mais il l’évita cet imbécile.
Ma réponse puérile le fit rire, et il abandonna le sceau dans un coin de la chambre avant d’en sortir. Son rire résonna encore un peu dans le couloir.

Je restai là, assis sur mon lit, sans bouger. Me réveiller, bordel… Il y avait d’autres moyens de le faire ! Tout ce qu’il voulait c’était voir ma réaction. Et apparemment elle l’a bien amusé. Il commençait la journée de bonne humeur grâce à moi, et moi de mauvaise, par sa faute.

Je me dirigeais vers le réfectoire après m’être habillé, toujours les cheveux et une partie du corps trempé, en pestant. Putain, il avait osé faire ça un samedi en plus, l’enculé. Il fallait évidemment que je partage ma chambre avec la personne que je haïssais le plus de tout l’orphelinat… Pourquoi être étonné ?

J’vais lui faire bouffer ses moustaches à ce crétin de chat ! Cheshir… Tu vas l’entendre ma vengeance, je le jure.

Au moins, le fait que ce connard m’ai réveillé de bonne heure en ce jour de grasse mat’ à fait que je ne rencontrais personne pendant le repas, ce qui n’était pas plus mal. Je hais les gens, je hais les humains, je hais toute l’espèce humaine au grand complet, ou presque, avec Cheshir au premier rang. Ma rage était telle que je me suis blessé l’intérieur de la bouche en mangeant. Sainte journée.

Après ce repas dont il ne me restait que le gout du sang qui avait commencé à arrêter de couler dans ma bouche, je me rendais dans la bibliothèque pour passer le temps. Temps qui passa incroyablement vite, quand, en plein livre, je m’endormis par terre, entre deux étagères, et revis le pot de yaourt.

Je me réveillais en oubliant le discours qu’avait tenu le pot de yaourt. Je me souvenais juste que ce qu’il déblatérait était complètement paradoxale. Et que ça m’avais plus, étrangement.

Mon corps se leva machinalement, et je sortais de la bibliothèque sans savoir vraiment où j’allais. Un endroit où je ne croiserai pas Cheshir si possible. Et personne en fait, ce serait pas mal.

Si le bois était un bon choix ? En tout cas c’est ce que je croyais. J’eu beau m’éloigner des endroits les plus fréquentés, pour me retrouver à ma place tranquille et à l’ombre habituelle, que quelqu’un se trouvait déjà là.

Je le fixais les sourcils froncés. Pourquoi m’a-t-il tout de suite énervé ? Je n’étais déjà pas d’excellente humeur, à la base, à cause du chat stupide et ignorant qui méritait bien ces deux adjectifs de même famille. Et en plus ma place de tranquillité ce trouvait occupée. Quand je « m’intéressais » à lui, ce fut pire.
Les cheveux blond, les yeux ternes qui ne reflétaient rien, particulièrement énervant, et, surtout… Cette odeur de cigarette qui émanait de lui. Non pas que les fumeurs me dérangent, j’en ai absolument rien à foutre. Non, ce qui me dérange dans son cas c’est que l’odeur était encore très présente. Signe qu’il l’avait fini il y a peu. La preuve qu’il a fumé dans une foret. Sérieux, il crame ne serait-ce qu’un brin d’herbe, je le tue.

Et voilà que l’enfoiré, après m’avoir un instant étudié du regard, fit une moue bizarre que je n'étais pas sur de comprendre.

_Quoi ? Lui laçai-je, la voix empli de haine.

Une chose était sûre : je n'aimais pas les gosses. Ils sont bruyants, agités, et surtout, dans ce cas, très colériques.

Je ne connaissais Dino que de réputation, et me doutais que quand il était énervé, ce n'était pas de l'ironie. Ce gamin était la personnification de la violence apparemment. Et là, il ne semblait pas dans son plus grand calme.
Pour commencer, ses sourcils froncés en disaient long sur son état moral, et endurcissait son regard d'enfant. Il n'était pas comme les autres gosses. Il semblait... Plus sérieux.
Ses cheveux sombres et ébouriffés semblaient ne pas avoir été coiffés depuis un petit moment déjà, et lui donnait une allure grossière et sauvage.

Youpi, un fauve fantomatique, pour résumer, et en colère en plus.

A la limite, s'il ne m'avait pas dit ce « Quoi ? », et avait passé son chemin, cela ne m'aurait pas gêné. Des gens bizarres, il y en a plein ici, pour ne pas dire tous. Mais là, sa façon de parler était comparable à une insulte. Je pense que s'il il m'avait dit : « Bouge de la sale con », ou un truc dans le genre, j'aurais réagi et pensé de la même façon que je le fis. Je n'aimais pas sa manière de parler. Vraiment pas.

Je continuais à dévisager le garçon avec insistance tout en restant impassible.

15 secondes passèrent entre sa question irritante et ma réponse. 15 secondes qui me semblèrent à la fois très rapides et très lentes. Très rapides car mon analyse ne me laissait pas le temps de me languir, et très lentes car je me rendis compte que mes pensées faisaient attendre le jeune éphèbe.

- Mais rien.

Dis-je avec atonie.

Voilà ce que j'avais répondu. C'est tout.
J'avais la sale (ou bonne ?) habitude de ne parler que très peu, et je savais que la plupart des gens détestaient ça, et n'arrivaient pas non plus à me déchiffrer, en conséquence.

Mes yeux se baissèrent en direction de la poche où se trouvait mes cigarettes, et ma main droite les suivit, faisant changer la position de mon torse. Je recommençai donc l'opération : Je sorti une de mes deux dernières, remis le paquet dans la poche de ma veste, pris mon zippo en argent, et allumai la clope.

C'est ça qui le dérangeait.

J'en étais sûr, et le narguer tout en paraissant ignorant était un pur plaisir.

J'étais quasiment sûr que sa réaction allait être un acte ou une parole violente. Ce gamin me faisait rire. Il était sérieux, ça se voyait, mais je trouvais les gens colériques ridicules, et encore plus si c'était un gosse.

Je relevai mon regard en le plongeant dans celui de Dino, et recrachai la fumée lentement.

Je n’ai jamais compris les gens. Même en essayant, je n’y arrive pas. A quoi pensent-ils? Sont-ils sincères? Leur gestuelle, que veut-elle dire? Je n’ai jamais réussi à savoir. Je suppose que je suis parano. J’imagine toujours qu’ils m’en veulent, me haïssent ou que sais-je encore. Ils ne peuvent qu’avoir des sentiments négatifs à mon égard. Peut être que je me trompe, mais… Je n’arrive juste pas à leur faire confiance. C’est tout. Ils cachent tous leur vrai visage, c’est sur! Je n’ai jamais été à l’aise avec quiconque à part mon oncle. Il faut croire… Que je ne suis vraiment pas fait pour être avec les humains…

Tout ça pour dire que je ne les aime pas. Et ce type, là. Je le connais pas, pourtant je suis à la limite de le détester. En plus du fait que ce soit un humain, son visage m’énerve, sa façon de me regarder aussi… Comme s’il m’examinait. C’est extrêmement irritant.
Il ne se presse vraiment pas pour me répondre en plus. Il veut quoi, lire dans mon âme? Il n’a pas besoin de me fixer comme ça!

- Mais rien.

Oh… Bordel de merde. Mais quel… J’ai vraiment envi de le frapper. Mais… Sérieux! C’est quoi cette réponse de merde?! Il veut vraiment m’énerver, c’est ça, hein? Voir si je vais craquer ou un truc du genre? Nan parce que là c’est quand même… Insupportable.
Il faut que j’arrête. Je dois juste me calmer. Me calmer, me calmer, me calmer… Ce n’est pas un enfoiré irritant qui se fout de ma gueule, non… Tout va bien… N’est-ce pas… Comment je suis censé faire pour me calmer d’abord?!

Je le regarde à nouveau à cause d’un bruit de vêtement. Il est en train de sortir un paquet de cigarette… Il se fout de ma gueule?! Nan mais… C’est pas possible! Il se fout vraiment de moi, pas vrai?!
Et il l’allume. Vraiment.

L’assassiner. Juste ça. Je suis sur que je serais bien plus calme après. Le broyer. Fracasser sa tête contre les murs… Ah, ça calme un peu, c’est super…

Hum, nan, j’ai rien dit. Le voilà qui recrache sa fumée… En me regardant… Il le fait exprès. AAAAAAAAAAH L’ENFOIRÉ!

Mon corps tremble trop. Tant pis, si il lui arrive quelque chose il l’aura bien cherché.

Dans ce genre de cas où un tel stade est atteint, je ne peux plus vraiment me retenir, mon corps bouge limite sans ma permission. Mais ça devrait aller… J’espère… J’espère? J’espère quoi?

J’agrippe sa main, la sert au point de m’en faire mal. Et lui arrache sa cigarette en me brulant les doigts. Tout va un peu trop vite pour moi, ma tête tourne un peu. J’attrape son col et fracasse ma tête contre la sienne. Je ne suis pas sur que ça lui ai fait autant de mal qu’à moi.

_ On fume pas dans une foret, enculé! Va te pourrir les entrailles ailleurs!