Respiration. Bruissement. Il a les paupières à peine desserrées. Le monde n’est plus que quelques tâches éparpillées, que formes atténuées, indécises et floutées. Simple réalité tronquée. Voile épais de fumée opaque sur ses yeux fatigués. Comme une photo ratée. Gris, brun, noir, blanc, lumière, ombre. Tableau impressionniste mal agencé. C’est ce qu’il voit Néron. Son petit monde nébuleux. Pourtant, il est beau le monde de Néron. Avec ses sons insonorisés, avec ses couleurs fades. Tout est fade autour de Néron. Il est le noir et blanc d’un monde desaturé. Mais un rien vaut mieux que la réalité. Il n’a pas dormi de la nuit. Il est resté dans sa chambre, assis sur son lit, à écouter la respiration cadencé de ses camarades. Il a vu la couverture de Monroe se soulever à chaque fois qu’il inspirait. Il a entendu les draps de Disaster se froisser à chaque fois qu’il bougeait. A travers la fenêtre, il n’y avait ni lune ni étoile, juste une fraction de ciel encre. Saurait-il dire depuis combien de temps il est sur ce fauteuil, les jambes recroquevillées, la tête penchée sur le côté, les yeux à peine ouverts comme si la lumière matinale l’aveuglait ? Saurait-il dire comment il est arrivé à trainer son corps jusque dans la salle commune ? Il ne se souvient pas. Il s’en fout. Il entend des sons étouffés, des paroles qu’il n’arrive pas à écouter. Il voit des formes bouger, des corps qui se meuvent sans pouvoir les distinguer. Ca fait du bruit tous ces corps qui se déplacent. Toute ces gouttes de chairs qui bougent, qui ne cessent d’avancer, qui ne peuvent pas s’empêcher de faire entendre leur voix, de parler. Corps dissonant qui résonnent parce qu’ils sont vides. Et Néron, silencieux, les regardent passer, jusqu’à ce qu’ils s’arrachent de ses pupilles pour aller s’effacer dans un coin de son œil embué. Vert.
L’électrochoc fut brutal et sans pitié. Au milieu de ce tableau mental insipide, le vert acide explosa à sa rétine. Vert électrique qui s’infiltre dans la peinture, tâche immonde qui se s’insinue avec la tranquillité de celle qui connait sa propre immondice. Coulure du peintre, ineffaçable et qui infecte la toile, la frappe de tout son atroce éclat. Cyanide. Le visage de Néron s’éclaire et laisse entrevoir un sourire. Chaleureux. Sincère. Niais. Cyanide. Sous quelle forme aura-t-il déguisé l’horreur qu’il est aujourd’hui ? Quelle mascarade va-t-il encore créer pour propager l’abomination qui suinte par tous ses pores ? Et quels mensonges a-t-il encore inventé ? Il entend les plaques militaires qui claquent dans l’air quand Cyanide marche. Il voit cet étirement vicieux des lèvres de Cyanide, ce sourire avide. Cyanide est la peste ; la peste de l’âme. Une infection au sein des esprits qu’il détraque. Et il peut la sentir, Néron, l’infection que Cyanide a propagé au sein de son propre cerveau. Son obsession. Dis-moi Cyanide, est-ce que tu ressens à quel point je veux te faire souffrir ? Chaque jour apporte un peu plus de Cyanide en lui. Chaque jour infiltre le poison dans ses veines et contamine ses membres. Un jour de plus. Un mensonge de plus. Un peu de Cyanide distillé dans son âme, qui murmure ses horreurs au creux de son cou, ce vent glacial qui emporte le monde à la désolation. Cyanide est le Narcisse de Néron. Dis-moi Cyanide, est-ce que tu ressens à quel point je veux te voir mourir ? Et à quel jeu allons-nous jouer aujourd’hui ? Ce n’était pas de l’amitié. C’était un accord tacite, une alliance temporelle inavouée. « Ensemble, nous détruisons. » Et lorsqu’ils auront détruit le monde, lorsque leur démence aura tout avalé, lorsque la mer et les océans seront rouges de tout le sang qu’ils auront fait couler, il ne restera plus qu’eux. Toi et moi. Et là, ce serait à celui qui déglinguerait le premier. Et crois-moi, Cyanide, à ce moment-là, je me ferai le plaisir de faire exploser de mes propres mains, ta sale face d’enfoiré.
Leurs regards se croisent. Une fraction de seconde. Dis-moi Cyanide, qui allons nous détruire aujourd’hui ?
Invité
Sujet: Re: Cyanide – « Apocalypse, please. » Ven 18 Mar - 2:48
Les détonations résonnaient encore à ses oreilles, comme une ritournelle dont on ne peut se séparer malgré toute la volonté du monde. Non pas qu'il veuille à tout prix cesser de les entendre, loin de là, cette si charmante mélodie le réjouissait au plus haut point. Il sentait encore le souvenir de son cœur gonfler à chaque fois que le son percutant avait éclaté. Et son sourire continuer de s'agrandir. Et maintenant, que vas-tu faire ? Qu'as-tu donc en tête pour occuper de manière tout aussi satisfaisante – sinon plus – le reste de cette journée ? Allez, dis-moi donc Cyanide, à quoi veux-tu jouer aujourd'hui ?
Bang. Alors tu erres là où tu ne devrais pas être, tu parcours inlassablement les couloirs déserts, tu visites les salles vides et jettes un œil sur les placards remplis à la recherche de quoi, de qui, tu n'en sais rien. Tu attends de voir, de voir ce que le hasard, le destin ou dieu sait quoi encore t'as réservé, de voir quelle délicieuse surprise va bien pouvoir se dessiner devant toi. Tu peux attendre, tu n'es pas pressé ; pas encore. Tu fais un saut à l'étage, salue cette chère infirmière, prend des nouvelles du dernier visage peu familier que tu as envoyé ici, un sourire suintant d'hypocrisie et d'intérêt malsain aux lèvres – quand pourras-tu de nouveau apposer tes sceaux sombres sur lui, sur elle ? On te hèle, t'apostrophe, on glisse un bras sur tes épaules tandis que tu leur distribues tes railleries habituelles – celles dont les lames sont assez émoussées pour que la menace reste inaudible – et leurs rires tonitruants hésitent un instant avant de s'élever. Ils dévorent ton temps, accaparent ton attention, remplissent ton crâne de ragots et de non-sens autant que d'agacement. Mais l'ennui se dessine déjà ; tu affabules, tu trompes et t'esquives enfin. Tu as eu ce que tu voulais, peut être un peu plus, ou un peu moins, tu t'en fiches bien de savoir pour le moment. Tu files déjà ailleurs, essaierais-tu de devancer les heures ?
Bang bang. Et ça cogne encore. Ça cogne encore dans ta poitrine, ça cogne encore dans tes tympans, ça cogne encore ça et là sous tes tempes. Sous ton crâne. Sous ta peau. Sous tes poings. A moins que ce ne soient des réminiscences de plus, juste des coups fantômes dont tu ne te souviens même plus à qui tu les a offerts. La seule chose dont tu sois sûr qu'elle est réelle, qu'elle est tangible c'est ton sourire. Ton putain de sourire, ce rictus monstrueusement splendide, comme une percée sur ton âme. Ton putain de sourire qui n'en dit jamais assez long, cette grimace affreuse dont on ne sait jamais s'il faut la prendre au sérieux ou s'il est déjà trop tard. Mais toi tu t'en fous, toi tu continues à déchirer ton visage de cette faux immaculée. Qu'est-ce qu'on ne ferait pas pour te le faire ravaler, te l'enfoncer jusqu'aux tripes, jusqu'à ce que tu ne puisses plus que le vomir, ton putain de sourire ? Et toi tu t'en fous, toi tu ris encore ; parce que tu aimes ça, quand tes lèvres se plissent à en donner des envies de meurtres. Mieux, tu adores ça.
Bang bang bang. L'empereur est là, comme prédit, comme prévu, vautré dans cette apathie statique dont lui seul sait aussi bien se revêtir et qui t'amuse tant. Alors soit, puisque ni cette lumière folle de Jeanne d'Arc ni l'autre gamine à mi-chemin entre la sorcière et le diablotin n'avaient daigné apparaître, ne restait que le brun. Ne restait que ce tyran-là pour peut être rassasier l'impatience qui t'avait pris au corps, fauve affamé qui a trop longtemps attendu son dû. Ne restait que Néron. Néron le fêlé, Néron le brisé, brisé comme ces glaces qui vous maudissaient pour sept ans, Néron comme un miroir dont on aurait essayé de recoller jusqu'aux plus minuscules éclats sans jamais y parvenir entièrement, Néron comme ton reflet dans ce miroir, reflet bancal, reflet trouble, un toi tordu, un toi déformé, avec un peu plus de ceci et un peu moins de cela. Il aurait presque pu être ton reflet, Néron, mais ça ne t'aurait pas autant plu, ton intérêt n'aurait pas perduré aussi longtemps.
Bang bang. Tu te décolles de l'encadrement de la porte d'où tu l'observais en ricanant doucement, indifférent comme lui à toutes ces silhouettes qui passent et te frôlent comme autant de spectres sans visages. Et tu sens tes lèvres s'étirer de nouveau, déchirant tes traits d'un sourire vicié que le rictus qu'il te rendra bientôt agrandira encore. Tu te glisses auprès de lui, sans d'autres bruits que tes plaques qui cliquètent, après tout les pires monstres sont toujours silencieux. Viens le face à face, si peu hostile pour les regards, si plein d'horreurs pour les esprits. L'empereur et le poison. L'empereur et son poison, le poison et son empereur, le possessif importe peu ils se fondent l'un dans l'autre, sans appartenance, ou pas comme on s'y attend, pas comme on le croit. Pas comme il faudrait. Le coin de tes lèvres tressaille, rehaussant l'avidité qui luit dans ton regard tandis que tu te penches vers lui, proche, trop proche peut être. Qu'importe, qui s'en soucie ? Sûrement pas toi qui le scrute sans relâche, et joue encore sans trop savoir à quel jeu. Tu égraines un léger rire satisfait, tires distraitement un fauteuil en face du sien et t'y laisses tomber avec une nonchalance familière, presque une vulgarité élégante, qui te colle à la peau. Tout te colle à la peau, Cyanide. Tes mensonges, tes sourires, tes envies, tes horreurs, tes vices, ta violence, ton impatience, ta folie ; et tellement plus encore, et tellement pire encore. Ou peut être que tu les affiches délibérément, va savoir.
▬ Varions un peu, tu veux.
Comme s'il lui laissait le choix. Mais, oui, sortons de l'ordinaire, brisons nos cercles habituels, allons ailleurs, allons plus loin. Où veux-tu aller, Néron ? Où as-tu donc envie de nous conduire à part à notre perte ? Montre-moi toute l'étendue de ton aliénation, étalons-la à la face de tous, célébrons-la comme il se doit. Et peut être que je te laisserais un droit sur mon âme, un droit sur ma mort. Peut être bien que je te laisserais me tuer.
▬ A toi l'honneur.
D'un geste tu désignes le ramassis d'orphelins qui piaille toujours autour de vous en braves spectateurs ignorants. Tu les désignes eux et puis tous les autres, tous ceux qui n'ont pas répondu présent, n'ont pas entendu la rumeur chuchotée qui dit qu'aujourd'hui l'empereur sera couronné. Ou détrôné, qui sait. Que choisis-tu, Néron ? Ton rictus s'agrandit, se déforme, suintant ton poison à tout va tandis que les détonations fantômes battent à l'unisson de ton cœur. Alors, le sacre ou la destitution ?
Bang.
Invité
Sujet: Re: Cyanide – « Apocalypse, please. » Mer 23 Mar - 20:06
« See you at the bitter end. »
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Il s’est assis face à Néron, emportant à sa suite son invincible sourire. Celui qui est ancré dans sa peau. « Varions un peu, tu veux. » dit-il et Néron approuve. Comme toujours. Au fond, ça le fait rire. C’est ça Cyanide, changeons des règles qui n’existaient déjà pas auparavant. Provoquons de nouveaux conflits. Créons de nouvelles guerres. Allons plus loin encore dans la douleur. Trouvons de nouvelles armes. Aujourd’hui, Néron prendra la provocation. Edifions-nous de belles morts. Pas de ces morts héroïques qui sont écrites dans les livres d’Histoire. Pas des ces morts tragiques dignes de Roméo et Juliette. Mais de ces morts comme des overdoses de vie.
Cyanide a un geste désinvolte pour désigner les orphelins. Un geste comme on offre des bêtes en pâtures. Qui choisiras-tu, Néron ? Et Néron les suit du regard : il les observe s’agiter, il les observe se complaire de ce qu’ils sont. Il les regarde se contenter d’exister. Il les veut tous. Tous. Il veut étreindre leur bonheur pour le broyer entre ses doigts. Il veut leurs rires, pour les transformer en pleurs. Il veut la douleur, sentir leurs phalanges s’écraser sur sa mâchoire en un poing qui le briserait. Sentir le gout du sang dans sa bouche. Il veut leur violence et la sienne. Il veut un flirt avec la haine, une perfusion de dévastation. Il veut entendre leurs cris, pour hurler plus fort qu'eux. Il veut enfoncer la démence dans leur chair jusqu’à les tuer. Il les veut tous. Plus fort. Plus rapide. Plus meurtrier. Et encore. Il les veut tous. Ou il ne les veut pas. Et demain, il aura oublié.
Son regard bifurque vers l’horreur qui se tient devant lui. « A toi l’honneur » a-t-il dit. Néron se penche vers lui. Trop près. Leurs visages à quelques centimètres l’un de l’autre. Il a ses yeux qui ne peuvent arrêter de fixer ce sourire. Le sourire de Cyanide. Il ne peut empêcher son bras de se lever lentement vers ces incessantes lèvres étirées. Son obsession. Arrête de rire. Ah Cyanide, il va dévorer ce sourire qui ronge ton visage. Il va frapper si fort que ça brisera ton putain de sourire, que tu n'oseras plus jamais sourire. Plus jamais. Crois-moi, Cyanide, il n’y a rien de drôle. Il n’ose pas tendre la main plus près. Il laisse le bout de ses doigts errer le long du menton et il touche la peau d’un frôlement abrupte, comme un coup de vent mal chassé. Et ils coulent, les doigts de Néron sur la nuque de Cyanide et lentement, avec la douceur du nécrophile qui touche son premier cadavre, il laisse sa main s’emparer de la gorge. Il n’avait jamais réussi à admettre la peau légèrement hâlée de Cyanide : la peau de celui qui s’est laissé trop effleurer par les rayons du soleil. Depuis quand la lumière atteint-elle les gens comme toi ? Et à la seconde où la chair de sa paume se mêle à la chaire de la gorge, il ne réussit pas à admettre toute cette vie qui se dégage du corps de Cyanide. La main plaquée sur sa nuque, il sent la peau tiède sous sa paume, l’affluence du sang par palpitations régulières de la veine, le souffle de l’haleine qui coule sur le visage de Néron. Ca le dégoûte. Depuis quand les gens comme toi dégagent-ils de la chaleur corporelle ? Les gens comme nous. Il a envie de lâcher, de desserrer cette emprise sur la chair de Cyanide. La machine humaine. Ca le dégoute. Mais il ne lâchera pas prise. Il gardera sa main étroitement liée à la gorge de Cyanide. Il ne se fera pas destituer. Pas aujourd’hui. Pas par toi. Même si ce geste devait sonner sa mort, même s’il sonnait la déchéance de cet Empereur qu’il se refusait à être d'ailleurs, il ne lâcherait pas. Et il ne lâcherait plus Cyanide, pas avant de l’avoir broyé entièrement, d’avoir consumé chaque fraction de son sourire. Il allait laisser une fêlure immense dans sa mémoire pour que jamais il ne l’oublie. Cyanide, tu n’oublieras pas Néron.
« L’honneur ? Es-tu bien sûr de savoir ce que ce mot veut dire ? » Autour d’eux, les têtes se sont tournées, les conversations se sont amenuisées. Néron peut sentir leurs regards inquiets. Serait-il en train de l’étrangler ? Et il sait que dans quelques secondes à peine, l’un d’entre eux s’en mêlera et ce serait juste le commencement de ce qu’ils appellent l’Apocalypse. Mais pour le moment il n’y veut plus y faire attention. Pour le moment il n’y a que Cyanide. Et il se demande s’il peut, ne serait-ce qu’un peu, effacer ce sourire qui fracasse ton visage.
Someone call the ambulance there's gonna be an accident.
Prévisible. Bien trop prévisible. L'ombre d'une déception fige ton rictus et ternit la flamme étrange de tes yeux, l'espace d'une seconde. Tu ne cherches même pas à te dissimuler tu ne l'étales pas non plus, il le verra seulement s'il le veut. Tes lèvres qui se plissent un peu plus, le soupir que tu mimes, le rire muet qui résonne dans ton crâne éclate d'évidence ; c'est risible. Vous êtes risibles, vraiment. Néron est pourtant d'ordinaire si imprévisible, tout ça ne lui ressemble guère. De toute façon il ne ressemble à rien Néron, à peine à des gravas hétéroclites qu'une main maladroite aurait distraitement compacté dans son ennui. Il ne ressemble à personne Néron, à part peut être à toi. Néron. Tu ne sais guère plus du personnage que de celui qui en arbore le nom, tout juste que cet empereur romain a laissé son empreinte tordue dans les esprits. Évidemment tu as aussi entendu quelques murmures sur une possible folie, la mention de poison quelque part dans son histoire, des meurtres, la crainte, la peur, l'horreur supposée de Néron. Tu l'as juste en face de toi la véritable horreur de Néron, sa démence dans son état le plus pur. Un Néron qui n'était empereur que lorsque l'on daignait le voir ainsi, un Néron qui n'était pas Néron, juste un reflet. Distordu et grésillant mais un reflet quand même. Un reflet encore. Un reflet toujours.
Tu le regardes les jauger en silence, pas comme le loup devant un troupeau de brebis égarées là, non, le loup tue pour survivre, Néron vit pour tuer, pour détruire. Tu sais les envies qui réduisent ses pupilles, tu devines les plaies dont il les pare en esprit, tu imagines si bien ce qu'il voit, ce qu'il veut ; ce n'est pas que tu connaisses ses méandres par cœur c'est juste que tu sais, parce que tu le vois aussi, parce que tu le veux aussi. Tu ne souffles pas un mot, aiguises seulement ton sourire. Il y en a bien trop, des mots, autour de vous, des paroles inutiles, assourdissantes, qui remplissent l'espace, saturent l'air, des mots qui étouffent par leur absurdité et leur non-sens, des paroles qui ne pourront jamais tacher les murs comme vous le ferez, des mots qui malgré tous leurs efforts ne seront jamais indélébiles. Les mots ne servent à rien ici, les mots ne servent à rien entre vous, les mots ne comptent pas, ne veulent jamais dire ce qu'ils semblent signifier. Les mots sont hypocrisie fantaisiste, décorations futiles sur les cicatrices et les hématomes, les mots sont fioritures alléchantes saveur plaies et fractures, les mots sont dorures rehaussant les traînées de sang. Ils ne comptent pas. Seuls les actes importent, les gestes qu'on esquisse et ceux qu'on retient, les mouvements qui nous échappent et ceux qui restent prisonniers de nos psychés. Ça et rien d'autre. Ça et tout ce qu'on peut encore sous-entendre.
Puis c'est à lui de se pencher vers toi, les cendres balayées de son regard se vissent à tes iris d'or maudit. « Les rôles s'inversent », s'avancera à déclarer un spectateur ignorant. Les rôles ne s'inversent pas, les rôles ne s'inverseront jamais. Parce qu'ils n'y a pas de rôles, parce que vous n'êtes pas acteurs. Et que les seuls costumes que vous enfilez sont vos âmes, cadavres de chimères. Ton rictus s'anime un peu plus tandis que la main de Néron s'élève jusqu'à lui, ce rictus qui se creuse, s'enfonce un peu plus profondément dans la chair qui l'a fait naître. Indélébile. L'araignée estropiée court sur ton cou, arachnide froide et spectrale qui danse sur ta jugulaire et ta nuque pour mieux enlacer ta gorge une fois encore offerte en sacrifice. T'es qu'un fantôme, Néron. Impalpable pour le commun des mortels, transperçant chacun de ton aura glaciale, t'es juste un tyran-fantôme, l'ectoplasme drapé de sang d'un empereur jamais réellement mort. T'es rien qu'un fantôme Néron, et les fantômes ne peuvent étrangler personne, les fantômes ne peuvent pas tuer les monstres.
« ▬ Plus que toi en tout cas. »
Si tu sais ce que l'honneur veut dire ? Bien entendu. Tu ne connais rien mieux que ce sur quoi tu craches.
Ta voix se fait légèrement voilée, légèrement sifflante, t'offrant un air reptilien que tu ne refuseras pas, il te sied trop bien pour ça. Il n'en faudrait pas beaucoup plus pour que tu oublies ta gorge prisonnière, un ou deux degrés de plus sans doute. La main de Néron est aussi glaciale que celle d'un cadavre, aussi pâle que ta peau est imbibée de bronze solaire. Tu avais l'air plus humain là-bas, dans les rues sales dont la chaleur ambiante relevait la puanteur, tu avais l'air plus vivant quand le soleil d'un autre sud s'imprégnait dans chaque infime parcelle de ta chair viciée. Tu commences à déteindre, Cyanide. Tu commences à mourir, Cyanide. Cesse donc de vouloir t'abreuver du venin délicieusement acide des autres et retourne te soûler à ton propre poison, fatale ambroisie distillée dans tes veines. Tu commences enfin à mourir, Cyanide.
Qu'espères-tu Néron, à t'acharner ainsi ? Que croyais-tu pouvoir voir s'éteindre en serrant cette gorge entre tes doigts malingres ? Tu es bien naïf, Néron. Le rictus de Cyanide ne peut disparaître. Et quand bien même il semblerait s'effacer de ses lèvres il serait toujours là son putain de sourire. Dans ses yeux, dans ses regard, dans sa voix, dans son accent, dans le son de ses pas, dans ses plaques qui cliquettent comme un squelette errant, dans ses injures, dans ses mensonges, dans ses soupirs, dans ses murmures, dans ses coups, sur la lame de son couteau, sur sa peau, sur ses cicatrices, dans sa chair, dans son sang, dans l'air qu'il inspire et celui qu'il expire, sur son cœur, dans sa psyché ; sur son âme. Le sourire des créatures de cauchemars est ce qu'il y a de plus indélébiles. Même une fois mort son sourire viendra encore te hanter. Quoi que tu fasses tu ne pourras lui échapper, Néron.
Et puis une voix vient briser l'instant suspendu, une voix qui n'a rien à faire là, une voix qui t'horripile déjà et que tu veux faire cesser. Une voix et puis cette main, trop proche, qui veut arracher celle de l'Empereur de son étreinte. Pauvre fou. Jambe pliée, relevée, un pied sur le torse de Néron tu l'envoies se rasseoir sur son trône de pacotille. C'est ta main qui se referme sur celle de l'inconscient, c'est cette même main qui tord son poignet sans frémir quand un gémissement résonne et c'est encore ton poing qui vient s'enfoncer violemment dans son estomac. Et, sourire en coin, tu contemples ce qui n'est qu'un début du haut de ton atrocité avide. Qui est le suivant ? Ne soyez pas timides, vous y aurez tous droit. Alors, à qui le tour ?
La voix fissure le temps, écartèle les secondes. Mais ce n’est pas le monde qui s’est arrêté, le monde lui, ne s’arrête jamais de tourner ; c’est Néron. C’est Néron qui s’est suspendu. Il vacille. C’est le déclin. La lumière qui s’éteint. Le coucher de soleil du corps de Néron Ca se fendille, l’esprit de Néron. Ca se craquèle de toute part, ça s’écrase contre le sol froid, ça s’empiète à coup d’humanité, ça jonche le monde comme des fragments de rien qui ne peuvent tomber plus bas. Ca se broie, le corps de Néron. L’étreinte de sa main sur la nuque de Cyanide qui se brise. Son torse brutalement projeté contre le dossier du fauteuil. Le poing de Cyanide qui s’abat sur un ventre. Il les connait toutes ses souffrances. Il a autopsié chacune de celles qui ont martelé son corps. Il a explosé tous ses os jusqu’à leur moelle, démantelé ses veines pour connaitre chacune de leur douleur. Il s’est ouvert lui-même. Et ce n’était plus assez que de mourir. Il voulait tuer. Remplir l’absence entre ses doigts. Alors il se lève, supporte son squelette mal ajusté. Et il lance son poing. Il frappe trop fort à s’en faire claquer les doigts. Son main vient se fracasser contre la mâchoire de Cyanide. Il y a un bruit sec de coup de tonnerre, un éclair qui vient foudroyer son visage. Mais qu’est-ce que c’est, un coup de plus sur le corps ébréché de Cyanide ? Et Néron se rassoit, tombe lourdement sur le trône effrité de son monde vide, si loin de la réalité. C’est le silence dans sa tête, un silence visuel, un mutisme temporel. Un trou noir qui a tout balayé et dans lequel il s’efface.
Qui est le suivant ? Tu savais qui était le suivant. Cyanide, tu seras mon plus beau crime. Et tu peux bien enfoncer tes poings dans la carcasse de ces orphelins, te divertir de ces cadavres qui ne savent pas vivre. C’est trop facile, Cyanide. « Tu te trompes d’ennemi. » susurre Néron dans un souffle de phrase. Mais Cyanide n’entendrait pas. Ils ne s’écoutaient pas parler. Ils n’écoutaient pas ce que l’autre disait. Ils n’écoutaient pas même ce qu’ils se répondaient. Ca n’avait pas besoin de mots ces choses-là. Parce que c’était toute la violence inscrite dans leur corps qui disait. Toute la haine ancrée dans leurs gestes, toute leur destruction qui hurlait. Et toutes ces balafres qui faisaient saigner leur peau, et toutes ces cicatrices dont ils avaient ensanglanté le monde, étaient autant de bravades qu’ils s’adressaient, des défis qu’ils se lançaient. Une colère de Néron qui renversait une table et qui voulait dire « Je serai ta mort ». La main de Cyanide qui se refermait sur le col d’un orphelin et qui signifiait « Comme je serai la tienne ». Et chaque poignet que Cyanide tordait, chaque nez que Néron cassait était un discours que seul eux entendait. C’était leur langage. Un langage effroyable de haine et de violence. Le seul qu’ils comprendraient jamais.
Il avait frappé Cyanide pour la toute première fois. Il s’était projeté tout entier dans ce mouvement, comme un ultimatum à cette guerre qu’ils construisaient morceaux après morceaux comme ils étaient des morceaux l’un de l’autre. Jamais bien coordonnées, plein de vide car mal emboités et qui ne laissent qu’une image atrophiée. Ils sont les facettes d’une chimère écartelée. Ils sont des images dans un miroir brisé. Cyanide et Néron ne se complètent pas. Cyanide et Néron ne se ressemblent pas. Cyanide et Néron ne sont pas un. Cyanide et Néron ne sont pas deux. Cyanide et Néron sont une créature défigurée qui tente de suicider en emportant ce monde dans sa détérioration. Et même des années plus tard, Néron ne se souviendrait pas du nom de Cyanide, mais il continuerait d’entendre comme un écho fusillant son crâne, ses plaques militaires. Il ne se souviendrait pas de sa couleur de cheveux, mais il garderait son sourire en détraquement de son cerveau, comme une balle trouant son âme. Il pourrait encore ressentir la fracture de ses doigts contre la mâchoire de Cyanide et du contact dévorant de la gorge de Cyanide sur la paume de sa main. Il ne se souviendrait pas. Il n’aurait pas besoin de se souvenir. Des hématomes, des cassures, des contusions sur tout son corps, des douleurs qui n’appartiendrait qu’à Cyanide. Dans chacune des morsures ancrées de son essence, dans la peau arrachée de son corps, dans ses cicatrices infectées. Dans le gout du sang que Néron déversera dans les veines du monde. Dans le bruit effroyable des squelettes qu’il suffoquera. Et il trainera cette odeur dévastatrice de Cyanide, toujours, qui lui collerait à l’âme comme une intoxication dont il n’aura jamais réussi à se sauver. Comme un fléau mortel, un coup fatal, il aura Cyanide tatoué dans tous ses organes. Vrillant son monde, perçant sa vie de toute part.
Tout seul dans l'arène, je suis le roi des ombres. Tous seuls dans l'arène, maîtres de l'hécatombe.
C'était le calme après la tempête. Et soudain surgissait le silence, absence qui engloutissait tout. Et soudain surgissait le silence après ce vent qui avait tout balayé, les cendres, les braises, la poussière d'os, le sang en poudre à canon, les plaintes, les gémissements, les à demi-mots et les serments de mort. Qui avait si bien envolé le champ de bataille. Ne restaient plus debout que les cadavres de ces guerriers qui n'en seraient jamais. Ne restaient plus qu'eux deux, et le vide, désagréable sensation d'incomplet. Comme si les mugissements du souffle déchaîné avaient trop fouetté leurs corps décharnés, trop joué quelque lugubre mélodie contre les os de leurs squelettes fêlés, trop fort, trop longtemps, à tel point qu'ils s'étaient imprimés dans leurs esprits et leur manquaient pour se sentir entiers. C'était l'insolente percée de soleil après l'orage, le répit après le cyclone dévastateur. A moins que ce ne soit qu'un avant-goût. Que le calme avant la tempête.
Tu ne la sens même pas, cette douleur sourde qui dévore ta mâchoire, trop habitué, trop anesthésié. Juste la caresse doucereuse d'une amante un peu trop possessive. C'est simplement chaud, simplement vivant, presque agréable, comme un vieux souvenir qui reprend des couleurs. De la couleur. Du rouge. La couleur de cet organe pathétique, palpitant qui se mouve mécaniquement dans ta poitrine. La couleur de ce fluide qui court dans tes veines, sous ta peau, sur ta peau, le long de l'arrête de ta mâchoire. La couleur de ton avenir et celle de tes songes. La couleur de ces rues que tu paveras et de l'étendard que tu traîneras derrière ta silhouette trop sombre. La couleur de ton ciel et la teinte de ton âme. La couleur de tes os autant que des siens. La couleur des haines froides qui s'embrasent et celle des folies passionnées qui se consument. La couleur des brasiers qui ronge les esprits et de ceux qui avalent l'univers. Rouge comme les cheveux de la sorcière, rouge comme ceux de la lumière. Rouge comme la monture qui te revient, rouge comme le fil de l'épée que tu devrais porter au flanc. Rouge comme la fin du monde, votre fin du monde. Rouge l'apocalypse, rouge comme ta lèvre éclatée qui dilue au sol ton poison.
Et il rit, ce damné. Et c'est ton rire qui explose, c'est ton rire qui s'étale contre les murs, ton rire encore qui ricoche contre les corps et résonne dans les crânes. Trop frissonnant pour ne pas être sincère, trop extasié pour être faux. Comme si tu allais t'abaisser à feindre pareille exaltation. Tu ne t'abaisses jamais à rien de toute manière, tu es déjà bien trop bas pour ça, tu n'as pas d'honneur, juste une fierté singulière, trop dissociable et mouvante pour qu'on puisse la pourfendre. Et il n'y a aucun chuchotement dans ta tête pour venir te souffler que tu ne devrais pas, pas non plus d'esprit malin pour murmurer des odes à la tentation quand les lignes se troublent. Tu n'as pas de conscience et tu t'en fous, tu n'en as pas puisque c'est toi, puisque tu es ta propre conscience. Seule ta propre voix te tire toujours plus bas, plus bas encore que là d'où tu viens, plus bas mais plus haut aussi, là où personne d'autre ne va. Les pieds dans le sang et la tête au creux des âmes.
▬ C'est tout ? Tu t'arrêtes là alors que tu avais si bien commencé ? Toujours ce rire dans ta gorge, toujours ce rictus sur tes lèvres. Ça te suffit, Néron ?
Moi non, moi je ne peux pas me contenter de ça, moi je ne veux pas me contenter de si peu. J'en veux plus, oh oui bien plus. Plus, encore plus, toujours plus, plus que n'importe qui, plus que n'importe quoi, plus que tout ce qu'on peut imaginer, plus que de raison. Mais ça tombe bien tu n'es pas quelqu'un de raisonnable, Cyanide. Tu ris encore un peu, ce genre de rire tarde toujours à se défaire de vous, de toi, et c'est presque agréable à entendre. Tu parles dans le vent, dans le vide, le vide qui s'est emparé de Néron et que tu contemples sans voir, sans entendre. Ce n'est pas ça que tu veux, pas ce Néron-là dont tu veux te délecter. Et tu n'es pas du genre à attendre, non tu n'as pas envie d'attendre. Pourquoi patienter quand on peut brusquer les choses ?
Tu as encore ce sourire un peu étrange de sale gosse trop réjoui pour être innocent, grimace inhabituelle qu'ils trouvent peut être même plus anormale que les autres. Tes doigts glissent sur le pourtour de tes lèvres, étalent un peu plus de ce rouge provocant sur tes traits. Tu les sens à peine, titilles la douleur qui a trop vite déserté comme le fou qui enfonce sa lance dans le flanc du fauve en cage. Tu souris encore, tu tangues un peu, grisé par ce cocktail d'hémoglobine-adrénaline. Tu te rapproches de l'empereur perdu sur son trône, encore ce sourire, encore ce rire et tu te penches au dessus de lui, toujours ce sourire, toujours ce rire. Ce n'est pas encore l'heure pour les fantômes de s'évanouir, Néron.
Peindre sur ses joues les balafres futures que tu y creuseras, comme ces admirations qui recouvraient la peau des guerriers des temps oubliés. Maculer sa gorge de ces tendres gerbes rouges que tu voudrais voir gicler, depuis le temps, si bel hommage, chef d'œuvre intemporel qu'on ne saurait surpasser. Et le souiller un peu plus de ton sang pourri. Et ton sang à toi, Néron, quel goût il a ? J'aimerais savoir. Je veux savoir. Je vais savoir. Vois-tu comme mon poing tremble de rien devoir briser, vois-tu comme ma main frémit de rester trop longtemps éloignée de ma lame sa moitié ? Le vois-tu, Néron, comme tout mon corps réclame plus, le vois-tu comme il hurle au manque, au meurtre ? Allez, viens, prouve moi que je ne me suis pas trompé sur ton compte. Prouve moi qu'à nous deux nous sommes bien l'aliénation de la violence, l'éloge exacerbé de la destruction. Prouve le moi. Que j'ai bien fait de remettre ma mort entre tes poings.
Invité
Sujet: Re: Cyanide – « Apocalypse, please. » Dim 15 Mai - 12:15
Mets-moi un flingue sur la tempe
et décore les murs avec ma cervelle.
Ca te suffit ? Et toi, Cyanide, est-ce que ça te suffit ? De regarder Néron en gémissant des paroles qu’il n’entend pas même, ce pauvre empereur éperdu. Quel triste souverain mauvais dans tout ce qu’il fait. Qui tourne en rond dans sa tête, qui s’invente des colères, se créer des tragédies dont il rejoue sans cesse les mêmes scènes. Il est l’empereur du rien. L’usurpation d’un empereur. Un bouffon aux allures de roi. Néron est mauvais dans tout ce qu’il est. Pourtant, il continuerait à balancer des tables. Et à se battre contre le monde entier s’il le fallait. Il le doit.Et toi Cyanide, le peux-tu ? Peux-tu, infiltrer la mort plus profond encore entre tes côtes, ne respirer que l’odeur du sang, ne fouler que la boue sale et viciée ? Peux-tu, te plonger tout entier dans la souillure ? Peux-tu, briser les rêves aussi bien que démolir des cités entières ? Peux-tu, t’immerger dans l’acide, avaler de la lave, t’injecter de l’arsenic ? Peux-tu, embrasser l’obscurité des océans glacés, sentir tes poumons se gorger d’eau avant de te faire imploser ? Peux-tu, t’enfoncer le monde en plein cœur ? Dis-moi que tu peux. Dis-moi que tu veux.
Il n’a pas entendu ce que Cyanide a dit. Ca s’est perdu, quelque part dans la brèche béante qui s’est ouverte en lui. Ca a glissé telle une bavure, ça a coulé hors de son âme. C’est parti se noyer dans un flot, se perde entre deux remous, se ficher entre ses méandres. Ca s’est évaporé avec lui dans la fumée. Une craquelure de ses pupilles, ses yeux qui ne sont plus que des trous noirs qui le dévorent, un enfoncement de sa pensée. Et il y a, tellement de vide en Néron et si peu de place pour son âme. Tant de néant qui le ronge, qui le démoli, tant de trous en lui qui l’étouffent, le transpercent de toute part. Et que toute la désespérance que le monde pourrait lui offrir ne pourrait jamais combler. Alors il se hante, il parcourt ses manques. Esprit de son esprit. Les secondes lui sont devenues intemporelles. Les minutes s’effritent. Les durées se dilatent. Le temps l’assassine. Tout son corps qui s’est arrêté comme glacé dans l’éternité. Et peut-être que cela fait des heures qu’il erre en lui. Ou peut-être n’était-ce qu’une infime fraction de sa vie. Peut-être qu’il vieilli. Peut-être que c’est la fin du monde. C’est la fin du monde. L’orage qui l’appelle, les nuages noirs qui l’entrainent. Elle n’a qu’un son, la fin du monde. Un persiflage acide qui le tiraille : le rire de Cyanide. Non, tu ne partiras plus, Néron, pour un long voyage dans ta tête. Il cligne des yeux, d’un battement de paupière spasmodique qui ravale le monde. Et ça lui réapparait. La salle commune, le coup, le sang. Cyanide. Le rire agrippe son crâne, enfonce ses ongles dans sa cervelle, injecte sa morsure intoxiquées dans ses entrailles. Ce rire qui le rend sourd.
Alors son corps tout entier devient un cimetière. Parcelle de mort. Ce n'est qu'un cri, un cri effroyable, un cri qui n’a plus rien d’humaine. Un rugissement de ces bêtes qui claquent. Il se lève de son fauteuil et chacun de ses mouvements est un son horrible, un grincement de ses articulations qui se mettent en marche, de son cartilage qui se défonce. Il est l’horreur qui hurle en lui. Il est le monstre qui le dévore. Il est la contagion qui infecte les corps. Il est la nuit qui cerne le jour. Et son être corrosif qui infecte tout ce qu’il peut toucher du bout de ses doigts. Du bout de ses poings. Il a agrippé la chaise posé à côté de lui. D’un geste la lever. Et la balancer. Déployer avec elle tout cette violence inutile, irréfléchie, qui ne signifiait rien, qui ne voulait rien dire et qui n’avait pas d’autre but qu’elle-même. Mais il devait le faire. Et dans cette annihilation infernale, il les emportera tous : les autres, le monde, Cyanide. La chaise lui échappa des mains. Et c’était comme il s’était balancé avec la chaise. Et c’était comme si ce bruit de craquement était à l’intérieur de lui. Et c’était comme si en voulant atteindre Cyanide, il avait voulu se frapper lui-même.
Non Cyanide, ça ne suffit pas. Ca ne suffirait jamais. Même s’ils dérobaient la carcasse du monde pour en extraire la moindre parcelle de vie, ça ne suffirait pas. Et même s’ils effondraient ce sol pour se précipiter droit en Enfer. Et même s’ils mourraient. Et même lorsque le vent balaiera leurs os enfoncés dans la terre. Le cri ne s’amenuiserait jamais. Et même lorsque la fumée de leur démence infernale aurait noirci l’humanité. Et même lorsqu’ils auraient extirpé toute la souffrance de leurs corps, lorsqu’elle toute cette démence ne serait plus qu’un râle dérangeant et froid, imbibant l’univers. Ca ne suffirait jamais. Alors il a secoué sa tête et il a ri. Un rire chaleureux et enfantin, comme un gosse qui vient d’apprendre à faire du vélo. Un rire sincère qui ne lui va pas, qui déraille entre ses lèvres rouillées. Comme s’il avait oublié comment il fallait faire pour rire. Puis, d’un pas lent il s’est détourné et tranquillement, il est parti rejoindre la sortie.
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Sujet: Re: Cyanide – « Apocalypse, please. »
Cyanide – « Apocalypse, please. »
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