Gaëtan ; M moins 2.
« Dis il serait peut-être temps qu'on se décide pour le prénom du gosse non ?
─ Hm... »
Victoire Émeline Bourgeois fronça les sourcils en fixant son mari, tout en caressant son ventre d'un geste machinal. « Hm », c'était toujours ce qu'il lui répondait quand elle lui parlait du nom de leur futur enfant, de leur fils. Parfois, quand elle avait de la chance, elle avait droit à un « Peut-être, oui », un « En effet », voire un « C'est vrai ». Mais jamais de propositions de prénom. Comme si monsieur Maxence Bourgeois lui disait de se débrouiller toute seule, sans lui dire de vive-voix. Alors elle soupira. Si elle ne le fait pas, ce n'est sûrement pas lui qui le fera, apparemment.
« Que penses-tu de Gaëtan ?
─ Pourquoi pas. »
« Pourquoi pas », voilà. Pas de « C'est une bonne idée ! », pas d’enthousiasme, pas de volonté, comme un « Je m'en fous », un « Je veux juste que tu me foutes la paix ». Les futures prochaines années promettaient, tiens.
« Alors il s’appellera Gaëtan.
─ D'accord. »
Gaëtan ; 5 ans.
« Dis maman il est où papa ?
─ … Je sais pas mon chéri. Sûrement au travail. »
Gaëtan gonfla une joue en fronçant les sourcils, geste que Victoire trouvait adorable. Elle passa doucement sa main dans les cheveux ébène de son fils, les même que son père, pour les lui ébouriffer. Ce qui eu pour conséquence de lui faire dégonfler la joue dans un bruit de ballon crevé et afficher une moue boudeuse.
« Il est toujours au travail.
─ Il rentrera bientôt, t'en fait pas.
─ Hmpf. »
Parfois, Gaëtan se demandait s'était quoi, d'avoir un papa. Parce que son papa à lui, il était jamais là, et encore moins pour lui. Toujours au travail. Et comme sa maman travaillait aussi, il se retrouvait souvent tout seul devant la maternelle, à attendre que sa maman arrive, à regarder les autres enfants rentrer chez eux, en tenant leurs papas par la main. Il aurait bien aimé avoir ça, lui aussi.
Gaëtan ; 6 ans.
« Gaëtan ?
─ …
─ Gaëtan ! »
Gaëtan grogna et posa sa gameboy à contrecœur ─ c'est qu'il n'aime pas être interrompu quand il joue à Pokémon Jaune, ce petit ─ avant de se retourner pour regarder sa mère. En apercevant plusieurs silhouettes à côté de celle de sa maman, il fronça légèrement les sourcils.
« Je te présente nos nouveaux voisins. »
Ses sourcils se froncèrent un peu plus tendis que son regard ambre croisa celui, noisette, d'une petite fille avec des couettes qui devait certainement avoir son âge. Les adultes à ses côtés ne l'intéressaient par contre absolument pas.
« C'est qui elle ?
─ Elle s'appelle... Salomé, c'est ça ?
─ Oui madame. J'ai 6 ans et je vais aller dans l'école à côté d'ici.
─ Hmpf. J'ai 6 ans et j'y vais aussi. »
Le jeune brun repris sa console et se remis à jouer pendant que la fameuse Salomé s'approcha de lui, un sourire collé à son visage enfantin.
« Tu crois qu'on sera dans la même classe ?
─ Je sais pas. Je m'en fiche. »
Elle gonfla une joue et se pencha au dessus de lui pour voir ce qu'il faisait. L'apparition des cheveux châtains de sa voisine dans son champs de vision le fit grogner, mais il ne se déconcentra pas de son jeu.
« C'est quoiiiiiii ?
─ Ça te regarde pas. »
Derrière eux, des murmures se firent entendre de la part des adultes ; Gaëtan ne les écouta pas, mais il semblait que Victoire soit désolée du comportement de son fils. Il était bien comme son père : désagréable au possible lorsqu'on osait le déranger.
Gaëtan ; 7 ans.
« Hé toi là ! Avec les cheveux rouges !
─ …?
─ Qu'est-ce que tu fais là ?
─ …
─ Ton papa est pas encore arrivé te chercher ?
─ …
─ Répond hé !
─ … J'ai pas de papa.
─ ... »
Gaëtan fixa le rouquin en face de lui, légèrement sonné. Il n'avait pas l'habitude de parler à des enfants de son âge dans la même situation que lui, sans papa. Puis il se reprit, et réfléchit. Il l'avait déjà vu, lui. C'était un gosse toujours dans son coin qui passait son temps à se faire martyriser par les autres garçons plus âgés que lui. Gaëtan avait même participer à l’événement « Embêtons le hérisson ! » une fois. … Hérisson. Pourquoi hérisson ? Gaëtan fronça les sourcils, définitivement plongé dans ses réflexions. Le roux avait un prénom qui ressemblait à « hérisson », c'est pour ça qu'il était surnommé comme ça. Mais rien à faire, ça voulait pas lui revenir.
« Hé !
─ …?
─ Comment tu t’appelles déjà ?
─ …
─ … Mais vas-y répond on a pas toute la journée non plus.
─ … Harrison.
─ OUI VOILA HARRISON C'EST CA. »
Le roux affichait un air blasé en scrutant le brun de son regard bleu métallique, presque gris. Gaëtan sourit, de son grand sourire fier comme il sait si bien le faire, et rajusta sa casquette mise à l'envers sur son crâne avant de s’asseoir à côté d'Harrison.
« Hé tu connais Pokémon ?
─ Poké... Quoi ?
─ TU CONNAIS PAS POKEMON. Pfeu t'es ringard en fait. »
Gaëtan s'éloigna légèrement du roux.
Sale gosse, petit brun, tu es un sale gosse.« Je te ferais connaître va. Parce que tu vois dans Or et Argent y'a un dresseur Gold il est brun comme moi alors j'ai décidé de faire comme Gold. D'où ma casquette. »
Il pointa l'index de sa main droite vers sa casquette avant de le pointer vers son interlocuteur en le regardant avec un air de défi.
« Donc j'ai besoin d'un rival. Et le rival de Gold, il est roux. Comme toi, Harrison. Donc à partir de maintenant, tu es mon rival, petit hérisson. »
Il ne lui laissa pas le temps de répondre, il se rapprocha et posa son index gauche cette fois-ci sur la bouche de son nouveau rival.
« T'as pas le choix, t'façon. »
On a jamais le choix, avec Gaëtan.
.
« Regarde Gaëtan, les garçons sont encore en train de s'en prendre au roux.
─ Hein quel roux ? »
Salomé fronça les sourcils. Quel roux, comment ça quel roux ? Il savait très bien de quel roux elle parlait. Ce même roux qui, en ce moment, obsédait le brun de 7 ans, même s'il ne lui avait encore rien fait de particulier. Mais bien sûr, si Gaëtan refuse de lâcher sa console, comment pourrait-il comprendre de qui elle parle ? Alors elle soupire.
« Quel roux, quel roux, tu connais beaucoup de roux ?
─ Je fais pas attention aux cheveux des gens.
─ Ah mais. Je te parle d'Harrison !
─ … Harrison ? »
Il leva finalement les yeux de sa console et cherchant dans la cour un rassemblement bruyant indiquant les activités d'un groupe de garçons stupides. Des garçons de primaire, quoi. Et quand il le trouva, il tendit son précieux bien à sa meilleure amie et se dirigea vers le groupe, sans faire attention à ce que lui disait Salomé. C'est suicidaire ? Hm, peut-être.
« Hé, qu'est-ce que vous faites ?
─ Gaëtan ! Tu viens ridiculiser Harrison avec nous ?
─ Laissez-le tranquille.
─ … Beh ? Depuis quand tu défends les hérissons toi ?
─ Gaëtan est devenu gentil ? LA BLAGUE.
─ Haha oui c'est très drôle. C'est mon rival y'a que moi qu'a le droit de l'embêter laissez-le. »
Gaëtan attrapa le bras du roux recroquevillé contre le mur et tremblant de peur et voulu le tirer vers lui, mais un enfant, plus grand et plus âgé que lui, lui attrapa le bras pour l'en empêcher, un sourire malsain sur les lèvres. Le vrai cliché de la petite brute qui se prend déjà pour un futur grand chef de gang.
« T'as vraiment cru qu'on te laisserais faire, gringalet ?
─ On t'aime bien Gaëtan, mais tu sais qu'il faut pas nous interrompre quand on joue.
─ Pour te récompenser de ton acte héroïque, tu vas avoir droit à son traitement. Hinhinhin. »
Le brun eut juste le temps de sentir les tremblements de son rival s'intensifier avant qu'on ne le force à lâcher son bras. Que voulez vous, Gaëtan est un gringalet, son seul sport c'est la course à pied, il ne fait pas le poids. Il eu juste le temps d'apercevoir la main du roux, prêt à fondre en larme, tenter de rattraper la sienne, en vain, avant de se prendre un coup de poing dans la joue.
.
« Gaëtan... Mais qu'est-ce qu'il t'es arrivé ?
─ ... »
Une moue boudeuse collée au visage, le gamin serrait sa console dans son poing en fixant le sol à côté de lui. Sa mère se pencha vers lui, plus inquiète qu'en colère, et épousseta ses vêtements, déchirés par endroit et couverts de terre, avant de passer doucement sa main sur la joue de son fils. Le contact le fit grimacer, et elle s'inquiéta un peu plus. Il était couvert de bleus et de pansements, et le pire, c'est qu'il ne voulait même pas lui dire pourquoi.
La voix hésitante venant de derrière elle surpris Victoire qui se retourna un peu brusquement, faisant voler ses longs cheveux blonds au passage. Gaëtan, lui, daigna relever la tête en reconnaissant la voix de son cher rival.
« Je... Je suis désolé.
─ Et pourquoi donc ?
─ Ce... Je... C-C'est de ma faute.
─ Dis pas n'importe quoi. »
Gaëtan retira la main de sa mère de sa joue et croisa les bras avant de plonger ses yeux ambre dorés dans ceux bleu argentés d'Harrison, qui paniqua légèrement en croisant son regard.
« M-Mais je. T-Tu as voulu me protéger.
─ … Dis pas n'importe quoi j'ai dit. J'ai juste fait ça parce que y'a que moi qui a le droit de t'embêter. T'es mon rival à moi tout seul d'accord ? Si quelqu'un doit te taper, c'est moi et pas des grands de CM2.
─ Mais...
─ Pas de mais. J'ai fait ça pour mon hon-... Comment on dit déjà maman ?
─ … Honneur, mon chéri. »
Victoire ne savait plus quoi penser. Si son fils ne savait déjà pas être gentil avec les autres sans que ça ne soit pour son intérêt personnel, elle avait peur d'imaginer la suite. Pourquoi ressemblait-il déjà tant à son père alors qu'ils se voyaient si peu ?
Gaëtan ; 10 ans ½.
L'interpellé fut obligé de s'interrompre dans sa passionnante conversation avec sa voisine pour se retourner vers l'adulte qui venait de prononcer son nom. Il mis un temps à comprendre qu'il devait se lever et rejoindre la file de personnes qui se formait lentement derrière une femme assez âgée mais à l'air gentille qui servirait à la classe de professeur principal ; en fait il ne compris ça que lorsqu'une personne fut appelée après lui et alla se ranger dans la file. Bonjour Gaëtan, bienvenue dans le monde du collège que tu vas découvrir tout seul vu que tu n'as pas daigné écouter le directeur pendant qu'il parlait.
Gaëtan parti donc s'appuyer contre le mur non loin de la professeur et fixa le sol sans daigner écouter la dame qui lui disait de retirer sa casquette. Il avait envie de jouer à Pokémon. Ah oui, très envie. Sa maman était trop gentille avec lui sur ce point. Il arrivait toujours à la convaincre de lui acheter les différentes versions, et il passait ses journées à jouer sans qu'elle ne lui dise quoi que ce soit. Elle était impuissante. Victoire Émeline Bourgeois a toujours été une femme douce et ne s'imposant que peu, préférant obéir aux caprices de son fils qui, de toute manière, est devenu tellement pourri gâté que sa mère ne pouvait rien lui refuser sans qu'il ne pique une crise. Alors pour passer le temps en attendant que la totalité des élèves de sa classe ne soit appelée, il s'imaginait, lui, le grand dresseur Gaëtan, ou plutôt Blake étant donné que c'est le nom qu'il se donnait dans tout ses jeux, futur maître de la ligue ─ et pourquoi pas du monde, il voit grand ce petit ─ parcourir les chemins à la recherche du Pokémon le plus rare jamais découv-
Hein quoi qui ? Le jeune dresseur sorti de ses pensées à la vitesse de l'éclair et releva la tête pour regarder sa meilleure amie se lever et se diriger vers lui en se retenant visiblement de courir. Une fois à côté de lui, elle se pendit à son cou, un grand sourire aux lèvres.
« Tu te souviens de ce qu'on avait dit ?
─ Que ça serait génial qu'on soit dans la même classe au collège ?
─ Ouiiiiiiiiiiiiiiii.
─ Oué mais. Il manque encore le rouquin là.
─ Je suis sûre qu'il va être appelé !
─ J'espère, il a intérêt. Je fais quoi moi si mon rival est pas dans ma classe ?
─ Si on est tout les trois ensemble on pourra se perdre dans les couloirs ! Chasser des pokemons ! On pourra aussi [...] »
Gaëtan décrocha du bavardage de la demoiselle et regarda son fameux rival, assis seul au bout d'une rangée maintenant que ses deux amis sont partis. On ne sépare pas un trio inséparable, monsieur le directeur. C'était le message télépathique que Gaëtan tentait d'envoyer.
Un large sourire s'étala sur les lèvres du brun qui envoya en douceur son coude dans le ventre de son amie qui ne c'était pas arrêtée dans son énumération.
« Hé Salomé t'as entendu ?
─ […] Et puis on pourrait- [...] »
… Visiblement non.
Gaëtan ; 11 ans.
« J'arrive toujours pas à croire qu'on est tous réunis dans la même classe !
─ Ça fait quand même trois mois déjà Salomé...
─ Mais je suis tellement conteeeeeeeeente !
─ C'est une raison pour t'appuyer comme ça sur nous ? C'est pas que t'es lourde mais t'appuie fort là. »
La maintenant presque adolescente gonfla une joue et décida de se venger en s'appuyant encore plus fort sur les deux garçons entre lesquels elle était, et les voir perdre l'équilibre la fit sourire.
« Vous aviez qu'à être plus petits j'aurais pas à m'appuyer sur vous pour être à votre taille.
─ PLUS PETITS T'ES FOLLE. Harrison et moi on est les plus petits de la classe déjà hé.
─ Bah vous êtes pas assez petits !
─ N'importe quoi. T'es une fille c'est normal que tu sois plus petite que nous.
─ Il a raison.
─ MAIIIIIIIIIIIS. »
Salomé les lâcha d'un coup et leur tourna le dos en croisant les bras, ce qui fit soupirer Harrison pendant que Gaëtan râlait qu'elle n'avait aucune notion de douceur. D'un autre côté, il n'en avait pas non plus. Mais le fait que ce soit Harrison qui lui ai fait remarqué ce point le vexa. Évidement, entre rivaux, ils passaient leur temps à se lancer des piques. Et à nier en bloc qu'ils s'appréciaient. C'est pourquoi ils se fusillaient actuellement du regard pendant que Salomé observait un garçon, plus loin dans le couloir. Oh, non pas qu'elle l'épiait parce qu'elle le trouvait beau, quoi qu'elle devait bien admettre qu'il n'était pas trop mal, mais il devait avoir au moins deux ans de plus qu'elle, elle n'avait aucune chance. Non, elle l'observait parce qu'il lui rappelait quelque chose. Elle était certaine d'avoir déjà entendu Gaëtan parler de ce garçon, un jour. D'ailleurs, c'est en ce rappelant mieux de ce fait qu'elle se retourna pour attraper la main du brun et l’entraîner avec elle.
« Regarde, c'est pas le garçon que tu disais qu'il ressemblait à Ruby ?
─ Hein qui que-... OH OUI C'EST LUI. HÉ TOI EUH LE BRUN. »
La façon qu'a Gaëtan d'aborder les gens a toujours été peu commune et pas des plus respectueuses.
Il fit lâcher son bras à Salomé et s'approcha de son aîné qui le regardait d'un air interrogateur et, avouons-le, un peu idiot. Une fois planté devant lui, n'importe qui, surtout un sixième, aurait honte et se sentirait gêné et ne saurait plus où se mettre face à un quatrième, mais Gaëtan non. Lui, il le détailla minutieusement du regard, de haut en bas et de bas en haut.
« Comment tu t'appelles ? Tu ressembles trop à Ruby de Pokémon c'est fou. Surtout avec ton bonnet là il est classe. Tu connais Pokémon ? »
Un grand sourire s'afficha sur les lèvres de l'adolescent. Il était vraiment classe. Pourquoi est-ce que c'est Red, l'idole de Gold, hein ?
« Évidement que je connais Pokémon. Tu m'as pris pour qui, un attardé ? Mais c'est vrai que j'avais jamais remarqué que je ressemblais à Ruby tiens. »
L'adolescent sans nom ressemblant à Ruby afficha un air penseur digne des plus grands films, mais tellement caricaturé que Gaëtan failli se mettre à rire.
« … Ah ouais et je m'appelle Etan. Etan Juliet Evans de mon nom complet. Pas de commentaires sur le Juliet s'te plait, je te vois venir là ! Tout le monde se moque mais c'est la classe hé faut pas croire hein. Ah et puis toi tu t'appelles comment ? T'es en sixième nan ? T'es petit hinhin.
─ JE SUIS PAS PETIT. »
Etan éclata de rire pendant que Gaëtan, vexé, gonfla une joue en croisant les bras. Ce qui eu pour conséquence de donner à son aîné une irrésistible envie de lui enlever sa casquette et de lui ébouriffer les cheveux, ce qu'il fit d'ailleurs. Mais ils furent interrompus par la sonnerie indiquant la fin de la récréation, et Etan reposa sa casquette à sa place avec une moue boudeuse.
« Déjà ? Tu m'as même pas dit ton nom !
─ … Gaëtan Bourgeois. Hé dit Etan, t'es pas français ?
─ Américain mec, américain. Allez, on s'revoit plus tard, Gaëtan !
─ Oui, oui... »
Réécrivons l'histoire. L'idole de Gold n'est plus Red, mais Ruby. Il faut dire que le jeune garçon était fan de son accent américain, de ses yeux marrons qui, contrairement aux siens, tirent vers le rouge, de sa façon de parler, même de sa façon de marcher. A partir de maintenant, Etan était le modèle de Gaëtan.
Et ensemble, ils captureraient tout les pokémons et trouveraient les autres dresseurs des jeux Pokémon.
Gaëtan ; 15 ans.
« Gaëtan ?
─ Hm ?
─ Tu peux lâcher ta DS, s'il te plaît ?
─ … Pourquoi faire ?
─ J'aimerais te parler. Sérieusement.
─ … Hn. »
Gaëtan s’exécuta donc et, après avoir sauvegardé sa précieuse partie de Pokémon Platine, éteignit sa console et la posa à côté de lui sur le canapé avant de se redresser et de regarder sa mère. Tout cela ne lui disait rien qui vaille. Victoire vient s’asseoir à côté de lui, et son air sérieux ne le rassura absolument pas.
« Gaëtan. On va déménager. »
L'annonce laissa un gros blanc dans la tête de l'adolescent. Déménager ? Déménager ? Elle est sérieuse, là ? Non, elle a pète un câble, juste. Ou c'est un poisson d'Avril avec quelques mois de retard. Pourquoi elle voudrait déménager hein ? Ils sont bien ici, elle n'a pas de problèmes avec le voisinage et lui non plus, et puis à ce qu'il sache elle n'a pas de problèmes avec son travail. Alors pourquoi elle voulait déménager, hein ? Le pire c'est qu'elle ne demandait même pas l'avis de Gaëtan. Sûrement parce qu'elle savait qu'il ne serait jamais d'accord avec ça. Il est trop bien, ici, il a ses « amis », les gens qui ressemblent à des dresseurs de pokemon. Il fait sa vie, il fait ses conneries, et sa mère n'a que très peu d'influence sur ses actes. Sa mère n'a que très peu d'influence tout court, d'ailleurs. C'est lui qui dirige, dans cette maison. Sauf cette fois.
« Et on part... Loin. En Angleterre. »
… Pardon ? Mais c'est de mieux en mieux. Gaëtan fit une tête très explicite, la tête du « wtf », en gros.
« … Maman, tu sais que je suis une merde en anglais non ?
─ Oui. »
La tête de Gaëtan empira. Elle se fichait de lui en fait, c'est ça, y'avait pas d'autre possibilité.
« Alors pourquoi...?
─ … Hm...
─ … « Hm » ?
─ …
─ … Parle ou je m'accroche à la maison et tu pars sans moi.
─ … Hmpf. Ton père est parti en Angleterre. J'aimerais le rejoindre. »
Gaëtan soupira. Il ne comprendra jamais pourquoi sa mère s'acharne de la sorte à s'accrocher à son père. Son stupide géniteur qui n'est jamais là et qui part finalement sans rien dire. Ça fait combien d'années que Gaëtan ne l'a pas vu ? Tellement longtemps qu'il ne les compte plus. Il trouve ça stupide, de partir et d'abandonner les quelques personnes qu'il apprécie pour tenter de rejoindre un homme qu'il connaît à peine dans une contrée où il ne comprendra pas un mot pendant un moment. Mais il ne peut pas non plus laisser sa mère seule. Gaëtan et Victoire sont certes très loin d'être la famille la plus soudée du monde et leur relation se contente de pas beaucoup plus que le strict minimum qu'une mère doit faire pour son fils ─ lui faire à manger, s'intéresser de près ou de loin à ses notes, lui donner de l'argent de poche, lui acheter des trucs ─, mais finalement, les Bourgeois sont plus proches qu'on ne pourrait le penser. On pourrait croire que Gaëtan est déjà à son âge complètement indépendant et n'a besoin de sa mère que pour avoir de l'argent ─ parce qu'il est dépensier, le petit ─, mais c'est absolument faux. Le brun est loin de s'imaginer vivre tout seul, et encore moins avec une autre femme que sa chère mère. Alors il la suivra. Jusqu'au bout du monde s'il le fallait. Et puis, il a beau beaucoup ressembler à son père, il sait bien qu'il n'a pas le droit de lui faire pareil, il n'a pas le droit d'abandonner cette pauvre femme tellement gentille qu'elle se fait facilement avoir. La protéger. Il a envie de la protéger. Et il soupire.
Et elle sourit. Elle est belle sa maman, quand elle sourit. Même si son sourire est teinté de tristesse. Elle n'aime pas forcer son fils. Elle aurait sans aucun doute préféré qu'il reste ici, avec ses amis. Elle aussi, elle aurait préféré. Ni l'un, ni l'autre, ne veut imaginer les adieux qui auront lieu dans sûrement pas si longtemps que ça. Gaëtan sait déjà que Salomé va pleurer. Il imagine déjà la tête que fera Harisson face à une telle annonce, un mélange de surprise et de tristesse. Il visualise très bien le sourire gêné d'un Etan qui tentera de l'encourager en lui disant qu'un déménagement, c'est pas si mal. Et il se voit déjà en train de se forcer à garder un air détaché, en train d'empêcher ses larmes de couler. Il veut pas partir. Il n'a pas le choix
Gaëtan ; 16 ans.
Même au bout de 6 mois Gaëtan s'y était toujours pas fait, à l'Angleterre. D'un autre côté, il n'a pas fait des tonnes d'efforts, soyons francs. Mélancolique. Il avait envie de retourner en France. Sa mère et lui n'avaient même pas retrouvé son père, en plus. Ils savaient de source presque sûre qu'il n'était pas loin. Mais ils ne savaient pas où, et n'avaient pas particulièrement de chance. Ça, ça avait tendance à énerver Gaëtan. Il savait déjà que cette entreprise était déjà vaine, pourtant. Il aurait peut-être dû tenter de retenir sa mère, de lui faire entendre raison. Mais lui-même n'est pas très raisonnable, il le sait, ça aurait été l'hôpital qui se foutait de la charité. Et puis, c'est pas si mal, l'Angleterre. La tête des gens qui le comprennent pas quand il parle Français ─ c'est-à-dire environ 80% du temps ─ est relativement comique à voir, et puis y'a quelques gens qui ont appris le français avec qui il peut parler si il s'emmerde trop. Mais il est devenu solitaire, le petit. Enfin, solitaire. Il s'est découvert de bonnes amies, en plus de sa très chère console : les cigarettes. Ça ne lui faisait qu'une dépense en plus, après tout.
D'ailleurs, il est actuellement en train de fumer, le petit Blake. Fumer contre le mur extérieur de sa maison, parce que sa mère ne veut pas qu'il fume à l'intérieur. Et comme elle y tenait et qu'elle ne l'empêchait malgré tout pas de fumer, il a obéit, et il fume dehors exclusivement. Éventuellement, actuellement, il attend sa mère. Elle était partie faire il ne sait plus quoi, il ne l'avait pas vraiment écoutée, trop occupé à jouer. Alors il attend, sagement, sa console dans une main, sa cigarette dans l'autre. Et le téléphone sonne. Il hausse un sourcil, se demande si il doit répondre. Il connaît pas l'anglais, alors pour lui, tout les gens au bout du fil ont un air de vendeur de babioles et autres stupidités par téléphone. Alors il laisse sonner, et si c'était important, ils auront qu'a rappeler, et il leur dira de rappeler plus tard, quand sa mère sera là. A force, il connaît cette phrase par coeur et c'est celle qui lui pose le moins de problème en anglais.
La sonnerie s'arrête finalement, et le répondeur s’enclenche. Un répondeur qui disait un truc du genre « Je ne suis pas là, mais vous pouvez toujours laisser un message à mon fils, qui doit sûrement être là. Mais il serait préférable de parler français. », c'est ce que sa mère lui avait vaguement expliqué quand il lui avait posé la question. La voix douce et claire enregistrée se tut, et après un léger blanc, un homme se mis à parler. En français, avec relativement peu d'accent, quelqu'un de sûrement habitué à parler français, pour une raison ou pour une autre. Alors Gaëtan hausse un sourcil, se détache de sa console, et écoute.
« Gaëtan... Gaëtan Bourgeois, c'est bien ici ? Ce serait pour parler de votre mère. »
La réaction fut presque immédiate, Gaëtan lâcha sa cigarette qui tomba au sol, et ne pris même pas le temps de l'éteindre avant de rentrer à l'intérieur par la fenêtre située à côté de lui ─ c'était son coin favori pour fumer parce qu'il pouvait parler à sa mère, d'ici. Il posa au passage sa console sur la table et s'approcha rapidement du combiné pour le décrocher pendant que l'homme lui demandait de rappeler au plus vite le numéro qu'il allait sûrement commencer à énoncer.
« Allo ?
─ … Vous êtes Gaëtan ?
─ Non le pape. Qu'est-ce qu'elle a, ma mère ?
─ Et bien... Elle a eu un accident. »
Ac. Ci. Dent. Hack scie dent ? Une scie à dent s'est fait hacker ? Par sa mère ? C'est ça ? Non c'est pas ça monsieur ? C'est quoi alors ? Une nouvelle sorte de bébé ? Un repas gratuit ? … Choqué ? Allons, le grand Gaëtan n'est jamais choqué, monsieur.
.
Le séjour à l'hôpital de Victoire Émeline Bourgeois a été fatal. Les médecins n'ont rien pu faire, elle est partie. Tout bêtement. En laissant seul son fils alors que lui l'avait suivie dans un pays étranger juste pour ne pas la laisser seule, elle. Pourquoi Gaëtan a les yeux qui piquent ? Pourquoi est-ce qu'il voit trouble ? Il n'en sait rien. Il n'y fait pas attention. Il fixe dehors, au travers d'une fenêtre de l'hôpital. Des gens lui parlent, de temps en temps, mais il les remarque à peine. Ils lui ont parlé d'enterrement et d'incinération, il n'a pas répondu. Ils lui ont demandé si il avait de la famille, il n'a pas répondu. Ils l'ont laissé tranquille un moment, ensuite. Puis ils sont revenu, peut-être une ou deux bonnes heures après, et il n'avait pas bougé. Toujours devant cette même fenêtre, a fixer dehors d'un air complètement vide et absent. D'après quelques personnes, il a bougé un moment pour aller aux toilettes, et est revenu machinalement jusqu'ici sans faire attention à quoi que ce soit, et est même rentré dans quelqu'un sans s'en rendre compte. On lui a parlé de faire un test. Il s'est laissé faire sans broncher. Il a fait le test, presque déconnecté, mais il l'a fait quand même. Les résultats, apparemment, étaient corrects. On lui a parlé d'un orphelinat, la Wammy's House, il n'a rien dit. On lui a parlé, à nouveau, de l'enterrement et l'incinération. Il répondit enfin. Un enterrement. Et il irait à la Wammy's House après, qu'on lui a dit. Il n'a pas protesté.
.
L'adolescent gardait une distance de sécurité entre lui et les gens qui étaient venus le récupérer après l'enterrement de sa maman. On sait jamais, peut-être qu'ils étaient des pédophiles. Une pensée pareille était une preuve suffisante pour dire que le brun sortait finalement de son état de choc. A son nom, il haussa un sourcil et regarda son interlocuteur.
« … Oui ?
─ Il te faut un pseudonyme commençant par la lettre de ton prénom ou de ton nom. Et tu ne donneras pas ta vraie identité.
─ … Euh d'accord. »
La tête qu'affichait Gaëtan traduisait clairement son « wtf » intérieur. Mais il n'allait pas se rebeller contre ce qui semblait être une règle, aussi étrange soit-elle. Même si nous savons tous que Gaëtan n'en a pas grand chose à faire, des règles, il n'était actuellement toujours pas dans son état normal.
« Alors ?
─ Euh... Blake. »
Bonjour, mon imagination est tellement en panne que c'est un miracle si je me suis souvenu du pseudonyme de mes personnages dans mes jeux Pokémon. Évidement, par conséquent, remarquer que Gold, ça commence par la même lettre que Gaëtan, c'est trop hors de portée pour moi.
« Black ? Comme la couleur ?
─ Nooooooon, Blake, b, l, a, ... k, e. »
Notons quand même qu'il a hésité sur l'orthographe et s'est demandé si c'était pas comme ça, en fait, que s'écrivait la couleur.
Le tout juste renommé sorti sa console de son sac en bandoulière et la serra dans sa main. La vie continuait après tout, non ? Il avait juste à se trouver des gens qui parlent un minimum français. Et puis il se débrouille mieux en anglais, surtout qu'on lui a beaucoup parlé ces derniers temps. Et puis des dresseurs pour remplacer Salomé et Harisson et Etan. Un nouveau nom et une nouvelle vie, ça va ensemble, non ?