The wind is low, the birds will sing,
That you are part of everything.
J’aurai voulu lui prendre son cœur. J’aurai voulu le lui arracher, quitte à la faire saigner, quitte à la faire souffrir encore, quitte à la rendre inhumaine à jamais. J’aurai voulu lui prendre ses yeux, les crever, pour qu’ils arrêtent de voir, pour qu’ils arrêtent de pleurer. J’aurai tant voulu la tuer, elle aussi. Pour qu’elle arrête. Pour que sa souffrance se stoppe à l’instant.
Mais je ne pouvais pas. Je ne pouvais pas et la seule chose que j’étais capable de faire était de pleurer silencieusement avec elle. Mais je ne pouvais pas. Je ne pouvais pas lui montrer que mon cœur était dans le même état. Je ne pouvais pas lui montrer que mes yeux étaient aussi mouillés que les siens. Je ne pouvais pas m’écrouler comme mes jambes me l’ordonnaient.
Je ne pouvais que la regarder, l’écouter. Je ne pouvais rien faire pour elle.
Parce qu’elle était déjà en train de mourir.
Yesterday, love was such an easy game to play ;
Now I need a place to hide away.
▬ Ferme-la ferme-le ferme-la ferme-la ferme-la. D’où sortez-vous Alvise Cerqueira ?▬ Tu sais très bien que sans moi tu t’en sortiras pas. Tu n’es rien sans moi.▬ J’ai toujours été sans toi. Y a que ton fric qui me fait vivre. C’est pas toi.▬ Et les enfants ?▬ Arrête ! Ne fais pas semblant de soudainement te soucier d’eux ! Je vais régler le problème. J’en emmène un. Je te laisse l’autre.▬ J’ai toujours fait ça pour toi.▬ Me tromper aussi tu faisais ça pour moi ? Laisse moi rire, connard.▬ …▬ Je me barre d’ici dès demain matin. Découche donc. Je partirai avec Narcisa. Ne pas voir son frère lui fera un peu de bien.▬ T’es qu’une pute Emily. J’avais presque oublié que je t’avais récupérée sur le trottoir.J’étais trop jeune. Trop jeune pour comprendre toutes les histoires, tous leurs reproches. Ou plutôt j’étais trop jeune pour y attacher une quelconque importance. La porte du salon était entrouverte et moi, j’étais juste là. A les regarder. A voir ma propre mère s’approcher du visage de mon père, et contrairement à ce que j’espérais, contrairement à un baiser de que je ne sais quoi, c’est une claque qu’elle lui donna.
Et j’étais trop vieux. Trop vieux pour ne pas comprendre ce qui se déroulait sous mes yeux, trop vieux pour ne pas avoir entendu la phrase qui me concernait. Qu’importe avec qui je restais. Qu’importe qu’un des deux parte. Tant qu’elle ne partait pas. Pas elle. Pas Narcisa. Pas ma sœur.
Qu’est-ce que leur mère leur reprochait tant ? Pourquoi disait-elle que ne pas me voir lui ferait du bien ? Ma conscience se fout de ma gueule. Je l’entends rire. Je sais très bien pourquoi. Je sais très bien que Narcisa m’obéît plus qu’à sa propre mère. Je sais très bien que Narcisa m’aime plus qu’elle n’aime sa propre mère. Et je sais très bien que Narcisa ferait n’importe quoi pour moi, autant que je ferais n’importe quoi pour elle, quitte à tout virer, balancer, jeter. Arrachés, balancés, jetés, les barreaux de nos cages dorées, de nos cages argentées, de nos vies enlacées. Envolé, désagrégé, emprisonné, cet amour intense, cet amour d’essence. Je sentais ma peau me picoter. Je sentais mon ventre se tordre progressivement. Et mes traits se déformer. Et j’inspirais, longuement, jusqu’à ne plus pouvoir. Jusqu’à être incapable d’aspirer encore plus d’air.
Elle n’avait pas le droit ; bien sûr que si elle l’avait. Elle ne n’allait pas vraiment le faire ; demain matin elles seraient parties. Elle n’accepterait pas ; elle n’aurait pas le choix. C’était fini ; c’était maintenant. Ils n’étaient plus deux. Ils étaient un et un.
Dès à présent.
You don't know I can't sleep, I can't stop my brain.
You don't know it's three weeks, I'm going insane.
J’aurai pu passer des heures allongé dans mon lit. J’avais l’impression, désagréable, acerbe, constante, que j’aurai pu rester ici éternellement sans m’en faire. Je me fous de l’heure, je me fous du soleil qui file derrière mes volets. Je connais cette maison. Cette chambre. Je saurais replacer chaque objet, chaque détail, n’importe quoi. Tout était rangé, même si ça n’en avait pas forcément l’air. Tout était à sa place. Une place était vide.
C’aurait pu être pire. J’aurai pu avoir un père pauvre. J’aurai pu détester la solitude. Maintenant je visais seul, dans cette maison où j’avais tout, dans ces chambres où il n’y avait plus rien. Ouvre les yeux Andrea. Lève toi Andrea. Fais quelque chose Andrea, réveille toi.
J’aurai pu passer mes journées ici. Dans le silence le plus parfait. Excepté le rideau qui ne cessait de se faire balancer par le vent, dans la pièce à côté. Ca me perturbait. Ca me dérangeait.
Cela dit pas plus qu’entendre les clés de mon père ouvrir la porte.
Encore moins que le bruit de ses pas dans le couloir.
Ni même l’agacement que provoqua le son de sa voix à travers ma porte.
▬ Andrea ?▬ Je suis fatigué.Qu’est-ce qu’il me voulait ? Pourquoi est-ce qu’il venait me voir maintenant ? J’avais envie de dormir. Envie d’oublier où j’étais allé cette nuit. Où j’avais déambulé, sans que personne ne se rende compte de rien, du haut de mes quinze ans. Parce que c’était déjà comme si je vivais seul, déjà comme si je survivais à mes dépends – comme si je n’étais déjà pas capable de combler les
siens. C’était quoi, mon intelligence qui me valait
ça ?
▬ Tu es malade ?Maman n’avait pas tord, pourquoi, soudainement, s’était-il mis à s’occuper de nous ? De moi. Quoi que se préoccuper serait plus exact, comme mot. Ou mieux encore, se préoccuper
à nouveau de nous deux. Comme lorsque nous avions cinq ans. Comme lorsque « tout allait bien ».
▬ Non ne t’en fais pas. J’ai mal dormi.Ma main se resserra sur mes draps. Est-ce qu’il pouvait partir ? Ca m’arrangerait. Ca me ferait étonnamment plaisir qu’il s’écarte de ma porte, rien que de savoir qu’il n’était plus là. Qu’il arrête de me traiter comme un gamin que je ne suis pas, comme un dépressif que je ne serai jamais. Oui, elle est partie. Oui, elle était là il y a quelques jours à peine. Oui, c’était les vacances, oui, je devrais déjà être retourné en cours, oui, elle me manque, oui, je respire l’odeur de ses draps, oui, je pense à elle encore et encore, oui je m’ennuie, oui j’oublie, oui je me languis. Mais je vais bien. Je vis très bien comme ça ; ça fait un an après tout. Ne vas pas t’imaginer, Papa, que j’ai mal. Ne vas pas t’imaginer que c’est mal.
Après tout tu n’en sais rien. Tu ne sais rien de nous. Tu ne le sauras jamais. Fais comme moi, Alvise Cerqueira. Prends exemple sur moi. Oublie tout ça. Oublie mieux. Oublie encore.
Comme ça peut-être que comme moi, tu arriveras encore à respirer. Comme ça peut-être que contrairement à moi, tes phalanges ne se blanchiront pas sans raison. Je ris.
Je suis Ironie.
It's you she's thinking of ;
And she told me what to say.
Je ne savais même pas pourquoi elle était ici. Je ne savais pas ce qui l’avait poussée à se retrouver en face de moi si tôt.
Et mes yeux cherchaient les siens, sous ses cheveux blonds, ces cheveux qui sentaient toujours trop bon.
Pourtant mes traits étaient durs ; comme d’habitude. Mon sourire était presque méprisant ; qui d’elle ou moi avait copié l’autre ? Mes mains dans les poches de mon jean ne cherchaient aucun contact. Car je n’en voulais pas, n’est-ce pas ? J’aurai pu lui dire bonjour. J’aurai pu lui sourire. J’aurai pu prononcer son nom.
Mais c’était le vide à l’intérieur.
C’était le vide, comme à chaque fois que je me souvenais. Ce qu’elle avait dit, ce qu’elle avait fait, ce que j’avais répondu, ce que nous faisions. Ce que nous faisons. Elle a quoi après tout, quatorze ans c’est ça ? J’en ai deux de plus. Il y a plein de choses que j’aurai pu dire : je devrais veiller sur elle, je devrais la protéger, la défendre, je devrais faire tout ce qu’il faut pour elle, faute d’un cœur j’aurai du lui donner un grand frère, j’aurai pu l’aider à grandir, j’aurai pu ajouter tant de facteurs à cette liste, tant de morale, tant de logique. Mais là, à son sourire, j’hausse vaguement les épaules, je soupire, et je me retourne.
La ville s’étend ici. J’aime Florence, et je pense qu’elle aussi. Ces italiens, ces italiennes. Ces gens qui nous ressemblent ; ou presque. Est-ce que je suis capable de voir autre chose qu’elle ? Est-ce que je suis capable de vouloir quelqu’un d’autre ?
▬ Tu sais, t’es pas la première fille avec qui j’ai couché.Je ne la regarde même pas, elle ne s’arrête pas, on continue de marcher, sans vraiment savoir nous allons. A moins qu’elle m’emmène quelque part ? A moins qu’elle préfère apprécier les odeurs et les couleurs de cette ville qu’elle ne parcourt plus.
Est-ce qu’elle le croyait ? Pourquoi je dis ça ? Parce que j’aime lorsqu’elle s’énerve. J’aime lorsqu’elle devient jalouse, j’aime lorsqu’elle est possessive, j’aime la manière dont elle critique les autres et pas moi. J’aime ces sentiments qu’elle dit ressentir à mon égard ; ce n’est pas pour autant que je la crois.
Seulement je ne veux pas qu’elle doute de moi. Je veux qu’elle pense que tout ça est vrai. Je veux qu’elle se dise
« Il s’en fout. »Alors que je tournais les yeux vers elle, sans expression, sans y faire attention, lorsque ma poche vibra.
Alors je décroche, doucement, m’arrête, fronce les sourcils ; tandis que Narcisa s’empare de mon autre main, jouant avec mes doigts, son air angélique toujours figé sur ses traits.
Alors j’écoute, je réponds. J’écoute encore. J’arrête de répondre. J’arrête de respirer. Alors ma main se serre autour de la sienne. Et je raccroche.
▬ Narcisa. On doit aller à l’hôpital.Elle me regarde étrangement. Mes lèvres s’étirèrent en un sourire désolé.
J’aurai voulu arrêter de l’aimer.
▬ Nos parents sont morts dans une ambulance s’y rendant. ▬ I love you.
▬ Neither do I.
J’avais l’habitude de glisser ma main dans ses cheveux, alors qu’elle était sur la pointe des pieds, à me tirer vers elle, à me fixer alors que je fermais les yeux. Depuis ses douze ans elle me répétait toujours la même chose. Et moi j’y croyais. Ou presque. Après tout, je savais parfaitement qu’à cet instant, elle était en train de sourire ; ma main dessinant sur ses lèvres suffisait à me le dire. Je savais qu’elle souriait rien qu’à la manière dont elle respirait. Et dont ses joues étaient relevées. Je la connaissais par cœur, même si elle n’avait plus de cœur. Elle n’avait qu’un cœur ; c’était le mien. Elle n’avait toujours fait qu’un avec moi. Et si finalement, plutôt que l’empêcher de souffrir, plutôt que lui arracher l’organe vital, je lui avais donné le mien ? Si plutôt que de l’aider à s’enfoncer, à oublier, je l’avais saignée encore plus ? Oui, et si son cœur, c’était le mien ?
Qu’est-ce qu’elle était conne. Qu’est-ce qu’elle était prétentieuse. Qu’est-ce qu’elle valait, franchement. A quoi servait-elle seulement ? J’aurais pu lui dire, lui répéter, lui mentir, que je n’avais pas besoin d’elle. Encore et encore. Elle y aurait cru. Elle aurait bu toutes mes paroles. Parce que je m’en foutais bien, d’elle. N’est-ce pas ? Qu’est-ce que ça peut me faire, ses hanches contre les miennes. Qu’est-ce que ça peut me faire, ses lèvres à quelques centimètres à peine. Qu’est-ce que ça peut me faire, qu’elle en caresse d’autres, qu’elle en emballe d’autres. Tant qu’elle croit que je m'en fous. Tant qu’elle le
sait, tant qu’elle y
croit, tant que j’arrive encore à le dire.
▬ Narcisa, t’es crevée de l’intérieur.Je ne la regarde toujours pas. Elle n’a pas besoin de ça. Elle sent mon regard. Elle surprend ses yeux dans les miens. A travers ma peau, à travers mon corps, à travers mes pores. Et puis tout doucement elle se hisse sur la pointe des pieds, elle m’embrasse, tout doucement elle fait tout. Comme d’habitude.
Parce que tout ça c’est des conneries. Evidemment que j’ai besoin d’elle. Evidemment que mon cœur est à elle. Evidemment qu’elle est mienne.
Evidemment tout ce que je ressens est bien loin d’elle.
fiche pour Mysha.
(oué il manque pleins de trucs. mais inRP ou fiche Neither ce sera /o/)