Des flocons par milliers tachaient le ciel opalin comme des gouttes d’aquarelle qu’on aurait renversé exprès, juste pour recréer un ciel étoilé en plein jour. C’était certainement un grand artiste qui réussissait à esquisser chaque année le paysage immaculé d’hiver, un chef d’œuvre annuel, un pochoir ou cet être s’amusait à barbouiller les sapins d’un linge lacté, à colorier la prairie de cette même crème où chaque enfant pouvait y trouver son plaisir, à teindre le vide du ciel de cette neige presque virginal. Ces bouts de polystyrène chutaient en cœur des cieux jusque sur la terre, on aurait presque pu entendre leurs murmures d’évanouissement à chaque fois qu’ils fondaient sur une surface dotée d’un minimum de chaleur, comme la paume d’une petite main tendue dans un orphelinat. Winchester avait été, ces derniers temps, illuminés par on ne sait combien de lanternes, de luminions, de guirlandes électriques élégamment accrochées aux façades des maisons au style médiéval, qui paraissaient désormais laiteuses sous la couche de neige qui les recouvraient, les fines rivières étaient emprisonnées dans la glace et le givre, comme une patinoire qui aurait fait des kilomètres, sous les toits on pouvait même apercevoir des rangées de stalactites qui faisait office de dents au cas où un malfaiteur s’approcherait d’un peu trop près. Des malfaiteurs il y en avait : des dizaines de petites poupées, lutins, pères Noëls, nains de jardins transportant de minuscules paquets cadeaux gelés dans leurs brouettes ou encore des rennes en bois sculptés à l’occasion. La cité croulait sous les occupations qu’il se devait d’y avoir le 24 Décembre, les derniers préparatifs se mettaient lentement mais sûrement en place, les retardataires se dépêchaient d’acheter et d’envelopper leurs derniers paquets pour ne pas décevoir les enfants, et qui sait ? Les grandes personnes avaient aussi droit à un petit présent. Dans la plupart des cuisines une femme s’activait, plus ou moins âgée, parfois plusieurs d’une même famille, car le réveillon de ce soir devait être parfait, il accueillerait certainement la totalité des membres qui pouvaient se rendre ensemble dans la maison familiale principale. Des odeurs de dinde dont la cuisson débutaient déjà sortaient des fourneaux, celles des traditionnels puddings sur lequel ont posait délicatement une feuille de houx que les plus valeureux se chargeaient de trouver, d’autres de ces petits bonhommes vêtus chaudement couraient rentrer chez eux, brandissant des branches, et des branches de gui pour embellir les plafonds : après tout, ce soir ne serait que joie, bonne humeur, retrouvailles, soirée entre personnes qui s’aimaient entre tant de sensations olfactives. D’autres encore se chargeaient de préparer les cartes que chaque invité recevrait sur son assiette quand il serait l’heure de passer à table, on s’activait à rendre chaque maison d’honneur parfaitement rangée, impeccable à chaque recoin, on ramassait et balayait les épines dernièrement tombées de sapins de toute taille sous lesquels était parfois déjà déposés des cadeaux aux paquets de toutes les couleurs. Ceux des enfants étaient soigneusement cachés dans des placards difficiles à atteindre pour leurs petites mains, histoire de les faire encore rêver, histoire de leur faire encore croire que Santa allait descendre de la cheminée où foisonnait un feu brulant, généreusement fournit en buches, puis chercher dans sa hotte le paquet qui convenait avant de le glisser dans leurs souliers alignés et jusqu’au fond des chaussettes suspendues. Certaines personnes auraient encore voulu y croire. Les enfants tout contents, impatients, espérant pouvoir apercevoir la duveteuse barbe blanche et le costume rouge vif préparaient tranquillement des gâteaux et des biscuits à l’attention du barbu. C’était aussi pour les préparer, un jour eux aussi se retrouveront accrochés derrière leur four pour nourrir la famille. Les commerçants profitaient des dernières heures avant Noël pour vider leur inventaire, tout devait disparaître au risque de devoir ranger les santons dans les placards en attendant l’année prochaine. Les rues grouillaient en cette heure avancée de la journée, on voyait des anglais, un paquet sous le bras trottiner dans les rues, diable, celui-ci avait oublié d’acheter un bijou à sa femme, que dirait elle ? Et elle, n’avait elle pas omit de reprendre du sel ? Sa préparation serait fichue. Et cette vieille dame ? Quel manga devait donc elle prendre pour son petit fils ? C’est qu’ils avaient tous l’air aussi barbare les uns que les autres. Bah ! Balzac serait certainement plus adapté. Et ce petit garçon ? Il n’avait plus de feutre vert pour son dessin qu’il devait offrir à ses parents, comment colorierait il le sapin ? Et cette petite fille qui offrait des bonbons à ce vieillard sur la chaussée…Pourquoi sa mère la retenait elle ? Winchester était animée d’un remue-ménage et d’une gaieté infatigables, ce qui n’était pas plus mal.
Une petite main emmitouflée dans un gant d’où pendaient deux pompons serra celle, plus grande, plus froide d’un homme qui regardait le ciel d’un air las. Matt leva les yeux, essayant de distinguer ce que l’autre observait. Il ne vit que le vide qui s’étalait à perte de vue. En levant son petit menton un flocon s’abattit sur les verres de ses lunettes oranges bien trop grandes pour son petit visage, puis deux, puis trois. Le réflexe qui suivit fut évidemment de baisser la tête. Son nez rouge le chatouillait, et ses lèvres gercées grelottaient, il éternua et frotta ses lunettes. L’homme lui fit un sourire quand il aperçu un magasin de sucreries un peu plus loin. Il tira l’enfant à l’intérieur, lui demandant s’il voulait quelque chose. Matt répondit tout simplement « du chocolat pour Mello » en tendant les quelques livres qu’il avait accumulés au cours du dernier mois. Le marchand lui tendit tout de suite ce qu’il avait désiré, une tablette de chocolat spécial Noël enrobé dans un joli ruban doré ce qui n’avait d’effet que le rendre plus désirable encore. Le petit Australien lui fit un grand sourire illuminé avant de tourner la tête et de chercher son accompagnateur. Ce dernier était accroupi sur une chaise en train de déguster les spécialités de la maison…tant pis, lui il devait rentrer pour mettre son cadeau au chaud. Le rouquin emmitouflé dans sa parka demanda la permission de rentrer tout seul à Wammy’s House. L’autre acquiesça, puis l’enfant sortit de la boutique.
La brise et le vent fouettaient ses joues roses alors qu’il marchait le long de la route enneigée, à perte de vue, il faisait encore jour fort heureusement. Le soleil était caché derrière la masse opaque qui continuait son ascension du ciel, l’air s’engouffrait dans ses poumons, lui faisant mal au passage, il serrait soigneusement le chocolat contre son cœur. Mello serait si content, enfin…Matt n’avait pas eu beaucoup d’idées quand à son cadeau, il est certain que la plupart de ceux qui voudraient offrir quelque chose au blondinet serait du chocolat, ainsi il était souvent malade en période de Noël. Il pourrait lui offrir quelque chose d’autre…mais quoi ? Tant pis, il aviserait.
Matt, tout en laissant son esprit divaguer et ses jambes le guider finit enfin par arriver devant la grille de l’orphelinat, quand il annonça que c’était lui, une surveillante se dépêcha de lui ouvrir pour aller le guider dans sa chambre, et lui ordonner de mettre des vêtements secs. Il s’exécuta, mais ne laissant en aucun cas l’autre laisser toucher son précieux cadeau. Une fois que la jeune femme fut sortie il cacha le chocolat derrière une pile de livre, voilà. Il lui donnerait demain. Et le père Noël ne lui volera pas son cadeau, c’était lui qui l’avait acheté et choisit quand même. Matt sourit intérieurement, enfila un sweat rayé, un jean et des chaussons avant de remettre ses lunettes sur le nez. Puis, haut comme trois pommes il sortit de la chambre et dévala les escaliers pour aller se rendre dans la salle de jeux.
Etrangement il n’y avait pas grand monde, il fallait dire que le réveillon et la distribution des cadeaux se faisaient cette année dans le réfectoire mais ce n’était pas une raison. Matt cligna des yeux, les boules de Noël accrochées au grand sapin reflétaient son visage, des bougies scintillaient, des ornements avaient été posés de partout. Mais ce n’est pas ça qui étonna l’enfant de 6 ans. Sa petite bouille scruta l’espèce d’igloo en cartes qui avait été monté ici. La chose prenait la moitié de la pièce et semblait d’une structure complexe. Matt s’en approcha doucement, comme par peur que sa présence ne le brise, mais il semblait solide. Le petit garçon se mit à quatre pattes pour éviter de faire tomber quelque chose, la Common Room avait été monopolisée par son habitant le plus parfait, le plus fidèle. On ne pouvait plus s’étonner désormais d’un jour voir transformé la salle en immense arène de Playmobils, ou alors de San Francisco monté en dés. Personne ne s’étonnait.
Matt : « J'suis sûr que c’est toi Near. »
Il rampa à quatre pattes sous la structure, trouvant un petit être de blanc allongé dans celle-ci. Matt en sourit.
Ce mot rimait avec tellement de choses plaisantes qu’il serait bien inutile de toutes les mentionner ici. Entre autres sucreries et lumières pétillantes qui illuminaient les rues et les vies de centaines personnes qui se délectaient d’autant de couleurs, il y avait le simple concept de la fête en famille ou entre amis, ou bien ces petites inventions fantastiques appelées « cadeaux ».
Wammy’s House.
Ces deux mots rimaient avec bien d’autres valeurs. Mort, intelligence, valeur, rivalité, division, douleur. Un orphelinat n’était pas un pensionnat, un orphelinat était un lieu où la solitude était souvent à son comble. Aucun enfant n’était plus seul qu’au fond de sa chambre d’orphelinat, sans parents, sans famille, sans proches sur qui compter. Les amis n’étaient qu’une notion encore relative pour tous ces jeunes qui ne savaient pas encore où se mettre.
Mais cela n’empêchait pas les lieux d’être savamment décorés pour l’occasion, et les dirigeants de l’endroit tentaient leur possible pour que les enfants vivent une vie qui semble pour le moins normale. Ils faisaient leur possible, et les enfants faisaient le reste. Ce n’étaient pas les adultes qui commandaient ici.
Il neigeait. De la neige à Noel, que demander de plus ? Les orphelins se cachaient dans leur chambre, se tenaient chaud à leur façon, où jouaient dehors, parce que de la neige à Winchester, ça ne se voyait pas tous les ans.
Petit Near avait regardé la moitié des enfants de son âge se précipiter dehors à leur rythme, le bousculer parfois, alors qu’il était debout dans le couloir dans cette position étrange qu’il tenait quand il était debout sur ses petites pattes d’enfant qui vient juste de comprendre que marcher pouvait avoir son utilité. Il ne tenait pas encore bien debout. A cinq ans, avec un QI surélevé pour son âge. Il n’avait pas les bases de la vie. Il n’y connaissait rien. Il ne parlait à personne. Il n’ouvrait sa bouche pâle et ronde que lorsqu’il voulait réclamer quelque chose, et il ne disait jamais « s’il te plait ». Near n’était pas un méchant garçon. Il était juste petit, seul, étrange, différent.
Debout au milieu du couloir, tourné vers la porte de sortie, cette grande porte qui menait vers d’autres horizons, l’extérieur. Il aurait pu y aller. Il aurait pu les suivre. Mais il ne l’avait pas fait. Il était juste resté debout dans le couloir, et il était tombé mollement sur ses petites fesses quand un plus grand l’avait poussé juste pour le plaisir de le voir tomber. Il ne tombait pas d’assez haut pour avoir mal, mais il tombait d’assez haut pour comprendre que l’extérieur ne voulait pas de lui, ne l’intéressait pas. Ses grands yeux sans expression avaient remarqué un puzzle dans un coin, et il avait tendu ses doigts ronds vers l’objet pour s’en emparer, et, caché un peu plus loin, il l’avait complété, une fois, deux fois, trois fois.
Dehors, la fête, les réjouissances. Dedans, l’euphorie. Mello qui aurait du chocolat à profusion, Matt qui aurait tous les jouets et les jeux qu’il voudrait, et tous les autres qui seraient tout aussi gâtés qu’eux grâce à l’argent que le détective L cédait à l’institution. Des enfants qui n’étaient finalement pas moins bien lotis que d’autres avec une famille… Mais pouvait-on les jalouser ?
Un grand sapin au milieu de la Common Room. Petit Near l’observait fixement. Des boules de toutes les couleurs, des guirlandes, des lumignons qui clignotaient. Il ne pouvait pas retirer son regard de ces jolies décorations tant elles semblaient le fasciner. Un peu tremblotant sur ses gambettes noyées dans son petit pantalon trop grand, il s’était approché de l’arbre au pied duquel gisaient des piquants du sapin, et il tendit lentement la main pour essayer de s’emparer d’un petit cheval de bois peint en blanc, rouge, bleu et or, qui pendouillait un peu plus haut. Malheureusement, au moment où le bout de ses doigts effleura l’objet convoité, la surveillante rousse se précipita vers lui pour le porter dans ses bras et lui dire en souriant de ne pas toucher à ces jolies choses dans l’arbre, et qu’il pouvait se faire mal, et qu’elle lui attraperait, et qu’il valait mieux jouer avec toutes les cartes et les legos qui étaient posés un peu plus loin. Elle le déposa, assis, au milieu des dites occupations, puis lui tendit le cheval.
Il regarda le cheval dans ses mains, puis les cartes. Puis le cheval, puis les cartes.
Quelques heures plus tard, le sol de la Common Room n’était presque plus visible, et petit Near ne pensait plus au cheval. Il pensait au fait que les châteaux de cartes tenaient, contrairement à toute logique. Finalement, la gravité n’était pas si difficile à contrer.
Soudain, un coup de vent. Il leva la tête. Une voix. Une tête rousse. De la couleur dans le monde blanc qu’il venait de construire de ses petites mains déjà trop habiles. Couleur qui lui irrita un peu les yeux, mais la voix qui l’accompagnait n’était pas désagréable. « Ami ». Peut-être était-ce ce que ce garçon voulait être. Ami avec lui. Pourquoi ? Pourquoi serait-il gentil avec lui sans raison ? Des questions tournoyaient dans la tête de l’enfant aux cheveux immaculés, et il se contenta de se redresser un peu vers Matt et de lever la tête pour le regarder dans les yeux.
Near : « …Si tu ne casses rien, tu peux rester. Si tu casses quelque chose, je serai très en colère. »
Il ne faisait pas vraiment peur… mais dans ces quelques mots, son interlocuteur avait du sentir comme une antipathie, et il aurait peut-être peur finalement, peur d’essayer de sympathiser. Beaucoup d’enfants avaient laissé tomber à ce stade.
Near posa de grands yeux à la fois brillants et inexpressifs vers le rouquin, et il lui tendit une carte.
Near : « Si tu la poses sans rien casser, tu peux entrer… »
Invité
Sujet: Re: Holly { Near Lun 28 Déc - 22:24
C’était vraiment très étrange. Le petit garçon habillé de son sweat à rayures, de ses petites chaussettes à rayures multicolores venait de sortir de l’atmosphère glaciale d’hiver du dehors, blanche pour se retrouver….de nouveau dans une énorme masse blanche. Noël était partout. C’était assez aveuglant à vrai dire, aveuglant mais pas tellement agressant. On se se serait cru dans les nuages.
Et au milieu du château éphémère siégeait son roi, son architecte de génie, le seul et unique enfant de la Wammy’s House qui était assez doué pour faire tenir toutes ces cartes, mais surtout le seul qui ai assez de patience pour construire un château de cette envergure. Matt observait avec une certaine admiration la maison de cartes qui tenait par il ne savait quel miracle. Et qui semblait vouloir tenir encore longtemps, même si elle prenait au moins le quart de la Common Room et empêcherait beaucoup d’enfants de jouer ici. Les seules fois où Near prenait de la place étaient celles où il laissait son goût des constructions s’échapper de lui. Ce château…construit avec tant de persévérance, tant d’application, pour beaucoup d’orphelins cette structure, cet art donnait simplement envie d’être détruit. Détruit, piétiné, réduire les efforts de l’albinos à néant. Les humains sont si cruels parfois…il suffisait que leur orgueil, que voir qu’un gosse était capable d’accomplir un exploit pareil alors qu’eux non, et ils pouvaient perdre immédiatement la seule dose d’humanité qui les animaient encore.
A part les deux enfants la Common Room était totalement vide, et Matt pensait à tout, sauf à détruire le château de carte. Pourquoi le voudrait-il ? Ça serait méchant, et il se souvenait bien des fois où des enfants s’amusaient à éteindre sa console alors qu’il était en pleine partie. Voir tous ses efforts bafoués est…une chose abominable. Et même...le petit geek n’avait pas envie de voir toutes ces cartes tomber. Tomber comme si elles n’étaient que de vulgaires bouts de papiers. Near leur avait donné…comme un sens et Matt était émerveillé de voir un jeu aussi complexe et difficile.
Matt et Near avaient été des enfants semblables. Imbus de jeux en tout genre que d’autres s’amusaient à détruire pour le plaisir. Enfants sensibles et surdoués, enfants prodiges. Numéro 1, numéro 3.
Les lunettes du rayé étaients nonchalamment accrochées au dessus de son front, les mèches rousses dans un fouillis monumental mais…pour une fois que ses yeux étaient visibles…grands yeux virant entre le chocolat et le vert qui croisèrent les adorables prunelles de l’albinos quand ce dernier ouvrit enfin ses petits lèvres décolorées.
« …Si tu ne casses rien, tu peux rester. Si tu casses quelque chose, je serai très en colère. »
« Merci ! »
Pas étonnant vu ce qu’il venait de construire. C’était un peu puéril de la part de Near de s’approprier les cartes, squatter la Common Room et menacer ceux qui oseraient toucher son œuvre, même sans faire exprès. Mais ils étaient enfants, si petits…et Matt zieuta les cartes, comme par peur que seule sa présence ou son regard auraient le pouvoir de détruire le château. Il n’avait pas envie de casser. Il n’avait pas envie que Near soit en colère contre lui. Alors il ferait attention.
« Si tu la poses sans rien casser, tu peux entrer… »
Le petit roux qui avait détourné le visage fit de nouveau rapidement face à la mini boule blanche pour se retrouver devant une carte. Carte qu’il lui tendait entre ses petits doigts blancs. Matt fut un peu étonné puis accepta la carte qu’il regarda. As de pique.
« Hé hé, tu vas voir. »
Il esquissa un sourire en coin, les sourcils un peu froncés, un véritable air de défi. Near semblait vouloir lui donner une chance de participer à charpenter la forteresse, le geek prit ça pour une grande aubaine, rares étaient les fois où Near acceptait de prêter ses jeux. Sauf quand un ado cruel décidait de s’approprier lui-même le jouet de l’albinos et que lui, ne disait rien. Là il lui avait carrément donné la carte, ce qui ne fit que renforcer la volonté du petit garçon, il devait réussir cette épreuve que le roi Near lui donnait. Quoi de plus normal pour un souverain dans son château. Tout en tripotant la carte et cherchant un endroit où la poser l’imagination de Matt tournait ainsi, s’imaginant être au moyen âge, s’imaginant que ce rituel était élémentaire pour faire partie du royaume des cartes. Pas de problème Near, je vais te montrer, je vais te montrer que je peux aussi poser des cartes. Comme ça…
Matt se leva et trouva une sorte de tour qui n’était pas encore complétée et où sa carte ferait tout à fait l’affaire. Mais…s’il se ratait il y avait des chances pour tout casser. Debout il lança d’une voix enjouée à Near, tout en gardant les yeux rivés sur l’emplacement qu’il devait conquérir.
« Si je réussis….on jouera à des jeux ensemble ? »
Le rouquin plissa les yeux, retenant son souffle qui pourrait (sait on jamais) faire envoler des cartes et approcha très délicatement sa petite main vers le palais blanc. Tout doucement mais sans une certaine assurance il posa la carte qui venait faire le toit de la tour puis se décala et contempla le résultat redoutant que le château s’effondre d’un coup et engloutisse Near.
Une seconde, dix secondes, vingt secondes.
Il s’accroupit pour regarder de nouveau Near en souriant candidement.
« Near hé, t’as vu ? J’ai réussi ! »
Il était fier. Fier parce qu’il avait réussi à avoir l’autorisation d’entrer dans le château magique, fier parce qu’il jouait à un jeu que Near aimait, fier parce qu’il y arrivait.
D’en bas, Matt avait l’air d’un grand garçon, d’un grand garçon plein de couleurs, rayé, rouge, noir, blanc, orange, les joues encore un peu rosies d’être trop resté sous la neige. Tout le contraire de Near. Near, petit, faible, blanc, couché au sol. Et pourtant, il lui semblait que le rouquin arborait cet air concentré et parlait avec autant d’impatience parce que c’était la petite chose blanche et peu impressionnante physiquement qui avait le contrôle suprême sur la Common Room. C’était son royaume, il était le roi de cet empire de cartes dans ce territoire qu’il avait conquit et que les autres lui avaient cédé, et c’était aux autres de faire leurs preuves pour mériter de participer à la construction de son petit monde personnel. Le tout jeune garçon aurait très bien pu le fixer un moment et puis lui tourner le dos, ce qui était plus proche de ses réactions classiques lorsqu’on lui demandait de participer à ses jeux qu’il préférait toujours solitaires, mais peut-être qu’inconsciemment, en voyant tous les autres être tellement heureux ensemble, il avait voulu essayer. Son dévolu était tombé sur ce jeune roux qui n’avait pas froid aux yeux et qui venait de réussir à poser la carte sans tout détruire, ce qui relevait tout de même de l’exploit pour plus des trois quarts de l’humanité. Cela avait donc réussi à faire ouvrir des yeux un peu plus intéressés au petit par terre qui s’était levé pour s’approcher et voir si la carte était posée du bon côté, pour ne pas rompre avec l’équilibre parfait de tout le bâtiment en papier. Et non, elle était dans le bon sens. Elle ne tomberait pas si Near en ajoutait une autre. Il fixa la carte un long moment, en tournicotant une petite mèche de ses cheveux autour de son doigt nerveusement de la même façon maladive et adorable qu’un gosse qui se suçotait le pouce par réflexe, et il détourna ensuite lentement son attention de l’objet pour lever un peu la tête vers Matt.
Near : « …Pourquoi tu veux jouer avec moi ? »
La question était légitime, et même si la petite chose blanche n’avait pas cherché pendant des heures les raisons pour lesquelles Matt aurait voulu jouer avec lui, il était juste un peu curieux, loin encore d’être mécanique et logique pour toute action de ses collègues. Aucune suspicion désagréable, loin de là. A l’époque, sa froideur s’expliquait facilement, par le fait qu’il n’avait pas de notions de bases de la vie en communauté. Si l’on ne vous explique pas que se faire des amis est bien, est naturel, et est une des choses qui font que l’être humain est un humain, quand on ne vous a pas appris que demander ce qui vous passait par l’esprit était déplacé et qu’il fallait simplement accepter l’amitié quand on vous la proposait, même un petit génie ne pouvait pas le savoir d’office. Pour lui, les autres étaient des entités étrangères à son monde intérieur, et il était hautement probable qu’elles lui soient toutes hostiles d’une façon ou d’une autre, alors la méfiance était la réaction humaine la plus naturelle à observer. Un petit animal sauvage ne se demande pas si vous lui voulez du bien, quand vous l’approcher avec un gros sourire plein de dents et des grosses mains avides de caresses, il s’enfuit, et c’est bien normal. Car qu’était-il de plus qu’un petit animal laissé aux mains d’adultes et d’enfants tous étranges et tous différents et spéciaux à leur manière, qui avaient pour la plupart déjà assez de mal à apprendre à se connaître eux-mêmes… Wammy’s House était une jungle, le château de cartes était sa seule défense, son fort, sa citadelle, et Matt était un autochtone qui venait en paix et qui semblait s’adapter particulièrement bien aux coutumes locales, jusqu’ici.
Ce fut au moment où l’enfant aux vêtements trop grands posa ses grands yeux dans ceux de Matt qu’un groupe d’orphelins entra dans la Common Room à la volée, et les courants d’air provenant de l’extérieur, glaciaux et humides, s’engouffrèrent dans la pièce et mirent en morceaux la forteresse de papier. Une neige de cartes blanches tachetées de couleurs qui voltigeaient un peu partout, avant de retomber au sol comme autant de feuilles mortes qui n’avaient plus aucun sens, et qui n’étaient plus une œuvre d’art mise en place par les doigts habiles d’un gamin de cinq ans, mais simplement un tapis de papier étalé sans grâce, un bordel sans nom, en gros.
Near observa la scène sans ciller. Les responsables avaient regardé leur méfait avec de gros yeux, ils s’en voulaient sans doute un peu, mais ils avaient juste haussé les épaules et avait continué leur chemin vers le réfectoire sans excuses d’aucune sorte. Le petit génie n’avait même pas de personnes à qui en vouloir, personne sur qui être en colère. D’un autre côté, qu’aurait-il pu faire ? Même dans une colère noire, il n’aurait eu aucune influence. Haut comme trois pommes et mou comme un loukoum, il ne ferait même pas peur à une fourmi handicapée… Il ne put donc rien faire d’autre que baisser la tête vers les cartes étalées à ses pieds, le regard mort. Des heures de travail, dans le néant.
Near s’éloigna de quelques pas, attrapa une grosse boîte de legos quasiment plus grosse que lui qu’il porta vers Matt avec difficultés, et s’assit par terre. Quitte à construire une forteresse, autant qu’elle résiste.
Il fixa Matt. Matt qui n’avait plus qu’à choisir s’il voulait s’en aller, ou l’aider. Jouer à un jeu avec lui, en quelque sorte. Ils n’étaient pas si différents.
Qu’étaient-ils ces petits génies lâchés trop tôt dans cette école sinistre ? Bah, peut être valait il mieux que ça soit ainsi, rentrer à Wammy’s House dés son plus jeune pour se trouver au plus vite une place. Pour Near et pour Matt sûrement qu’aucun des deux ne garderait de souvenir très exact de leur vie avant l’orphelinat. Wammy’s House était leur maison. Maison où les parents leur demandaient d’être toujours plus intelligents, toujours plus doués. Quelle cruauté de leur imposer ça, à cet âge où chacun des deux petits garçons préférait s’amuser plutôt que de réfléchir à toutes ces choses qui de toute façon les dépassaient.
Matt avait toujours été joueur. Il aurait pu devenir célèbre dans le milieu du poker, là où on ne soit pas avoir froid aux yeux. Alors quand l’occasion se présentait il n’allait pas la laisser tomber, et ça lui faisait plaisir d’être là avec Near parce que lui aussi il aimait bien les jeux, et qu’ainsi il pourrait jouer avec lui. Il était comme le boss final d’un jeu game boy color (attention, à l’époque color c’était trop la classe) et très dures à trouver étaient les astuces pour le battre. Matt ne voyait pas Near blanc, ni les cartes, non, il les voyait oranges, d’une légère teinte qui lui rappelait tant l’Australie, son pays natal. Au lieu de voir un château de cristal il y voyait plutôt un tas de sable en fait, et s’il ôtait ses lunettes sûrement que l’éclatante blancheur lui aurait violemment agressé les yeux.
Pour l’instant il contemplait l’exploit accomplit avec une pointe de fierté, poings sur les hanches avant de se faire soudainement interrompre par la petite voix de l’albinos.
« …Pourquoi tu veux jouer avec moi ? »
Pourquoi ? Pourquoi un enfant voudrait il donc jouer avec un autre si ce n’est pour s’amuser ? Matt y vit plusieurs raisons, tout d’abord parce qu’il y avait cette envie de défi qui le motivait, il trouvait en Near un adversaire de jeu à sa mesure en quelque sorte, mais c’était tout à fait inconscient. Le mini geek aurait très bien pu chercher un autre enfant, n’importe quel enfant était plus engageant que Near, c’était peut être de la curiosité, de l’intérêt, quoi qu’il en soit jamais une idée malsaine ne lui aurait traversé l’esprit à ce âge, et même si on dit que les enfants sont naturellement méchants ils n’en sont pas moins affectifs –pour la plupart-. C’était peut être aussi parce que la petite bête solitaire était toute seule à jouer avec ses cartes … Matt avait connu la solitude, les autres qui ne vous approchent pas, par désintérêt, par peur peut être… alors ça lui faisait bizarre de voir un petit albinos qui ne demandait rien à personne.
« Bah parce que je t’aime bien… »
Réponse typée du gosse. Il n’y avait pas de raison en fait, il n’y avait pas réfléchi, ça venait tout seul, il avait eu le désir d’approcher Near et de jouer avec lui. Alors pour lui ça voulait dire qu’il l’aimait bien … Comment pouvait-il bien l’aimer alors que finalement il ne le connaissait pas tant que ça ? Ils ne s’étaient pas beaucoup parlé depuis le jour où Near était arrivé à l’orphelinat. Fallait dire que tous les deux n’étaient pas beaucoup sociables. Le petit roux allait continuer quand soudain une bande de surdoués en furie arriva, le vent fit s’envoler toutes les cartes sous l’œil de celui qui avait construit le château, qui se transforma bientôt en ruine. Aucun des deux ne bougea, que pouvaient-ils faire ? Les yeux grands ouverts, Matt fronça ensuite les sourcils vers les fautifs qui partirent sans rien dire, sans même présenter la moindre petite excuse.
« Hé bande de nuls ! »
De toute façon ils étaient déjà partis. Matt se retourna vers le tas, un peu dépité, puis vers Near qui avait déjà trouvé une autre occupation pour réparer ce qu’on lui avait fait. L’absence de réaction du petit garçon l’étonna un peu…en fait non, il ne s’étonnait plus avec Near. Et Matt restait debout et observait l’autre faire, l’autre qui ne disait rien…
Puis il soupira. Un peu blasé par la situation.
« Ce n’est pas juste. »
De toute façon ses paroles n’auraient aucun impact, rien n’allait changer. Il observa Near qui le fixait puis s’assit en tailleur devant le tas de carte. Il en prit une dans chaque main, et essaya de refaire ce que l’albinos avait accomplit. Mais il ne réussit qu’à en placer quelques unes et déjà celles-ci tombèrent… comme si elles faisaient comprendre au rouquin qu’il n’était pas leur maître. Finalement… non…de toute façon quelqu’un encore viendrait tout casser. L’art éphémère est une bonne blague n’empêche.
Abandonnant son projet il revient à quatre pattes vers la boule blanche, observait ce qu’elle faisait.
« Je peux toujours jouer aussi … ? »
Il avait le ton un peu hésitant…peut être qu’en fait il apportait une malédiction à Near à force de vouloir jouer avec lui…
Il lui fit de grands yeux presque implorants comme savent si bien le faire les petits de six ans.
Puis ses petits doigts vinrent prendre deux légo qu’il assembla, sans rien dire avant de murmurer. En fait il n'avait pas entendu la réponse et avait décidé de jouer aussi, peu délicat qu'il était.
« Tu n’es pas en colère, ou triste… pour ton château ? »
Il releva ses yeux innocents vers le petit bout d’homme, un bonhomme légo dans les mains qu’il tripotait, lui inventant une vie dans sa tête.
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