Elle l’avait serrée contre elle doucement, gentiment, tendrement. Elle n’était pas maternelle, ne se voyait rien d’autre qu’amicale, voire au mieux fraternelle ; elle n’avait jamais eu l’intention de jouer à la maman, surtout pas pour materner un aussi grand garçon que Howl. Mais l’adolescente ne semblait pas gênée de le sentir se reposer contre elle, de se laisser aller entre ses bras, contre son corps vêtu de soie. Mais elle se détacha ne pouvant rester dans cette position indéfiniment, provoquant peut-être chez l’adolescent la frustration de ne pas pouvoir profiter de son étreinte quelques secondes supplémentaires. Elle pensait qu’il serait dur de batailler avec lui pour l’emmener soigner ses doigts pourtant il n’en fut rien : il se contenta de la regarder avec une lueur étrange au fond des yeux et de lui offrir un très joli sourire, reprenant dans son jargon « howlesque » ce qu’elle compris comme « je te suis, emmène-moi à l’infirmerie » ou quelque chose comme ça. Etre un dictionnaire ambulant avait quelques avantages non négligeables parfois.
Ainsi glissa-t-elle sa main dans la sienne, l’intacte pour ne pas lui causer de maux supplémentaires et l’entraina-t-elle à sa suite vers la grande porte de la bibliothèque laissant les lieux vides de toute présence. Elle ne se hâtait pas, marchait cependant d’un pas soutenu, de petites foulées légèrement bondissantes mais avec du recul très élégante. Dans sa toute jeunesse, Owan avait voulu devenir une princesse ; maman lui contait des histoires de princes et de chevalerie, de batailles, de sorcières et de dragons. Et toutes choses dans le seul but de réunir la dame noble à son seigneur courageux. Alors oui, elle s’était entraînée dur pour marcher comme une princesse et surtout elle avait attendu longtemps de pouvoir porter des robes aussi somptueuses que les leurs. Mais l’enfant avait grandit, son histoire avait tourné au drame et les contes étaient devenus des rêves lointains. Jusqu’au juge, à son tuteur et puis enfin à l’orphelinat. Un tournant décisif dans sa vie, ce qui lui avait permise de se construire. Et elle s’était fait une promesse à elle-même : toujours faire en sorte de ne pas blesser son entourage, les autres. Pure Utopie. La preuve même puisque par sa faute, inconsciente faute, le jeune Chocolate Rangers s’était blessé ; et même si cette blessure ne resterait pas, alors qu’il l’oublierait bien vite, elle, resterait marquée par sa bassesse : une fois de plus elle avait trahi sa promesse à elle-même. Elle n’avait jamais fait attention à l’honneur ou même à son ego, privilégiant les autres avant elle-même pourtant il n’y avait pas un jour où elle se demandait si un peu plus de confiance en elle et de réflexion ne l’aiderait pas à surmonter ses craintes les plus profondes. Et alors qu’elle menait Howl dans les couloirs, elle pensait encore et toujours aux erreurs qu’elle ne cessait de commettre. « Mieux vaut prévenir que guérir » disait le vieil adage mais à trop vouloir prévenir on finissait par se blesser. Lourde conclusion, enfer et damnation.
Son regard vague se ranima, alors qu’elle se tournait vers le blond en souriant, mettant de côté ses pensées sombres et défaitistes ; il ne fallait pas se laisser aller au pessimisme ! Son sourire avait le même éclat que le soleil, possédait la douceur du printemps. A quelque chose prêt évidement.
« Ce sera vite guérit, j’en suis sur ! »
Reflet de ses propres craintes sur des soucis qui ne devaient qu’attrister qu’elle. Mais bien évidemment, elle ne s’en rendait pas compte, trop enlisé dans ses propres déductions, véritables labyrinthes pour méninges. Et l’infirmerie arriva, elle dut laisser le suppôt de Mello aux mains de l’infirmier/infirmière momentanément, s’asseyant sur le bord d’un lit libre aux draps immaculés, ses longues boucles blondes effleurant le tissu couleur de neige et sa robes contrastant avec ces mêmes teintes immaculées ; elle avait l’impression étrange de se trouver dans un champ de pureté et d’être le vice, l’infamie, le vil, le pire péché que la terre ait porté, sans endroit où se cacher, où dissimuler sa présence. Son pouls arbora une cadence plus rapide alors que son corps s’affaissait dans les draps, ses paupières lourdes tombant comme un rideau théâtral devant ses prunelles. Morphée l’attira en son sein bien plus tôt que prévu, son esprit faible et fatigué cédant sous ses doux murmures. Le sommeil l’emporta dans son gouffre alors que l’infirmière s’occupait encore de Howl, le réprimandant et lui demandant comment il avait fait pour mettre ses doigts dans un tel état !
Le vide. Rien que le vide. Le noir encore, comme une nuit éternelle, comme une nuit sans lune, sans étoile, sans lumière… Une angoisse, oppressante, enserrant son cœur avec sadisme, laissant son corps frêle trembler d’impuissance sous la pression qu’elle lui offrait. L’incompréhension. Les sueurs froides qui coulent dans son dos. L’impression étrange d’étouffer… Le lieu, le temps, il n’y avait plus de repère, plus rien auquel se raccrocher, plus rien d’autre que la peur, le désespoir ou peut-être pire encore. Un bruit effroyable qui résonne. Comme une balle qui rebondit. Un rire aux accents fous. Un éclat qui la surprend, fait frissonner sa peau alors qu’elle se retourne soudainement… Mais il n’y a rien, c’est toujours le vide, le vide immense. Une terreur sourde et absurde qui s’empare de son âme, obnubile son esprit, ce néant, véritable miroir de son cœur lourd, l’intriguant tout autant qu’elle le trouvait terrifiant. Prise au piège de ses angoisses, les yeux fous, elle se met à courir. Et elle court ce qui lui semble une éternité, une distance infinie, après quelque chose qu’elle ne voit pas, sans repère. Ses sens se mœurs, elle ne peut rien faire. Rien. Dans ce rien. Rien d’autre que de cauchemarder.
Et elle tremble sur son lit dans un sommeil fiévreux.