Sujet: Are you high, Ma'am ? - Lola Mar 25 Fév - 9:41
La routine, Jesse n’a jamais vraiment connu – et apprécié – cela. Quand il était jeune, la vie était son terrain de jeu. Il n’avait strictement aucune limite, et chaque jour se montrait différent. Il pouvait péqufier – aka recouvrir de PQ – une maison le lundi, jouer au basket le mardi, puis vivre une course poursuite enflammée avec la police le mercredi, pour enfin passer le jeudi à asperger les filles avec son super pistolet à eau. Ouais, il s’est vraiment amusé quand il n’était encore qu’un sale gosse errant dans les rues de Londres et de sa banlieue la plus proche. Même quand il appartenait à son gang bidon, aucun jour ne ressemblait au précédent. Ou plutôt : aucun deal ne ressemblait au précédent. Et même avant la mort de ses parents, tiens, il ne connaissait pas la routine ! Certes, ces défunts crétins tentaient bien d’en imposer une à leurs garçons, mais vous savez aussi bien que moi qu’ils n’ont jamais réussi – il n’y a plus qu’à voir à quoi ressemblent leurs deux fils aujourd’hui pour le comprendre.
La prison a considérablement réduit cette liberté qu’il avait – no shit, me direz-vous. Tous les jours, ou presque, c’était pareil. On le levait tôt, on le balançait sous la douche, on lui mettait entre les mains une assiette dégueulasse, puis on le rebalançait dans sa cellule jusqu’au déjeuner, puis jusqu’au dîner. De temps en temps, les captifs pouvaient faire un foot ou un basket, sinon ils devenaient tous fous de tourner en rond derrière des grilles. Le lendemain, même chose. Les seuls évènements qui pimentaient un peu la vie des incarcérés étaient les bastons qui partaient souvent en bataille générale. Juste pour le plaisir d’avoir quelque chose à se remémorer le soir en s’endormant. Juste pour oublier un peu le manque d’intimité – ce que Jesse ne connaît plus depuis l’âge de onze ans – et le l’humiliation quotidienne soigneusement infligée par les gardiens de prison. C’te bande de fils de pute.
En arrivant à l’Agency, Jesse a retrouvé, en un sens, une forme de routine – eh oui, en une semaine, il se lasse vite le garçon ! Etant donné qu’il occupe le poste depuis sept jours seulement, on lui somme d'effectuer uniquement les entrées et les sorties. Ce n'est pas encore le temps des balades dans l'Agency pour checker la sécurité à l'intérieur même des bâtiments. Ainsi, Jesse doit rester à l'entrée principale, vêtu entièrement en noir. A la ceinture, un talky-walky et un taser pour les urgences. Du fait de son séjour en prison, ses supérieurs ont jugé préférable de ne pas lui confier une arme d'entrée de jeu. C'est dommage, il sait si bien s'en servir.
Sa routine se déroule en plusieurs étapes. D'abord, observer le visage des arrivants, afin de les retenir et de vérifier que rien ne cloche - un regard trop fuyant peut être considéré comme suspect. Ensuite, les faire passer sous le détecteur de métaux et effectuer une rapide fouille - brads, poches, arrière, jambes et sac. Puis, seulement après avoir fait tout cela, il s'occupe de vérifier les cartes d'Agents ou les autorisations d'entrée dans le bâtiments. Alors, enfin, Jesse laisse le passage. Et tout cela doit être fait méticuleusement pour chaque personne. Légèrement répétitif comme job. Il aimerait de l'action, que ça bouge, que ça vive, qu'au moins UNE personne ne soit pas réglo.
Adossé contre un mur, en plein après midi, le jeune anglais à la pote mate mâche frénétiquement un cheming gum en fixant d'un air désabusé le hall vide. La solitude commence à lui peser. Dung. Bruit de la porte d'eux d'entrée. Apparaît une jeune femme que Jesse n'a jamais vu auparavant. Ses cheveux longs et bouclés tombent lourdement sur ses épaules frêles, et son regard éteint se tourne vers l'agent de sécurité. Il connaît ces yeux rouges, petits, à la pupille dilatées. Il les a eu mille fois comme cela, et connaît tout particulièrement la cause de ce phénomène. La jeune femme est clairement défoncée.
D'un geste pressé de la main, il lui somme de ne plus bouger, et s'avance vers elle d'un air nonchalant. C'est avec son accent de british banlieusard qu'il s'adresse à elle.
« J'peux pas vous laisser entrer, Ma'am. Va falloir que vous m'vidiez vos poches. Toutes vos poches.»
Le jeune homme est un peu gêné d'avoir à lui demander cela. Il fut un temps où il ne se baladait jamais sans son arme et ses cent grammes de drogue - weed, crack, coke, héro parfois, tout ce qu'il dealait quoi. Et aujourd'hui, le voilà à devoir demander à une personne de son âge de vider le contenu de ses poches pour pouvoir vérifier si elle transporte de la drogue. Moche.
En jetant un coup d'œil discret à la poitrine de son interlocutrice, il se redresse de tout son long et la domine ainsi de sa taille impressionnante. Il ajoute d'une voix gênée, en se grattant la nuque :
« Désolé, Ma'am, c'est la procédure.»
Lola
Sujet: Re: Are you high, Ma'am ? - Lola Mer 26 Fév - 21:08
On a tous nos petits rituels du matin. Certains ne parviennent à kiffer leur journée que s’ils la commencent en lisant le journal devant un bon petit-déjeuner, d’autres ne sauraient fonctionner sans leur douche froide matinale...
Lola, elle, entame ses journées perchée sur la fenêtre de son appart’. De là, elle boit son café et fume son premier joint tout en contemplant la vie de Brixton – cette vie un peu sale, un peu insalubre qui lui rappelle la beauté grise et délabrée du 18e. Elle surprend les regards étonnés, sourit et adresse un bref signe de la main à ceux qu’elle connaît, éteint son joint, en roule tout de suite un autre... Ca la met pas vraiment de bonne humeur – rien ne saurait la réjouir à l’idée d’aller taffer –, ça l’apaise juste assez pour éviter de péter un câble au cours de la journée. Et des fois, ça l’apaise même pas – ce sont ces matins cruels qu’elle a vus naître lentement dans le ciel, ces nuits qu’elle a passées à zoner parce qu’elle trouvait pas le sommeil.
Comme aujourd’hui en fait.
Rien de plus dégueulasse – et de plus ironique – que d’fixer le plafond pendant des heures en s’disant que, putain, chaque jour que Dieu fait, tu fais la même chose ; pour au final quitter son lit et faire la même chose.
La routine, ça épuise – on croirait pas comme ça –, c’est comme tourner en rond, tourner dans le vide. Le vide d’une existence sans sens.
Et le vide, Lola en fait la seule chose qu’elle sache en faire. Un aqua. Remplir son vide d’une fumée entêtante, qui t’fait perdre la tête, pour ne plus le voir ; dessiner de lascives arabesques bleutées dans la vacuité, suivre leur danse alanguie, pour se la rendre plus belle, presque supportable...
« Ouais bah t’sais c’que j’lui dis, moi, à la procédure... »
Ca l’étonne pas vraiment qu’on vienne la chercher, la rougeur vive de ses yeux et son air perdu ne trompent personne. Par contre, ça la fait chier, pour de vrai. Elle ne dissimule donc pas son agacement tandis qu’elle vide docilement ses poches, un mince sourire narquois aux lèvres – tu trouveras rien dans mes poches, bolosse, pour qui tu m’prends.
« Voilà, poches vides. J’sais même pas c’que vous cherchez mais bon... »
Lola se dresse de toute sa hauteur, opposant à l’imposante carrure de l’agent de sécurité son regard vert, indifférent. Elle aurait joué, vraiment, elle l’aurait tenté, provoqué – les flics lui font plus peur depuis des années, à force de fouilles –, elle aurait... Elle a pas la force. La ganja alourdit jusqu’au plus insignifiant de ses membres, la lassitude gâte tout plaisir qu’elle tirerait habituellement à défier une autorité méprisée.
« On peut faire ça vite ? Non parce que, le prenez pas mal, mais j’suis trop saoulée. »
Trop saoulée d’vivre, tout m’dégoûte même quand j’suis ivre ; tout juste si mon joint m’délivre, j’veux pas vivre pour survivre. ... Ou un truc du genre. Lola s’souvient plus trop.