Sky ouvrit les yeux, sans un regard vers le réveil, elle les referma.

Elle savait qu’il était 9h32, puisqu’il y avait soixante secondes elle avait regardé le réveil et il était alors 9h31. Oui, elle avait compté les secondes. Oui, elle n’avait que ça à faire. Oui, elle s’ennuyait profondément. Oui, c’est très dangereux quand Sky s’ennuie.

A la une, à la deux, à la trois… Une, deux, trois,… Bam. Sky, après avoir fait trois pompes incroyablement ratées s’écroula sur le lit. Le sport, ce n’était pas fait pour les gens qui ne mangaient presque jamais. Tiens, d’ailleurs, et si elle mangeait ? Naon, pas ce matin. Plus tard, peut-être.

« Truuuuth ? »

Saleté de chose inutile ! Cette fille avait un don pour disparaître quand Sky s’ennuyait ! Mais QUI lui avait collé une colocataire aussi ennuyante ? Roger. Ouais, Roger. Tout c’était de sa faute. Il était nul. Il était moche. Il était méchant. Il était Autre… Bouh ! Bouh le Roger !

« Ouaaaf ? »

Et non, Ouaf n’était pas là, il était avec sa copine.

« Haaaze ? »

Et non, Haze n’était pas là, il était avec son lit.

« Abyyyss ? »

Et non, Abyss n’était pas là, elle était avec ses dominos.

« Deeeeen ? »

Et non, Den n’était pas là, il était avec… Avec qui ?

La porte de la chambre 18 claqua et il n’y eu plus que le silence. Sky courait dans les couloirs, sourire aux lèvres, prête à retourner la terre entière pour retrouver son prince sadique. Cela faisait si longtemps qu’elle n’avait pas vu Den ! Son cher Den, son petit Autre si spécial. Son petit prince au si beau sourire. Oh oui ! C’était décidé ! Mission du jour : mettre assez en rage Den pour lui faire donner une crise de sadisme. Oui, mais d’abord, il fallait le trouver. Dans sa chambre ? Non, qu’elle sache, il ne couchait pas encore avec Soren. Au réfectoire ? Il était désert. Dehors ? Dehors… Peut-être ! Quand vous cherchez Den : sortez ! Tout en sautillant comme une gamine, Sky se mit à chanter à tue-tête une petite comptine pour enfant en se dirigeant vers la grande porte d’entrée.

« Jamais on a vu.
Jamais on ne verra.
La famille tortue, courir après les rats. »

Il faisait très beau dehors, embellissant encore la figure de Sky par un sourire heureux. Le soleil l’emplissait de l’énergie qu’il lui manquait dans sa folle quête. Oui, puisque, mine de rien, l’extérieur de l’école était très grand. Et allez trouver Den là-dedans, lui qui se plaisait tant à se perdre un peu n’importe où ! Elle se mit tout de même en marche avec volonté et enthousiasme, chantant à tue-tête sa petite chanson.

« Le papa tor-tue.
La maman tor-tue.
Et les enfants tor-tues… »

Elle aimait les chansons pour enfant, c’était à la fois complètement dénué de son et emplis d’idées très amusantes. Les dessins animés aussi, étaient très instructifs sur les modes de pensées des Autres. Ah, qu’est-ce qu’elle avait écrit grâce aux enfants ! Ces petits êtres bruyants et énergiques, à la fois capable des plus étonnantes bontés comme des plus ignobles atrocités. C’étaient eux, les plus près du mode de pensée de Sky, eux qu’elle comprenait le mieux. Après tout, qui était-elle sinon une petite fille qui ne voulait pas grandir ?

Du haut de son 1m55, il était sûr qu’elle n’était pas bien grande. Ses seins étaient à peine développés, ses hanches étaient maigres et elle ne possédait aucune des rondeurs caractéristiques des jeunes filles de son âge. Ses vêtements immaculés étaient toujours simples, elle n’avait jamais sentit le besoin de prêter réellement attention à son style vestimentaire. Elle avait vécu en blanc, tout simplement en blanc, et ne voyait pas pourquoi changer. Elle ne voulait pas ressembler aux Autres, et surtout pas à ce sale bébé aux couleurs chatoyantes qui avait finit sa course dans un rouge lumineux. Elle était elle-même, et elle était définie par ses différences, qui passaient par ces vêtements. Mais cette habitude vestimentaire venait aussi d’un instinct : une profonde impression de gêne et de mal-être dès qu’elle mettait un vêtement trop coloré, comme si elle n’était pas à sa place. Oui, vraiment, c’était étrange mais c’était ainsi : elle existait en partie par ses vêtements.

« Iront toujours, au, pas ! »

La chanson était terminée, le silence s’installa. Elle s’était aventurée bien loin dans le domaine et n’avait trouvé aucune trace de Den, où était-il donc ? Elle soupira, la mine boudeuse, prête à rebrousser chemin lorsqu’elle cru voir un éclat lumineux. La couronne de Den ! Elle s’élança aussitôt vers l’étincelle en criant le nom du sauveur de son ennui profond. Mais ce n’était pas Den. Juste un bout de verre luisant au soleil. De dépit, l’amoureuse du ciel s’écroula sur le sol en soupirant une énième fois. Pourquoi le monde était-il si méchant avec elle ? Que lui restait-il si même Den se dérobait ? Elle n’avait pas envie d’aller voir quelqu’un d’autre aujourd’hui.

« Deeeen, je te veeeeux ! »

Il arrivait souvent à Sky de parler seule, surtout lorsqu’elle s’ennuyait et qu’elle était seule. Malheureusement, son cri ne reçu aucune réponse et elle finit par s’allonger sur le sol, dans l’herbe verte de la petite clairière où elle s’était arrêtée. Elle plongea alors les yeux dans le ciel, observant le seul être qu’elle aimait réellement. Ses pensées vagabondaient sans point d’attaches, dérivants dans les nombreuses possibilités que lui permettait son esprit surdoué. Elle n’était pas l’image habituelle qu’on avait du surdoué. Elle n’utilisait pas son intelligence au service de raisonnements utiles et compliqués. Ses pensées n’avaient jamais de but, elle pensait juste à tout et à n’importe quoi, se perdant parfois elle-même dans le flot de son imagination. Le plus souvent, elle ne tirait rien de ses réflexions tirées de rien et il fallait énormément de temps et de hasard pour qu’une réflexion utile émerge de son esprit embrouillé et complexe. Et même lorsque cela arrivait, sa perception de l’utile était différente de telle façon que, pour les gens normaux, ses idées géniales n’étaient qu’absurdités. Et, de la même façon, dès qu’elle approchait d’une idée qui pourrait paraître intéressante aux autres, elle la délaissait parce qu’elle l’ennuyait. Telle était une des plus grandes différences entre elle et les Autres, ces êtres qu’elle jugeait incompréhensibles. Et encore, elle ne se rendait pas compte combien ces Autres étaient les plus près de son mode de pensée, puisque eux aussi surdoués. Quel choc si, un jour, elle entrait en contact avec des gens véritablement normaux !

« Et la bibliothèque, je ne suis pas allée à la bibliothèque, non ? »

L’instant où elle parlait le plus à voix haute lorsqu’elle était seule était lorsqu’elle était face au ciel. Mais cela ne comptait pas, puisqu’elle parlait au ciel.

La bibliothèque, donc, elle avait peut-être une chance d’y trouver Den… ce n’était pas dans les habitudes du jeune homme mais pourquoi pas ? Au pire, elle trouverait bien un livre à lire. La bibliothèque regorgeait d’albums pour enfants, même si peu de surdoués en lisait. Ah, comme elle était sidérée de voir à chaque fois des gamins hauts comme trois pommes lire des ouvrages compliqués de physique !

« Jamais on a vu.
Jamais on ne verra.
La famille tortue, courir après les rats.
Le papa tor-tue.
La maman tor-tue.
Et les enfants tor-tues… »

L’adolescente avait reprit sa chanson, toute contente d’avoir trouvé une idée. Arrivée dans l’orphelinat elle fit joyeusement claquer ses chaussures sur le carrelage, s’attirant les regards étonnés de quelques passants qu’elle ignora. Tout le monde pensait qu’elle était folle, heureusement pour elle, ça lui faisait la paix. Qu’est-ce que c’était amusant les chansons pour enfant ! C’est en souriant qu’elle ouvrit la porte de la bibliothèque presque déserte. Un petit regard à droite, un petit regard à gauche, la tête dans l’entrebâillement de la porte. Non, c’était bon, pas d’extra-terrestres.

« Iront toujours, au, pas ! »

Couronne repérée ! Mise en marche du rapprochement. Observation : la cible dort. Raison : présence d’un livre ouvert de Maupassant sous la tête de la cible. Technique d’approche : discrète, ne surtout pas réveiller la cible.

Sky s’assit sans bruit à côté de Den, un étrange sourire carnassier sur le visage. Elle avait devant elle une chose inestimable : son prince endormi. Elle devait obligatoirement en profiter ! Son sourire s’allongea tandis que ses mains se levaient en direction de la chevelure de Den… Et plus précisément, de sa couronne. Elle s’en saisit, tout en retenant son souffle, surprise elle-même que l’ornement ne soit pas accroché à son propriétaire. La joie emplissait ses yeux noisette en amande. Avec extase elle se para de l’accessoire, heureuse de réaliser son rêve depuis longtemps irréalisable. Puis elle observa Den, qu’il était étrange sans sa couronne étincelante ! Il paraissait autre, étrange, vide. Tellement moins beau ! Mais rien qu’en imaginant sa tête à son réveil, Sky pardonnait ce manque de magnificence momentané. Attrapant une feuille et un stylo près de la photocopieuse, elle écrivit un petit mot pour Den avant de disparaître dans les méandres de la bibliothèque. Elle s’assiérait sûrement entre deux rangées avec une petite pile de livres pour enfant à ses côtés, impatiente du réveil de son prince endormi.

Sur la feuille abandonnée près du visage de Den étaient écrit ces quelques mots d’une calligraphie rapide et peu soignée.

Citation :

« Ne sois pas trop fâché, Den chéri, j’en prendrais bien soin.
Je t’adore,

Sky. »